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Date : 20150428


Dossier : T-1958-14

Référence : 2015 CF 549

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2015

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

MICHAEL ROSENBERG

demandeur

et

L'AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               L’Agence du revenu du Canada (la défenderesse, l’ARC) a saisi la Cour d’une requête en radiation de l’action intentée par le demandeur, Monsieur Michael Rosenberg, en vertu de la règle 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. La requête était fixée en même temps qu’une autre procédure reliée qui découle des mêmes faits et qui implique, cette fois, la ministre du Revenu national (la Ministre) à titre de demanderesse, et Monsieur Rosenberg à titre de défendeur (dossier T-2062-14). Dans cette affaire, la Ministre a déposé une demande sommaire en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la LIR], visant l’obtention d’une ordonnance enjoignant Monsieur Rosenberg de fournir certains documents et renseignements qui avaient fait l’objet d’une demande en vertu de l’article 231.1 de la LIR (la demande de renseignements). Lors de l’audience de la requête en radiation, j’ai ajourné la demande dans le dossier T-2062-14 jusqu’à ce que la Cour se prononce sur les procédures dans le présent dossier.

I.                   Contexte

[2]               Entre 2008 et 2010, Monsieur Rosenberg et d’autres personnes morales liées ont fait l’objet d’une vérification de la part de l’ARC relativement aux années fiscales 2006 et 2007. La vérification était principalement reliée à des opérations de straddling (ou straddle loss) en relation avec « Mazel Partnership ». Dans le cadre de cette vérification, Monsieur Rosenberg a fourni à l’ARC plusieurs documents et renseignements. À l’issue de la vérification, une entente est intervenue entre l’ARC et Monsieur Rosenberg en date du 19 février 2010 (l’Entente).

[3]               Le 7 janvier 2013, dans le cadre d’une autre vérification, l’ARC a envoyé à Monsieur Rosenberg la demande de renseignements qu’elle a fondée sur l’article 231.1 de la LIR. Les documents et renseignements recherchés concernaient les opérations ayant fait l’objet de la vérification menée par l’ARC entre 2008 et 2010, soit les opérations de straddling auxquelles Monsieur Rosenberg a participé pour les années d’imposition de 2006 et 2007. Monsieur Rosenberg estime que l’Entente, qu’il qualifie de transaction, est opposable à la Ministre, qu’elle mettait un terme définitif à tout différend concernant l’impôt qu’il devait payer pour les années 2006 et 2007, et qu’elle empêche la Ministre de se prévaloir de ses pouvoirs en vertu de l’article 231.1 de la LIR aux fins de procéder à une nouvelle vérification des opérations visées par l’Entente et qui pourrait mener à une nouvelle cotisation pour ces années d’imposition.

[4]               Monsieur Rosenberg a, dans un premier temps, saisi la Cour supérieure du Québec afin de faire homologuer l’Entente et d’obtenir une ordonnance enjoignant à la Ministre de retirer la demande de renseignements et de n’émettre aucun nouvel avis de cotisation pour les années fiscales 2006 et 2007. L’ARC a présenté une requête invoquant un moyen préliminaire suivant les articles 163 et 164 du Code de procédure civile du Québec dans laquelle elle invoquait l’absence de compétence de la Cour supérieure du Québec. Dans un jugement rendu le 17 janvier 2014, la Cour supérieure du Québec a accueilli le moyen préliminaire présenté par l’ARC et elle a rejeté la requête introductive d’instance au motif que la nature essentielle du recours entrepris relevait de la juridiction de la Cour fédérale (Rosenberg c Agence du revenu du Canada, 2014 QCCS 685, [2014] JQ no 1459). Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel du Québec le 12 septembre 2014 (Rosenberg c Agence du revenu du Québec, 2014 QCCA 1651, [2014] JQ no 9750).

[5]               Le 16 septembre 2014, Monsieur Rosenberg a intenté l’action dans le présent dossier. Le 6 octobre 2014, la Ministre a déposé sa demande sommaire en vertu de l’article 231.7 de la LIR afin d’obtenir une ordonnance qui enjoindrait à Monsieur Rosenberg de fournir les documents et les renseignements visés par la demande de renseignements (dossier T-2062-14). Le 16 octobre 2014, l’ARC a déposé la requête en radiation dans le présent dossier.

II.                La requête en radiation

[6]               La requête en radiation a été déposée en vertu des alinéas 221(1)a), c) et f) des Règles. L’ARC soutient que l’action intentée par le demandeur ne relève aucune cause d’action, qu’elle est frivole ou vexatoire et qu’elle constitue un abus de procédure. Le paragraphe 221(1) des Règles prévoit les moyens pouvant fonder une requête en radiation et se lit comme suit :

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly

[7]               Il n’y a pas de litige entre les parties relativement aux paramètres applicables à une requête en radiation. Le fardeau de convaincre la Cour que la procédure devrait être radiée pour l’un des motifs énoncés à la Règle 221 appartient à la partie qui recherche la radiation et il s’agit d’un fardeau qui est strict. Relativement au moyen traitant de l’absence de cause d’action, il est bien reconnu que la Cour n’accueillera une requête en radiation que s’il est évident et manifeste que l’action n’a aucune chance de succès.

[8]               Dans Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 au para 47, [2014] 2 RCF 557 [JP Morgan], le juge Stratas, écrivant pour la Cour, a réitéré le critère applicable à la radiation d’une demande de contrôle judiciaire, mais les mêmes principes s’appliquent à l’égard d’une procédure intentée par le biais d’une action :

[47]      La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By-Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

[9]               En principe, aucune preuve n’est admissible dans le contexte d’une requête en radiation, mais les faits allégués dans l’acte de procédure en cause sont tenus pour avérés (JP Morgan au para 52). Toujours dans JP Morgan, aux para 53-54, la Cour d’appel fédérale a par ailleurs noté que certaines exceptions s’appliquaient à la règle de l’irrecevabilité des affidavits lors d’une requête en radiation, notamment lorsqu’ils servent à déposer un ou des documents mentionnés dans l’acte de procédure, et ce, pour aider la Cour.

[10]           En l’espèce, le litige entre les parties met en cause le caractère contraignant ou non de l’Entente, et le cas échéant, son interprétation et sa portée. L’Entente n’a pas été déposée par les parties dans le présent dossier, mais elle l’a été dans le dossier lié T-2062-14. Par ailleurs, lors de l’audition de la requête dans le présent dossier, les deux parties ont renvoyé à plusieurs reprises au texte de l’Entente qui a été déposée dans le dossier T-2062-14, et j’en ai moi aussi pris connaissance. J’ai donc implicitement admis en preuve l’Entente intervenue entre les parties lors de l’audition en permettant que les parties renvoient au texte même de l’Entente pour appuyer leur position respective. Je tiens par ailleurs à préciser que je considère que les allégués de la déclaration sont suffisants pour traiter la présente requête en radiation sans qu’il soit nécessaire de renvoyer spécifiquement aux termes de l’Entente.

III.             L’examen de la déclaration

[11]           Les faits allégués dans la déclaration peuvent être résumés comme suit:

                     Entre 2008 et le début de l’année 2010, Monsieur Rosenberg a fait l’objet d’une vérification fiscale pour les années 2006-2007 conduite par l’ARC qui concernait plus particulièrement des opérations qualifiées de straddling en relation avec « Mazel Partnership »;

                     Dans le cadre de cette vérification, Monsieur Rosenberg, son comptable et ses procureurs ont eu de nombreux échanges avec l’ARC qui a demandé plusieurs documents et renseignements;

                     À l’issue de cette vérification, Monsieur Rosenberg et l’ARC ont conclu une transaction en date du 19 février 2010 (l’Entente);

                     Dans le cadre de l’Entente, l’ARC s’engageait à ne pas émettre de nouvelle cotisation pour les années fiscales 2006 et 2007 (sauf quant à un élément précis) et Monsieur Rosenberg (et les personnes morales aussi visées) s’engageait à « refrain, abstain and terminate their practice of engaging in any similar transactions of « straddling » for Canadian Income Tax purposes »;

                     Le 7 janvier 2013, l’ARC a envoyé la demande de renseignements à Monsieur Rosenberg dans laquelle elle l’informait qu’elle avait entrepris une vérification de ses déclarations de revenus pour les années 2006 et 2007, et plus particulièrement à l’égard des opérations auxquelles il avait participé au cours de ces années, et qu’elle lui demandait de fournir divers renseignements et documents aux fins de cette vérification. La demande de renseignements précise qu’elle est fondée sur le paragraphe 231.1(1) de la LIR et qu’elle concerne des opérations en relation avec Mazel Partners G.P.;

                     Le 15 mars 2013, l’ARC a écrit aux procureurs de Monsieur Rosenberg les informant de l’intention de l’ARC d’entreprendre une procédure en vertu de l’article 231.7 de la LIR si Monsieur Rosenberg refusait de fournir les renseignements requis dans la Demande de renseignements du 7 janvier 2013 et les avisant que l’Entente que Monsieur Rosenberg invoquait n’avait pas d’incidence sur la demande de renseignements.

[12]           Monsieur Rosenberg soutient qu’il ressort clairement de la lettre du 15 mars 2013 que l’ARC a pris comme position que l’Entente ne l’empêche pas de vérifier à nouveau les opérations visées par ladite Entente.

[13]           Dans la déclaration, Monsieur Rosenberg invoque que l’Entente est un contrat par le biais duquel les parties ont prévenu la contestation des cotisations fiscales liées aux années 2006 et 2007 au moyen de concessions et d’engagements réciproques et que cette Entente mettait fin à tout différend possible concernant l’impôt qu’il devait payer pour les années 2006 et 2007. Monsieur Rosenberg soutient que l’Entente doit avoir, entre les parties, l’autorité de la chose jugée et que l’ARC n’a soulevé aucun motif qui permettrait de remettre en question les engagements qui ont été souscrits de part et d’autre dans le cadre de l’Entente.

[14]           Monsieur Rosenberg soutient également que l’Entente n’autorise pas l’ARC, qui agit au nom de la Ministre, à se prévaloir de l’article 231.1 de la LIR pour l’obliger à répondre à une série de questions visant à remettre en cause l’objet même de l’Entente. Les motifs qui poussent le demandeur à solliciter l’intervention de la Cour apparaissent aux paragraphes 13 et 14 de la déclaration et se lisent comme suit :

13. Compte tenu que le demandeur s’expose ultimement à une condamnation pour outrage au tribunal s’il ne devait pas répondre aux questions formulé[e]s dans les lettres du 15 janvier 2013 et 15 mars 2013 et il est nécessaire que cette honorable Cour détermine et déclare que la Transaction a pour effet d’empêcher la défenderesse de se prévaloir de l’article 231.1 de la Loi afin de forcer le demandeur à lui transmettre des réponses à une série de questions visant à remettre en cause l’objet même de la Transaction;

14. Il serait injuste d’imposer au demandeur de vivre sous la menace d’une procédure et/ou de l’obliger à faire valoir ses moyens dans le cadre d’une contestation d’une procédure expéditive;

[15]           Les conclusions recherchées par Monsieur Rosenberg sont les suivantes :

Conclusions en jugement déclaratoire :

DÉCLARER qu’une transaction est intervenue entre le demandeur et la défenderesse le ou vers le 19 février 2010 : HOMOLOGUER la transaction constaté par la lettre du 19 février 2010 signée par Ralph Amar, représentant de la défenderesse et 4341350 Canada Inc. et 4341376 Canada Inc. au nom du demandeur, et ORDONNER aux parties de s’y conformer;

DÉCLARER qu’en vertu de la transaction constaté par la lettre du 19 février 2010, le défenderesse ne peut requérir du demandeur, en vertu de l’article 231.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qu’il réponde à des questions ou qu’il soumette des documents visant à réviser l’impôt qu’il pourrait avoir à payer à l’égard des années fiscale 2006 et 2007;

Conclusions en injonction :

ORDONNER à la défenderesse de retirer la demande de renseignements et de documents du 7 janvier 2013 (pièce P-3) et de ne formuler aucune autre demande similaire à l’égard des années fiscales 2006 et 2007 et ce tant et aussi longtemps qu’un tribunal compétent n’aura pas annulé la transaction du 19 février 2010;

ORDONNER à la défenderesse de ne présenter aucune demande en vertu de l’article 231.7 de la Loi sur l’impôt à quelque tribunal autrement compétent, relativement à des documents ou des informations visant l’impôt payable par le demandeur pour les années fiscale 2006 et 2007 et ce tant et aussi longtemps qu’un tribunal compétent n’aura pas annulé la transaction du 19 février 2010;

ORDONNER à la défenderesse de n’émettre aucun nouvel avis de cotisation au demandeur relativement à l’impôt payable par eux pour les années fiscale 2006 et 2007 et ce tant et aussi longtemps qu’un tribunal compétent n’aura pas annulé la transaction du 19 février 2010;

[sic pour l’ensemble de la citation].

IV.             Positions des parties

A.                Les arguments de l’ARC

[16]           L’ARC soutient qu’il est manifeste et évident que l’action intentée par Monsieur Rosenberg n’a aucune chance de succès puisqu’elle vise à empêcher la Ministre d’exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par la LIR, et plus particulièrement aux articles 231.1 et suivants de la LIR, ce que, à son avis, cette Cour ne peut faire. De plus, l’ARC soutient que l’Entente n’a pas, et ne pouvait pas, avoir comme portée de limiter les pouvoirs de vérification et de cotisation de la Ministre.

[17]           L’ARC allègue que l’engagement qu’elle a pris au terme de l’Entente se limitait à celui de ne pas re-cotiser Monsieur Rosenberg pour les années d’imposition 2006 et 2007 au moment de la conclusion de l’Entente. L’ARC était satisfaite, au moment de l’Entente, des informations transmises par Monsieur Rosenberg relativement à ses opérations de straddling et acceptait de ne pas le re-cotiser. Pour l’ARC, il ne s’agissait pas d’un engagement de ne jamais re-cotiser Monsieur Rosenberg pour les années d’imposition 2006 et 2007, et encore moins d’une renonciation à exercer les pouvoirs de vérification conférés à la Ministre.

[18]           L’ARC invoque que même dans l’hypothèse où l’Entente était interprétée comme ayant contenue un engagement de ne pas re-cotiser Monsieur Rosenberg, la portée d’un tel engagement ne couvrirait pas les pouvoirs de vérification de la Ministre. L’ARC insiste sur la distinction entre le pouvoir de la Ministre de procéder à des vérifications des contribuables et son pouvoir de cotiser les contribuables, et elle soumet que l’Entente ne traite aucunement des pouvoirs de vérification de la Ministre. L’ARC soutient donc que l’Entente ne contient aucune renonciation à l’exercice des pouvoirs de vérification prévus à la LIR.

[19]           L’ARC avance également que même si elle s’était engagée à ne jamais exercer les pouvoirs de vérification de la Ministre à l’égard des opérations de Monsieur Rosenberg pour les années d’imposition 2006 et 2007, un tel engagement serait illégal parce que la Ministre ne peut pas renoncer aux pouvoirs de vérification qui lui sont conférés par la LIR afin d’assurer l’application et l’exécution de la LIR. L’ARC insiste sur la responsabilité qui est dévolue à la Ministre au terme de l’article 220 de la LIR d’assurer l’application et l’exécution de la LIR. Elle soutient que les pouvoirs de vérification de la Ministre sont nécessaires pour lui permettre d’assumer ses responsabilités parce qu’ils constituent des outils essentiels pour assurer l’intégrité du système fiscal fondé sur l’auto-déclaration et que cette dernière ne peut, par le biais d’une entente, renoncer à l’exercice de ses responsabilités. L’ARC maintient que la Ministre est tenue, en tout temps, d’appliquer la LIR conformément aux faits et au droit. L’ARC insiste aussi sur le fait que la jurisprudence a clairement établi que toute entente suivant laquelle la Ministre accepterait de cotiser autrement que conformément à la LIR dans un objectif de compromis serait illégale. Elle ajoute que toute entente au terme de laquelle la Ministre aurait renoncé à exercer ses pouvoirs de vérification serait également illégale.

[20]           L’ARC soutient donc que l’action intentée par Monsieur Rosenberg ne révèle aucune cause d’action et que la Cour ne pourrait pas ordonner à la Ministre de ne pas exercer les pouvoirs qui lui sont dévolus par la LIR.

[21]           L’ARC invoque également que l’action doit être radiée même si la Cour estime qu’il existe entre les parties un litige qui n’est pas dénué de tout fondement au motif que Monsieur Rosenberg aurait dû procéder par le biais d’une demande de contrôle judiciaire et non d’une action. L’ARC allègue que l’action intentée vise l’obtention d’un jugement déclaratoire et d’une injonction contre la Ministre qui, aux fins de l’exercice de ses pouvoirs de vérification et ultimement de cotisation, constitue un « office fédéral » au sens de l’article 2 et de l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [la LCF]. De plus, pour l’ARC il est clair que l’essence du recours intenté par le demandeur vise la décision de la Ministre d’exercer ses pouvoirs de vérification, laquelle s’est matérialisée par la demande de renseignements qu’elle a acheminée au demandeur le 7 janvier 2013. L’ARC invoque qu’au terme du paragraphe 18(3) de la LCF et de la jurisprudence, tout recours visant l’obtention d’un jugement déclaratoire ou d’une injonction contre un office fédéral ne peut être recevable que s’il est entrepris par le biais d’une demande de contrôle judiciaire en application de l’article 18.1 de la LCF. L’ARC soutient donc que la Cour n’a pas la juridiction pour traiter l’action intentée par Monsieur Rosenberg.

[22]           L’ARC réfute l’argument de Monsieur Rosenberg suivant lequel son action en jugement déclaratoire est autorisée par la règle 64 des Règles. L’ARC allègue que par le biais de son recours Monsieur Rosenberg ne cherche pas à faire déclarer ses droits au sens où l’entend la règle 64 des Règles. Son recours est plutôt fondé sur une prétendue violation par la Ministre des droits qu’il prétend avoir aux termes de l’Entente et qu’il invoque en réponse à la demande de renseignements du 7 janvier 2013. Dans un tel contexte, l’ARC soutient qu’il s’agit clairement d’une demande de jugement déclaratoire contre un « office fédéral », que l’injonction est au cœur des conclusions recherchées par Monsieur Rosenberg et qu’il ne s’agit pas d’une simple conclusion accessoire à une action en déclaration des droits.

[23]           L’ARC soutient de plus que l’action est soit frivole ou vexatoire ou qu’elle constitue un abus de procédure. L’ARC soumet que Monsieur Rosenberg a procédé par la voie d’une action parce que toute demande de contrôle judiciaire aurait été clairement déposée à l’extérieur du délai de trente jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la LCF. L’ARC rappelle que la demande de renseignements est datée du 7 janvier 2013, alors que l’action du demandeur a été intentée le 16 septembre 2014. Ainsi, l’ARC soutient que le demandeur a intenté une action pour contourner l’exigence relative au délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

[24]           L’ARC reconnaît que malgré le paragraphe 18.4(2) de la LCF, la Cour peut, en s’appuyant sur la règle 57 des Règles, convertir une action en demande de contrôle judiciaire. Elle soutient par ailleurs que Monsieur Rosenberg n’a pas présenté de requête visant la conversion de l’action en demande de contrôle judiciaire, et que de toute façon, il ne serait pas approprié que la Cour autorise une telle conversion. À cet égard, l’ARC soutient que Monsieur Rosenberg est représenté par avocat et qu’il aurait dû savoir qu’il devait procéder, à l’intérieur du délai prévu, par le biais d’une demande de contrôle judiciaire.

[25]           L’ARC soutient enfin que la conversion de l’action en demande de contrôle judiciaire rendrait l’action du demandeur frivole et vexatoire puisque la Ministre a déposé une demande sommaire en vertu de l’article 231.7 de la LIR (dossier T-2062-14). L’ARC soutient que Monsieur Rosenberg pourra invoquer ses arguments dans le cadre de cette procédure, y incluant sa position relativement au caractère contraignant de l’Entente et à sa portée. Ainsi, il serait futile et inutile de convertir l’action pour permettre la poursuite de deux instances parallèles.

B.                 Les arguments de Monsieur Rosenberg

[26]           Monsieur Rosenberg soutient que la requête de l’ARC devrait être rejetée au motif qu’il est loin d’être évident et manifeste que son action n’a aucune chance de succès et qu’elle n’est ni frivole ou vexatoire. Il avance également qu’il ne s’agit pas d’un cas d’abus de procédure.

[27]           Monsieur Rosenberg invoque qu’il est essentiel, dans le contexte de la position prise par la Ministre à l’égard de l’Entente, que la Cour tranche au mérite le débat relatif au caractère contraignant et à la portée de l’Entente.

[28]           Monsieur Rosenberg avance qu’au terme de l’Entente, l’ARC s’est clairement engagée à ne pas le re-cotiser pour les années d’imposition 2006 et 2007 et il allègue que l’engagement de ne pas le re-cotiser comprend aussi l’engagement implicite de ne procéder à une nouvelle vérification en vue de le re-cotiser. Il soutient qu’en procédant à une nouvelle vérification des opérations qui ont mené à l’Entente, la Ministre change de position et répudie l’Entente. Il soumet donc qu’il existe un litige réel entre les parties et que son action révèle une véritable cause d’action.

[29]           Monsieur Rosenberg reconnaît que la Ministre dispose, au terme de la LIR, de vastes pouvoirs de vérification et qu’elle n’a pas le pouvoir de conclure des ententes avec des contribuables qui ne seraient pas conformes au droit et aux faits. Cependant, le demandeur soutient que la jurisprudence reconnaît la validité et le caractère contraignant des ententes qui interviennent entre la Ministre et des contribuables dans le contexte de litiges en matière de cotisation et de re-cotisation lorsqu’elles sont conformes au droit et aux faits. Monsieur Rosenberg insiste qu’il n’y a rien au dossier qui laisse entendre que l’Entente qui a été conclue en février 2010 n’était pas conforme au droit et aux faits. Dans un tel contexte, Monsieur Rosenberg soutient que l’Entente lie les deux parties et qu’elle ne peut être remise en cause pour des motifs autres que ceux qui ont été prévus à l’Entente même. Or, il maintient que l’ARC n’invoque aucunement qu’il n’a pas respecté les termes de l’Entente ou qu’il y a eu un changement dans le « fact pattern » comme le prévoit l’Entente.

[30]           Monsieur Rosenberg soutient au surplus que les pouvoirs en matière de vérification qui sont conférés à la Ministre dans la LIR, sont discrétionnaires et qu’elle peut y renoncer dans le contexte d’une entente qui est par ailleurs conforme à la LIR. Il soutient que lorsque l’ARC a conclu l’Entente, elle exerçait précisément les pouvoirs délégués de la Ministre d’assurer l’application et l’exécution de la Loi. L’Entente est intervenue à l’issue d’une vérification conduite par l’ARC relativement à certaines opérations pour les années d’imposition 2006 et 2007 et suite à une cotisation émise pour ces années. Cette entente est contraignante pour les deux parties qui y ont souscrit des engagements respectifs.

[31]           Monsieur Rosenberg soutient également que la procédure entreprise n’est pas irrégulière et qu’il était approprié de procéder par le biais d’une action en jugement déclaratoire. Il invoque à cet égard la règle 64 des Règles qui prévoit qu’il ne peut être fait opposition à une instance au motif qu’elle ne vise que l’obtention d’un jugement déclaratoire. Monsieur Rosenberg allègue que cette règle n’est pas limitée aux demandes de contrôle judiciaire puisqu’elle mentionne une « instance » qui comprend également une action. Il invoque Ward c Nation crie de Samson, [1999] ACF no 1403, aux para 33 à 38, 247 NR 254 (CAF) [Ward] au soutien de sa position. Monsieur Rosenberg soumet que son action constitue une véritable action en jugement déclaratoire parce qu’elle vise à faire clarifier ses droits et ses engagements, de même que ceux de l’ARC, au terme de l’Entente. Il soutient donc que l’essence du recours vise à faire déclarer l’étendue de ses droits et qu’il s’agit là clairement de la nature d’une action en jugement déclaratoire qui est reconnue depuis plusieurs années. Il appuie sa position sur Kourtessis c Canada (Revenu national), [1993] 2 RCS 53, [1993] ACS no 45 [Kourtessis] et Mohawks of the Bay of Quinte c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2013 CF 669, [2013] ACF no 741 [Mohawks of the Bay of Quinte], et il indique que les conclusions en injonction constituent des conclusions accessoires à sa demande de déclaration de ses droits.

[32]           Monsieur Rosenberg soumet, à titre subsidiaire, que si la Cour estime qu’il aurait dû procéder par le biais d’une demande de contrôle judiciaire, il s’agit d’un vice procédural qui ne devrait pas entraîner la radiation de l’action et il invoque la règle 56 des Règles. Il allègue également que la Cour peut autoriser que son action soit convertie en demande de contrôle judiciaire en vertu de la règle 57 des Règles (Sweet c Canada, [1999] ACF no 1539, 249 NR 17, aux para 14-16 [Sweet]).

[33]           Monsieur Rosenberg soutient de plus que le fait que le délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire puisse être expiré ne devrait pas constituer un motif pour accueillir la requête en radiation (Maroney c Canada, 2002 CFPI 801 au para 7, [2002] ACF no 1068). Il maintient au surplus qu’en l’espèce, le délai de 30 jours ne devrait pas s’appliquer parce que le litige en cause n’est pas limité à la demande de renseignements que lui a envoyée l’ARC, mais bien à la portée de l’Entente qui continue de produire ses effets. Par conséquent, il allègue que le délai de trente jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la LCF ne s’applique pas parce qu’il s’agit d’une affaire continue (Apotex Inc v Canada, 2010 FC 1310 aux para 10,12, [2010] FCJ No 1310 [Apotex]; Airth c Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 1442 aux para 10-11, [2006] ACF no 1818 [Airth]).

[34]           Monsieur Rosenberg soutient comme dernier argument, que la demande sommaire déposée par la Ministre dans le dossier T-2062-14 n’est pas le recours approprié pour traiter de l’ensemble des questions soulevées dans le présent dossier.

V.                Analyse

[35]           J’estime que le recours intenté par le demandeur n’a pas de chance de succès dans sa forme actuelle, mais je considère néanmoins qu’il existe un litige entre les parties et qu’à cet égard, il n’est pas évident et manifeste que la position avancée par le demandeur n’a aucune chance de succès dans le cadre d’une procédure appropriée.

[36]           Je considère qu’un véritable litige existe entre les parties découlant de la décision de la Ministre d’entreprendre une nouvelle vérification des opérations de straddling auxquelles a participé Monsieur Rosenberg au cours des années d’imposition 2006 et 2007. Il n’est pas contesté que la vérification entreprise par l’ARC vise, au moins en partie, les opérations de straddling auxquelles Monsieur Rosenberg a procédé en 2006 et 2007 qui ont déjà fait l’objet d’une vérification entre 2008 et 2010 qui a mené à l’Entente.

[37]           Monsieur Rosenberg soutient que la Ministre est liée par l’Entente et que cette entente restreint le pouvoir de cette dernière de procéder à une nouvelle vérification des opérations qui ont mené à la conclusion de l’Entente. L’ARC, pour sa part, invoque qu’elle ne s’est pas engagée à ne jamais re-cotiser le demandeur pour les années d’imposition 2006 et 2007, et encore moins à restreindre ou à renoncer aux pouvoirs de vérification de la Ministre. L’ARC allègue au surplus qu’une entente qui limiterait les pouvoirs de la Ministre en matière de vérification ou dans le cadre de laquelle cette dernière renoncerait à exercer ses pouvoirs de vérification serait nulle et invalide.

[38]           Je considère qu’il n’est ni manifeste ni évident que la position de Monsieur Rosenberg, tout comme celle de l’ARC d’ailleurs, est dénuée de tout fondement et n’a aucune chance de succès.

[39]           Le litige qui oppose les parties soulève diverses questions dont celle relative au caractère contraignant de l’Entente et à l’impact qu’elle peut avoir, ou ne pas avoir, sur l’étendue des pouvoirs de vérification que veut exercer la Ministre. Les parties reconnaissent qu’en matière de cotisation, la Ministre peut conclure une entente dans la mesure où elle peut se justifier en faits et en droit (CIBC World Markets Inc c Canada, 2012 CAF 3 aux para 22-24, [2012] ACF no 30; JP Morgan au para 79). La question soulevée en l’espèce consiste entre autres à déterminer si l’Entente conclue en février 2010 constitue une telle entente et, le cas échéant, si l’ARC s’est engagée à ne jamais re-cotiser Monsieur Rosenberg pour les années 2006 et 2007.

[40]           Les parties n’ont pas soumis de décisions dans lesquelles les tribunaux se seraient prononcés à l’égard de la validité d’ententes entre la Ministre et des contribuables qui impliqueraient une renonciation ou une restriction des pouvoirs de vérification de la Ministre, mais la question se pose. En l’espèce, le litige consiste en outre à déterminer si l’Entente traite des pouvoirs de vérification de la Ministre et, le cas échéant, si elle a restreint le pouvoir de la Ministre de procéder à une nouvelle vérification des opérations de straddling auxquelles Monsieur Rosenberg a participé en 2006 et 2007 et si l’Entente est valide.

[41]           Il n’appartient pas à la Cour, à ce stade-ci des procédures, d’interpréter l’Entente, ni de se prononcer sur le caractère contraignant et, le cas échéant, sur la portée de cette entente. J’estime toutefois que ces questions sont importantes pour les parties et pour Monsieur Rosenberg en particulier qui prétend avoir pris des engagements qui le lient toujours en contrepartie de ceux souscrits par l’ARC au terme de l’Entente. Dans un tel contexte, je considère qu’il n’est pas évident et manifeste que la position avancée par Monsieur Rosenberg n’a aucune chance de succès.

[42]           Je suis toutefois d’avis que l’action en jugement déclaratoire entreprise par Monsieur Rosenberg ne constitue pas, en l’espèce, le recours approprié.

[43]           Le litige a pris son origine lorsque la Ministre a décidé de procéder à une nouvelle vérification des opérations de straddling auxquelles a participé Monsieur Rosenberg au cours des années d’imposition 2006 et 2007, mais il découle entre autres de la position que prend l’ARC, agissant au nom de la Ministre, relativement à l’Entente. Avant la réception de la demande de renseignements de janvier 2013, rien ne pouvait laisser entendre à Monsieur Rosenberg que la Ministre estimait que l’Entente ne limitait pas son pouvoir de procéder à une nouvelle vérification de ses opérations de straddling pour les années d’imposition 2006 et 2007 et éventuellement à le re-cotiser. La position de la Ministre relativement au caractère non contraignant de l’Entente a été implicitement communiquée à Monsieur Rosenberg par le biais de la demande de renseignements et elle a ensuite été clairement communiquée par le biais de la lettre du 15 mars 2013 adressée aux procureurs de Monsieur Rosenberg.

[44]           Tout comme l’ARC, j’estime que lorsque la Ministre agit en vertu de ses pouvoirs en matière de vérification, et plus particulièrement en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés aux articles 231.1 et suivants de la LIR, elle agit en tant qu’« office fédéral » tel que défini à l’article 2 de la LCF :

Définitions

Definitions

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2. (1) In this Act,

[…]

[…]

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

“federal board, commission or other tribunal” means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867 ;

[45]           Je suis également d’avis que c’est la décision de la Ministre de procéder à une nouvelle vérification fiscale de Monsieur Rosenberg pour les années d’imposition 2006 et 2007 qui fait l’objet du litige et qui est au cœur de l’action intentée par Monsieur Rosenberg. Monsieur Rosenberg prétend qu’en raison de l’Entente, la Ministre ne peut pas procéder à une nouvelle vérification des opérations ayant mené à l’Entente au terme de laquelle elle s’est engagée à ne pas le re-cotiser pour les années 2006 et 2007. Monsieur Rosenberg s’appuie sur l’Entente pour s’opposer à la décision de la Ministre d’exercer ses pouvoirs de vérification au motif que cette entente est contraignante et continue de produire des effets.

[46]           Les conclusions recherchées dans le cadre de l’action sont claires : Monsieur Rosenberg recherche un jugement déclaratoire et une injonction à l’encontre de l’ARC qui agit à titre de déléguée de la Ministre. Ces mesures de réparation sont clairement de la nature des recours extraordinaires énoncés au paragraphe 18(1) de la LCF et qui, lorsqu’ils visent un office fédéral, doivent, au terme du paragraphe 18(3) de la LCF, être exercés par le biais d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l’article 18.1 de la LCF. Il ressort clairement de la déclaration que l’injonction ne constitue par une simple conclusion accessoire mais bien l’une des principales réparations recherchées. Monsieur Rosenberg demande à la Cour d’ordonner à l’ARC de ne pas procéder à une nouvelle vérification pour les années fiscales de 2006 et de 2007.

[47]           Monsieur Rosenberg invoque que la règle 64 des Règles lui permettait d’entreprendre une action en jugement déclaratoire plutôt qu’une demande de contrôle judiciaire contre un office fédéral et il s’appuie sur Ward. Je ne partage pas cette position et considère que Ward ne permet pas d’appuyer cette position.

[48]           D’abord, le texte du paragraphe 18(3) de la LFC est clair et la jurisprudence a reconnu son application de façon non équivoque (Assoc des Crabiers Acadiens Inc c Canada (Procureur général), 2009 CAF 357 aux para 27-29, [2009] ACF no 1567; Canada c Mid-Atlantic Minerals Inc, 2002 CFPI 569 au para 28, [2002] ACF no 740; Huzar c Canada, [2000] ACF no 873, 259 NR 246; Williams v Lake Babine Band, [1996] FCJ No 173, 194 NR 44).

[49]           D’autre part, il est vrai que dans Ward, aux para 34 à 43, le juge en chef Isaac a réfuté la position des appelants qui prétendaient que la Cour n’avait compétence pour octroyer un jugement déclaratoire qu’en vertu de l’alinéa 18(1)a) de la LCF, et il a énoncé que la règle 64 des Règles ouvrait la porte à des actions en jugement déclaratoire. Toutefois, dans des motifs concurrents, les juges Décary et Rothstein ont clairement indiqué qu’ils ne partageaient pas la position du juge Isaac à cet égard :

47        LES JUGES DÉCARY et ROTHSTEIN:-- Nous sommes généralement d'accord avec les motifs de jugement du juge en chef, à l'exception des paragraphes 34 à 42.

48        Dans les circonstances de cette affaire, nous ne jugeons pas nécessaire de décider si un jugement déclaratoire peut être obtenu d'une autre façon que par une procédure de contrôle judiciaire. Nous sommes particulièrement réticents à l'idée que semble suggérer le juge en chef, savoir que les Règles de la Cour peuvent être invoquées pour contrer une exigence imposée, du moins prima facie, par le paragraphe 18(3) de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi).

49        À notre avis, même si la réparation demandée est de nature déclaratoire et qu'on ne peut l'obtenir que par l'entremise d'une procédure de contrôle judiciaire, la Cour a compétence expresse, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi, pour ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action. Dans les affaires comme la présente instance, il serait futile d'insister qu'une des réparations recherchées le soit dans une procédure de contrôle judiciaire, alors que les autres le seraient dans une action menée en parallèle. À notre avis, il est clair que si le juge des requêtes avait été saisi de cette possibilité, il aurait ordonné que ce qu'on appelle ici une réparation de nature déclaratoire soit traitée comme une action. Puisque l'alinéa 52h)(i) donne compétence à la Cour d'appel pour substituer son jugement à celui de la Section de première instance, nous sommes disposés ici à permettre que la partie de la déclaration qui porte sur un jugement déclaratoire soit continuée comme une action.

[50]           Je conviens par ailleurs que dans certaines circonstances, une action en jugement déclaratoire constitue un recours approprié, mais en l’espèce la situation est fort différente de celle qui prévalait, par exemple, dans Mohawks of the Bay of Quinte où il n’y avait pas de « décision » ou « d’objet » émanant d’un office fédéral qui pouvait faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

[51]           En l’espèce, le litige découle clairement de la position prise par la Ministre, à titre d’office fédéral, relativement à l’étendue de ses pouvoirs de vérification à l’endroit de Monsieur Rosenberg concernant les années d’imposition 2006 et 2007. Je considère donc que le recours entrepris par Monsieur Rosenberg est de la nature d’une demande en contrôle judiciaire à l’encontre d’un office fédéral, soit l’ARC, agissant au nom de la Ministre.

[52]           L’ARC a soumis qu’il serait inutile d’envisager la conversion de l’action en demande de contrôle judiciaire au motif que Monsieur Rosenberg pourra présenter ses arguments dans le cadre de la procédure déposée par la Ministre en vertu de l’article 231.7 (dossier T-2062-14). Avec égard, je ne suis pas convaincue qu’une demande sommaire fondée sur l’article 231.7 de la LIR, qui a été entreprise après l’action de Monsieur Rosenberg, constitue le forum le plus approprié pour trancher tous les volets liés au litige existant entre les parties. L’ARC ne m’a pas soumis de jurisprudence qui me convaincrait que tous les arguments invoqués par Monsieur Rosenberg, et plus particulièrement ceux liés à la détermination du caractère contraignant de l’Entente et, le cas, échéant, à la portée de cette entente, pourraient être examinés et tranchés dans le cadre d’une demande sommaire en vertu de l’article 231.7 de la LIR. Je tiens par ailleurs à préciser que ce point de vue ne constitue aucunement une opinion à l’égard du mérite des arguments avancés par Monsieur Rosenberg.

[53]           J’examinerai maintenant la question du délai.

[54]           L’ARC soutient qu’il serait inapproprié de convertir l’action en demande de contrôle judiciaire parce qu’une telle demande aurait clairement été déposée à l’extérieur du délai de trente jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la LCF. Je ne suis pas de cet avis.

[55]           Je ne suis pas convaincue qu’au plan strictement technique, la demande de renseignements du 7 janvier 2013 constitue en soi une « décision » au sens du paragraphe 18.1(2) de la LCF, puisqu’une demande de renseignements en vertu de l’article 231.1 de la LIR doit faire l’objet d’une autorisation judiciaire en vertu de l’article 231.7 de la LIR avant d’être contraignante à l’égard d’un contribuable et de pouvoir entraîner des conséquences juridiques en cas de défaut d’y obtempérer. Je considère plutôt que Monsieur Rosenberg conteste une conduite plus large, soit la position de l’ARC et de la Ministre à l’égard de l’Entente et la décision de l’ARC, agissant au nom de la Ministre, d’entreprendre une vérification relativement aux opérations conduites par Monsieur Rosenberg pour les années d’imposition 2006 et 2007 et de lui demander des renseignements dans le cadre de cette vérification.

[56]           À mon avis, la décision d’entreprendre une vérification et de demander des documents et des renseignements dans le cadre d’une vérification fiscale constitue un « objet » au sens du paragraphe 18.1(1) de la LCF qui peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Dans Krause c Canada, [1999] 2 RCF 476 au para 21, [1999] ACF no 179 (FCA), la Cour d’appel fédérale a énoncé que « le concept d' "objet de la demande" embrasse non seulement les "décisions" mais encore toute question à l'égard de laquelle il est possible d'obtenir une réparation en application de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale » (voir aussi Airth aux para 5, 9-10; Apotex aux para 9-12; Mikail c Canada (Procureur général), 2011 CF 674 aux para 35-36, [2011] ACF no 1100; Assoc des sourds du Canada c Canada, 2006 CF 971 aux para 71-72, [2006] ACF no 1228 [Assoc des sourds]).

[57]           En l’espèce, je considère que le débat soulève des motifs de contrôle judiciaire connus en droit administratif qui mettent en cause l’exercice du pouvoir de vérification de la Ministre et l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont elle dispose pour procéder à une vérification d’opérations menées par Monsieur Rosenberg qui ont déjà fait l’objet d’une vérification à la suite de laquelle une entente est intervenue. Comme la demande met en cause la décision de la Ministre d’entreprendre une vérification ainsi que le caractère contraignant et, le cas échéant, la portée de l’Entente qui est susceptible de continuer de produire des effets, je suis d’avis que la demande vise un « objet » plutôt qu’une « décision ».

[58]           Puisque la demande ne vise pas strictement une « décision » au sens du paragraphe 18.1(2) de la LCF, le délai de trente jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la LCF ne s’applique pas (Airth, para 5; Apotex, au para 10; Assoc des sourds, au para 72). De plus, comme il n’y a pas de cotisation en cause, il n’y a pas de débat quant à une possible juridiction de la Cour canadienne de l’impôt.

[59]           Je considère donc qu’il est approprié d’utiliser la règle 57 des Règles en l’espèce et de permettre la conversion de l’action intentée en demande de contrôle judiciaire (voir Sweet aux para 14-17).

[60]           Si par ailleurs j’erre à cet égard parce que la demande vise non pas un « objet » bien une « décision » que l’ARC a prise le 7 janvier 2013, j’estime qu’une extension de délai doit être accordée à Monsieur Rosenberg, et ce, sans qu’il soit nécessaire qu’il procède par le biais d’une requête (règle 55 des Règles).

[61]           Les critères relatifs à une extension de délai sont bien connus et ils ont été repris par la Cour d’appel fédérale dans Canada c Larkman, 2012 CAF 204 aux para 61-62, [2012] ACF no 880 :

(2)        Le critère applicable en matière de prorogation de délai

[61]      Les parties s'entendent pour dire que les questions suivantes sont pertinentes lorsqu'il s'agit pour notre Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour se prononcer sur une demande de prorogation de délai :

(1)        Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

(2)        La demande a-t-elle un certain fondement?

(3)        La Couronne a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?

(4)        Le requérant a-t-il une explication raisonnable pour justifier le retard?

(Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.); Muckenheim c. Canada (Commission de l'assurance-emploi), 2008 CAF 249, au paragraphe 8).

[62]      Ces principes orientent la Cour et l'aident à déterminer si l'octroi d'une prorogation de délai est dans l'intérêt de la justice (Grewal, ci-dessus, aux pages 277 et 278). L'importance de chacun de ces facteurs dépend des circonstances de l'espèce. De plus, il n'est pas nécessaire de répondre aux quatre questions en faveur du requérant. Ainsi, « « une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante » (Grewal, à la page 282). Dans certains cas, surtout dans ceux qui sortent de l'ordinaire, d'autres questions peuvent s'avérer pertinentes. La considération primordiale est celle de savoir si l'octroi d'une prorogation de délai serait dans l'intérêt de la justice (voir, de façon générale, l'arrêt Grewal, aux pages 278 et 279; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, au paragraphe 33; Huard c. Canada (Procureur général), 2007 CF 195, 89 Admin LR (4th) 1).

[Je souligne]

[62]           J’estime qu’en l’espèce, ces critères militent en faveur d’une prorogation de délai. D’abord, il est clair que Monsieur Rosenberg a manifesté une intention constante de contester la demande de renseignements que lui a acheminée l’ARC en janvier 2013. Je considère également qu’il a une explication raisonnable pour expliquer le délai, soit d’avoir au départ saisi les tribunaux québécois en vue de faire homologuer l’Entente. Monsieur Rosenberg prétend que l’Entente intervenue entre lui et l’ARC met en cause le pouvoir contractuel de la Ministre et il a d’abord saisi la Cour supérieure du Québec. Compte tenu de la juridiction concurrente que la Cour fédérale a avec les tribunaux supérieurs provinciaux en matière contractuelle (article 17 de la LCF), il n’était pas complètement frivole que Monsieur Rosenberg intente des procédures devant la Cour supérieure du Québec. La Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel du Québec ont, à bon droit à mon avis, accueilli l’objection soulevée par l’ARC, mais cette « erreur de forum » constitue en l’espèce une explication valable pour expliquer le délai à intenter des procédures devant notre Cour.

[63]           De plus, tel que je l’ai déjà mentionné, je considère qu’il existe un réel litige entre les parties et que la demande de Monsieur Rosenberg n’est pas dénuée de tout fondement. Il est également évident que ni l’ARC, ni la Ministre, ne subiront de préjudice puisque l’ARC reconnaît elle-même que Monsieur Rosenberg pourrait faire valoir les moyens qu’il invoque dans le contexte de la demande sommaire déposée en vertu de l’article 231.7 de la LIR. Je considère également que dans les circonstances du présent dossier, l’octroi d’une prorogation de délai sert les intérêts de la justice.

[64]           En raison de la nature des questions en litige soulevées dans la présente affaire et parce que j’ai ajourné la demande sommaire déposée par la Ministre en vertu de l’article 231.7 de la LIR dans le dossier T-2062-14, je considère important que le présent dossier procède avec célérité et qu’une audition au mérite soit fixée dans les meilleurs délais. Par conséquent et m’appuyant sur la règle 384 des Règles, j’ordonnerai que le dossier se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.                  La requête en radiation soit rejetée;

2.                  Que l’action intentée par le demandeur soit convertie en demande de contrôle judiciaire;

3.                  Que l’instance se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale et que le dossier soit référé au bureau du juge en chef pour qu’un juge responsable de la gestion d’instance soit nommé.

« Marie-Josée Bédard »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1958-14

 

INTITULÉ :

MICHAEL ROSENBERG c L'AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 MARS 2015

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 avril 2015

 

COMPARUTIONS :

Guy Du Pont

Michael H. Lubetsky

 

Pour le demandeur

 

Andrew Miller

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Ward Phillips & Vineberg LLP

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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