Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150514


Dossier : IMM-283-14

Référence : 2015 CF 632

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

NARESH RAMNANAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR ou la Loi) visant une décision par laquelle un agent d'immigration (l'agent) a refusé la demande de permis de séjour temporaire (PST) déposée par le demandeur en vertu de l'article 24 de la Loi.

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l'agent et renvoyant l'affaire pour nouvel examen par un agent différent.

II.                Le contexte

[3]               Le demandeur, M. Naresh Ramnanan, est un citoyen de Trinité-et-Tobago. Il est entré au Canada en février 1988 et a présenté une demande d'asile. Il a obtenu le statut de résident permanent le 10 décembre 1992 dans le cadre du Programme d'élimination de l'arriéré dans l'étude des revendications du statut de réfugié.

[4]               Le 27 janvier 2000, une mesure de renvoi a été prise contre le demandeur, car il a été jugé interdit de territoire pour criminalité. Le demandeur a interjeté appel de l'ordonnance devant la Section d'appel de l'immigration (SAI), mais l'appel a été rejeté le 12 décembre 2001. En juin 2002, il a présenté une requête en réouverture de l'appel devant la SAI, requête qui dès le départ a été refusée. Il a présenté une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de cette décision, laquelle demande a été accueillie sur consentement, et la SAI a rouvert l'appel.

[5]               En novembre 2004, la SAI a accordé au demandeur un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi, sous réserve du respect de certaines conditions, et l'appel devait être réexaminé en mai 2007. Le demandeur a par la suite violé la condition de ne commettre aucune infraction criminelle, alors que le 27 octobre 2005, il a été déclaré coupable de plusieurs infractions (possession d'une substance inscrite à l'annexe 1 en violation du paragraphe 4(3) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, ch 19, possession de biens criminellement obtenus, possession non autorisée d'une arme prohibée et à autorisation restreinte et possession de produits de la criminalité). Il a été condamné à une peine d'emprisonnement de 90 jours à purger concurremment, et à 12 mois de probation. Il a aussi été visé par une ordonnance d'interdiction obligatoire en vertu de l'article 109 du Code criminel LRC 1985, ch C‑46. Il a été libéré le 25 décembre 2005.

[6]               En raison de ses condamnations au criminel, le 28 mars 2006, le demandeur a perdu son statut de résident permanent par application de la loi. La SAI a révoqué son sursis à l'exécution de la mesure de renvoi, et a classé l'appel en avril 2007. Cette décision a été confirmée par la Cour dans le cadre d'un contrôle judiciaire [Ramnanan c Canada (Citoyenneté et Immigration)],2008 CF 404, 325 FTR 248).

[7]               Le demandeur a demandé à être dispensé des exigences liées à la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire et a demandé l'examen des risques avant renvoi (ERAR). Ces demandes ont été refusées en mai et en juin 2010, respectivement.

[8]               Son casier judiciaire indique 17 condamnations en lien avec 10 événements distincts survenus entre novembre 1996 et octobre 2006, dont six d'entre elles étaient des condamnations pour ne pas avoir respecté un engagement. Le 1er janvier 2012, le demandeur a été arrêté et accusé de plusieurs infractions qui ont par la suite été retirées. En janvier 2012, il a signé un engagement de ne pas troubler l'ordre public.

[9]               Le demandeur a alors présenté une demande de PST le 10 juin 2013, dont le principal objectif était de rester au Canada pour continuer à s'occuper de ses deux plus jeunes enfants. Le 18 juin 2013, la juge Heneghan de la Cour a accordé au demandeur un sursis provisoire à l'exécution de la mesure de renvoi. Le renvoi a été ultérieurement fixé au 17 mars 2014. Le demandeur a demandé un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi, qui lui a été accordé par le juge Russel de la Cour le 13 mars 2014.

[10]           Le demandeur a deux enfants issus de son premier mariage (Tricia et Nicolas) et deux autres enfants issus de son union de fait avec Mme Terri Brown (Cheyenne et Naresh Jr.). Au moment où le demandeur a présenté sa demande de PST, Tricia avait 26 ans, Nicolas 19, Cheyenne 17 ans et Naresh Jr. avait 15 ans. Cheyenne et Naresh Jr. vivaient en permanence avec le demandeur et dépendaient entièrement de lui. Tricia et Nicolas restaient parfois chez lui. Le demandeur a aussi une belle-fille (Dzsenifer) de son deuxième mariage avec Mme Krisztina Ramnanan et, à l'heure actuelle, ces dernières vivent toutes deux en Angleterre.

[11]           Le demandeur a été le principal dispensateur de soins pour Cheyenne et Naresh Jr., car leur mère était toxicomane et personne ne sait où elle se trouve actuellement. La société d'aide à l’enfance (SAE) a fait partie de leur vie dès leur plus jeune âge – Cheyenne a commencé à vivre en famille d'accueil aux environs de 1998, et Naresh Jr. y a été amené à sa naissance, après que des traces de cocaïne ont été trouvées dans l'urine de sa mère. Le demandeur a demandé la garde exclusive de ses enfants Cheyenne et Naresh Jr., et s'est occupé d'eux depuis 2001 alors qu'ils étaient âgés de six ans et de trois ans.

[12]           Cheyenne et Naresh Jr.ont eu leur lot de difficultés. Cheyenne a reçu un diagnostic de syndrome d'alcoolisation fœtale (SAF) et a abandonné ses études à un certain moment. En mai 2010, elle a fugué, et la SAE l'a placée dans une maison d'accueil, mais elle s'y est enfuie et est retournée chez le demandeur. Le 24 mars 2012, à l'âge de 16 ans, Cheyenne a donné naissance à un garçon prénommé Luis. Elle est mère monoparentale et n'a pas la garde exclusive de son fils, mais une ordonnance du tribunal de la famille lui a accordé des droits de visite, deux jours par semaine, à condition que ces visites soient supervisées par le demandeur. Luis vit actuellement avec sa grand-mère paternelle. Cette entente a été conclue avec la SAE; cette dernière étant préoccupée par la présence de violence conjugale entre Cheyenne et le père de Luis, et par les aptitudes de Cheyenne à prendre soin de Luis.

[13]           Naresh Jr. est né avec une dépendance à la cocaïne, il a des troubles d'apprentissage et a souffert de dépression. Il est inscrit à un programme d'éducation spécialisée. Naresh Jr. a déjà été impliqué dans des affaires criminelles. Au moment du renvoi prévu du demandeur en juin 2013, il avait un procès fixé pour le mois de juillet 2013, mais l'accusation a été rejetée. Au moment où le demandeur a présenté la demande en l’espèce, Naresh Jr. avait récemment été accusé de vol qualifié suivant un incident survenu à l'école. Il a été remis en liberté sur la foi d'une promesse de comparaître, et le directeur de l'école a informé le demandeur qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour expulser Naresh Jr. de l'école, contrairement aux autres élèves accusés.

[14]           Dans sa demande de PST, le demandeur a mentionné qu'il collaborait avec les professeurs de Naresh Jr., ainsi qu'avec les professionnels de la santé et la SAE pour s'assurer que Naresh Jr. bénéficiait d'un environnement stable et favorable visant à faciliter son apprentissage, et qu'il recevrait les meilleurs soins et le meilleur soutien possible. Des dispositions ont été prises pour que Naresh Jr. subisse le test du SAF. Dans une lettre du travailleur des services familiaux de la SAE en date du 28 novembre 2013, il était indiqué que Naresh Jr. devrait continuer à vivre avec le demandeur au Canada, puisqu'il a besoin d'aide supplémentaire à l'école, aide qui ne serait peut-être pas offerte à Trinité-et-Tobago,et que Naresh Jr. répondait bien à la façon dont son père l'éduquait et aux exigences de l'école qu'il fréquentait actuellement. Dans la lettre, il était également mentionné qu'il serait très difficile pour Naresh Jr. de s'adapter à une nouvelle culture et à de nouvelles normes sociales sans qu'il y ait de répercussions sur son bien-être affectif. Une copie du Plan d'enseignement individualisé de l'école pour l'année scolaire en cours a aussi été présentée à l'agent.

[15]           Cheyenne est âgée de plus de 18 ans, mais la SAE continue de s'impliquer dans sa vie et dans celle de son fils. Cheyenne a présenté une déclaration solennelle à l'appui de la demande de permis de séjour temporaire, mentionnant que son père a été son principal dispensateur de soins pendant la majeure partie de sa vie, et qu'elle compte toujours sur lui pour du soutien moral et financier. Elle a également confirmé que la SAE exige que le demandeur participe aux visites avec Luis afin qu'elle puisse ultérieurement demander la garde complète de son enfant ainsi que des droits de visite. Elle aurait donc besoin de l'aide de son père. Elle a déclaré qu'elle ne pourrait pas obtenir de droits de visite à l'égard de son fils si le demandeur était expulsé.

[16]           Dans sa demande de PST, le demandeur a déclaré être la seule personne en mesure d'aider et de soutenir Cheyenne, Luis et Naresh Jr. et que ces derniers n'auraient aucun endroit où aller s'il était expulsé du Canada. Cheyenne et Naresh Jr. ne souhaitent pas partir avec lui à Trinité-et-Tobago, endroit qui, selon le demandeur, n'offrirait aucun programme d'éducation spécialisée à Naresh Jr., ni aucun réseau de soutien pour Cheyenne. Il soutient que, comme citoyens canadiens, ses enfants ont droit aux ressources et aux soins offerts au Canada, et qu'ils n'auraient pas accès à ces ressources s'ils devaient l’accompagner à Trinité-et-Tobago.

[17]           Le demandeur a présenté un rapport psychologique médico-légal du Dr Celeste Thirlwell, dans lequel il est mentionné que Cheyenne et Naresh Jr. ont des problèmes de développement et des problèmes psychosociaux, et qu'ils sont particulièrement vulnérables aux changements qui déstabiliseraient leur vie. Dr Thirlwell estime que le renvoi du demandeur pourrait sérieusement compromettre les progrès réalisés par les enfants, et que ces derniers subiraient des « dommages psychologiques et affectifs irréversibles », sans égard au fait qu'ils restent au Canada ou qu'ils partent avec le demandeur. Elle a également constaté que le demandeur avait souffert d'une grave dépression et d'un syndrome de stress post-traumatique complexe en raison des effets cumulatifs de ses statuts d'immigration précaires et d'autres questions juridiques. Une évaluation psychologique de Cheyenne effectuée par Dr Daniel Fitzgerald a également été soumise pour examen.

III.             La décision contestée

[18]           La demande de PST a été refusée dans une lettre-décision en date du 13 janvier 2014. Dans la lettre, les éléments de preuve présentés sont résumés, et il est mentionné que l'agent a examiné le temps que le demandeur avait passé au Canada, l'incidence de son renvoi vers Trinité-et-Tobago, ainsi que l'intérêt supérieur de ses enfants et de son petit-fils. L'agent a conclu que ces facteurs ne l'emportaient pas sur la gravité des antécédents criminels du demandeur au Canada.

[19]           Les notes de l'agent permettent de mieux comprendre son raisonnement. En ce qui concerne les droits de visite de Cheyenne à l'égard de son fils Luis, l'agent a estimé que le demandeur et Cheyenne auraient dû prendre d'autres arrangements devant les tribunaux afin de se pencher sur la question du renvoi imminent du demandeur (par ex., désigner d'autres parties pour superviser les visites). L'agent a conclu qu'il s'agissait d'une question juridique grave qui [traduction] « ne doit pas être utilisée pour entraver les procédures d'immigration. » Il a mentionné que Cheyenne faisait face à des accusations d'agression sur le père de Luis, mais qu'elle prenait des mesures pour corriger certains de ses comportements, ce qui l'aidera à élever Luis.

[20]           L'agent a également examiné les évaluations psychologiques de Cheyenne et de Naresh Jr., et le fait qu'ils sont tous les deux atteints du syndrome d'alcoolisation fœtale (SAF). Il a soutenu que [traduction] « leur état de santé est connu, et ils semblent être en voie de régler ce problème », et que c'est la famille qui déciderait si les enfants accompagnaient le demandeur à Trinité-et-Tobago ou demeuraient au Canada.

[21]           L'agent a alors relevé que le demandeur avait [traduction] « de lourds antécédents criminels intéressants au Canada » et qu'il était « une personne qui s’est abondamment adonnée à la criminalité », ayant accumulé 22 condamnations dans un court laps de temps. L'agent a noté que le demandeur avait passé du temps en prison, et a estimé que ces condamnations auraient pu entraîner une peine d'emprisonnement allant jusqu'à 10 ans. Enfin, l'agent a statué que le demandeur avait déjà eu l'occasion de démontrer qu'il pouvait changer son mode de comportement criminel, mais qu'il a violé les conditions de son sursis à l'exécution de la mesure de renvoi en récidivant.

IV.             Les questions en litige

[22]           Le demandeur a soulevé plusieurs questions dans sa demande :

  1. L'agent a-t-il commis une erreur en n'évaluant pas véritablement les facteurs pertinents de sa demande de PST, et en n'appliquant pas le critère requis, à savoir s'il existe des « raisons impérieuses » de délivrer le permis de séjour temporaire?
  2. L'agent a-t-il omis d'examiner l'intérêt supérieur des enfants ou d'être à tout le moins réceptif, attentif et sensible à cet intérêt?
  3. L'agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte et en interprétant incorrectement les éléments de preuve, ou en commettant des erreurs de fait dans l'examen de la preuve?
  4. L'agent a-t-il manqué à l'équité procédurale en ne motivant pas suffisamment ses conclusions?
  5. L'agent a-t-il manqué à l'équité procédurale en omettant de divulguer la source de ses affirmations selon lesquelles le demandeur semblait être [traduction] « une personne qui s'est abondamment adonnée à la criminalité »?
  6. L'agent a-t-il manqué à l'équité procédurale en ne convoquant pas le demandeur à une entrevue personnelle avant de rendre une décision?

[23]           L’affaire en l’espèce repose sur l'évaluation de l'agent de l'intérêt supérieur des enfants du demandeur et des éléments de preuve s'y rapportant. La Cour n'est donc pas tenue d'examiner chacune des questions en litige soulevées par le demandeur.

V.                La norme de contrôle

[24]           La décision de l'agent de délivrer un PST en vertu du paragraphe 24(1) de la Loi est une décision hautement discrétionnaire. Par conséquent, la norme de contrôle de la décision raisonnable s'applique : Evans c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 259, au paragraphe 26 [Evans], Shabdeen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 303, 24 Imm LR (4th) 291 [Shabdeen], Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 667, au paragraphe 18, 203 ACWS (3d) 380 [Alvarez], Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 784, au paragraphe 9, 73 Imm LR (3d) 258).

VI.             Les dispositions légales

[25]           Les dispositions suivantes de la Loi s'appliquent en l'espèce :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

24. (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

[...]

 

24. (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

...

 

(3) L’agent est tenu de se conformer aux instructions que le ministre peut donner pour l’application du paragraphe (1).

(3) In applying subsection (1), the officer shall act in accordance with any instructions that the Minister may make.

[26]           Les dispositions suivantes du Guide de traitement des demandes, Citoyenneté et Immigration Canada, chapitre IP-1 (le Guide) s'appliquent en l'espèce :

5.1. But du permis de séjour temporaire

Habituellement, les personnes qui ne satisfont pas aux exigences de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés se voient refuser un visa de résident permanent ou de résident temporaire à l’étranger ou l’entrée à un point d’entrée, ou encore, on refuse de traiter leur demande au Canada. Toutefois, dans certains cas, il peut y avoir des raisons impérieuses pour lesquelles un agent peut délivrer un permis de séjour temporaire pour permettre à une personne qui ne satisfait pas aux exigences de la Loi d’entrer ou de rester au Canada.

[...]

5.9. Entrevues

L’agent peut voir le client en entrevue dans le cadre de la démarche d’application de la loi, de sélection ou de conseil. Les entrevues permettent à l’agent d’obtenir des renseignements sur d’éventuelles interdictions de territoire et infractions à la loi. L’agent peut également user des entrevues pour évaluer la crédibilité du client, confirmer des faits relatifs au besoin ou au risque et aviser le client de certaines préoccupations.

L’agent n’a pas à rencontrer en entrevue toutes les personnes qui demandent un permis de séjour temporaire. Si l’agent est convaincu que le demandeur peut se voir délivrer un tel permis, qu’il est crédible et qu’il ne représente pas un risque pour la société canadienne, il pourrait ne pas être utile de mener une entrevue. Si l’agent n’est pas convaincu au sujet de l’un ou de l’autre des deux derniers facteurs, il doit mener une entrevue.

[...]

12. Procédure : Critères de prise de décisions : Autorisation de séjour temporaire

Afin de déterminer si une considération favorable se justifie pour surmonter l’interdiction de territoire, l’agent doit mettre en perspective les facteurs de besoin et de risque de chaque cas.

12.1. Évaluation des besoins

 Le besoin d’une personne interdite de territoire d’entrer ou de demeurer au Canada doit être impérieux et suffire à l’emporter sur les risques posés à la santé et à la sécurité de la société canadienne. Le degré de besoin est relatif au type de cas.

Les éléments qui suivent comprennent des points et des exemples qui, sans être exhaustifs, illustrent la portée et l’esprit d’application du pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis.

L'agent doit tenir compte :

des facteurs rendant nécessaire la présence de la personne au Canada (p. ex., liens familiaux, qualifications familiales, contribution économique, présence temporaire à un événement);

• de l’intention des dispositions législatives (p. ex., protection de la santé publique ou du système de soins de santé).

 L'évaluation peut comprendre :

• le but essentiel de la présence d'une personne au Canada;

• le type ou la catégorie de demande et la composition familiale pertinente, tant dans le pays d’origine qu’au Canada;

• s’il est question de traitements médicaux, l’accessibilité raisonnable, ou non, du traitement au Canada ou ailleurs (des commentaires sur les coûts/l’accessibilité relatifs peuvent s’avérer utiles), et l’efficacité prévue du traitement médical;

• les avantages corporels ou incorporels auxquels peuvent s’attendre la personne concernée ou d’autres personnes; et

• l’identité du répondant (dans les affaires d’étranger) ou de l’hôte ou de l’employeur (dans les affaires de visite).

[...]

[Non souligné dans l'original.]

VII.          Analyse

[27]           Bien que la Cour reconnaisse le large pouvoir discrétionnaire de l'agent lorsqu'il a évalué le casier judiciaire du demandeur en fonction de l’intérêt supérieur de ses enfants et de son petit‑fils, je conclus néanmoins que ses brefs motifs étaient insuffisants pour ce qui est de l'analyse de l'incidence négative sur les enfants advenant son renvoi vers Trinité-et-Tobago.

[28]           Je conclus notamment que l'agent était tenu d'expliquer comment il pouvait en être arrivé à la conclusion que les enfants « semblent être en voie de régler ce problème » ayant uniquement indiqué que Cheyenne et Naresh Jr. souffraient du syndrome d'alcoolisation fœtale. L'agent n'a ni mentionné ni traité les autres problèmes auxquels étaient confrontés les enfants, à l'exception des droits de visite de Cheyenne à l'égard de Luis.

[29]           Je serais disposé à ne pas tenir compte des arguments du demandeur en raison du rapport psychologique médico-légal, un rapport demandé par un avocat aux fins d'une action en justice, d'autant plus que j'estime que l'expert judiciaire du demandeur a pris la défense de Naresh Jr. (voir de façon générale White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, au paragraphe 49: « [...] l’expert qui, dans sa déposition ou d’une autre manière, se fait le défenseur d’une partie ne peut ou ne veut manifestement pas s’acquitter de sa principale obligation envers le tribunal. »).

[30]           En outre, j'ai déjà émis des commentaires aux paragraphes 37 à 42 dans l'affaire Czesak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1149, 235 ACWS (3d) 1054, selon lesquels il faut faire preuve de circonspection dans l'appréciation de la valeur probante d'un rapport d'expertise médico-légale. Les tribunaux de première instance et les tribunaux tenus d'évaluer la valeur probante de l'avis d'un expert dont les services ont été retenus par un avocat ont reconnu la possibilité de décisions erronées, sauf si la fiabilité de l'avis a fait l'objet d'un débat contradictoire approfondi, et a été appuyée par des documents sous-jacents neutres provenant de tiers.

[31]           Ces commentaires mis de côté, en l'espèce, la Cour est principalement préoccupée par le fait que l'agent ne s'est pas exprimé sur les questions soulevées dans la lettre de la SAE, signée par la travailleuse des services familiaux Mme Andrea Torchia et sa superviseuse Mme Christine Reposo. Cette lettre soulignait l'importance du rôle du demandeur dans les progrès de Naresh Jr. à surmonter ses problèmes psychologiques, en concluant qu'il : [traduction] « aura très probablement besoin de soutien permanent des services communautaires et de son père, M. Ramnanan, de l'adolescence jusqu'à l'âge adulte. » Les employés de la SAE sont des spécialistes qui cernent les enfants à risque, leur apportent du soutien au moyen de divers programmes et leur facilitent le recours aux experts compétents. Leurs avis, donnés sous forme d'évaluations et de recommandations aux fins d'intervention, sont vérifiés tous les jours par les tribunaux.

[32]           Il existe une présomption selon laquelle l'agent a considéré l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise. Cette présomption ne sera réfutée que si la preuve qui n’est pas analysée présente une forte valeur probante et porte sur une question fondamentale de la demande (Florea c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (QL) (CAF), Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 FTR 35, aux paragraphes 16 et 17, 83 ACWS (3d) 264 (CF)).

[33]           Cependant, vu l'expertise des employés de la SAE qui cernent les besoins des enfants et les traitent, et vu l'autonomie de cette preuve, leur opinion sur l'intérêt supérieur de l'enfant est présumée avoir une grande valeur probante. Par conséquent, je conclus qu'il n'était pas raisonnable pour l'agent de ne pas discuter de cette preuve, en particulier du rôle du demandeur dans l’amélioration de la situation de l'enfant.

VIII.       Conclusion

[34]           En terminant, je conclus que les motifs de l'agent manquent de transparence lorsque ce dernier se contente d'affirmer que les enfants du demandeur semblent être voie de régler leurs problèmes, sans indiquer qu'il était réceptif au rôle apparent important du demandeur dans l'amélioration de leurs situations, tel qu'il ressort de la preuve fournie par un expert indépendant. Cette omission constitue une erreur susceptible de contrôle nécessitant l'intervention de la Cour, de façon à que la présente demande soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée pour être entendue par un autre agent.


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue par autre agent. Aucune question n'a été proposée aux fins de certification et aucune question n'est certifiée.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-283-14

 

INTITULÉ :

NARESH RAMNANAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 15 AVRIL 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT:

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Timothy Wichert

Avocats et procureurs

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

NARESH RAMNANAN

 

Ildiko Erdei

Avocats et procureurs

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy Wichert

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

NARESH RAMNANAN

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.