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Date : 20150512


Dossier : T-1785-14

Référence : 2015 CF 623

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 12 mai 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

AL-ASKARI, SAMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une juge de la citoyenneté a refusé la demande de citoyenneté du demandeur au motif que celui‑ci ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 15(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (la Loi).

II.                Contexte factuel

[2]               Le demandeur est né en 1989 à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, et est devenu résident permanent du Canada le 8 juillet 2004.

[3]               Le demandeur a présenté une demande de citoyenneté le 8 juin 2011. La période pertinente pour déterminer la résidence selon l’alinéa 5(1)c) de la Loi est donc comprise entre le 8 juin 2007 et le 8 juin 2011.

[4]               Le demandeur s’est présenté pour une entrevue avec un agent de la citoyenneté en mars 2013, et à la suite du renvoi de son dossier, a comparu devant la juge de la citoyenneté le 20 novembre 2013.

[5]               Le 12 décembre 2013, le demandeur a présenté des documents supplémentaires quant à ses activités de voyage.

III.             Décision contestée

[6]               Dans une lettre datée du 26 juin 2014, la juge de la citoyenneté a communiqué au demandeur sa décision (datée du 20 janvier 2014) de refuser sa demande de citoyenneté au motif qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence pour la période de quatre ans applicable. En particulier, la juge de la citoyenneté a conclu ceci :

[traduction] […] Je ne suis pas convaincue que les renseignements fournis me permettent de conclure que M. AL‑ASKARI a été effectivement et distinctement présent au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours de la période pertinente examinée, comme le prévoit la loi, pour satisfaire aux exigences de l’alinéa 5(1)c) de la [Loi] sur la citoyenneté.

(Décision et motifs, dossier certifié du tribunal, à la page 13.)

[7]               Dans ses motifs, la juge de la citoyenneté accuse réception des documents supplémentaires que le demandeur a fournis en décembre 2013 et janvier 2014, et qui comprenaient des relevés de notes officiels et des déclarations de revenus.

[8]               D’abord, la juge de la citoyenneté a relevé des divergences dans les absences du Canada que le demandeur a déclarées dans sa demande initiale et son questionnaire sur la résidence. Selon la juge de la citoyenneté, bien que ces différences ayant trait à la longueur des absences n’empêchent pas le demandeur de satisfaire à l’exigence de 1 095 jours prévue par la Loi, elles minent néanmoins sa crédibilité.

[9]               L’agent de la citoyenneté a ensuite procédé à l’analyse des documents de voyage officiels que le demandeur a fournis à l’appui de sa demande de citoyenneté : la traduction du rapport du système de nationalité et de résidence des Émirats arabes unis et les trois passeports syriens du demandeur, dont deux visent l’ensemble de la période examinée.

[10]           La juge de la citoyenneté a exprimé plusieurs préoccupations au sujet des passeports que le demandeur a utilisés lors de ses voyages, selon le rapport du système de nationalité et de résidence des Émirats arabes unis qu’il a fourni. En somme, la juge de la citoyenneté a conclu que la preuve soulevait des [traduction] « doutes quant au caractère complet [des] déclarations du demandeur concernant ses absences du Canada » et qu’elle ne pouvait donc [traduction] « se fier à ces déclarations avec beaucoup de certitude » (décision et motifs, dossier certifié du tribunal, à la page 16).

[11]           La juge de la citoyenneté a ensuite examiné les éléments de preuve documentaire supplémentaires fournis par le demandeur, comme ceux se rapportant aux études au Canada, aux opérations bancaires et financières, à la location, aux liens sociaux et aux autres indices de résidence, afin de confirmer la présence « effective » et « distincte » du demandeur au Canada pendant la période pertinente.

[12]           En particulier, la juge de la citoyenneté a souligné que certaines parties de la période pertinente de quatre ans avaient été oubliées et que certains éléments de preuve équivalaient à des [traduction] « indices passifs » de résidence.

[13]           La juge de la citoyenneté a finalement conclu que les éléments de preuve étaient [traduction] « incomplets, contradictoires et ambigus » et ne constituaient pas des [traduction] « indices de résidence [suffisamment] convaincants » (décision et motifs, dossier certifié du tribunal, à la page 19).

[14]           Ces conclusions ont amené la juge de la citoyenneté à conclure ceci :

[traduction] Compte tenu de tout ce qui précède, je ne suis pas en mesure de déterminer avec certitude ou exactitude le nombre réel de jours pendant lesquels le demandeur a été présent au Canada ni le nombre réel de jours pendant lesquels il a été absent du Canada. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve dont je dispose n’établit pas de façon raisonnable ou suffisante la résidence dans le cas du demandeur.

(Décision et motifs, dossier certifié du tribunal, à la page 19.)

IV.             Dispositions législatives

[15]           L’article 5 de la Loi énonce les exigences auxquelles les demandeurs doivent satisfaire pour obtenir la citoyenneté canadienne. L’alinéa 5(1)c) prévoit notamment que les résidents permanents doivent démontrer qu’ils ont accumulé trois ans de résidence au Canada dans les quatre ans ayant précédé la date de leur demande :

Attribution de la citoyenneté

Grant of citizenship

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

a) en fait la demande;

(a) makes application for citizenship;

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

(b) is eighteen years of age or over;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

V.                Question en litige

[16]           La présente demande soulève la question suivante :

La juge de la citoyenneté a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la présence effective au Canada prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

VI.             Norme de contrôle

[17]           La décision du juge de la citoyenneté quant à savoir si le demandeur a satisfait aux exigences en matière de résidence aux fins de l’établissement de la citoyenneté est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Chaudhry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 179, au paragraphe 20 (Chaudhry); Atwani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1354, au paragraphe 10 (Atwani)).

[18]           La nature hautement discrétionnaire des conclusions de la juge de la citoyenneté commande une grande déférence de la part de la Cour :

[14] Il est maintenant bien établi que la norme de contrôle applicable aux décisions des juges de la citoyenneté est celle de la décision raisonnable : voir, par ex., Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 483; Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1140.  Qu’il s’agisse de questions mixtes de droit et de fait, comme lorsqu’il s’agit d’appliquer l’un des tests jurisprudentiels sur la notion de résidence aux faits particuliers de l’espèce, ou de questions purement factuelles, comme la computation des journées d’absence, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick (2008 CSC 9) enseigne que la Cour de révision doit faire preuve de déférence et résister à la tentation de substituer sa propre évaluation à celle du juge de la citoyenneté.  Dans la mesure où la décision contestée est intelligible et bien motivée, et qu’elle peut être considérée comme une solution acceptable au vu de la preuve et du droit, elle ne saurait faire l’objet de contrôle judiciaire : Paez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 204.

(El Falah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] ACF 1402, au paragraphe 14.)

[19]           Il ne relève donc pas du mandat de la Cour de substituer son évaluation aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit de la juge de la citoyenneté (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vijayan, 2015 CF 289, au paragraphe 64; Qureshi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1081, au paragraphe 38).

VII.          Analyse

[20]           Il incombe au demandeur de produire une preuve suffisante démontrant qu’il satisfait aux exigences en matière de résidence énoncées à l’alinéa 5(1)c) de la Loi (Mizani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 698, au paragraphe 19; Chaudhry, précité, au paragraphe 25). Le raisonnement exposé par la juge Judith A. Snider dans la décision Atwani, précitée, est éclairant :

[12] Le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en n’établissant pas avec précision le nombre de jours pendant lesquels il avait été effectivement présent au Canada. Il soutient qu’à défaut de le faire, la juge ne pouvait à juste titre conclure que le critère de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) n’était pas respecté. À mon avis, cet argument comporte un vice fondamental. C’est au demandeur – et non au juge de la citoyenneté – qu’il incombe d’établir, au moyen d’une preuve claire et convaincante, le nombre de jours de résidence. En l’espèce, le demandeur n’a pas produit de preuve cohérente et crédible concernant ses absences du Canada.

[13] Comme l’affirmait récemment le juge Rennie, au paragraphe 8 de la décision Abbas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF, [2011] ACF no 167 :

Indépendamment du critère qui est retenu, il incombe à tout candidat à la citoyenneté de soumettre des éléments de preuve suffisamment crédibles pour permettre l’appréciation de la résidence, qu’elle soit quantitative (Pourghasemi) ou qualitative (Koo).

[Non souligné dans l’original.]

[21]           En l’espèce, le demandeur devait établir au moins 1 095 jours de présence effective au Canada au cours de la période de quatre ans comprise entre juin 2007 et juin 2011.

[22]           La juge de la citoyenneté a finalement conclu que la preuve du demandeur manquait de clarté et de crédibilité et était dans l’ensemble ambigüe, ce qui l’a amenée à conclure que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir sa présence effective au Canada pendant la période pertinente.

[23]           Le demandeur affirme que l’agent de la citoyenneté a fait des erreurs de calcul à l’égard du nombre de jours d’absence du Canada du demandeur, minant ainsi déraisonnablement sa crédibilité. Le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que ses données de passeports, ou même la preuve de son inscription continue à des établissements d’enseignement canadiens, comme en font foi des relevés de notes et attestations d’études, ne permettent pas, en soi, d’établir sa présence effective au Canada durant le minimum requis de 1 095 jours. Le demandeur soutient en outre que l’application stricte du critère de la présence effective rend superflues les conclusions de la juge de la citoyenneté quant aux autres indices de résidence comme les opérations bancaires, le logement et les autres activités sociales.

[24]           La Cour estime que les observations du demandeur ne constituent qu’un simple désaccord avec l’appréciation de la preuve par la juge de la citoyenneté et n’établissent aucunement l’existence d’une erreur susceptible de révision.

[25]           La Cour est d’avis que la juge de la citoyenneté a procédé à une analyse approfondie du dossier de preuve dont elle disposait et relevé plusieurs lacunes dans la preuve de la présence effective du demandeur au Canada pendant la période de quatre ans pertinente.

[26]           Après avoir examiné la décision et les motifs de la juge de la citoyenneté, les observations des parties et le dossier certifié du tribunal, la Cour ne trouve aucune raison d’intervenir.

VIII.       Conclusion

[27]           À la lumière de ce qui précède, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1785-14

 

INTITULÉ :

AL-ASKARI, SAMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Sami Al-Askari

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Émilie Tremblay

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANEUR

 

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