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Date : 20150515


Dossier : IMM-6948-14

Référence : 2015 CF 638

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2015

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

XUE FANG YANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle un agent d’immigration (l’agent) a refusé d’accorder une exemption qui aurait permis de traiter à partir du Canada la demande de résidence permanente de la demanderesse pour des motifs d’ordre humanitaire.

La question au cœur de l’affaire était l’intérêt supérieur de l’enfant.

II.                Le contexte

[2]               La demanderesse, qui a un enfant de neuf ans nommé Alex, est une citoyenne de la Chine. Elle est divorcée et son ancien époux vit en Chine, tout comme sa fille de 19 ans. Alex est né et a vécu toute sa vie au Canada.

La demande d’asile de la demanderesse a été rejetée en octobre 2009. La demande de résidence permanente a été présentée à partir du Canada en mai 2014.

[3]               La demanderesse a appuyé sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sur son établissement au Canada, sur l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que sur le préjudice et la situation défavorable en Chine.

[4]               Voici le résumé de la décision de l’agent se rapportant aux trois motifs invoqués :

a)                  Situation du pays et préjudice

La demanderesse n’a aucunement mentionné qu’elle craignait de pratiquer sa religion en Chine et il n’y avait pas d’éléments de preuve suffisants révélant que les autorités se préoccupent de ses pratiques religieuses.

La demanderesse n’aurait pas à payer les frais d’indemnisation sociale, qui sont imposés lorsque la naissance d’un enfant contrevient à la politique de l’enfant unique.

b)                  Intérêt supérieur de l’enfant

L’enfant est un citoyen canadien qui avait huit ans lorsque la décision a été rendue. Il n’a plus besoin des services réservés aux enfants en bas âge.

L’enfant a grandi dans la culture cantonaise, car il a fréquenté l’église de ses grands‑parents et a habité dans le quartier chinois et le quartier Strathcona de Vancouver. Il a donc été exposé aux réalités culturelles et linguistiques de la ville natale de sa mère (celle‑ci s’exprime surtout en cantonais).

La proximité du père pourrait être dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Malgré la possibilité qu’il existe des difficultés d’adaptation initiales, la demanderesse pourrait compter sur le soutien de membres de sa famille et d’amis.

c)                  Établissement

La demanderesse a pris des mesures en vue de s’intégrer, mais sur le plan de l’emploi, elle s’est contentée de faire la même chose que les autres personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne.

[5]               L’agent a conclu que la demanderesse avait fourni peu d’éléments de preuve indiquant que le déménagement en Chine serait contraire à l’intérêt supérieur de son fils ou l’empêcherait de répondre aux [traduction] « besoins de base » d’Alex.

III.             Analyse

[6]               Le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Serrano Lemus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1274, 221 ACWS (3d) 966).

[7]               Ceci étant dit, je rejette l’argument du défendeur selon lequel un large pouvoir discrétionnaire se traduit par une grande variété d’issues acceptables raisonnablement larges. Ce sont les faits et les circonstances, et non l’étendue du pouvoir discrétionnaire, qui limitent l’évaluation du caractère raisonnable. Même s’il existe un large pouvoir discrétionnaire, il se peut que, compte tenu des faits, le nombre d’issues acceptables soit restreint.

[8]               Dans ces circonstances, l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant effectuée par l’agent est déraisonnable.

[9]               Dans l’arrêt Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360, la Cour d’appel a conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant constitue un facteur important, mais qu’il n’est pas déterminant en soi. Toutefois, si un agent n’évalue pas ce facteur de façon raisonnable, il fait pencher la pondération des facteurs aux termes de l’article 25 et il est probable que celle‑ci devienne déraisonnable.

[10]           Lorsqu’il laisse entendre que le fils de la demanderesse a, d’une certaine manière, une culture équivalente à celle de la Chine, car il a été exposé au cantonais, l’agent écarte de façon déraisonnable le fait que l’enfant parle seulement anglais et qu’il a reçu son éducation dans cette langue. Lorsque l’agent s’appuie sur la présence de l’enfant aux célébrations dans une église chinoise, il écarte le fait que l’enfant assistait uniquement aux célébrations en anglais. Il était déraisonnable de considérer que cette culture équivalente constituait un facteur favorable à la vie en Chine.

[11]           Lorsque l’agent a conclu que la demanderesse avait fourni peu d’éléments de preuve indiquant que le déménagement en Chine serait contraire à l’intérêt supérieur de son fils, il n’a pas tenu compte d’un élément de preuve en provenance d’un bureau de psychologie (préparé par un travailleur clinique). Le défendeur soutient que la Cour devrait faire preuve de scepticisme à l’égard de ce rapport. Si l’agent était sceptique, il était tenu d’expliquer les motifs justifiant sa conclusion. S’il n’était pas sceptique, il devait expliquer les motifs pour lesquels il a rejeté les conclusions.

[12]           Lorsque l’agent laisse entendre que la proximité du père de l’enfant aurait un effet d’amélioration sur le déménagement en Chine, il ne tient pas compte du fait que l’enfant n’a jamais rencontré son père. Celui‑ci est engagé dans une autre relation et a une nouvelle famille.

[13]           Comme l’a conclu la juge Mactavish dans la décision Duhanaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 416, au paragraphe 3, « la tâche de l’agent d’immigration consiste à examiner le bénéfice que retirerait l’enfant s’il restait au Canada par opposition aux conséquences qu’il subirait advenant son renvoi du pays ».

Lors de cette évaluation, l’agent doit être [traduction] « réceptif et attentif à la situation de l’enfant ». Comme l’a conclu le juge Rennie dans la décision Etienne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 937, 245 ACWS (3d), pour y parvenir, il faut se placer du point de vue de l’enfant.

[14]           L’agent n’a aucunement analysé l’intérêt supérieur de l’enfant de ce point de vue et n’a pas examiné les éléments de preuve fondamentaux qui minent sa conclusion.

Compte tenu de toutes les circonstances, cette décision nécessite l’intervention de la Cour.

IV.             Conclusion

[15]           Par conséquent, le contrôle judiciaire sera accueilli, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

[16]           Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6948-14

 

INTITULÉ :

XUE FANG YANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 4 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Shane Molyneaux

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alison Brown

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shane Molyneaux Law Office

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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