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Date : 20150501


Dossier : T-1433-14

Référence : 2015 CF 572

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario) le 1er mai 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

LAHAI KAMARA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Les faits

[1]               Le demandeur est un résident permanent du Canada qui est originaire du Sierra Leone. Il est devenu résident permanent en juin 2008. Il cherche à obtenir la citoyenneté canadienne, qui est conférée en conformité avec la Loi sur la citoyenneté (LRC 1985, c C-29).

[2]               Le 26 août 2013, le demandeur a été accusé d’agression armée (Code criminel, alinéa 267a)), de méfait (Code criminel, paragraphe 430(4)) et de vol de moins de 5 000 $ (Code criminel, alinéa 334b)).

[3]               Le 26 novembre 2013, Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a envoyé une lettre au demandeur pour lui mentionner qu’elle avait besoin de documentation relativement à l’accusation criminelle d’agression armée en instance, y compris des renseignements sur le type d’infraction (punissable par voie de procédure sommaire ou par voie de mise en accusation).

[4]               La lettre mentionnait ce qui suit :

[traduction]

Si le dossier est toujours en instance et que la procédure est au choix du ministère public, nous devons savoir si le ministère public a pris une décision à savoir comme l’affaire sera instruite (soit, par voie sommaire ou par voie de mise en accusation). Ce renseignement peut se trouver sur le document d’information judiciaire ou vous devrez peut-être aussi nous faire parvenir le formulaire de filtrage des accusations.

(Dossier du demandeur, page 34)

[5]               Le 5 décembre 2013, l’avocat du demandeur a répondu à la lettre de CIC en indiquant que l’accusation d’agression armée en application de l’alinéa 267a) du Code criminel (une infraction mixte) présentée contre le demandeur était toujours en instance et que le ministère public n’avait pas encore fait part de sa décision relativement à la procédure à suivre (par voie sommaire ou par voie de mise en accusation).

[6]               Le demandeur s’est présenté à l’audience devant le juge de la citoyenneté [le juge] le 11 février 2014.

[7]               À la fin de l’audience du 11 février, le juge de la citoyenneté a donné au demandeur un document de deux pages intitulé « Avis au demandeur » [l’avis]. Cet avis informait le demandeur qu’il devait fournir une preuve documentaire relativement à [traduction] « l’issue des accusations criminelles en instance et à la décision du ministère public à savoir s’il procédait par procédure sommaire ou par mise en accusation » dans un délai de 45 jours.

[8]               Le demandeur n’a pas fourni quelque documentation que ce soit, et il n’a pas non plus produit une réponse au juge de la citoyenneté ou à CIC dans un délai de 45 jours, comme l’exigeait l’avis.

II.                La décision

[9]               Le 16 avril 2014, le juge de la citoyenneté a refusé la demande de citoyenneté du demandeur [la décision]. Le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas fourni, dans les 45 jours de l’audience, la documentation confirmant l’issue des accusations criminelles en instance ni la procédure retenue (procédure sommaire ou mise en accusation) par le ministère public. Par conséquent, le juge de la citoyenneté a jugé que le demandeur est une personne inculpée d’un acte criminel. La partie pertinente de la décision est reproduite ci‑dessous :

[traduction]

Selon le dossier, vous faites l’objet d’accusations criminelles en instance, ce qui entraîne l’application de l’article 22 de la Loi sur la citoyenneté, qui prévoit :

Malgré les autres dispositions de la présente loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté […] ni prêter le serment de citoyenneté […] tant qu’il est inculpé pour […] un acte criminel prévu par une loi fédérale […]

Lors de votre entrevue avec moi, vous avez reconnu que vous faisiez l’objet d’accusations criminelles en instance et que votre prochaine audience devant la cour aura lieu le 1er mai 2014. Je vous ai demandé de me fournir, dans les 45 jours de l’audience, la documentation confirmant l’issue des accusations criminelles en instance et la décision du ministère public à savoir s’il procédait par procédure sommaire ou par mise en accusation. À moins que votre date d’audience ait été devancée et que le ministère public ait retiré les accusations, il aurait été impossible pour vous de fournir de la documentation sur l’issue des accusations; toutefois, les renseignements au sujet de la procédure choisie par le ministère public auraient pu être à votre disposition. De toute façon, vous n’avez fourni aucune preuve documentaire.

Dans les circonstances, l’article 22 de la Loi sur la citoyenneté s’applique à votre demande de citoyenneté, et vous ne répondez pas aux exigences de la Loi sur la citoyenneté. Par conséquent, je ne peux pas approuver votre demande de citoyenneté.

III.             La position des parties

[10]           Le demandeur soulève deux questions en litige. Premièrement, il soutient que le juge de la citoyenneté a enfreint ses droits en matière d’équité procédurale, particulièrement à titre de personne se représentant elle-même.

[11]           L’essentiel des prétentions du demandeur à l’égard de cet argument est que le juge a donné son avis dans une enveloppe et lui a dit de la donner à son avocat. Le demandeur prétend que le juge a déclaré que toutes les exigences liées à la demande ont été remplies, sauf celle relative à l’accusation criminelle en instance.

[12]           Malgré ses efforts, le demandeur n’a pas été capable de rencontrer son avocat pour lui remettre l’enveloppe. Il n’a donc pas respecté le délai de 45 jours énoncé dans l’avis, qui exigeait une réponse relativement à l’issue des accusations criminelles et à la question de savoir si le ministère public avait choisi de procéder par procédure sommaire ou par mise en accusation.

[13]           En plus de prétendre qu’il était injuste de formuler une demande comportant des exigences juridiques de nature technique à une partie qui se représentait elle-même, le demandeur soutient qu’il aurait été, de toute façon, impossible de respecter la demande du juge dans le délai de 45 jours, puisque celui-ci venait à échéance bien avant le début du procès criminel. Dans une lettre qu’il avait antérieurement envoyée à CIC dans le cadre de la même demande de citoyenneté, l’avocat qui représente le demandeur dans l’instance criminelle a précisé que le ministère public ne ferait pas le choix de procédure (procédure sommaire ou mise en accusation) avant le procès.

[14]           La deuxième prétention du demandeur est que la décision était illogique et que les motifs n’étaient pas adéquats, du fait qu’ils étaient insuffisants. La décision était illogique, parce qu’elle demandait des renseignements qui n’étaient tout simplement pas disponibles : même si le demandeur avait bénéficié de l’équité procédurale, il n’aurait pas été capable de produire une réponse à l’égard de l’avis.

[15]           En outre, le demandeur soutient que les motifs donnés par le juge étaient nettement insuffisants et qu’ils ne respectaient pas le paragraphe 14(3) de la Loi sur la citoyenneté. Il s’appuie également sur la décision Via Rail Inc c Office national des transports (CA), [2001] 2 CF 25, au paragraphe 22, qui énonce ce qui suit :

[22] On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents.

[16]           Le demandeur prétend que, selon le droit applicable, il existe une présomption selon laquelle le ministère public procédera par procédure sommaire s’il ne fait pas de choix (R c Randell, [2001] CanLII 19855 (NL PC), au paragraphe 17; R c Mitchell, 1997 CanLII 6321 (ON CA), à la page 145).

[17]           Le défendeur répond qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité et que les motifs étaient adéquats. Le défendeur soutient que les motifs étaient suffisamment clairs et qu’ils étaient compatibles avec l’ensemble du dossier.

IV.             La norme de contrôle

[18]           Les parties conviennent que les questions concernant l’équité procédurale doivent être examinées suivant la norme de la décision correcte, tandis que les autres questions soulevées par le demandeur doivent être examinées selon la norme de raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, et Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24).

V.                L’analyse

[19]           Le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il y a eu entorse à l’équité procédurale ou que la décision était autrement déraisonnable.

[20]           Tout d’abord, il est malheureux que le demandeur n’ait pas été représenté par un avocat au moment de son entrevue de citoyenneté, et je ferais remarquer que le demandeur éprouvait des difficultés d’ordre personnel durant la période qui a suivi l’entrevue. Ces deux faits ont été donnés étant des motifs expliquant pourquoi le demandeur n’avait pas lu l’avis qu’on lui avait donné alors qu’il n’arrivait pas à joindre son avocat. Cependant, ce ne sont pas des considérations pertinentes en l’espèce. Le juge a rempli son obligation de respecter les principes de l’équité procédurale, notamment en donnant au demandeur la possibilité a) de produire ses observations écrites initiales relativement à la question des accusations criminelles, b) de faire valoir son point de vue lors d’une entrevue de citoyenneté en personne, et c) de présenter, après l’entrevue, des observations supplémentaires au moyen d’une réponse écrite.

[21]           Le juge ne peut pas être tenu responsable des choix personnels du demandeur, qui ne s’est pas assuré de transmettre l’avis à son avocat et qui n’a pas lu l’avis lorsqu’il s’est rendu compte qu’il ne pourrait pas transmettre l’avis à son avocat à l’intérieur du délai de 45 jours. Par conséquent, la date limite a été ignorée.

[22]           En premier lieu, il existe d’autres moyens, notamment la poste, le télécopieur ou le courriel, par lesquels le demandeur aurait pu transmettre l’avis à son avocat, étant donné qu’il n’arrivait pas à le voir en personne.

[23]           En second lieu, le demandeur était bien au courant que les accusations criminelles en instance constituaient un problème dans le cadre de la prise de décision finale quant à sa demande de citoyenneté, puisque ce n’était pas la première fois que les fonctionnaires de la citoyenneté lui demandaient de faire le point sur sa situation. CIC lui avait envoyé une demande de renseignements semblable par le passé, et il s’y était conformé. En d’autres mots, la nature des renseignements recherchés et les moyens de les obtenir ne lui étaient pas étrangers. Par conséquent, ses droits à l’équité procédurale n’ont pas été violés lorsqu’il a omis de répondre.

[24]           En ce qui concerne l’autre question soulevée, soit celle de l’insuffisance des motifs, je conclus que les motifs ne sont ni insuffisants, ni illogiques. L’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté est très clair quant au fait que le juge ne peut pas accorder la citoyenneté à une personne qui « est inculpé(e) » pour un acte criminel, et ce, « jusqu’à la date d’épuisement des voies de recours ». De plus, la jurisprudence établit clairement que, tant que le ministère public n’a pas fait un choix de procédure contraire, une infraction mixte est réputée être un acte criminel, conformément à l’alinéa 34(1)a) de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21 (R c Dudley, 2009 CSC 58, au paragraphe 21; Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 672, aux paragraphes 38-40). Au moment de la décision en matière de citoyenneté, le ministère public n’avait pas fait le choix de la procédure. Si le juge avait exercé son pouvoir discrétionnaire de reporter le prononcé de sa décision jusqu’au début du procès criminel, l’issue de la présente affaire aurait très bien pu être différente.

VI.             Conclusion

[25]           Comme je l’ai mentionné à l’audience, je n’aurais peut-être pas procédé de la même manière que le juge, mais cela n’est pas le rôle de la Cour lors du contrôle judiciaire. Ma tâche est plutôt de juger si la décision était raisonnable et si la procédure était équitable. Je conclus  que c’est le cas, et ce, quant aux deux aspects.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Les parties n’ont proposé aucune question en vue de la certification.
  3. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1433-14

 

INTITULÉ :

LAHAI KAMARA c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 MarS 2015

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Midori Adachi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alexander Menticoglou

 

PoUr Le DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Midori Adachi

Avocate

Winnipeg (Manitoba)

 

PoUr Le DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

PoUr Le DÉFENDEUR

 

 

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