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Date : 20150512


Dossier : T‑1392‑13

Référence : 2015 CF 617

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 12 mai 2015

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

VALERIE BERGEY

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]                             La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 19 juillet 2013 par une arbitre désignée conformément à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22 (LRTFP), dans laquelle certains griefs déposés par la demanderesse (la plaignante) contre son employeur, la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), ont été rejetés et le dossier concernant deux autres griefs a été clos pour défaut de compétence. La demanderesse souhaite que cette décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre arbitre pour nouvelle appréciation et que la Cour accorde toute autre réparation qu’elle juge appropriée.

[2]                             Selon la décision de l’arbitre, la demanderesse a d’abord été fonctionnaire au gouvernement fédéral en 1993; elle travaillait alors au ministère de la Défense nationale en Colombie‑Britannique. En 1996, elle a été transférée à Prince George, en Colombie‑Britannique, au Service de la sécurité routière de la GRC. Au début de 2001, elle a été mutée au service de la patrouille routière de la GRC, dans un autre immeuble à Prince George. Elle était membre civile de la GRC et employée du Conseil du Trésor; à ce titre, son poste relevait d’une convention collective, expirant le 20 juin 2007, signée par le Conseil du Trésor et l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) pour le groupe Services des programmes et de l’administration. La demanderesse conteste l’exactitude de la classification des postes qu’elle a occupés; toutefois, cet élément ne figure pas au dossier et il n’est pas pertinent en l’espèce.

[3]                             En octobre 2001, la description d’emploi de la demanderesse comprenait les tâches suivantes : compiler, examiner, tenir des dossiers et administrer des systèmes de gestion des dossiers; vérifier, coter et clore des dossiers dans le Système intégré de répartition de l’information; télécharger des dossiers dans le système du Centre d’information de la police canadienne (CIPC); faire les modifications et les ajouts requis et clore des dossiers dans le système du CIPC. Les témoins ont qualifié le CIPC de « Saint‑Graal » de la GRC et ont souligné qu’il était crucial que les données y soient saisies rapidement et correctement : « Les arrestations et les mises en liberté étaient fondées sur les renseignements contenus dans le système du Centre d’information de la police canadienne » (Bergey c Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2013 CRTFP 80, au paragraphe 167 (Bergey)). La demanderesse a affirmé « qu’il était très important que les données entrées dans le système du Centre d’information de la police canadienne soient exactes » (Bergey, précitée, au paragraphe 168).

[4]                             La demanderesse a occupé plusieurs postes au sein du Syndicat des employés du Solliciteur général (SESG), une composante de l’AFPC, et a été présidente de la section locale à partir du mois de mai 1999 approximativement, jusqu’à sa démission de ce poste, le 13 décembre 2003.

[5]                             Pour conserver son poste, la demanderesse devait maintenir une cote de fiabilité à la GRC, soit la cote de sécurité minimale. Cette cote a été renouvelée chaque année et mise à jour tous les cinq ans; d’autres examens pouvaient être effectués à tout moment. Sa cote de fiabilité pouvait être révoquée ou rétablie, selon le cas.

[6]                             Le 4 novembre 2004, la demanderesse a reçu une lettre lui annonçant une suspension de dix jours. Par la suite, il lui a été demandé de subir un examen médical d’aptitude à l’emploi, ce qui a été fait en décembre 2004. La demanderesse n’est jamais retournée au travail après novembre 2004. Sa cote de fiabilité a été révoquée le 27 juillet 2005, ce qui a eu pour conséquence qu’elle a été incapable d’occuper un emploi dans de nombreux secteurs de la GRC ou de la fonction publique. La demanderesse a été licenciée pour un motif valable de la GRC le 3 janvier 2006, parce qu’elle avait perdu sa cote de fiabilité.

[7]                             Au paragraphe 5 de sa décision, l’arbitre a énuméré un certain nombre de mesures prises par l’employeur de la demanderesse au cours de la période de 2004 à 2006 relativement à cette affaire, à savoir :

                Une suspension de dix jours sans traitement imposée à la fonctionnaire le 4 novembre 2004 par le surintendant M. J. (Mike) Morris.

                La suspension de la cote de fiabilité approfondie de la GRC (la « cote de fiabilité de la GRC »), imposée par le surintendant principal Robert Lanthier, le 22 mars 2005, en attendant le résultat d’un examen de sécurité visant à déterminer si la cote de fiabilité de la GRC devrait demeurer valide ou être révoquée avec motif.

                Une prolongation de la suspension sans traitement de la fonctionnaire pour une période indéterminée, imposée par le surintendant principal Barry Clark à compter du 22 mars 2005, en attendant la fin de l’examen de sécurité.

                La révocation de la cote de fiabilité de la GRC de la fonctionnaire à compter du 22 juillet 2005 à la suite d’une lettre du surintendant principal Lanthier.

                La prolongation de la suspension pour une période indéterminée imposée par le surintendant principal Clark le 4 août 2005, jusqu’à ce qu’une décision soit prise concernant l’emploi de la fonctionnaire à la GRC, étant donné que la cote de fiabilité de la GRC de la fonctionnaire avait été révoquée.

                Le licenciement motivé de la fonctionnaire le 3 janvier 2006, à la suite d’une lettre du commissaire de la GRC, Giuliano Zaccardelli, parce qu’elle avait perdu sa cote de fiabilité de la GRC.

[8]          La table des matières qui suit indique les numéros de paragraphe correspondant aux sujets traités dans les présents motifs.

SUJET

NUMÉRO DU PARAGRAPHE

  1. LES GRIEFS

9

  1. LA PREUVE PRÉSENTÉE À L’ARBITRE

14

  1. L’AUDIENCE ET LES TÉMOINS

16

  1. LES QUESTIONS EN LITIGE

19

  1. LE MÉMOIRE DE LA DEMANDERESSE

22

  1. LA NORME DE CONTRÔLE

27

  La décision raisonnable

28

  LE CRITÈRE DE LA PARTIALITÉ

41

  1. LES ALLÉGATIONS DE PARTIALITÉ

46

  1. L’EXPRESSION SYNDICALE

52

  1. LA QUESTION DISCIPLINAIRE

57

  1. LA QUESTION DE LA COMPÉTENCE

68

  1. LA DEMANDERESSE NE S’EST PAS ACQUITTÉE DU FARDEAU DE LA PREUVE

78

  1. LE REJET DES AUTRES GRIEFS S’EN EST SUIVI LOGIQUEMENT

83

  1. LES CONCLUSIONS DE FAIT

84

  1. LA TENTATIVE D’OBTENIR UN NOUVEAU PROCÈS

90

  1. DISPOSITIF ET DÉPENS

93

I.                   LES GRIEFS

[9]                             La demanderesse a présenté plusieurs griefs à la Commission des relations de travail de la fonction publique, dont huit ont finalement été renvoyés à l’arbitrage. Tous les griefs ont été rejetés dans le cadre du processus de règlement des griefs de l’employeur. Cette décision a été exposée dans une lettre du commissaire de la GRC datée du 8 décembre 2005.

[10]                         L’un des huit griefs a été retiré lors de l’audience tenue devant l’arbitre. Les sept autres griefs ont été formulés comme suit au paragraphe 9 de la décision de l’arbitre :

a)      Dans le premier grief (dossier de la CRTFP 166‑02‑37094; pièce 110), la fonctionnaire a contesté la décision du 4 novembre 2004 de l’employeur de lui imposer une suspension de dix jours sans traitement. Le grief est daté du 12 décembre 2004, mais il n’a été renvoyé à la CRTFP que le 28 février 2006. Dans ce grief, la fonctionnaire a soutenu que la mesure disciplinaire était injuste et non fondée. Le grief a été présenté à la CRTFP en vertu de l’ancienne Loi au moyen de la formule 14. La fonctionnaire a demandé, notamment, des excuses écrites pour la suspension et pour la fausse accusation d’infraction à la sécurité; l’annulation de la lettre de suspension et sa réintégration avec remboursement de toute perte de salaire et d’avantages sociaux; une indemnité financière pour souffrance et douleur, stress et anxiété, humiliation, diffamation et propos diffamatoires; une mutation pour raisons familiales à un endroit mutuellement acceptable; une garantie d’emploi pour les 20 prochaines années de la part de l’employeur, et ce, indépendamment de toute restructuration au sein de la GRC; le retrait permanent du lieu de travail de son superviseur immédiat, le sergent d’état‑major Dave Beach, et du surintendant Morris, au Bureau du district nord.

b)      Dans le deuxième grief (dossier de la CRTFP 566‑02‑1298; pièce 138; qui remplace le dossier de la CRTFP 166‑02‑37093), la fonctionnaire a contesté la décision du 22 mars 2005 de l’employeur de suspendre sa cote de fiabilité de la GRC en attendant le résultat d’un examen de sécurité. Dans ce grief, la fonctionnaire a soutenu que la décision était une mesure disciplinaire déguisée. Elle a aussi contesté la décision de l’employeur du 24 mars 2005 de la suspendre sans traitement pour une période indéterminée à compter du 22 mars 2005, parce que sa cote de fiabilité de la GRC avait été suspendue et qu’elle ne répondait donc plus à l’une des conditions de son emploi. Le grief a été présenté le 15 avril 2005. La fonctionnaire y a demandé l’annulation de la lettre de suspension, le rétablissement de sa cote de fiabilité de la GRC et sa réintégration dans son poste avec paiement intégral de son salaire et de ses avantages. Elle a également demandé des dommages généraux et punitifs détaillés, entre autres pour les motifs suivants : négligence, rupture de contrat, souffrances et douleurs, diffamation, comportement inconsidéré et délibéré, comportement insultant déguisé en mesure disciplinaire et manquement à l’obligation de diligence. Elle a aussi demandé des intérêts sur tous les dommages.

c)       Dans le troisième grief (dossier de la CRTFP 566‑02‑175; pièce 140), la fonctionnaire a contesté la décision du 27 juillet 2005 de l’employeur de révoquer sa cote de fiabilité de la GRC. Cette décision lui a été communiquée dans une lettre du surintendant principal Lanthier à la suite d’un examen de sécurité. La fonctionnaire a soutenu que la décision était une mesure disciplinaire déguisée imposée de mauvaise foi et sans motif valable. Dans ce grief daté du 27 septembre 2005 et présenté le 28 février 2006, la fonctionnaire a demandé une longue liste de mesures correctives, dont le rétablissement de sa cote de fiabilité de la GRC; sa réintégration dans son poste avec salaire et avantages rétroactifs; le retrait de nombreux documents de son dossier personnel; des millions de dollars en indemnité pour préjudice moral, souffrances et douleurs, stress, embarras et humiliation, propos diffamatoires, diffamation et calomnie; des millions de dollars en dommages généraux, libres d’impôt, pour la négligence de l’employeur, son comportement inconsidéré, délibéré et insultant à son égard; des millions de dollars, libres d’impôt, pour rupture de contrat.

d)      Dans le quatrième grief (dossier de la CRTFP 566‑02‑174; pièce 139), la fonctionnaire a contesté la décision du 4 avril 2005 de l’employeur, qui lui a été signifiée à la même date par une lettre du surintendant principal Clark qui l’informait qu’elle ne satisfaisait plus aux conditions de son emploi et qu’elle ne pouvait plus assumer les fonctions associées à son poste au Bureau du district nord parce que sa cote de fiabilité de la GRC avait été révoquée le 27 juillet 2005. La fonctionnaire a aussi contesté la décision de l’employeur de prolonger sa suspension sans traitement jusqu’à ce que des précisions lui soient fournies concernant sa situation d’emploi. La fonctionnaire a soutenu que les décisions de l’employeur étaient des mesures disciplinaires déguisées non fondées et imposées de mauvaise foi. Le grief est daté du 27 septembre 2005, mais n’a été présenté à la CRTFP que le 28 février 2006. Dans le grief, la fonctionnaire a dressé une liste détaillée de mesures correctives, notamment le rétablissement de sa cote de fiabilité de la GRC, la reconnaissance du fait qu’elle satisfaisait aux conditions de son emploi, sa réintégration dans son poste et un redressement financier semblable à celui demandé dans le troisième grief.

e)       Les cinquième et sixième griefs (dossiers de la CRTFP 566‑02‑173 et 176) ont été produits sous forme abrégée (pièce 209), mais les versions complètes ont été consignées dans les dossiers de la CRTFP. La fonctionnaire a signé les deux griefs le 27 septembre 2005, et ils ont été présentés à la CRTFP le 28 février 2006. Leur libellé est identique pour ce qui est de leur description et des mesures correctives demandées. Dans les deux griefs, la fonctionnaire a contesté la décision de l’employeur de lui refuser une représentation syndicale ou l’accès à une représentation syndicale quand on lui a donné la lettre l’informant de la révocation de sa cote de fiabilité de la GRC ainsi que la lettre d’accompagnement et la documentation la concernant. Aucune date n’est précisée pour ce qui est de la mesure contestée. Je note dans les éléments de preuve que l’employeur a remis à la fonctionnaire une lettre l’informant de la suspension de sa cote de fiabilité de la GRC le 22 mars 2005 et une autre l’informant de la révocation de sa cote de fiabilité le 22 juillet 2005. La fonctionnaire a allégué que les décisions et les mesures de l’employeur étaient des mesures disciplinaires déguisées imposées de mauvaise foi et sans motif valable, et que ces mesures n’étaient pas justifiées. Elle a dressé une liste détaillée des mesures correctives et des dommages demandés relativement au refus de l’employeur quant à la représentation syndicale.

f)       Dans le septième grief (dossier de la CRTFP 566‑02‑395; pièce 144), la fonctionnaire a contesté la décision du 3 janvier 2006 de l’employeur de la licencier. Cette décision lui a été communiquée par une lettre du commissaire Zaccardelli, conformément à l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques (la « LGFP »), L.R.C. (1985), ch. F‑11. La fonctionnaire a soutenu que le licenciement était une mesure disciplinaire déguisée imposée de mauvaise foi et sans motif valable, et que cette mesure n’était pas justifiée. Dans ce grief, présenté le 24 janvier 2006, la fonctionnaire a demandé certaines mesures correctives, dont le rétablissement de sa cote de fiabilité de la GRC, sa réintégration dans son poste avec une indemnisation intégrale pour la perte de salaire et des avantages sociaux, et le remboursement de ses congés annuels et de maladie, de même que des dommages compensatoires et d’autres dommages s’élevant à 50 millions de dollars, à jamais libres d’impôt, des dommages additionnels pour les pertes non pécuniaires, dont 40 ans de salaire, libre d’impôt, et des intérêts sur tous les dommages, libres d’impôt.

[11]                         Les parties n’ont pas contesté que les cinquième et sixième griefs étaient similaires; c’est pourquoi l’arbitre les a examinés ensemble.

[12]                         L’arbitre a qualifié l’audition des griefs de processus long, ardu et complexe de 38 jours répartis de septembre 2008 à septembre 2010. Des observations écrites ont été présentées ensuite par les parties en septembre, octobre et novembre 2010.

[13]                         Le 19 juillet 2013, soit environ deux ans et demi après que les parties eurent présenté leurs observations écrites, l’arbitre a rendu une décision de 247 pages dans laquelle elle a examiné en détail les éléments de preuve, les questions en litige et la jurisprudence. Sa décision se terminait par l’ordonnance suivante :

1006 Le grief dans le dossier de la CRTFP 166‑02‑37094 est rejeté.

1007 L’objection visant la compétence d’un arbitre de grief pour entendre les griefs dans les dossiers de la CRTFP 566‑02‑174, 175 et 1298 est accueillie et j’ordonne la fermeture de ces dossiers.

1008 Les griefs dans les dossiers de la CRTFP 566‑02‑173 et 176 sont rejetés.

1009 Le grief dans le dossier de la CRTFP 566‑02‑395 est rejeté.

II.                LA PREUVE PRÉSENTÉE À L’ARBITRE

[14]                         Lors de l’audience tenue devant l’arbitre, l’employeur a appelé 11 témoins et présenté par voie d’affidavit les éléments de preuve de deux autres personnes, dont l’une a été contre‑interrogée. La demanderesse a été la seule personne à témoigner pour son propre compte. Des centaines de pages de documents ont été admises en preuve.

[15]                         Lors de l’audience, la demanderesse était représentée par un avocat. Elle s’est représentée elle‑même lors de l’instance qui s’est déroulée à la Cour.

III.             L’AUDIENCE ET LES TÉMOINS

[16]                         L’arbitre a entendu les témoignages des témoins suivants appelés pour le compte de l’employeur (Bergey, précitée, au paragraphe 28) :

a)    Le sergent d’état‑major Beach était le sous‑officier responsable du Service de la sécurité routière de Fraser/Fort George, situé au Bureau du district nord, du 10 mars 2003 au 17 mars 2005. Il était le superviseur direct de la fonctionnaire. En mars 2004, à la suite d’une plainte du sergent d’état‑major, un enquêteur a été nommé pour mener un examen visant à déterminer si la fonctionnaire avait enfreint la politique de sécurité de la GRC lorsqu’elle avait supposément retiré des documents des dossiers de travail. À titre de superviseur immédiat de la fonctionnaire pendant une partie de la période visée par l’examen, le sergent d’état‑major Beach lui avait fourni des évaluations du rendement, une orientation et des directives sur le milieu de travail, lesquelles ont parfois été contestées par la fonctionnaire.

b)    Le surintendant Morris a été le surintendant et agent de district du District nord de la Division « E » responsable de la région du Nord de la Colombie‑Britannique de 1998 jusqu’à sa retraite en décembre 2004, soit après presque 32 années de service. Son bureau était situé dans l’immeuble du Bureau du district nord, à Prince George. Il avait sous sa responsabilité plus de 1 000 employés, 35 détachements où des fonctionnaires étaient affectés, des détachements contractuels municipaux, provinciaux et judiciaires, ainsi que de nombreuses collectivités des Premières Nations. Il a imposé à la fonctionnaire une suspension disciplinaire de dix jours le 4 novembre 2004. Le 29 novembre 2004, il a écrit à la Section de la sécurité ministérielle du District nord de la Division « E », à Vancouver, pour demander que la fonctionnaire soit soumise à un examen de la sécurité. Même s’il était à la retraite au moment de l’audience, tout au long de cette décision, il sera appelé surintendant Morris.

c)    Le surintendant principal Clark était le chef du District nord de la Division « E » au moment de l’audience. Il a été nommé à ce poste à la mi‑janvier 2005, après le départ à la retraite du surintendant Morris. Le surintendant principal Clark était au District nord de la Division « E » depuis juin 1999. Le Service de la sécurité routière du Bureau du district nord, où travaillait la fonctionnaire, était parmi les unités opérationnelles qui relevaient de son autorité à titre d’inspecteur. Entre avril 2004 et janvier 2005, le surintendant principal Clark était un inspecteur et il a remplacé l’inspecteur Bob Wheadon à titre d’agent de district adjoint, lequel agit comme responsable du côté non opérationnel (personnel) des activités. En octobre 2004, en tant qu’agent de district adjoint, il a demandé l’examen administratif d’un formulaire de plainte alléguée en matière de sécurité ministérielle déposée par la fonctionnaire contre son superviseur direct, le sergent d’état‑major Beach. En novembre 2004, il a envoyé les résultats d’une enquête sur une infraction alléguée à la sécurité que la fonctionnaire aurait commise à la Section de la sécurité ministérielle de la Région du Pacifique. C’est lui, en qualité de surintendant principal, qui a donné à la fonctionnaire les avis de suspension sans traitement pour une période indéterminée prenant effet le 22 mars 2005, après que sa cote de fiabilité de la GRC eut été suspendue, et le 4 août 2005, après que sa cote eut été révoquée pour un motif valable. Pour éviter toute confusion, et aux fins de la présente décision, M. Clark aura deux dénominations : inspecteur Clark pour ce qui est des actions qu’il a posées jusqu’à janvier 2005, lorsque le surintendant Morris était responsable du District nord de la Division « E », et surintendant principal pour ce qui est de son témoignage à l’audience et des décisions qu’il a prises, dont celle de suspendre la fonctionnaire pour une période indéterminée, après qu’il est devenu le chef du District nord de la Division « E », en janvier 2005.

d)    Bonnie Bailey était une fonctionnaire. Elle était représentée par le SESG, tout comme la fonctionnaire. Elle était la chef des services administratifs du District nord de la Division « E », et son bureau était situé au Bureau du district nord. Elle faisait donc partie de l’équipe de direction du surintendant Morris. En 2003, elle était classifiée AS‑04. Mme Bailey relevait du surintendant Morris. Après le départ à la retraite du surintendant Morris, elle relevait du surintendant principal Clark. Elle a également animé avec la fonctionnaire un atelier sur la formation en sensibilisation au harcèlement sexuel au travail. Elle a présenté en décembre 2003 un grief de harcèlement contre la fonctionnaire. Le grief a été accueilli. À la suite de ce grief, la fonctionnaire a été suspendue pendant trois jours en septembre 2004. Mme Bailey a été visée par un grief de harcèlement présenté par la fonctionnaire en février 2004. Après enquête, le grief a été jugé non fondé.

e)    Durant la période pertinente, le caporal Tom Adair était le coordonnateur et conseiller en matière de harcèlement et de droits de la personne au District nord de la Division « E », à Vancouver. Il a occupé ce poste pendant environ sept ans avant d’être promu, en 2009, au poste de gestionnaire de programme pour les programmes nationaux de respect en milieu de travail de la GRC. En octobre 2004, à la demande du surintendant Morris, il a pris des mesures pour enquêter sur les allégations de la fonctionnaire que le harcèlement était un problème croissant au District nord de la Division « E » et que le surintendant Morris ne prenait pas le harcèlement en milieu de travail au sérieux. M. Adair a confié à deux enquêteurs de l’extérieur du Bureau du district nord la tâche d’examiner les allégations de harcèlement de la fonctionnaire contre deux de ses collègues.

f)     Debbie Stangrecki était une fonctionnaire qui travaillait pour la GRC depuis 30 ans. Elle a déjà travaillé avec la fonctionnaire au Service de la sécurité routière du détachement de Prince George. Elle a été vice‑présidente et déléguée syndicale en chef du SESG à Prince George de 2001 à 2003 approximativement. La fonctionnaire était présidente à ce moment‑là, et elle a elle‑même présenté plusieurs plaintes et griefs de harcèlement. Mme Stangrecki est devenue présidente peu après la démission de la fonctionnaire, en décembre 2003. La fonctionnaire a plus tard déposé une plainte de harcèlement contre elle.

g)    Le sergent d’état‑major Walter Gordon Flewelling était un caporal au Service de la sécurité routière du District nord de la Division « E » en 2004. Le 8 novembre 2004, il a donné à la fonctionnaire une lettre modifiée l’informant qu’elle était suspendue pour dix jours, et il a fait rapport au surintendant Morris de sa conversation avec la fonctionnaire lors de la réunion du 8 novembre concernant un incident survenu près de l’imprimante le 29 octobre 2004 au Bureau du district nord. Il est appelé le caporal Flewelling dans la présente décision.

h)    Le sergent d’état‑major Keith Hildebrand était le sous‑officier responsable du détachement de Quesnel, qui relève du Bureau du district nord. Il a pris sa retraite en avril 2008 après 26 années de service à la GRC, où il a surtout occupé des postes à Vancouver et dans le district continental sud. Il a enquêté sur une infraction à la politique de sécurité que la fonctionnaire aurait commise après que le sergent d’état‑major Beach lui eût rapporté qu’elle retirait des documents des dossiers opérationnels du Bureau du district nord. Son rapport est daté du 13 octobre 2004.

i)     Le sergent D.E. Lennox était le sous‑officier responsable du Programme de l’intégrité des frontières du District nord de la Division « E ». Il a pris sa retraite de la GRC en avril 2005 après 34 années de service. Son bureau était situé au Bureau du district nord, mais il ne relevait pas du surintendant Morris. En 2004, il a réalisé un examen administratif relativement à une allégation d’infraction à la sécurité lancée par la fonctionnaire contre son superviseur direct, le sergent d’état‑major Beach. Son rapport est daté du 2 décembre 2004.

j)     En 2005, le surintendant principal Lanthier était directeur général de la Direction de la Sécurité ministérielle, et son bureau était situé à Ottawa. En tant qu’agent de la Sécurité ministérielle de la GRC, il était globalement responsable de la sécurité ministérielle dans les quatre régions de la GRC dans tout le Canada. Il a pris la décision en mars 2005 de suspendre puis, en juillet 2005, de révoquer la cote de fiabilité de la GRC de la fonctionnaire pour un motif valable. Le surintendant principal Lanthier a pris sa retraite en 2007. Au moment de l’audience, il était directeur de la Division de la sécurité nucléaire de la Commission canadienne de sûreté nucléaire.

k)    R.A. (Bob) Briske était membre de la GRC depuis plus de 37 ans quand il a pris sa retraite en 1999. Il a par la suite fait du travail contractuel pour la GRC. En 2005, il a travaillé comme analyste de la gestion du risque pour la Section de la sécurité ministérielle de la Région du Pacifique. Son bureau était situé à Vancouver, et ses tâches consistaient entre autres à examiner des dossiers portant sur des infractions possibles à la sécurité par des employés de la GRC dans la Région du Pacifique. Il devait aussi évaluer la pertinence d’accorder une cote de fiabilité de la GRC à une personne, ou la retenir. En tant qu’analyste ayant répondu à la note de service du 29 novembre 2004 du surintendant Morris à la Section de la sécurité ministérielle de la Région du Pacifique, il a mené l’examen et préparé le rapport de sécurité qui a été envoyé le 12 février 2005 à l’agent de la sécurité ministérielle à Ottawa, le surintendant principal Lanthier, et dans lequel on recommandait de révoquer la cote de fiabilité de la GRC de la fonctionnaire.

l)     C.A. (Art) O’Donnell était le gestionnaire responsable de la Section de la sécurité du personnel de la Direction de la Sécurité ministérielle. Il avait son bureau à Ottawa, et il relevait du surintendant principal Lanthier. Ses responsabilités de gestionnaire comprenaient les enquêtes sur la sécurité nationale portant sur des infractions présumées à la sécurité et l’attribution de cotes de fiabilité de la GRC et d’autorisations de sécurité. Il supervisait les interactions entre les quatre bureaux régionaux de la GRC et la Direction de la Sécurité ministérielle, à Ottawa. Il exerçait un rôle de superviseur et de conseiller dans l’examen de la sécurité réalisé par René Bourgeois, un analyste de la Section de la sécurité du personnel, pour le surintendant principal Lanthier avant que ce dernier ne décide de révoquer la cote de fiabilité de la GRC de la fonctionnaire, décision que la fonctionnaire conteste dans ses griefs.

[17]                         L’arbitre a reçu l’affidavit de Dana Bouchard, une fonctionnaire travaillant pour la GRC au détachement de Quesnel, où la demanderesse avait envoyé des documents par télécopieur.

[18]                         La demanderesse a témoigné en son propre nom; elle n’a appelé aucun témoin.

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[19]                         Dans son mémoire, la demanderesse a soulevé les questions suivantes :

i.        La décision de l’arbitre est‑elle entachée d’une erreur susceptible de contrôle?

ii.       La norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable. La décision de l’arbitre était‑elle raisonnable pour ce qui est de la suspension de 10 jours, de la révocation temporaire, de la révocation donnant lieu au licenciement et des autres griefs?

iii.      Cette décision est‑elle susceptible de contrôle si l’on distingue les questions selon qu’elles relèvent de la norme de la décision correcte ou de la norme de la décision raisonnable?

iv.      L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions de fait quant aux liens véritables et importants entre la GRC et moi‑même?

v.       L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur de droit ou de fait au vu du dossier?

vi.      L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur de droit ou de fait en n’appliquant pas correctement dans sa décision le critère relatif à la mauvaise foi ou aux mesures disciplinaires déguisées?

vii.     L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur de droit et omis de tenir compte de la preuve de manière abusive et arbitraire?

viii.    L’arbitre a‑t‑elle omis de tenir compte des éléments de preuve qu’elle aurait dû considérer ou a‑t‑elle tenu compte des éléments de preuve qu’elle n’aurait pas dû considérer?

ix.      Y a‑t‑il eu une interprétation erronée des éléments de preuve importants, parce que l’arbitre a fait preuve d’absence d’équité ou de partialité?

x.       L’arbitre a‑t‑elle appliqué le bon critère de la norme d’équité et la norme de contrôle appropriée?

xi.      La décision était‑elle rationnelle ou irrationnelle?

xii.     L’arbitre s’est‑elle mal acquittée de ses fonctions, a‑t‑elle omis de faire son travail ou de traiter cette plainte ou encore a‑t‑elle refusé d’exercer sa compétence relativement à cette plainte?

xiii.    L’arbitre a‑t‑elle appliqué le critère qui convenait pour déterminer ses pouvoirs ou sa compétence par rapport aux griefs?

xiv.     L’arbitre avait‑elle la compétence nécessaire pour trancher la question de la révocation et du licenciement?

[20]                         Dans son mémoire, le défendeur a résumé ces questions ainsi :

19.       Quelle est la norme de contrôle?

20.       La décision de l’arbitre était‑elle raisonnable?

21.       Un autre point est soulevé par l’annexe jointe au mémoire de la demanderesse, à savoir si cette annexe doit être radiée ou écartée.

[21]                         Je vais d’abord me pencher sur la question de l’annexe au mémoire de la demanderesse.

V.                LE MÉMOIRE DE LA DEMANDERESSE

[22]                         Le mémoire de la demanderesse déposé à la Cour est constitué d’un dossier principal de 34 pages auquel est jointe une annexe de 24 pages. Le défendeur ne remet pas en question la validité du dossier principal, lequel excède de quatre pages la limite de 30 pages établie par le paragraphe 70(4) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106; il conteste la validité de l’annexe.

[23]                         En déposant divers documents avant l’audience à la Cour, la demanderesse a sollicité le dépôt d’un affidavit volumineux, qu’elle a elle‑même souscrit, dans lequel elle contestait un bon nombre de conclusions de fait ou de prétendues omissions de l’arbitre. Dans son ordonnance datée du 29 juillet 2014, la protonotaire Tabib a refusé de faire droit à la demande de dépôt de cet affidavit. Cette ordonnance n’a jamais été portée en appel.

[24]                         Comme l’a admis la demanderesse lors de l’audience qui s’est tenue devant moi, l’annexe de son mémoire constitue essentiellement une reprise de l’affidavit que la protonotaire Tabib avait rejeté aux termes de son ordonnance. L’annexe énumère, sous forme de liste à puces, les conclusions contestées et les omissions qu’aurait commises l’arbitre dans sa décision.

[25]                         Cette situation est similaire à celle examinée par le juge Létourneau dans l’affaire Remo Imports Ltd c Jaguar Cars Ltd, 2006 CAF 416, 358 NR 149, dans lequel la Cour d’appel a ordonné la radiation de certaines parties des mémoires et le dépôt de mémoires plus courts. Les parties ont essentiellement fait fi de cette ordonnance et ont tenté de déposer d’autres documents. La Cour a ordonné que ces documents soient radiés du dossier. Le juge Létourneau écrivait ce qui suit aux paragraphes 1 à 12 :

1          Celui qui joue avec le feu finit par se brûler. En l’espèce, les deux parties ont joué avec le feu et elles devront en subir les conséquences.

2          L’appelante et les intimées se sont livrées une guerre quant au contenu de leurs mémoires respectifs des faits et du droit (le mémoire). Cette guerre a été menée aux dépens de la Cour et de ressources judiciaires limitées. Les deux parties ne se sont pas conformées à l’esprit et à la lettre des Règles des Cours fédérales.

3          Toute l’histoire a commencé avec une ordonnance par laquelle le juge Sexton a rejeté la demande que l’appelante avait présentée afin de déposer un mémoire de plus de 30 pages. L’ordonnance a été rendue le 9 août 2006.

4          Le 5 septembre 2006, le juge Décary a constaté qu’en ajoutant des « notes finales » à son mémoire, l’appelante tentait de tourner l’ordonnance du juge Sexton. Il a ordonné que le dépôt du mémoire soit refusé et que celui‑ci soit renvoyé à l’appelante.

5          Le 9 novembre 2006, le juge Noël a fait remarquer, dans une ordonnance, que [traduction] « en incorporant dans leurs mémoires des arguments de fond qui se trouvent ailleurs dans le dossier, l’appelante et l’intimée tournent l’ordonnance antérieure de la Cour limitant leur mémoire à 30 pages ». Le juge a ajouté ce qui suit :

[traduction] C’est la seconde fois que la question de l’observation de cette ordonnance est renvoyée à la Cour pour qu’elle rende une décision.

6          L’ordonnance du juge Noël enjoignait aux parties de faire ce qui suit :

[traduction] La Cour ordonne au greffe de renvoyer les mémoires aux parties. Un délai de quinze jours est accordé à l’appelante pour qu’elle dépose de nouveau son mémoire sans y incorporer par renvoi l’avis d’appel modifié de 49 pages.

Les intimées déposeront de nouveau leur mémoire dans les dix jours suivant la date de la signification du mémoire de l’appelante sans inclure, à l’annexe C, des passages du mémoire présenté à l’instruction et sans y incorporer l’annexe D.

Les documents que les parties voudront incorporer dans leur mémoire feront partie du dossier et il sera possible de s’y reporter pendant l’audience. Toutefois, le mémoire a pour but de fournir un exposé concis des faits et des propositions (article 70 des Règles).

Les parties devront se conformer à l’esprit et à la lettre de l’ordonnance antérieure de la Cour et traiter des questions litigieuses en appel en respectant la limite de 30 pages.

7          Le 4 décembre 2006, les intimées ont signifié et déposé un dossier d’appel supplémentaire reprenant essentiellement le mémoire déposé à l’instruction. L’appelante, dont la conduite est loin d’être irréprochable comme nous le verrons, s’oppose au dépôt.

8          J’ai examiné les arguments des parties et les ordonnances antérieures de la Cour, et je suis convaincu que les intimées tentent d’obtenir quelque chose qui n’était pas autorisé par les ordonnances rendues par les juges Noël, Nadon, Sexton et Décary. Par conséquent, le dossier d’appel supplémentaire des intimées sera radié et leur sera renvoyé.

9          De plus, l’annexe C du mémoire des intimées sera supprimée. Si les intimées croient que les références qui s’y trouvent peuvent être utiles à la Cour, elles pourront les incorporer dans leur mémoire, à l’exclusion de toute mention du dossier d’appel supplémentaire et des documents qu’il contient.

10        Cela m’amène aux deux mémoires soumis par l’appelante et par les intimées. Les deux mémoires sont défectueux et ne respectent pas les articles 65 et 70 des Règles des Cours fédérales. Il y a systématiquement plus de 30 lignes par page. Les marges du haut et du bas ne sont pas respectées. En fin de compte, les mémoires comportent plus de 30 pages et contreviennent à l’ordonnance rendue par le juge Sexton : voir Merchant c. Sa Majesté la Reine, 2001 CAF 19 (CanLII), aux paragraphes 10 et 11.

11        Les parties ont jusqu’à maintenant abusé impunément de la procédure de la Cour. Cela suffit.

12        Le mémoire de l’appelante et celui des intimées seront radiés du dossier et leur seront renvoyés. Les deux parties signifieront et déposeront, au plus tard le 17 janvier 2007, un nouveau mémoire strictement conforme aux articles 65 et 70 des Règles des Cours fédérales. L’omission d’une partie de se conformer à la présente ordonnance de la Cour donnera lieu à des sanctions : renonciation réputée de la part de la partie défaillante à son droit de déposer un mémoire, rejet de la procédure sans autre avis et imposition de dépens aux avocats inscrits au dossier, délivrance d’une ordonnance de justification portant sur la question de savoir pourquoi l’avocat inscrit au dossier qui est défaillant ne devrait pas être reconnu coupable d’outrage.

[26]                         Selon moi, l’annexe de la demanderesse doit être vue de la même manière. Il s’agit d’une tentative visant à contourner l’ordonnance de la protonotaire Tabib. Lors de l’audience tenue devant moi, la demanderesse a admis que, vu l’objection du défendeur, l’annexe pouvait être radiée du dossier. J’ordonne que cette annexe soit radiée du dossier.

VI.             LA NORME DE CONTRÔLE

[27]                         La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux décisions rendues par les arbitres sur le bien-fondé des griefs, y compris en ce qui concerne la question de la compétence établie au paragraphe 209(1) de la LRTFP. La norme de la décision correcte s’applique aux questions liées à l’équité procédurale et à la partialité (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

A.                LA DÉCISION RAISONNABLE

(1)               Décisions disciplinaires

[28]                         Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il cite le paragraphe 100 de la décision King c Canada (Procureur général), 2012 CF 488, 409 FTR 216, où le juge Martineau déclare que la jurisprudence a établi que la norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions d’un arbitre relativement à des questions disciplinaires comme la suspension de dix jours en l’espèce :

[100]   Nous sommes ici en présence d’une affaire disciplinaire où le plaignant (le demandeur) contre‑attaque en soutenant que l’employeur lui a infligé des sanctions injustifiées et a exercé une discrimination contre lui parce qu’il agissait en tant que représentant syndical. La jurisprudence de notre Cour établit sans ambiguïté que l’interprétation et l’application de la convention collective par un arbitre de grief, ainsi que son analyse des faits, pièces et écritures soumis à son examen, relèvent en principe de la norme du caractère raisonnable [références omises]. Dans la présente espèce, la question juridique de la faute disciplinaire est une question mixte de fait et de droit, et l’interprétation de l’article 194 de la LRTFP ne peut être aisément dissociée des faits.

(2)               Décisions non assorties de mesures disciplinaires

[29]                         Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que la Cour a déjà établi le degré de déférence à accorder à la CRTFP concernant l’interprétation de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Dans la décision Chamberlain c Canada (Procureur général), 2012 CF 1027, 417 FTR 225, la juge Gleason a statué que la norme de la décision raisonnable s’applique lorsqu’un arbitre nommé à la CRTFP interprète et applique sa loi constitutive, notamment l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, afin de déterminer s’il a compétence pour traiter des griefs découlant de décisions de l’employeur dont le demandeur soutient qu’il s’agit de mesures disciplinaires entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire, comme c’est le cas dans la présente affaire.

[30]                         Enfin, je suis d’accord avec le défendeur que, conformément à la décision Chamberlain, la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de l’examen qu’a fait l’arbitre de la décision concernant la cote de fiabilité, mais j’en fais une analyse légèrement différente.

[31]                         Outre la décision Chamberlain, le défendeur cite deux autres décisions de notre Cour pour affirmer que la décision concernant la cote de fiabilité est une décision discrétionnaire qui commande la norme de la décision raisonnable.

[32]                         Dans la première décision, Myers c Canada (Procureur général), 2007 CF 947, 319 FTR 35, le juge Kelen écrit ce qui suit au paragraphe 13 :

[13]     Quant à l’expertise du décideur, il est clair que l’obtention d’une cote de fiabilité valide constitue une condition d’emploi pour les postes au sein de la fonction publique fédérale. La décision de révoquer la « cote de fiabilité approfondie » en est donc une qui concerne la gestion des ressources humaines de l’administration publique fédérale. L’alinéa 30(1)d) de la Loi sur l’ARC confère compétence à l’ARC dans tous les domaines ayant trait à « la gestion de ses ressources humaines, notamment la détermination de ses conditions d’emploi ». En conséquence, à l’égard de la question de savoir si une personne est « fiable » aux yeux de l’ARC, le décideur a une expertise particulière, et une déférence doit être accordée.

[33]                         Dans la deuxième décision, Koulatchenko c Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, 2014 CF 206, la juge Kane a écrit au paragraphe 30 : « Vu le caractère discrétionnaire des décisions relatives à la cote de sécurité et à la cote de fiabilité, elles seront contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. »

[34]                         Les faits dans ces affaires diffèrent de ceux de l’espèce. Dans chacune d’entre elles, la Cour contrôlait la décision même rendue par le décideur de révoquer une cote de sécurité ou de fiabilité en premier lieu. Elle ne contrôlait pas l’examen fait par l’arbitre de la CRTFP des décisions de révocation.

[35]                         L’affaire Myers portait sur le contrôle par la Cour d’une décision de l’ARC, alors que dans l’affaire Koulatchenko, la juge Kane s’est penchée sur une décision prise par la directrice du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, soit celle de révoquer, entre autres, la cote de sécurité de niveau secret et la cote de fiabilité de la demanderesse. Je relève que, dans la récente affaire Meyler c Canada (Procureur général) 2015 CF 357, le juge Rennie contrôlait la révocation par le ministre des Transports de l’habilitation de sécurité de la demanderesse en matière de transport à l’aéroport international Pearson. Comme la Cour contrôlait la décision du véritable décideur qui avait révoqué la cote de fiabilité ou de sécurité dans ces affaires, et non pas la décision de l’arbitre de la CRTFP qui avait évalué ces décisions, une grande partie de l’analyse visait à établir si le décideur avait accordé à la demanderesse le degré d’équité procédurale requis.

[36]                         Cependant, le fait que la Cour contrôlait selon l’équité procédurale des questions liées aux décisions de révocation dans ces affaires ne permet pas de déterminer la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce.

[37]                         En l’espèce, la Cour ne procède ni à une audience d’appel ni à une audience de novo ni à un contrôle judiciaire de la décision du surintendant principal Lanthier concernant la cote de fiabilité. La Cour contrôle plutôt la décision de l’arbitre de rejeter les griefs de la demanderesse relatifs à la décision concernant la cote de fiabilité, après avoir conclu qu’elle n’avait pas, au titre de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, la compétence nécessaire pour entendre ces griefs. L’arbitre est parvenue à cette conclusion en interprétant cette disposition de sa loi constitutive et en concluant que la décision du surintendant principal Lanthier concernant la cote de fiabilité ne constituait pas « une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ». Pour déterminer la nature de la décision concernant la cote de fiabilité, l’arbitre a reconnu qu’elle n’effectuait pas un contrôle judiciaire pour évaluer le caractère raisonnable de cette décision, mais plutôt que la jurisprudence l’obligeait à examiner l’intention déclarée qu’avait eue le surintendant principal Lanthier de prendre une décision concernant la cote de fiabilité, et à déterminer si cette décision était en réalité une mesure disciplinaire déguisée ou une décision empreinte de mauvaise foi ou entachée de manquements à l’équité procédurale. Pour les motifs énoncés ci‑après, je conclus que l’arbitre a raisonnablement conclu que le surintendant principal Lanthier avait pris sa décision en fonction de préoccupations légitimes en matière de sécurité et qu’il ne s’agissait pas d’une tentative de mauvaise foi d’imposer une mesure disciplinaire à la demanderesse. En outre, les lacunes procédurales liées au processus qui a mené à la décision concernant la cote de fiabilité n’ont pas entaché l’ensemble de la décision. Enfin, la tenue d’une audience arbitrale de novo de 38 jours a, de toutes les façons, remédié à ces lacunes.

[38]                         Par conséquent, le contrôle fait par la Cour de la décision concernant la cote de fiabilité comporte deux volets :

1)        L’un a trait à la norme de la décision raisonnable : l’arbitre a‑t‑elle raisonnablement établi, conformément à l’alinéa 209(1)b), qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur cette décision, après l’avoir qualifiée de décision administrative, et non de mesure disciplinaire déguisée ou de décision entachée de mauvaise foi ou de violation à l’équité procédurale?

2)        L’autre a trait à la norme de la décision correcte : l’arbitre s’est‑elle acquittée de son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse en tenant une audience de novo de 38 jours pour l’arbitrage de ces griefs?

[39]                         Contrairement aux affaires Myers, Koulatchenko et Meyler, la Cour ne se demande pas ici si l’employeur a satisfait à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse; la Cour doit plutôt contrôler l’évaluation de novo faite par l’arbitre des décisions de l’employeur, et déterminer si l’arbitre s’est acquittée de son obligation d’équité procédurale et si elle a rendu une décision raisonnable. Comme le juge Urie de la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Tipple c Canada (Conseil du Trésor), [1985] ACF no 818, 2 ACWS (3d) 193 (CA) :

En supposant qu’il y ait eu injustice sur le plan de la procédure lorsque les supérieurs du requérant ont recueilli les déclarations de ce dernier (hypothèse dont nous doutons beaucoup), cette injustice a été entièrement réparée par l’audition de novo qui a eu lieu devant l’arbitre, où le requérant a été pleinement informé des allégations qui pesaient contre lui et où il a eu pleinement l’occasion d’y répondre. De façon plus particulière, l’arbitre n’a pas erré en droit en accordant la valeur probante qu’il considérait appropriée aux déclarations qu’il a, à bon droit selon nous, jugées recevables en preuve.

[40]                         La demanderesse a beau faire valoir que l’arbitre avait commis une erreur de droit en reconnaissant qu’une évaluation de plusieurs incidents l’avait rapprochée « dangereusement de réaliser un examen du caractère raisonnable des décisions prises par l’agent de la sécurité ministérielle [le surintendant principal Lanthier] » concernant la cote de fiabilité (Bergey, précitée, au paragraphe 863). Cependant, un examen des motifs de l’arbitre amène à conclure qu’elle a tenu une audience de novo pour statuer sur les points en litige et qu’elle n’a pas fait preuve de retenue à l’égard du raisonnement du surintendant principal Lanthier. En effet, l’arbitre a fondé son évaluation sur les documents déposés en preuve et comparé les dépositions des témoins du défendeur avec le témoignage de la demanderesse quant aux faits; elle en a conclu que les témoins du défendeur étaient crédibles, tout en tirant une conclusion indépendante selon laquelle la demanderesse n’était pas une témoin crédible sur ces questions. Je vais examiner ces décisions suivant la norme de la décision raisonnable.

B.                 LE CRITÈRE DE LA PARTIALITÉ

[41]           Dans la décision Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2013 CF 918, 439 FTR 11, la juge Gleason a déclaré, au paragraphe 84 : « Le critère qui s’applique à la crainte de partialité est bien établi. Il consiste à se demander si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait, selon toute vraisemblance, que le décideur ne rendra pas une décision juste. »

[42]           Je souscris aux prétentions suivantes du défendeur :

1)        Une partie doit étayer grâce aux éléments de preuve toute allégation grave de partialité; elle ne peut fonder une allégation de partialité sur de simples soupçons ou conjectures;

2)        Une partie doit faire part de toute crainte raisonnable de partialité à la première occasion; à défaut de quoi la partie sera présumée avoir renoncé au droit de s’objecter.

[43]           Dans l’arrêt Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, 283 NR 346, le juge Létourneau écrit, aux paragraphes 7 à 9, pour le compte des juges unanimes de la Cour d’appel fédérale :

7          À l’audience, le procureur du demandeur a prétendu que le CRTC avait agi avec un parti pris à l’encontre de son client. À juste titre, la procureure du défendeur s’est dite surprise de cette allégation et s’est objectée à ce motif de révision puisqu’il n’apparaissait aucunement au Mémoire des faits et du droit du demandeur, ce dernier s’y étant vertement plaint de ne pas avoir été entendu.

8          Le procureur du demandeur me semble avoir confondu la règle audi alteram partem et le droit de son client à une audition par un tribunal impartial. Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme [non souligné dans l’original.] Pour ce faire, il est souvent utile et même nécessaire de recourir à des preuves extrinsèques au dossier. C’est pourquoi ces preuves sont admissibles en dérogation au principe qu’une demande de contrôle judiciaire doit porter sur le dossier tel que constitué devant le tribunal.

9          Dans la présente affaire, le procureur du demandeur a tenté en vain de soutenir l’allégation de son client en nous référant à certaines pièces documentaires apparaissant au dossier. Je dis en vain, car ces pièces n’ont pas la valeur probante que le demandeur voudrait leur voir attribuée. L’interprétation qu’il en fait est indûment subjective et, à la lecture objective qu’il faut en faire, ne trouve pas de fondement dans le contenu même de ces pièces.

[Non souligné dans l’original.]

[44]           Dans la décision Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 FC 983, 169 ACWS (3d) 173, la juge Mactavish écrit aux paragraphes 17, 20 et 21 ce qui suit :

17        La jurisprudence concernant le moment auquel des objections fondées sur une crainte raisonnable de partialité doivent être soulevées est très claire; une objection soulevée quant à la compétence d’un tribunal administratif en raison d’une crainte raisonnable de partialité doit être soulevée le plus tôt possible, à défaut de quoi une partie sera présumée avoir renoncé à son droit de s’objecter [non souligné dans l’original. Renvois omis.]

[...]

20        Non seulement les demandeurs et leur avocat n’ont soulevé aucune objection fondée sur la partialité au moment où les déclarations contestées ont été faites, mais ils ont achevé la partie de l’audience relative à la présentation de la preuve, sans présenter aucune objection. En effet, ce n’est qu’environ deux semaines plus tard que les demandeurs ont soulevé pour la première fois la question de la crainte de partialité de la part du président de l’audience

21        Dans de telles circonstances, on ne peut pas affirmer que les demandeurs ont soulevé leur objection fondée sur la partialité à la première occasion raisonnable. À ce titre, ils sont présumés avoir renoncé à leur droit de s’objecter.

[Non souligné dans l’original.]

[45]           Enfin, dans la décision Palmer c Canada (Procureur général), 2013 CF 374, 430 FTR 304, le juge Boivin écrit ce qui suit aux paragraphes 45 et 46 :

45         Le demandeur a aussi allégué que l’arbitre avait dit à deux (2) reprises qu’elle ne voyait pas la nécessité de tenir l’audience. La Cour signale que, puisqu’il n’y a pas eu de transcription de l’audience ni de la conférence préparatoire, aucun élément au dossier ne montre que l’arbitre a formulé lesdites remarques, et on ne sait rien du contexte dans lequel elles auraient été prononcées. Le critère de la crainte raisonnable de partialité a été défini par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, à la page 394 : « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique »? Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve indépendant à l’appui de cette allégation de partialité. Comme le soulignait la Cour dans Armstrong c Canada (Procureur général), 2006 CF 505, au paragraphe 74, 291 FTR 49, « les exigences préliminaires lorsqu’il s’agit d’établir une allégation de crainte raisonnable de partialité sont rigoureuses et il faut des motifs sérieux à l’appui d’une telle allégation ». Il aurait pu être satisfait à ce critère rigoureux en présentant une preuve convaincante, ce qui n’a pas été fait en l’espèce. La Cour conclut que l’allégation grave selon laquelle l’arbitre était partiale ou avait préjugé de l’affaire n’est pas fondée.

46        Il convient aussi de souligner que le demandeur n’a pas soulevé immédiatement la question de la partialité à l’audience, ou lors de la conférence préparatoire, c’est‑à‑dire au moment où l’arbitre aurait formulé les commentaires en cause. Il est bien établi en droit que la question de la crainte raisonnable de partialité doit être soulevée à la première occasion [références omises]. Le demandeur était représenté par un avocat et la portée de ces commentaires aurait été tout de suite évidente pour le demandeur et son avocat.

VII.          LES ALLÉGATIONS DE PARTIALITÉ

[46]           La demanderesse soutient que l’arbitre a été partiale à son égard. Cette allégation repose essentiellement sur trois motifs. Le premier motif est que l’arbitre n’a pas tenu compte des éléments de preuve favorables à la demanderesse, lorsqu’elle a rendu sa décision, et qu’elle a favorisé la GRC lorsqu’elle a soupesé la preuve. Le deuxième motif est que, la demanderesse affirme qu’elle a vu l’arbitre prendre son repas avec l’avocat de la GRC et qu’elle a donc probablement fait preuve de favoritisme ou subi l’influence de cet avocat. Comme troisième motif, la demanderesse souligne que l’arbitre [traduction] « a travaillé au ministère de la Justice dans le passé, de sorte qu’elle se sent probablement redevable de celui-ci, au point de ne pas vouloir statuer contre lui » (mémoire des faits et du droit de la demanderesse, à la page 298, au paragraphe 36).

[47]           En ce qui a trait à ces allégations en général, comme il en a été fait mention dans les décisions Arthur et Gonzalez précitées, les allégations de partialité doivent être étayées par des éléments de preuve concrets. La preuve doit être claire et l’objection soulevée à la première occasion.

[48]           Le premier motif invoqué pour alléguer la partialité n’a pas vraiment trait à celle‑ci, mais a trait au caractère raisonnable, à l’exhaustivité et à la transparence des motifs. Que certains éléments de preuve n’aient pas été mentionnés en particulier dans les motifs ou que la pondération de la preuve ait donné lieu à une décision favorable à une partie et défavorable à l’autre ne signifie pas forcément que l’arbitre a été partiale.

[49]           En ce qui concerne le deuxième motif invoqué, il va de soi qu’un arbitre devrait éviter dans la mesure du possible de prévoir des rencontres sociales avec l’avocat de l’une ou l’autre des parties. Il n’y a cependant rien dans le dossier concernant ce repas. La demanderesse dit avoir observé le repas à une distance de quelques tables. L’avocat du défendeur a déclaré que rien de tel ne s’était passé. Or, même si une telle rencontre avait eu lieu, il n’y a absolument rien dans le dossier qui puisse faire naître une crainte de partialité. En outre, il importe de souligner que ni la demanderesse ni son avocat n’ont formulé quelque objection à ce moment‑là. Cette allégation est simplement indéfendable.

[50]           Le même raisonnement vaut pour le troisième motif invoqué. La demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer cette allégation grave, et ni elle ni son avocat n’ont formulé d’objection à cet effet au cours de l’arbitrage.

[51]           Les allégations de partialité sont sans fondement.

VIII.       L’EXPRESSION SYNDICALE

[52]           J’estime que l’arbitre a rejeté avec raison l’argument de la demanderesse selon lequel les agissements de l’employeur ont interféré avec les activités du syndicat ou la représentante syndicale, en particulier le droit de la représentante syndicale de s’exprimer librement et de critiquer la direction.

[53]           L’arbitre s’est fondée sur l’arrêt rendu par le juge en chef Thurlow, pour le compte des juges unanimes, dans l’arrêt Burchill c Procureur général, [1980] ACF n97 (CA) pour avancer que, comme la demanderesse n’avait soulevé la question de l’expression syndicale qu’une fois la procédure de règlement des griefs terminée, cela empêchait qu’elle soit soumise à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de la LRTFP. Il était trop tard dans l’instance pour que la demanderesse puisse soulever la question de l’atteinte à son droit à la liberté d’expression par l’employeur. « Aucun grief dont je suis saisi ne mentionne une violation de son droit de présidente syndicale de parler librement et de critiquer la direction. Ni la fonctionnaire ni ses représentants syndicaux n’ont soulevé cette question dans les arguments présentés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs » (Bergey, précitée, au paragraphe 377).

[54]           L’arbitre a examiné les arguments de la demanderesse sur le fond, et a conclu que si elle avait permis de soulever la question de l’expression syndicale, elle aurait rejeté l’allégation de la demanderesse selon laquelle les activités de l’employeur interféraient illégalement avec les activités syndicales ou de représentante syndicale de la demanderesse. La demanderesse a fait valoir que l’utilisation par l’employeur de ses courriers électroniques du 30 septembre 2003 et du 1er octobre 2003, afin de prendre des mesures disciplinaires contre elle était illégale parce qu’il s’agissait de messages privés et de conversations personnelles, entre ses collègues du syndicat et elle, dans lesquels elle exprimait ses craintes, son mécontentement et ses préoccupations.

[55]           L’arbitre a conclu que la preuve n’avait pas permis d’établir que des sanctions disciplinaires avaient été prises en raison de critiques formulées par la demanderesse contre la direction, alors qu’elle était présidente syndicale, ni même en raison des critiques émises plus tard, après sa démission. La demanderesse n’a pas été en mesure d’expliquer clairement en quoi il y avait eu utilisation illégale par l’employeur de courriers électroniques dont elle a soutenu qu’ils étaient privés et personnels. En outre, le 1er octobre 2003, alors qu’elle était présidente syndicale, la demanderesse a envoyé un courriel qui commençait par « Mesdames », mais la preuve a établi qu’il avait été envoyé en copie conforme invisible à un grand nombre de personnes, dont certaines ne faisaient pas partie du syndicat, notamment le caporal Adair et le sergent d’état‑major McCaig (Bergey, précitée, au paragraphe 384). Par conséquent, la communication ne relevait pas d’une conversation privée et personnelle avec des collègues du syndicat, telle qu’elle a été décrite.

[56]           Enfin, il n’y a aucune preuve que l’employeur a pris des mesures disciplinaires contre la demanderesse en raison du courriel envoyé le 1er octobre 2003. En fait, la suspension de 10 jours lui a plutôt été infligée parce qu’elle avait refusé de façon non justifiée de rencontrer la direction, le 28 octobre 2004, pour son évaluation de rendement sans avoir reçu un préavis de 24 heures. « Les représentants syndicaux ne sont pas à l’abri des mesures disciplinaires pour insubordination ou une autre inconduite ne s’inscrivant pas dans la portée normale des responsabilités syndicales. » (Bergey, précitée, au paragraphe 382).

IX.             LA QUESTION DISCIPLINAIRE

[57]           L’arbitre a conclu que l’employeur avait présenté une preuve suffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que :

1)        L’employeur a eu raison de prendre des mesures disciplinaires, car la demanderesse a fait preuve de manque de respect et d’insubordination le 28 octobre 2004, lorsqu’elle a injurié le surintendant Morris et refusé de le rencontrer sans avoir reçu un préavis de 24 heures, afin qu’un représentant syndical soit présent à la rencontre, contrairement à ce que précisait la lettre énonçant les attentes de l’employeur;

2)        La suspension de 10 jours s’inscrivait dans la foulée de mesures disciplinaires prises en raison des comportements inacceptables de la demanderesse, si on la considère dans le contexte des autres communications entre la demanderesse et la direction. Par conséquent, cette suspension de 10 jours n’était pas exagérée dans les circonstances.

[58]           L’arbitre a rendu cette décision après avoir effectué une analyse minutieuse des éléments de preuve et des arguments des parties ainsi qu’un examen de la jurisprudence applicable. Je conclus que la décision de l’arbitre à cet égard est raisonnable.

[59]           Premièrement, l’arbitre a conclu que la demanderesse avait fait preuve d’insubordination, déclarant au paragraphe 464 qu’« il y a une différence entre être en désaccord avec une demande de la direction et ne pas comprendre cette demande. Il est clair que la fonctionnaire avait compris du sergent d’état‑major Beach que le surintendant Morris était allé à son bureau pour lui parler de son évaluation du rendement »; mais la demanderesse avait refusé de rencontrer la direction sans préavis de 24 heures. En outre, la demanderesse avait également bien compris que le surintendant Morris voulait lui parler de son évaluation de rendement lorsqu’il s’est présenté à son bureau. Dans son témoignage, la demanderesse a insisté sur le fait qu’il était raisonnable qu’elle cherche à éviter ses superviseurs, le sergent d’état‑major Beach et le surintendant Morris, parce qu’elle avait déjà informé le surintendant Morris qu’elle souhaitait recevoir un préavis de 24 heures avant de le rencontrer et qu’elle n’avait donc aucune raison de chercher à le rencontrer; cela nuit à l’argument de la demanderesse selon lequel elle n’avait pas compris la demande de ses superviseurs.

[60]           Deuxièmement, l’arbitre a déclaré qu’elle maintiendrait sa conclusion que la demanderesse avait fait preuve d’insubordination, même s’il s’avérait qu’elle avait jugé à tort que la demande du sergent d’état‑major n’avait pas été suffisamment précise pour constituer le premier élément de l’insubordination. Dans la jurisprudence arbitrale, il est reconnu que l’attitude et le comportement d’un employé peuvent constituer de l’insubordination, même si aucun ordre précis n’est donné, dès lors que l’arbitre conclut que la demanderesse était au courant des tâches que l’on s’attendait qu’elle fasse et qu’elle a refusé de s’en acquitter. Aux paragraphes 469 à 471, l’arbitre a conclu que :

469      [...] Le refus de la fonctionnaire de rencontrer le surintendant Morris et le fait qu’elle l’ait évité intentionnellement démontraient un mépris de l’autorité de la direction.

470      De plus, la fonctionnaire n’a pas nié que le surintendant Morris lui a dit deux fois qu’il voulait la rencontrer pour lui parler de son évaluation du rendement, quand ils se sont croisés à l’extérieur de la salle du courriel l’après‑midi en question. Le surintendant Morris lui a dit que la rencontre n’était pas de nature disciplinaire et qu’elle ne pouvait pas demander un préavis de 24 heures. Elle a refusé de lui parler, l’a brusqué en passant et est revenue à son bureau. Le surintendant Morris a dû la suivre dans le corridor jusqu’à son poste de travail pour lui parler.

471      La fonctionnaire avait l’intention et a clairement défié l’autorité, réelle et symbolique, de l’employeur voulant qu’elle rencontre le surintendant Morris, car ce dernier voulait discuter avec elle de son évaluation du rendement, le 28 octobre. La fonctionnaire a déclaré qu’elle avait été affirmative et qu’elle ne tentait pas de défier l’autorité quand elle a insisté pour que son droit d’avoir un préavis de 24 heures soit respecté. Le fait qu’elle croyait honnêtement et fermement qu’elle avait le droit de demander un préavis de 24 heures avant de rencontrer le surintendant Morris ne rend pas moins intentionnels son refus de le rencontrer et ses manœuvres visant à l’éviter. Son refus était insolent et défiait l’autorité de la direction.

[61]           Troisièmement, l’arbitre a estimé qu’il n’y avait eu aucune raison légitime de désobéir à la directive de rencontrer le surintendant Morris. La demanderesse fut présidente du syndicat et elle comprenait donc la règle selon laquelle elle doit obéir d’abord et se plaindre ensuite; elle aurait ainsi pu se conformer à la demande puis déposer un grief par la suite, si elle croyait que l’un de ses droits de représentation avait été violé (King c Canada (Procureur général), 2012 CF 488, 409 FTR 216, au paragraphe 128 (le juge Martineau)). En outre, l’arbitre a fait observer que la demanderesse n’avait fourni aucun élément de preuve démontrant qu’elle aurait été incapable d’obtenir une réparation adéquate dans le cadre des procédures de grief et d’arbitrage ni que le fait de se conformer aux instructions aurait pu mettre en danger sa santé ou sa sécurité.

[62]           Quatrièmement, malgré ce que refuse de reconnaître la demanderesse, l’arbitre a statué que la preuve produite par l’employeur était suffisante pour établir que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse avait marmonné [traduction] « Hostie de conneries » ou [traduction] « C’est des hostie de conneries », comme elle s’éloignait du surintendant Morris après que celui‑ci eut cherché à lui parler dans la salle du courrier; l’arbitre a ajouté que « [l]e fait de marmonner la grossièreté était un acte irrespectueux dans ces circonstances » (Bergey, précitée, par 477, 479). L’arbitre a privilégié les témoignages du surintendant Morris et de Mme Bailey dont il ressortait que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse avait marmonné une grossièreté, pour les raisons suivantes :

1)        Le surintendant Morris et Mme Bailey ont entendu la demanderesse émettre un commentaire dans le couloir alors qu’elle s’éloignait du surintendant Morris et passait devant le bureau de Mme Bailey, en se dirigeant vers son poste de travail;

2)        Le surintendant Morris n’avait aucune raison d’inventer ce commentaire; Mme Bailey avait pris note que la demanderesse avait marmonné les mots « hostie de conneries » en passant devant son bureau et elle avait cru que ce commentaire s’adressait à elle;

3)        Le fait que la transcription de l’enregistreur caché de la demanderesse ne contient pas la grossièreté « n’est pas un argument convaincant. L’enregistreur était dans la poche de la fonctionnaire, qui s’éloignait du surintendant Morris avec un air fâché. Comme il a été démontré par plusieurs des transcriptions de la fonctionnaire, l’enregistreur n’était peut‑être pas assez puissant pour capter ses commentaires » (Bergey, précitée, au paragraphe 478). L’arbitre en a déduit que l’explication la plus probable était que « [l]e commentaire n’a pas été capté par l’enregistreur » (Bergey, précitée, au paragraphe 479);

4)        Enfin, dans un courriel envoyé au bureau des Ressources humaines de la fonction publique de la Région du Pacifique, le 28 octobre 2004, le surintendant Morris a mentionné que la demanderesse avait marmonné une grossièreté.

[63]           Après avoir établi que le comportement de la demanderesse relevait de l’insubordination, l’arbitre a conclu que l’employeur avait un motif valable d’infliger une suspension de 10 jours. L’arbitre a fait une distinction entre la présente affaire et la décision rendue par l’arbitre R.B. Blasina dans l’affaire Nanaimo Collating Inc and Graphic Communications International Union, Local 525‑M, [1998] BCCAAA no 370, LAC (4th) 251. Contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Nanaimo, la direction n’a pas pris dans la présente affaire de mesure disciplinaire parce qu’elle percevait l’employée comme un irritant en milieu de travail, mais plutôt pour les raisons qui suivent :

538      [...] C’est sa conduite du 28 octobre qui justifiait la sanction disciplinaire. La direction a réagi à son inconduite de façon décisive en appliquant des mesures disciplinaires progressives; elle n’a pas réagi de façon excessive.

539      L’employeur a choisi d’imposer une suspension de 10 jours. Cette sanction peut sembler excessive si l’on prend l’incident de façon isolée, mais pas dans le contexte de la relation d’emploi difficile ou de la résistance bien documentée de la fonctionnaire à reconnaître le besoin d’apporter quelque changement que ce soit à son comportement au travail.

540      En examinant la conduite de la fonctionnaire dans son ensemble, on peut conclure que l’employeur n’a pas agi de façon déraisonnable en passant d’une réprimande verbale à une suspension de 3 jours, puis à une suspension de 10 jours, notamment à la lumière de la lettre énonçant les attentes et des mesures non disciplinaires qu’il avait prises pour essayer de modifier le comportement inacceptable de la fonctionnaire.

[64]           L’arbitre a également rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel le fait que le surintendant Morris s’était abstenu de prendre une mesure disciplinaire le 30 janvier 2004 constituait une absolution. L’arbitre a plutôt conclu au paragraphe 509 ce qui suit au sujet de la conduite du surintendant Morris :

509      [...] qu’il a fait preuve de beaucoup de retenue et de patience pour ce qui est de son comportement au travail et de ses accusations publiques largement diffusées concernant son manque d’honnêteté, d’intégrité et d’impartialité. Ses actes appuient son témoignage selon lequel il craignait que la source du mécontentement et de la conduite inacceptable de la fonctionnaire au travail soit médicale. Il pensait qu’il ne serait pas approprié d’avoir recours à la discipline dans ce cas. Plutôt que d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire pour son comportement inacceptable du 30 janvier 2004, le surintendant Morris a écrit au bureau des Ressources humaines de la fonction publique de la Région du Pacifique, le 14 février 2004, pour obtenir des conseils sur la façon de lui imposer un examen médical, pour sa sécurité et celle des autres employés.

[65]           Après avoir reçu le rapport du Dr Prendergast de Santé Canada, daté du 22 juillet 2004, qui avait réalisé une entrevue téléphonique exhaustive avec la demanderesse et avait conclu qu’il n’y avait aucune explication médicale à son comportement au travail, le surintendant Morris a personnellement remis à la demanderesse une lettre énonçant les attentes de l’employeur, le 5 ou le 6 août 2004, dès son retour au travail après son congé de maladie et il lui a dit que la direction ne tolérerait plus son inconduite au travail. Il a ensuite commencé à infliger des mesures disciplinaires graduelles en raison de nouveaux actes de mauvaise conduite.

[66]           Enfin, aux paragraphes 534 à 536, l’arbitre a débattu de l’importance de l’absence de remords démontrée par la demanderesse pour son comportement du 28 octobre 2004 :

534      [...] Il s’agit là d’un facteur important m’amenant à déterminer que la sanction imposée était raisonnable dans les circonstances. Elle a affirmé lors de son témoignage qu’elle ne ressentait aucun remords parce qu’elle n’avait rien fait de mal et que c’est la direction qui devrait avoir des remords. Ce qui est important, selon moi, c’est qu’elle n’a pas démontré qu’elle acceptait quelque responsabilité que ce soit pour son inconduite du 28 octobre. En fait, d’après ce que je comprends des éléments de preuve présentés, sa position est qu’elle était la victime dans cet incident, et elle jette tout le blâme sur le surintendant Morris et le sergent d’état‑major Beach pour ce qui est survenu le 28 octobre.

535      La fonctionnaire a décrit sa perception de l’incident du 28 octobre 2004 dans plusieurs courriels qu’elle a écrits plus tard au District nord de la Division « E » de la Section de la sécurité ministérielle de la Région du Pacifique. Selon elle, sa suspension de 10 jours ne lui avait pas été imposée en raison de son comportement, mais parce que la direction s’était fâchée contre sa demande de déploiement du 27 octobre 2004 au motif que le sergent d’état‑major Beach lui faisait subir du harcèlement criminel (pièce 1, onglet 8‑U, no 46 à la page 14, et onglet 8‑N, pages 1 et 3). Elle a soutenu que ses commentaires à propos du sergent d’état‑major Beach, dans son évaluation du rendement, étaient professionnels et raisonnables, et que le surintendant Morris et le sergent d’état‑major Beach étaient dans le tort pour avoir soulevé la question de son évaluation du rendement avec elle, le 28 octobre 2004, parce qu’ils abusaient tout simplement de leur autorité et cherchaient à lui causer des ennuis. Elle a soutenu que la discussion qu’ils voulaient avoir avec elle au cours de cet après‑midi du 28 octobre 2004 ne visait en fait qu’à s’en prendre à elle, à la calomnier et à la harceler, ainsi qu’à la provoquer pour qu’elle quitte son emploi (pièce 1, onglet 8‑N, page 1).

536      Ces graves allégations ne sont appuyées par aucune preuve. Au contraire, les éléments de preuve ont démontré que le surintendant Morris avait agi de bonne foi dans ses interactions avec la fonctionnaire, le 28 octobre. Il a déterminé que les actes de la fonctionnaire cet après‑midi‑là étaient une forme d’inconduite qui ne pouvait être tolérée. Après avoir abouti à cette conclusion, il a pris des mesures décisives en ce sens.

[67]           J’estime qu’il était raisonnablement loisible à l’arbitre de tirer ces conclusions au vu du dossier.

X.                LA QUESTION DE LA COMPÉTENCE

[68]           L’arbitre a reconnu qu’elle avait compétence pour entendre le grief de congédiement de la demanderesse en vertu du paragraphe 209(1), qu’importe que ce fût à des fins disciplinaires ou non, et qu’il fallait que ce congédiement soit motivé, comme le précise le paragraphe 12(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 (LGFP) (Bergey, précitée, au paragraphe 812). L’employeur a fait valoir à l’arbitre qu’il avait licencié la demanderesse pour un motif valable, puisqu’elle n’avait plus sa cote de fiabilité. L’employeur a aussi fait valoir que l’arbitre n’avait pas compétence, en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, pour entendre les griefs relatifs à la suspension et à la révocation de la cote de fiabilité, puisque les décisions de l’employeur étaient administratives et non disciplinaires. Cette question est soulevée dans les griefs no 566‑02‑174, 175 et 1298. L’arbitre a décidé qu’elle devait examiner la preuve sur le fond avant de rendre une décision relativement à cette objection; sa décision a donc porté sur la question de la compétence et sur le bien‑fondé des griefs qui relèvent de sa compétence.

[69]           Pour les motifs énoncés ci‑après, l’arbitre a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre les griefs relatifs aux décisions concernant la cote de fiabilité.

[70]           La question a été évoquée aux paragraphes 811 et 812 des motifs de l’arbitre :

811      Par conséquent, pour que j’aie compétence pour me pencher sur la révocation de la cote de fiabilité de la GRC de la fonctionnaire et sur la suspension de son emploi pour une période indéterminée découlant de cette révocation, les décisions de révocation et de suspension de l’employeur doivent être considérées comme étant [traduction] « une mesure disciplinaire entraînant » l’un des résultats énumérés à l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP, ou une [traduction] « rétrogradation ou [un] licenciement », comme il est mentionné à l’alinéa 209(1)c). Si les griefs portent sur des questions concernant les conditions d’emploi de la fonctionnaire, mais qu’ils ne respectent pas les critères de l’article 209, son recours pour contester la décision de l’employeur n’est pas la procédure d’arbitrage, mais plutôt d’autres tribunes, comme une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

812      À la lecture de l’alinéa 209(1)b) et du sous‑alinéa 209(1)c)(i) de la nouvelle LRTFP, je constate que les décisions de l’employeur de révoquer la cote de fiabilité de la GRC de la fonctionnaire et de suspendre son emploi ne sont arbitrables qu’en vertu de l’alinéa 209(1)b), puisqu’elles n’impliquent pas une rétrogradation ou un licenciement, ce qui est clairement une exigence aux termes du sous‑alinéa 209(1)c)(i). Son grief de licenciement est arbitrable en vertu du paragraphe 209(1), puisqu’il porte sur un licenciement. Il peut être renvoyé à l’arbitrage, que le licenciement ait été fait pour un motif disciplinaire ou non. De plus, il fallait qu’il soit motivé, comme le précise le paragraphe 12(3) de la LGFP.

[71]           La question à trancher consistait donc à déterminer si la suspension de la demanderesse et la révocation de sa cote de fiabilité étaient en fait une mesure disciplinaire déguisée ou une décision entachée de mauvaise foi ou de manquement à l’équité procédurale de sorte qu’on ne pouvait y remédier par un arbitrage de novo, puisque, si tel avait été le cas, l’arbitre aurait alors eu compétence pour statuer sur cette question. Au paragraphe 814 de ses motifs, l’arbitre a traité cette question comme suit :

814      Les deux parties ont reconnu que la jurisprudence dans des affaires de nature judiciaire et arbitrale démontrait que les arbitres de grief avaient une compétence très limitée pour examiner la suspension et la révocation de la cote de sécurité d’un employé par un employeur. La jurisprudence a démontré que, traditionnellement, ces décisions sont de nature administrative et que la Commission n’a pas compétence pour les entendre, sauf si des éléments de preuve démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que ces décisions sont des mesures disciplinaires déguisées plutôt que des mesures administratives, ou qu’elles sont empreintes de mauvaise foi ou ne respectent pas le principe d’équité procédurale à un point tel que la tenue d’une audience de novo (nouvelle) devant un arbitre de grief ne permet pas de redresser la situation.

[72]           Le juge Barnes de la Cour fédérale a exposé la jurisprudence en la matière dans la décision Canada (Procureur général) c Frazee, 2007 CF 1176, 319 FTR 192, aux paragraphes 19 à 25 :

19        La question de savoir si une conduite de l’employeur constitue une mesure disciplinaire a fait l’objet de nombreuses décisions arbitrales et judiciaires desquelles ont émergé plusieurs principes établis. Le paragraphe 7:4210 de la 4édition de l’ouvrage Canadian Labour Arbitration, de Brown et Beatty, présente un résumé utile de la jurisprudence sur le sujet :

[traduction]

[...]

Afin de déterminer si un employé a fait ou non l’objet d’une mesure disciplinaire, les arbitres examinent à la fois l’objet et l’effet de la mesure prise par l’employeur. La caractéristique essentielle de la mesure disciplinaire est une intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le punissant d’une certaine façon. Une confirmation de l’employeur déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’imposer une mesure disciplinaire suffit souvent, mais pas toujours, à régler la question.  

Lorsque la conduite d’un employé est non coupable et/ou que l’objectif de l’employeur n’est pas de punir, toute mesure qui est prise sera généralement qualifiée de non disciplinaire. S’appuyant sur cette définition, des arbitres ont déterminé que les suspensions qui exigent qu’un employé reste hors du travail en raison d’un problème de santé ou en attendant le règlement d’accusations criminelles ne sont pas des sanctions disciplinaires. De la même façon, les mutations ou rétrogradations pour des motifs d’inconduite non coupable, la révocation de la « cote de fiabilité » d’un fonctionnaire, les prélèvements financiers qui sont compensatoires et non punitifs, les changements de fonctions visant à permettre une supervision plus étroite et le fait de déterminer qu’un employé a démissionné ont tous été qualifiés de mesures non disciplinaires. C’est pourquoi le fait de conseiller et d’avertir des employés à propos d’un absentéisme excessif mais innocent n’est généralement pas considéré comme une mesure disciplinaire. Par ailleurs, il a été déterminé que même si un employé devient malade pendant qu’il purge une suspension disciplinaire et qu’il touche des prestations pour congé de maladie pendant une partie de son congé, cet intervalle ne change en rien la nature disciplinaire de la suspension de l’employé.  

Une mesure disciplinaire doit à tout le moins avoir le potentiel de porter préjudice à la situation de l’employé, même si celui‑ci ne subit pas une perte économique immédiate. Les suspensions avec traitement, dont l’objectif principal est de corriger un comportement inacceptable, par exemple, seraient considérées comme étant de nature disciplinaire même si elles ne pénalisent pas l’employé au plan financier.

[Renvois omis.]

20        La jurisprudence confirme que toute mesure prise par l’employeur qui a un effet préjudiciable sur l’employé n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire. Même si un employé se sent lésé par des décisions qui ont une incidence négative sur ses conditions d’emploi, la grande majorité des adaptations faites en milieu de travail sont de nature purement administrative et ne se veulent pas une forme de sanction. Ce principe est énoncé dans la décision William Porter c. Conseil du Trésor (Ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources) (1973) 166‑2‑752 (CRTFP), dans l’extrait suivant de la page 13 :

La notion de « mesure disciplinaire » n’est pas suffisamment étendue pour inclure toute mesure prise par l’employeur qui peut être nuisible ou préjudiciable aux intérêts de l’employé. Il est sûr que chaque évaluation défavorable du rendement ou de l’efficacité nuit aux intérêts directs de l’employé et à ses perspectives d’avancement. Dans de tels cas, on ne peut tenir pour acquis que l’employé fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Pour comprendre ce qu’on entend par discipline dans la Fonction publique, il faut se reporter aux dispositions statutaires pertinentes.

21        La jurisprudence indique que la question n’est pas de savoir si la mesure prise par l’employeur est mal fondée ou mal exécutée mais plutôt si elle constitue une mesure disciplinaire visant la suspension. De la même façon, les sentiments d’un employé qui estime avoir été traité injustement n’ont pas pour effet de convertir une mesure administrative en mesure disciplinaire : voir la décision Fermin Garcia Marin c. Conseil du Trésor (Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada), 2006 CRTFP 16 (CanLII), paragraphe 85.

22        Il ne faut pas s’étonner que l’un des principaux facteurs permettant de déterminer si un employé a fait l’objet d’une mesure disciplinaire concerne l’intention de l’employeur. Il convient de se demander si l’employeur avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire et si la contestation de sa décision pouvait servir de fondement à une mesure disciplinaire ultérieure : voir les décisions St. Clair Catholic District School Board et Ontario English Catholic Teachers Association (1999), 86 L.A.C. (4th) 251 (Re St. Clair), page 255, et Re Civil Service Commission et Nova Scotia Government Employees Union (1989) 6 L.A.C. (4th) 391 (Re Civil Service Commission), page 400.

23        Néanmoins, il est admis que la façon dont l’employeur choisit de qualifier sa décision ne peut pas être en soi un facteur déterminant. Le concept de mesure disciplinaire déguisée est un facteur déterminant bien connu et nécessaire qui permet à un arbitre de grief d’examiner les éléments sous‑jacents au motif énoncé par l’employeur afin de déterminer quelle était sa véritable intention. Par conséquent, dans la décision Gaw c. Conseil du Trésor (Service national de libération conditionnelle) (1978), 166‑2‑3292 (CRTFP), la tentative de l’employeur de justifier la suspension de l’employé comme étant nécessaire pour permettre la tenue d’une enquête a été rejetée à la lumière de la preuve convaincante qui établissait que la véritable motivation de l’employeur était de nature disciplinaire : voir aussi la décision Re Canada Post Corp. et Canadian Union of Postal Workers (1992), 28 L.A.C. (4th) 366.

24        Le problème de la mesure disciplinaire déguisée peut aussi être abordé par l’examen des effets de la mesure sur l’employé. Lorsque l’incidence de la décision de l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué, la décision peut être considérée comme disciplinaire : voir la décision Re Toronto East General & Orthopaedic Hospital Inc. and Association of Allied Health Professionals Ontario (1989) 8 L.A.C. (4th) 391 (Re Toronto East General). Cependant, cette norme ne sera pas atteinte si la mesure imposée par l’employeur est jugée comme étant une réaction raisonnable (mais pas nécessairement la meilleure) à des considérations opérationnelles honnêtes.

25        Parmi les autres facteurs servant à définir la mesure disciplinaire dans le contexte de l’emploi figurent les répercussions de la décision sur les perspectives de carrière de l’employé et les questions de savoir si l’incident en cause ou le point de vue de l’employeur à cet égard peut sembler être lié à la conduite de l’employé pouvant être rectifiée ou à sa conduite coupable, si la décision prise était de nature corrective et si la mesure de l’employeur a eu un effet préjudiciable immédiat sur l’employé : voir les décisions Re St. Clair et Re Civil Service Commission, précitées.

[73]           Dans la décision Chamberlain, précitée, la juge Gleason s’est référée à la décision Frazee, précitée, soulignant que l’analyse visant à déterminer s’il s’agissait d’une mesure disciplinaire déguisée au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP était axée sur les faits. La juge écrit ce qui suit aux paragraphes 55 à 57 :

55        Pour ce qui est du premier argument, on se souviendra que l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP prévoit que, pour pouvoir être renvoyé à l’arbitrage, un grief doit porter sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. Compte tenu de la situation de Mme Chamberlain, seules une rétrogradation ou une sanction pécuniaire pourraient s’appliquer. Pour que sa situation tombe sous le coup de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, il ne suffit cependant pas que Mme Chamberlain ait été affectée à un poste moins bien rémunéré ou qu’elle ait subi une perte pécuniaire. Ainsi que l’arbitre l’a fait observer à juste titre, il faut que la raison qui a motivé la rétrogradation ou la perte pécuniaire soit également d’ordre disciplinaire.

56        Pour déterminer si une mesure est disciplinaire, il y a lieu de procéder à une analyse axée sur les faits qui peut impliquer l’examen de questions comme la nature des agissements de l’employé qui ont donné lieu à la mesure en question, la nature de la mesure prise par l’employeur, l’intention déclarée de l’employeur et les répercussions de cette mesure sur l’employé. Lorsque la conduite de l’employé est blâmable ou lorsque l’employeur avait l’intention de corriger la mauvaise conduite de l’employé ou de le punir, la mesure prise sera en règle générale considérée comme disciplinaire. En revanche, lorsque la conduite de l’employé n’est pas blâmable et que l’objectif de l’employeur n’était pas de punir ou de corriger l’employé, la mesure sera généralement qualifiée de non disciplinaire (décision Lindsay, au paragraphe 48, (précitée au paragraphe 29); Canada (Procureur général) c Frazee, 2007 CF 1176, aux paragraphes 23 à 25, [2007] ACF no 1548 [la décision Frazee]; Basra c Canada (Administrateur général – Service correctionnel), 2008 CF 606, au paragraphe 19, [2008] ACF no 777).

57        Certaines mesures sont de toute évidence disciplinaires. Ce serait le cas, par exemple, lorsque l’employeur inflige explicitement une sanction ― comme une suspension ou un congédiement ― en réponse à l’inconduite de l’employé. D’autres situations sont plus nuancées et exigent une appréciation des facteurs susmentionnés pour déterminer si l’intention de l’employeur était effectivement d’infliger une mesure disciplinaire à l’employé même si l’employeur le nie. Le juge Barnes a expliqué dans les termes suivants l’analyse à laquelle il convient de procéder dans la décision Frazee, aux paragraphes 21 à 25 :

[L]a question n’est pas de savoir si la mesure prise par l’employeur est mal fondée ou mal exécutée, mais plutôt si elle constitue une mesure disciplinaire visant la suspension [...] [L]es sentiments d’un employé qui estime avoir été traité injustement n’ont pas pour effet de convertir une mesure administrative en mesure disciplinaire [...] 

[...] Il convient de se demander si l’employeur avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire et si la contestation de sa décision pouvait servir de fondement à une mesure disciplinaire ultérieure [...] 

Néanmoins, il est admis que la façon dont l’employeur choisit de qualifier sa décision ne peut pas être en soi un facteur déterminant. Le concept de mesure disciplinaire déguisée est un facteur déterminant bien connu et nécessaire qui permet à un arbitre de grief d’examiner les éléments sous‑jacents au motif énoncé par l’employeur afin de déterminer quelle était sa véritable intention. Par conséquent, dans la décision Gaw c. Conseil du Trésor (Service national de libération conditionnelle) (1978), 166‑2‑3292 (CRTFP), la tentative de l’employeur de justifier la suspension de l’employé comme étant nécessaire pour permettre la tenue d’une enquête a été rejetée à la lumière de la preuve convaincante qui établissait que la véritable motivation de l’employeur était de nature disciplinaire [...] 

Le problème de la mesure disciplinaire déguisée peut aussi être abordé par l’examen des effets de la mesure sur l’employé. Lorsque l’incidence de la décision de l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué, la décision peut être considérée comme disciplinaire [...] Cependant, cette norme ne sera pas atteinte si la mesure imposée par l’employeur est jugée comme étant une réaction raisonnable (mais pas nécessairement la meilleure) à des considérations opérationnelles honnêtes. 

Parmi les autres facteurs servant à définir la mesure disciplinaire dans le contexte de l’emploi figurent les répercussions de la décision sur les perspectives de carrière de l’employé et les questions de savoir si l’incident en cause ou le point de vue de l’employeur à cet égard peut sembler être lié à la conduite de l’employé pouvant être rectifiée ou à sa conduite coupable, si la décision prise était de nature corrective et si la mesure de l’employeur a eu un effet préjudiciable immédiat sur l’employé

[...]

[Renvois omis.]

[74]           L’arbitre a appliqué ces principes à la présente affaire en commençant par déterminer si la décision de l’employeur de suspendre ou de révoquer la cote de fiabilité était de nature administrative ou disciplinaire. Au paragraphe 838, l’arbitre a écrit ce qui suit : « L’employeur ne pouvait s’appuyer sur le processus d’examen de sécurité simplement pour éviter l’arbitrage pour avoir imposé une mesure disciplinaire à un employé. S’il n’a aucune préoccupation valable au sujet de la cote de fiabilité de la GRC d’un employé, il n’est pas correct de la révoquer. » La question d’établir si la décision était administrative ou disciplinaire est une décision de fait; c’est pourquoi l’arbitre a examiné aussi bien le but que l’effet des gestes posés pour déterminer leur vraie nature.

[75]           L’arbitre a examiné la décision du surintendant principal Lanthier de suspendre et de révoquer la cote de fiabilité de la demanderesse; elle a estimé que l’employeur s’était acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que les décisions de suspension et de révocation étaient de nature administrative. La preuve a démontré que le surintendant principal Lanthier avait pris la décision de révoquer la cote de fiabilité en raison de problèmes de sécurité. Il n’avait pas la compétence pour envisager des mesures disciplinaires ni le pouvoir d’en infliger. Il avait plutôt dû s’assurer qu’il y avait suffisamment de problèmes de sécurité, de confiance, d’honnêteté, de fiabilité et d’intégrité avant de prendre la décision de suspendre ou de révoquer une cote de fiabilité de la GRC pour un motif valable.

[76]           En outre, personne n’a contesté le fait que le surintendant principal Lanthier était l’officier responsable de la Direction de la sécurité ministérielle, et, à ce titre, la seule personne qui avait le pouvoir de suspendre ou de révoquer une cote de fiabilité de la GRC pour un motif valable. À cet égard, l’arbitre a écrit ce qui suit aux paragraphes 842 à 845 :

842      Le témoignage du surintendant principal Lanthier était franc et direct. Il a plus de 30 ans d’expérience au sein de la GRC, il a été un agent de la sécurité ministérielle expérimenté, et il a pris les décisions de suspension et de révocation en s’appuyant sur les éléments de preuve exhaustifs qu’il avait devant lui, après avoir examiné les documents et avoir obtenu l’aide de l’analyste du risque de sécurité expérimenté qu’il comptait dans son équipe à la Direction de la sécurité ministérielle, à Ottawa. Selon son témoignage, il ne connaissait pas la fonctionnaire, M. Briske, le sergent d’état‑major Beach ou le sergent d’état‑major Hildebrand, il ne connaissait le surintendant Morris que pour le poste qu’il occupait, et il n’a eu aucun contact avec l’une ou l’autre de ces personnes pendant son processus décisionnel. Son témoignage n’a pas été contredit [italique ajouté].

843      Le surintendant principal Lanthier a affirmé que sa compétence se limitait à la sécurité de la GRC. Il doit être convaincu qu’il y a des problèmes de sécurité découlant de questions de confiance, d’honnêteté, de fiabilité et d’intégrité avant de prendre la décision de suspendre ou de révoquer une cote de fiabilité de la GRC pour un motif valable, car il comprend bien les conséquences d’une telle décision. Il n’a pas le pouvoir d’imposer des mesures disciplinaires. Le processus décisionnel qu’il suit à la Direction de la sécurité ministérielle pour procéder à une révocation est conçu pour éliminer les questions de discipline et de ressources humaines à propos desquelles il n’a pas de pouvoir ou d’intérêt.

844      Le surintendant principal Lanthier a indiqué qu’après avoir examiné le dossier et en avoir discuté avec l’analyste du risque de sécurité de son équipe qui l’a examiné en détail, il était convaincu que la situation justifiait la suspension de la cote de fiabilité de la GRC de la fonctionnaire pour un motif valable, mais qu’il fallait procéder à une enquête plus approfondie avant de rendre une décision définitive. À ce moment‑là, il était d’avis que, comme il était écrit dans la lettre de suspension du 22 mars 2005, la fonctionnaire avait donné des renseignements trompeurs et mensongers à Mme Bailey, au surintendant Morris, au sergent d’état‑major Hildebrand et au sergent d’état‑major Beach lors de cinq incidents, ce qui soulevait pour lui des préoccupations quant à sa fiabilité, à sa capacité d’être digne de confiance et à son honnêteté. Il lui a accordé 14 jours pour présenter des observations écrites.

845      Le surintendant principal Lanthier a indiqué que, lorsqu’il a décidé, en juillet 2005, de révoquer la cote de fiabilité de la GRC de la fonctionnaire pour un motif valable, il avait devant lui toute la documentation exhaustive contenue dans le cartable portant le numéro de pièce 1. Les documents comprenaient trois longues observations écrites par la fonctionnaire pour expliquer sa version des événements. Deux de ces observations étaient adressées à la Section de la sécurité ministérielle de la Région du Pacifique et portaient les dates du 27 janvier 2005 et du 9 février 2005. Elle les a envoyées au surintendant principal Lanthier en avril 2005, en même temps que sa réponse à la lettre de suspension du 22 mars 2005. Elle a joint de nombreux autres documents à sa réponse, y compris les transcriptions qu’elle avait faites de ses enregistrements secrets.

[77]           Le surintendant principal Lanthier a également estimé que la réponse de la demanderesse ne portait pas sur les questions de sécurité soulevées dans la lettre de suspension. La demanderesse avait plutôt abordé, comme l’a mentionné l’arbitre au paragraphe 846, « des questions générales de gestion et de rendement qui n’étaient pas de son ressort ». En outre, le surintendant principal Lanthier a conclu que le comportement de la demanderesse au cours des six incidents qu’il avait relatés dans sa décision de révocation « démontrait un manque d’honnêteté, de capacité d’être digne de confiance et d’intégrité de sa part » (les six incidents). J’examine ci‑après les six incidents en question.

XI.             LA DEMANDERESSE NE S’EST PAS ACQUITTÉE DU FARDEAU DE LA PREUVE

[78]           Dès lors que l’arbitre a établi que le surintendant principal Lanthier avait pris une décision administrative, il incombait à la demanderesse de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que cette décision était une mesure disciplinaire déguisée ou une décision entachée de mauvaise foi ou de manquement à l’équité procédurale de sorte qu’on ne pouvait y remédier au moyen d’un arbitrage de novo. Par conséquent, il s’agissait de déterminer si la décision de l’employeur de révoquer la cote de fiabilité de la GRC de la demanderesse pour un motif valable était fondée sur une raison légitime liée à la sécurité. L’arbitre a examiné s’il y avait preuve de mauvaise foi, afin de déterminer si le motif de sécurité invoqué pour justifier les décisions concernant la cote de fiabilité pouvait dissimuler une intention de mesure disciplinaire ou un autre motif inavoué à l’égard duquel l’arbitre aurait compétence en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP.

[79]           La décision portait sur l’examen des six incidents invoqués par le surintendant principal Lanthier pour justifier ses décisions concernant la cote de fiabilité, et sur la question de savoir si ces décisions démontraient l’existence d’un motif douteux ou d’une mesure disciplinaire déguisée. Cette analyse a nécessité une évaluation de la crédibilité et un examen de témoignages contradictoires, mais non le règlement de toutes les différences factuelles soulevées dans l’affaire. Au paragraphe 863, l’arbitre a déclaré qu’elle avait dû résoudre suffisamment de différences factuelles « pour pouvoir déterminer si le surintendant principal Lanthier a agi de bonne foi ou s’il a inventé des faits, ou a été amené par le surintendant Morris à inventer la justification de sécurité requise qui a servi à déguiser des intentions qui n’avaient rien à voir avec la fiabilité de la fonctionnaire pour son emploi à la GRC ».

[80]           L’arbitre a ensuite effectué une analyse approfondie des six incidents dont avait fait état le surintendant principal Lanthier dans ses décisions de suspendre et de révoquer la cote de fiabilité de la demanderesse; dans la décision de suspension, énoncée au paragraphe 689, il faisait état de cinq incidents, mais il a divisé un des incidents en deux dans sa décision de révocation énoncée au paragraphe 703 :

1)        Lors d’une réunion conjointe syndicale‑patronale tenue le 22 janvier 2003 à Vancouver, la demanderesse a déclaré qu’elle avait proposé la candidature de plusieurs fonctionnaires pour la médaille du Jubilée de la Reine et qu’elle avait soumis les formulaires de mise en candidature à la gestionnaire de bureau, Mme Bonnie Bailey, mais que cette dernière ne les avait pas fait suivre. Cela donnait à penser que Mme Bailey avait omis intentionnellement ou par négligence de faire suivre les mises en candidature. Le surintendant principal Lanthier a conclu que la demanderesse avait remis les formulaires de mise en candidature après la réunion. L’arbitre a examiné en détail les éléments de preuve contradictoires sur cet incident, constaté que certains éléments soulevaient des préoccupations quant à la crédibilité de la demanderesse et tiré plusieurs conclusions contredisant la demanderesse aux paragraphes 906 à 913; l’arbitre a notamment conclu que la demanderesse n’avait jamais soumis les candidatures en mai 2002, comme elle l’a prétendu;

2)        Le 30 janvier 2003, la demanderesse a envoyé un courriel à Mme Bailey concernant la fin de la formation sur la sensibilisation au harcèlement, dans lequel elle mentionnait que la formation devait se terminer avant le 31 mars 2003, mais aucune preuve n’appuie cette allégation. L’arbitre a trouvé curieux que la demanderesse n’ait pas apporté de précisions à ce sujet avant avril 2005, quand elle avait écrit au surintendant Morris, en réponse à la suspension de sa cote de fiabilité. Ainsi, l’arbitre a écrit : « La présentation en 2005 d’une nouvelle version de cette déclaration concernant une date de fin qu’elle avait faite au début de 2003 et qui la montre sous un éclairage beaucoup plus favorable me pousse à croire qu’elle était prête à changer sa version des faits pour servir ses intérêts » (Bergey, précitée, au paragraphe 895);

3)        Le 24 septembre 2004, la demanderesse a donné des renseignements contradictoires au sergent d’état‑major Hildebrand, mentionnant d’abord qu’elle n’a pas envoyé de correspondance à l’extérieur du bureau, avant de revenir sur sa déclaration et d’ajouter qu’elle avait envoyé des rapports de continuation à Mme Bouchard pour qu’elle les garde en lieu sûr, bien que cela se soit produit avant que le sergent d’état‑major Hildebrand n’ait effectué une enquête de sécurité. L’arbitre a conclu que le sergent d’état‑major Hildebrand était un témoin crédible à l’audience et que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible, soulignant qu’elle « a menti ou, au mieux, qu’elle a intentionnellement induit le sergent d’état‑major Hildebrand en erreur pendant l’entrevue concernant plusieurs points, et que ce dernier avait des motifs solides pour conclure dans son rapport qu’elle n’avait pas été crédible pendant l’entrevue » (Bergey, précitée, au paragraphe 881);

4)        Pendant plusieurs années, la demanderesse avait saisi correctement des données sur la circulation dans le système du CIPC, mais pour une raison inconnue, elle s’était mise par la suite à entrer des numéros de dossier inexacts dans le système, ce qu’elle avait continué à faire, malgré la formation supplémentaire fournie par son superviseur. L’arbitre a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un problème de rendement, puisque la fréquence des erreurs et les conséquences de celles‑ci ont fait en sorte que l’employeur ne pouvait plus avoir l’assurance que l’employée s’acquitterait correctement de ses fonctions : « Selon un incident documenté, une de ces erreurs a donné lieu à l’arrestation illégale d’un citoyen en raison d’une saisie de données erronée par la fonctionnaire » (Bergey, précitée, au paragraphe 921);

5)        La demanderesse a fait des allégations non fondées selon lesquelles le surintendant Morris n’avait pas pris au sérieux le harcèlement, alors que la prépondérance de la preuve établissait le contraire. En effet, la direction a fait une enquête exhaustive sur les allégations de harcèlement de la demanderesse et a établi qu’elles étaient non fondées ou sans motif; un examen ultérieur de la plainte avait d’ailleurs confirmé ces conclusions. L’arbitre a fait une évaluation détaillée de la question et a conclu que la preuve avait démontré la véracité du témoignage du surintendant Morris selon lequel il prenait le harcèlement au sérieux (Bergey, précitée, au paragraphe 518) :

a)         Il n’a pas confié à un membre du personnel son enquête sur les plaintes de la demanderesse, malgré son horaire chargé en tant que chef du District nord de la Division;

b)        Bien qu’il ait conclu que les allégations de la demanderesse concernant M. Stephenson, un commissionnaire à la réception, étaient non fondées, il a examiné attentivement la documentation de la demanderesse et a adopté la politique de la porte ouverte envers elle, c’est-à-dire qu’il l’encourageait à lui faire part sur‑le‑champ de tout incident qui pourrait se produire de nouveau;

c)         Lorsque la demanderesse l’a informé d’un nouvel incident, il a immédiatement convoqué les parties pour entendre leurs versions respectives de l’incident, le 30 janvier 2004;

d)        De plus, le 14 octobre 2003, il a organisé sans tarder une réunion de sensibilisation au harcèlement pour tous les employés du Bureau du district nord, après que la demanderesse eut fait circuler à grande échelle un courriel, le 1er octobre 2003, dans lequel elle l’accusait de ne pas prendre au sérieux le harcèlement.

En outre, l’arbitre a conclu que la sincérité ou l’honnêteté de la demanderesse, qui estime que la direction n’a pas traité efficacement la question du harcèlement « ne change pas le fait que ses allégations non fondées sont examinées pour établir la crédibilité de ses éléments de preuve et sont considérées pour établir la crédibilité des témoignages des témoins de l’employeur, qui ont dû composer avec son comportement » (Bergey, précitée, au paragraphe 916).

6)             Le 29 octobre 2004, le sergent d’état‑major Beach, le supérieur hiérarchique direct de la demanderesse, a imprimé un courriel pour ses dossiers; la demanderesse a alors ramassé le courriel ainsi que les autres documents imprimés et a dit au sergent d’état‑major que les documents imprimés étaient les siens. Elle a ensuite montré au caporal Flewelling une copie du courriel envoyé par le sergent d’état‑major Beach. L’arbitre a fait observer que la question de savoir si la demanderesse avait menti ou non à son superviseur ne mettait pas en jeu l’évaluation d’une contradiction entre les témoignages, mais qu’il s’agissait plutôt d’une question de crédibilité. Lors de l’audience, la demanderesse a évité un déni catégorique qu’elle a menti au sergent d’état‑major Beach à propos du courriel ramassé à l’imprimante, préférant parler d’un autre incident survenu la veille avec le sergent d’état‑major relativement à l’imprimante. L’arbitre a conclu que le récit de l’événement fait par le sergent d’état‑major Beach était essentiellement exact, que la demanderesse avait ramassé le courriel de l’imprimante et qu’elle avait nié l’avoir fait.

[81]           Après avoir analysé en profondeur ces six incidents, l’arbitre a conclu, aux paragraphes 962 et 963, 934 et 935, que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, relativement aux décisions de suspension et de révocation prises par le surintendant principal Lanthier :

962      [...] que l’employeur a agi de mauvaise foi ou que les motifs cités dans ses lettres de révocation étaient des supercheries ou servaient à camoufler des mesures disciplinaires déguisées, ou tout autre motif ultérieur. Les incidents décrits ne sont pas que des questions de ressources humaines ou de discipline, comme elle l’a allégué. Le surintendant principal Lanthier et le surintendant Morris ont été en mesure d’évaluer sa fiabilité en s’appuyant seulement sur son comportement. La preuve a démontré que les décisions qu’ils ont prises étaient motivées par de sérieuses préoccupations concernant son honnêteté, sa capacité d’être digne de confiance et sa fiabilité, qui étaient illustrées par son comportement.

963      Je ne crois pas que la preuve produite permet d’établir que le surintendant Morris a agi de façon inappropriée en lançant le processus d’examen de sécurité en novembre 2004, ni que l’employeur a fait preuve de mauvaise foi en rassemblant un cartable de documents contextuels aussi exhaustif que possible en vue de l’examen par l’agent de la sécurité ministérielle. Cependant, même si j’avais conclu que le surintendant Morris avait mal agi en lançant ce processus, la preuve ne m’indiquerait pas que le surintendant principal Lanthier était tellement naïf et inexpérimenté qu’il aurait été dupé, manipulé ou berné par le surintendant Morris pour qu’il prenne autrement que de bonne foi sa décision à partir de ses véritables préoccupations en matière de sécurité, préoccupations qui découlaient de la conduite de la fonctionnaire lors des six incidents sur lesquels il s’est appuyé. Je n’aurais pas non plus conclu, si le surintendant Morris avait mal agi en lançant le processus d’examen de sécurité, que ses actions auraient affecté les décisions de révocation de l’agent de la sécurité ministérielle à un point tel que le présent arbitrage n’y aurait pas remédié.

[...]

934      Il ne fait aucun doute que la fonctionnaire a sorti des documents du Bureau du district nord à plus d’une occasion tout en le niant, ni qu’elle a menti plus d’une fois à la direction et qu’elle a manqué de franchise auprès d’autres personnes plutôt que d’admettre ses torts. Il s’agit là de facteurs légitimes pour que l’agent de la sécurité ministérielle considère, lorsqu’il a formé son opinion, qu’il ne pouvait plus avoir confiance que la fonctionnaire n’abuserait pas de son pouvoir à titre d’employée de la GRC.

935      Les incidents décrits ne sont pas que des questions de ressources humaines ou de discipline, comme l’a soutenu la fonctionnaire. Le surintendant principal Lanthier devait évaluer sa fiabilité à partir de son comportement. À mon avis, son comportement lors des incidents décrits lui donnait des motifs amplement suffisants pour se former, en toute bonne foi, l’opinion subjective qu’on ne pouvait plus compter sur la fonctionnaire pour qu’elle ne trahisse pas la confiance qui lui était accordée et pour qu’il exerce son pouvoir discrétionnaire de révoquer sa cote de fiabilité de la GRC.

[82]           Par conséquent, l’arbitre a conclu à raison qu’elle n’avait pas compétence pour entendre les griefs visant les décisions de suspendre ou de révoquer la cote de fiabilité de la demanderesse pour motif valable et elle a rejeté ces griefs en conséquence. Je conclus que cette décision est raisonnable.

XII.          LE REJET DES AUTRES GRIEFS S’EN EST SUIVI LOGIQUEMENT

[83]           Je conclus qu’une fois que l’arbitre a jugé qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur les décisions concernant la cote de fiabilité, puisqu’il s’agissait de décisions administratives et non pas disciplinaires, le rejet des autres griefs de la demanderesse devait s’ensuivre logiquement :

1)        Grief concernant la représentation syndicale : la conclusion selon laquelle les décisions concernant la cote de fiabilité étaient administratives et non disciplinaires signifiait que l’article de la convention collective sur la discipline ne s’appliquait pas; l’arbitre a donc rejeté le grief concernant la représentation syndicale.

2)        Suspension d’emploi : il ressort de la preuve que l’employeur a pris les décisions administratives le 24 mars 2005 et le 4 août 2005, de suspendre la demanderesse indéfiniment, sans salaire, au seul motif que la perte de sa cote de fiabilité signifiait qu’elle ne satisfaisait plus à une condition essentielle de son emploi. L’arbitre a fait observer au paragraphe 994 que :

994      [...] [L]e témoignage non contesté du surintendant principal Clark, qui a remis les deux lettres de suspension à la fonctionnaire, a démontré que le bureau des Ressources humaines de la fonction publique de la Région du Pacifique, qui a rédigé les lettres pour qu’il les signe, l’a avisé qu’il n’y avait pas d’autres choix. La cote de fiabilité de la GRC est la cote de sécurité la plus basse possible, et il s’agit d’une des conditions d’emploi à la GRC.

Le surintendant principal Clark a déclaré qu’une personne ne pouvait pas, sans cote de fiabilité de la GRC, accéder aux dossiers et aux données de la GRC ni accéder à une propriété de la GRC sans être escortée en tout temps. Par conséquent, l’arbitre a rejeté les griefs pour défaut de compétence.

3)        Grief concernant le licenciement : Enfin, l’arbitre a rejeté le grief de la demanderesse concernant son licenciement. Elle a souligné qu’elle avait compétence pour statuer sur le licenciement en vertu du paragraphe 209(1) de la LRTFP, puis constaté que la demanderesse avait été congédiée pour un motif valable conformément au paragraphe 12(3) de la LGFP. Comme pour le grief concernant la suspension, l’arbitre a conclu qu’après la révocation de ladite cote de fiabilité de la GRC, la demanderesse ne remplissait plus une condition de son emploi. L’arbitre a conclu que la décision de congédier la demanderesse pour cette raison « n’était pas motivée par de la mauvaise foi, et puisqu’on a remédié à tout vice de procédure par le présent arbitrage, je conclus que l’employeur avait un motif valable, aux termes du paragraphe 12(3) de la LGFP, pour la licencier le 3 janvier 2006. Je rejette le grief de licenciement » (Bergey, précitée, au paragraphe 1003).

XIII.       LES CONCLUSIONS DE FAIT

[84]           L’arbitre a tiré plusieurs conclusions de fait. Certaines n’ont pas été contestées; d’autres l’ont été, ce qui a nécessité une pondération de la preuve. Dans d’autres aspects, la demanderesse allègue qu’il n’a pas été tenu compte des faits qui militaient en sa faveur.

[85]           De telles conclusions relèvent du champ d’expertise d’un arbitre et ne devraient pas constituer des motifs justifiant de renvoyer l’affaire, dans un contrôle judiciaire, pour qu’une nouvelle décision soit rendue à condition qu’elles respectent les limites de la décision raisonnable. Je répète les extraits bien connus des motifs des juges Bastarache et LeBel aux paragraphes 46 et 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190 :

46        En quoi consiste cette nouvelle norme de la raisonnabilité? Bien que la raisonnabilité figure parmi les notions juridiques les plus usitées, elle est l’une des plus complexes. La question de ce qui est raisonnable, de la raisonnabilité ou de la rationalité nous interpelle dans tous les domaines du droit. Mais qu’est‑ce qu’une décision raisonnable? Comment la cour de révision reconnaît‑elle une décision déraisonnable dans le contexte du droit administratif et, plus particulièrement, dans celui du contrôle judiciaire?

47         La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[86]           J’ajouterais à cela l’arrêt rendu récemment par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, dans lequel le juge Gascon, rédigeant pour la majorité, a écrit au paragraphe 46 que la déférence s’impose lorsqu’un tribunal agit à l’intérieur de son champ d’expertise.

[87]           Je cite également à bon escient les passages bien connus de la décision rendue par le juge Evans (tel était alors son titre) de la Cour fédérale Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n1425, 157 FTR 35 (CF 1re inst.), aux paragraphes 14 à 17 :

14        Il est bien établi que l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n’autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l’espèce à celle de la Commission, qui a l’avantage non seulement de voir et d’entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d’expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l’allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d’enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l’intervention de la Cour en vertu de l’alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle‑ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu’elle en est venue à cette conclusion « sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] » : voir, par exemple, Rajapakse c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1993] A.C.F. no 649 (C.F. 1re inst.); Sivasamboo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1995] 1 C.F. 741 (C.F. 1re inst.).

15        La Cour peut inférer que l’organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait]» du fait qu’il n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l’organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation qu’un organisme donne de sa loi constitutive, s’il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d’un organisme en l’absence de conclusions expresses et d’une analyse de la preuve qui indique comment l’organisme est parvenu à ce résultat.

16        Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut‑être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l’organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l’organisme a analysé l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

17        Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[88]           Les observations de la demanderesse reposaient, dans une large mesure, sur des conclusions que l’arbitre aurait pu tirer en sa faveur; la demanderesse a insisté sur des éléments de preuve auquel l’arbitre aurait dû accorder plus de poids ou sur des éléments qui n’ont pas été mentionnés dans ses motifs et qui, selon elle, ont été laissés de côté par l’arbitre délibérément ou par inadvertance. Je ne me référerai pas à toutes les questions qui ont été portées à mon attention; je m’en tiendrai à celles qui suivent, en plus des six incidents examinés précédemment :

           Pizarro et la transcription : La demanderesse a fait valoir que, comme dans le cas de la décision Pizarro c Canada (Procureur général), 2010 CF 20, rendue par le juge Phelan, l’arbitre a agi de façon déraisonnable et a manqué à son devoir d’équité procédurale en omettant de vérifier l’exactitude de la transcription de l’enregistrement fait par la demanderesse en secret et en omettant de faire état du rapport du Dr Masters. La décision Pizarro, précitée, portait sur la décision prise par le commissaire intérimaire de la GRC, lequel avait rejeté le recours exercé par M. Pizarro contre une décision par laquelle un comité d’arbitrage lui avait ordonné de démissionner de la GRC dans les quatorze (14) jours, sans quoi il serait renvoyé. Lorsqu’il a rendu cette décision, le commissaire a conclu que la Commission avait commis l’erreur de n’accorder aucun poids à la preuve psychologique de Mme Aubé établissant un rapport de cause à effet entre la conduite de M. Pizarro et son état psychique « mais que cette preuve ne serait pas acceptée ni ne changerait quoi que ce soit au résultat » (Pizarro, précitée, au paragraphe 41). Le juge Phelan a conclu ce qui suit aux paragraphes 52 et 53 :

52        Les déclarations de Mme Aubé formaient un élément absolument essentiel des moyens de preuve de M. Pizarro. Mme Aubé est hautement qualifiée, et suffisamment compétente pour avoir fourni ses services à la GRC durant 18 ans et donc, sans doute, pour être généralement crédible aux yeux de cette dernière. Son témoignage portait non seulement sur l’état mental de M. Pizarro, mais aussi sur la manière dont cet état pourrait se manifester par un [traduction] » passage à l’acte ». Autre chose importante, l’opinion de Mme Aubé donnait à entendre que la direction de la GRC avait sa part de responsabilité dans les événements.

53        Devant une erreur de l’importance de celle commise par le comité, le commissaire aurait normalement dû renvoyer l’affaire à un comité différemment constitué. Selon le principe formulé dans Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, arrêt invoqué par les défendeurs, c’est seulement dans des cas exceptionnels qu’une erreur en matière d’équité ne commande pas une mesure de redressement, au moins sous la forme d’une nouvelle audience. Or l’erreur qui nous occupe ne relève pas d’un de ces cas exceptionnels. Ce point suffirait à lui seul à justifier l’accueil de la présente demande de contrôle judiciaire.

Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il souligne au paragraphe 53 de ses observations écrites que [traduction] « la transcription de l’enregistrement fait par Mme Bergey en secret est loin d’être le même type d’élément de preuve que celui qui a été rejeté dans l’affaire Pizzaro ». Bien que la demanderesse ait déclaré au paragraphe 21 de ses observations écrites que [traduction] « l’enregistreur a tout capté », l’arbitre a conclu que les transcriptions contenaient souvent des lacunes et le mot « inaudible » (Bergey, précitée, aux paragraphes 37, 265 et 526). En outre, l’arbitre n’a pas accordé beaucoup de poids aux enregistrements, parce que « selon toute logique, la personne qui enregistre fera très attention à ce qu’elle dit et cherchera, souvent, à manipuler l’autre personne pour qu’elle se compromette » (Bergey, précitée, au paragraphe 452). Cette pondération de la preuve, ajoutée à l’examen des événements du 28 octobre 2004 exposé précédemment par l’arbitre, a permis à celle‑ci de conclure raisonnablement que le commentaire marmonné par la demanderesse n’avait « pas été capté par l’enregistreur » qui était dans sa poche (Bergey, précitée, au paragraphe 479).

           Pizarro et le DMasters : La demanderesse a également déclaré que la décision Pizarro étayait son argument selon lequel l’arbitre avait omis de mentionner que le rapport du Dr Masters démontrait que le surintendant Morris avait inventé les préoccupations de sécurité dont il a fait état dans la note de service envoyée le 29 novembre 2004 à la Section de la sécurité ministérielle de la Région du Pacifique. Cela fait référence à l’examen obligatoire d’aptitude au travail de décembre 2004, dans lequel le Dr Prendergast avait évalué de nouveau la demanderesse, après avoir lu la note de service du surintendant Morris; le DPrendergast avait alors dit craindre que la demanderesse ne souffre d’une maladie mentale qu’il était incapable de diagnostiquer. C’est pourquoi le Dr Prendergast avait communiqué avec le Dr Masters pour obtenir un examen médical indépendant de la demanderesse. Le Dr Masters s’est par la suite entretenu avec la demanderesse et a examiné les documents ayant trait aux événements en cause dans l’arbitrage, avant de conclure ce qui suit le 23 mars 2004 : [traduction] « Il n’y a rien qui me porte à croire que Mme Bergey a un état de santé qui nécessiterait des soins psychiatriques ou médicaux particuliers » (à la page 271 du dossier de la demande). Bien que l’arbitre n’ait pas mentionné ce rapport, il n’y a rien dans celui‑ci qui contredit la conclusion raisonnable de l’arbitre selon laquelle le surintendant Morris avait agi de bonne foi lorsqu’il a fait part de ses préoccupations de sécurité concernant la demanderesse dans la note envoyée le 29 novembre 2004. Cela ne contredit pas non plus la conclusion subsidiaire de l’arbitre selon laquelle, même si le surintendant Morris avait agi de mauvaise foi en faisant part de ses préoccupations de sécurité, cela ne changerait rien au fait que le surintendant principal Lanthier a pris de bonne foi les décisions concernant la cote de fiabilité, en fonction de véritables préoccupations de sécurité. En outre, contrairement à la décision Pizarro, le médecin, en l’occurrence le Dr Masters, n’a pas donné dans son rapport d’explication psychiatrique ou médicale au comportement de la demanderesse, que l’arbitre aurait dû examiner.

           Manquement à l’équité procédurale : Dans son mémoire, la demanderesse soutient souvent que l’arbitre n’a pas tenu compte des situations où l’employeur l’a traitée injustement dans le cadre de la procédure disciplinaire et dans ses décisions de suspendre et de révoquer sa cote de fiabilité. Une lecture des motifs démontre que cela est manifestement faux. L’arbitre a traité explicitement les arguments de la demanderesse et a admis qu’il y avait eu des lacunes procédurales. Elle a par exemple conclu qu’il était clair que la demanderesse n’avait pas « eu la chance de présenter ses observations sur la question de savoir si sa cote de fiabilité de la GRC devrait être suspendue avant que l’agent de la sécurité ministérielle [le surintendant principal Lanthier] prenne, en mars 2005, la décision provisoire de suspendre sa cote de fiabilité en attendant les résultats d’une enquête plus approfondie » (Bergey, précitée, au paragraphe 970). L’arbitre a toutefois conclu que les manquements relevés par la demanderesse étaient insuffisants pour la décharger du fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les décisions concernant sa cote étaient en réalité des décisions disciplinaires ou des décisions prises de mauvaise foi. Enfin, l’arbitre a écrit : « Je conclus également que, si le processus qui a mené l’employeur à décider de révoquer la cote de la fonctionnaire comportait des lacunes procédurales, ces dernières ont été corrigées complètement par le présent processus d’arbitrage, qui comprenait une audience de novo de 38 jours, dont près de 7 jours et demi ont été consacrés au témoignage de la fonctionnaire et 5 jours à l’interrogatoire principal » (Bergey, précitée, au paragraphe 984). Le même raisonnement est appliqué à l’audience disciplinaire relative à la suspension de 10 jours. De telles conclusions étaient raisonnables (Tipple, précitée).

           Les toilettes : L’arbitre a jugé que la demanderesse avait refusé de rencontrer le surintendant Morris le 28 octobre 2004 et qu’elle avait continué son chemin en lui disant qu’elle devait aller aux toilettes. Mme Bailey est allée aux toilettes et a reconnu la demanderesse par ses chaussures; elle était restée debout dans une cabine pendant vingt minutes, ce dont Mme Bailey a pris note. La demanderesse a fait valoir que l’arbitre n’avait pas commenté l’inconvenance du geste de Mme Bailey, laquelle avait pris note des mouvements de la demanderesse dans les toilettes. Je conviens que le comportement de Mme Bailey, le 28 octobre 2004, peut sembler discutable, pris isolément. Toutefois, je suis d’accord avec l’arbitre pour dire qu’il faut replacer le comportement de Mme Bailey dans le contexte de sa relation difficile avec la demanderesse. L’arbitre a fait observer que Mme Bailey avait commencé à prendre des note de ses interactions avec la demanderesse, parce qu’elle ne lui faisait plus confiance depuis l’incident du 22 janvier 2003, mentionné précédemment, concernant la médaille du Jubilée de la Reine. Je conclus que la façon contextuelle dont l’arbitre a abordé la preuve a fait en sorte qu’il s’est avéré inutile d’établir si le comportement de Mme Bailey était inapproprié ou non.

           Dirigeant terroriste et « trou de cul de menteur » : La demanderesse affirme qu’elle n’a jamais traité le surintendant Morris de « chef terroriste », mais elle reconnaît avoir dit qu’il gérait par la peur, l’intimidation et la terreur. La demanderesse a également affirmé que l’allégation du surintendant Morris selon laquelle elle aurait qualifié M. Stephenson de « trou de cul de menteur » était une invention; la demanderesse a affirmé sous serment qu’en réalité « elle avait traité M. Stephenson de menteur et de trou de cul, dans deux phrases consécutives » (Bergey, précitée, au paragraphe 960). Je n’ai nul besoin de faire d’autres commentaires sur ces remarques.

[89]           Je n’ai pas l’intention d’examiner les nombreuses autres critiques émises par la demanderesse quant aux conclusions de l’arbitre. Je décide que les conclusions de fait tirées par l’arbitre sont raisonnables et qu’aucune conclusion pertinente n’a été omise.

XIV.       LA TENTATIVE D’OBTENIR UN NOUVEAU PROCÈS

[90]           Les observations de la demanderesse, tant dans ses griefs concernant les mesures disciplinaires que dans ceux qui concernent sa cote de fiabilité, s’articulent autour d’une allégation selon laquelle la direction aurait ourdi un complot en vue de la licencier. Ainsi, la demanderesse a dit que lettre que lui avait remise le surintendant Morris, au sujet des attentes de l’employeur, était un bras de fer visant à l’intimider et à la pousser à retirer ses plaintes et ses griefs. L’arbitre a tiré une conclusion différente.

[91]           Dans le mémoire et les observations qu’elle m’a présentés, la demanderesse s’est essentiellement efforcée de plaider une nouvelle fois sa cause et a cherché à présenter à nouveau sa preuve et les arguments que son avocat, Me Yazbeck, avait fait valoir devant l’arbitre.

[92]           Lors de l’audience, j’ai rappelé à la demanderesse, et je le refais maintenant, que mon rôle dans un contrôle judiciaire est différent; je n’ai pas à tenir un nouveau procès ni à soupeser à nouveau la preuve. Mon rôle est bien décrit par le juge Pelletier, aux paragraphes 44 à 47 de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada (Procureur général) c Select Brand Distributeurs Inc., 2010 CAF 3, 400 NR 76 :

44        Une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal administratif n’est pas un nouveau procès, par la cour de révision, portant sur la question soumise au tribunal administratif. Le point de vue adopté par le juge de première instance en l’espèce peut fort bien se justifier lorsqu’une demande de contrôle judiciaire oblige la Cour à agir comme principal arbitre des faits, comme dans le cas par exemple d’une requête en interdiction présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133. Mais lorsque le tribunal administratif est le principal juge des faits et qu’il a rendu sa décision, la cour de révision ne peut juger de nouveau la question qui était soumise au tribunal administratif en se fondant sur un dossier qui ne correspond pas nécessairement à celui dont disposait le tribunal administratif.

45        Il ne s’ensuit pas pour autant que les questions de fait échappent totalement à la censure de la cour de révision. Les conclusions de fait du tribunal administratif peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire aux termes de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales lorsqu’il n’existe pas d’éléments de preuve qui justifiaient la conclusion à laquelle le tribunal en est venu. Mais la partie qui cherche à faire confirmer la décision du tribunal administratif n’est pas pour autant obligée de présenter des éléments de preuve pour démontrer la véracité des faits sur lesquels le tribunal administratif s’est fondé ou des conclusions de fait tirées par ce dernier.

46        L’obligation d’agir avec équité exige du tribunal administratif qu’il permette aux parties de connaître les éléments auxquels elles doivent répondre et qu’il leur accorde la possibilité de le faire. Lorsqu’en respectant l’obligation de divulgation, on constate que le tribunal administratif a ajouté foi à des faits qui sont contestés par l’une des parties, le différend quant aux faits devrait être tranché en fonction de la procédure à laquelle le tribunal administratif est assujetti. Lorsque le tribunal administratif n’a pas accordé à une partie le droit de contester les faits sur lesquels la décision est fondée, la réparation que peut obtenir cette partie ne consiste pas à chercher à démontrer devant la Cour que les conclusions de fait du tribunal administratif sont erronées, mais à réclamer, par le truchement d’une demande de contrôle judiciaire, une nouvelle audience de manière à pouvoir connaître les éléments de preuve sur lesquels le tribunal administratif s’est fondé et à pouvoir les contester. Dans le cas qui nous occupe, le raisonnement suivi par Gerber a persuadé le juge de première instance de s’arroger le rôle de juge des faits principal, rôle qu’il ne lui appartenait pas d’assumer.

47        Le juge de première instance a par conséquent commis une erreur en estimant que les éléments sur lesquels l’Agence s’était fondée n’étaient pas justifiés et qu’ils ne pouvaient donc appuyer la décision de l’Agence. La question à laquelle le juge était appelé à répondre était celle de savoir si la décision de l’Agence était raisonnable, compte tenu des éléments dont elle disposait. Comme l’affaire doit être renvoyée à l’Agence, je m’abstiens d’exprimer une opinion sur cette question, étant donné que l’Agence sera appelée à l’examiner de nouveau.

XV.          DISPOSITIF ET DÉPENS

[93]           En conclusion, je statue que les décisions prises par l’arbitre étaient dans les limites acceptables de la décision raisonnable et ne doivent pas être annulées dans le présent contrôle judiciaire.

[94]           En ce qui a trait aux dépens, la demanderesse et le défendeur ont suggéré que la partie qui aurait gain de cause se voit adjuger 2 000 $ à titre de dépens. Je suis conscient que la demanderesse a eu de l’aide pour assembler, préparer et faire des copies de plusieurs volumes de documents qui constituent le dossier dont j’ai été saisi, et que cette tâche incombe normalement au demandeur. Je crois comprendre que la demanderesse a des moyens financiers modestes.

[95]           Je n’adjuge aucuns dépens à l’une ou l’autre partie.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS :

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande est rejetée;

2.      L’annexe au mémoire de la demanderesse est radiée;

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Roger T. Hughes »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1392‑13

 

INTITULÉ :

VALERIE BERGEY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 4 et 5 mai 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HUGHES

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 12 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

Valerie Bergey

 

LA DEMANDERESSE,

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Caroline Engmann

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour son propre compte

 

LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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