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Date : 20150512


Dossier : IMM-6591-13

Référence : 2015 CF 625

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), 12 mai 2015

En présence de l’honorable juge O’Reilly

ENTRE :

NITHARSHANA THAVARASA

ET RAVINATH RATNASINGAM

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Les demandeurs, Mme Nitharshana Thavarasa, et son époux, M. Ravinath Ratnasingam, cherchent à faire casser une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI). Mme Thavarasa, qui est citoyenne canadienne, souhaitait parrainer son époux, citoyen du Sri Lanka, afin qu’il obtienne la résidence permanente au Canada. Le couple s’est marié en 2008.

[2]               La SAI a confirmé la décision prise par un agent des visas de refuser la demande de résidence permanente de M. Ratnasingam. Elle a également refusé d’accorder aux demandeurs des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[3]               Les demandeurs considèrent comme déraisonnable la conclusion de la SAI selon laquelle la demande de M. Ratnasingam comportait une présentation erronée importante qui devait donner lieu à une période d’interdiction de territoire au Canada de deux ans au titre des alinéas 40(1)a) et 40(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR] (renvois législatifs énoncés dans une annexe). Les demandeurs estiment aussi déraisonnable le rejet par la SAI de leur demande de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire. Ils me demandent d’annuler la décision de la SAI et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un autre tribunal.

[4]               Je ne trouve aucun motif pour annuler la décision de la SAI. Cette dernière a conclu de manière raisonnable que M. Ratnasingam avait fait une présentation erronée importante entraînant une période d’interdiction de territoire de deux ans sous le régime de la LIPR. De plus, le tribunal a apprécié la preuve pertinente et en est arrivé à une conclusion raisonnable selon laquelle les demandeurs ne méritaient pas de se voir accorder des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire. Je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[5]               Il y a deux questions à trancher :

1.      La SAI a-t-elle erré en imposant une période d’interdiction de territoire de deux ans?

2.      L’évaluation par la SAI des facteurs d’ordre humanitaire était-elle déraisonnable?

II.                La décision de la SAI

[6]               Dans sa demande, M. Ratnasingam a omis de faire état des voyages qu’il a effectués entre 2000 et 2008 en France, à Saint-Martin et en Guadeloupe, ainsi que de la période qu’il a passée en détention dans ces deux derniers pays. Il n’a pas mentionné non plus s’être rendu de la France à Saint-Martin muni d’un faux passeport canadien.

[7]               Lorsqu’il a été reçu en entrevue par un agent des visas au haut-commissariat du Canada à Colombo, M. Ratnasingam a initialement nié avoir fait ces voyages, mais, mis en présence d’une preuve contraire, il a admis la vérité. L’agent a conclu que M. Ratnasingam avait fait une présentation erronée sur des faits importants, ou une réticence sur ces faits, ce qui risquait d’entraîner des erreurs dans l’application de la LIPR.

[8]               La SAI a confirmé la décision de l’agent, concluant que les présentations erronées de M. Ratnasingam avaient empêché l’agent d’évaluer pleinement sa demande, y compris les questions relatives à la criminalité et à la sécurité, de même que l’authenticité de son mariage avec Mme Thavarasa. Par conséquent, de l’avis de la SAI, les présentations erronées étaient importantes. En outre, Mme Thavarasa, qui n’était initialement pas au courant des antécédents de voyage de son époux, n’a pas cherché à faire corriger la demande de celui-ci une fois qu’elle en a eu connaissance.

[9]               Étant donné ces fausses déclarations, la SAI a conclu qu’un seuil plus élevé devait être atteint afin que des mesures spéciales soient accordées pour des motifs d’ordre humanitaire. De plus, elle a conclu que les demandeurs n’éprouvaient pas de remords à l’égard de leurs agissements. Par contre, les membres du couple semblaient proches et éprouvaient véritablement de l’affection l’un envers l’autre, ce qui militait en leur faveur. Toutefois, la SAI a somme toute conclu que les demandeurs n’avaient pas droit à des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[10]           À l’audience devant la SAI, le conseil du ministre a soutenu que Mme Thavarasa pouvait immédiatement parrainer de nouveau son époux, puisque la période d’interdiction de territoire de deux ans a expiré deux ans après la décision rendue par l’agent en novembre 2010. L’audience devant la SAI s’est déroulée en avril 2013.

[11]           Toutefois, la SAI était en désaccord sur la thèse du ministre à cet égard et a conclu que la période d’interdiction de territoire de deux ans commençait non pas à la date de la décision de l’agent, mais à la date de la décision de la SAI (soit le 19 septembre 2013).

III.             Première question – La SAI a-t-elle erré en imposant une période d’interdiction de territoire de deux ans?

[12]           Les demandeurs font valoir que la SAI a imposé de manière déraisonnable à M. Ratnasingam une période d’interdiction de territoire de deux ans pour fausses déclarations, à compter de la date de sa décision. Ils affirment que la période de deux ans devrait commencer à la date de la décision de l’agent. De plus, les demandeurs soutiennent que la SAI les a traités injustement en leur imposant la période d’interdiction de territoire de deux ans sans préavis. En effet, à l’audience devant la SAI, le conseil du ministre a déclaré que la période de deux ans devait commencer à la date de la décision de l’agent, et non de la SAI. Les demandeurs affirment qu’ils n’ont pas eu l’occasion de présenter des arguments contre la position adoptée au bout du compte par la SAI.

[13]           Je ne suis pas de cet avis. Les demandeurs ont eu l’occasion de présenter à la SAI leur propre interprétation du moment auquel la période d’interdiction de territoire de deux ans devait commencer. Par conséquent, ils n’ont pas été traités injustement. De plus, la décision de la SAI est conforme à l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

[14]           L’alinéa 40(2)a) de la LIPR stipule que l’interdiction de territoire au Canada pour fausses déclarations court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si l’étranger n’est pas au pays. À mon avis, dans des circonstances comme celles-ci, la décision constatant en dernier ressort l’interdiction de territoire est rendue par la SAI et non par un agent des visas. Par conséquent, la période d’interdiction de territoire commence à la date de la décision de la SAI, et non de l’agent.

[15]           En outre, je ne vois rien d’injuste dans l’approche adoptée par la SAI. Il est vrai que les demandeurs ne connaissaient pas la façon dont la SAI interpréterait en définitive l’alinéa 40(2)a) de la LIPR. Toutefois, ils savaient que la question était en litige et ils ont amplement eu l’occasion de présenter des observations à ce sujet. Bien que le conseil du ministre ait présenté des observations à la SAI qui appuyaient l’interprétation donnée par les demandeurs à la LIPR, rien ne garantissait que la SAI accepterait ces observations. Les demandeurs n’ont pas demandé d’ajournement ni l’occasion de présenter de plus amples observations sur ce point.

IV.             Deuxième question – L’évaluation par la SAI des facteurs d’ordre humanitaire était-elle déraisonnable?

[16]           Les demandeurs font valoir que la SAI a écarté à tort des facteurs militant en leur faveur et qu’elle a conclu de manière déraisonnable qu’ils n’éprouvaient pas de remords à l’égard de leur manque de candeur.

[17]           Je ne suis pas de cet avis.

[18]           La SAI a tenu compte des fausses déclarations des demandeurs au moment d’évaluer les répercussions personnelles qu’aurait sur eux le refus de leur demande. Elle a conclu que les circonstances augmentaient en fait le fardeau qui incombait aux demandeurs de présenter des éléments de preuve justifiant l’octroi de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire. La SAI a également conclu que les demandeurs n’éprouvaient pas de remords à l’égard de leur manque de candeur, n’ayant pas révélé leurs présentations erronées avant d’être mis en présence d’une preuve contraire.

[19]           À mon avis, ces conclusions étaient raisonnables d’après la preuve.

[20]           S’agissant d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il va de soi qu’un demandeur doit atteindre un seuil plus élevé lorsqu’il a fait des présentations erronées que dans le cas contraire. En effet, la SAI a simplement fait remarquer qu’il existait un important facteur militant contre l’octroi de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire et que ce facteur devait être compensé par des facteurs favorables de poids égal ou supérieur (voir Qureshi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 238, aux paragraphes 19 à 21). Je ne vois rien de mal dans cette approche.

[21]           Les demandeurs soutiennent par ailleurs que la SAI a erré en écartant des facteurs favorables à leur endroit au motif qu’un important facteur militait contre eux, à savoir les fausses déclarations. Ils assimilent la situation aux affaires où l’établissement du demandeur au Canada a été écarté à tort parce qu’obtenu par la voie de fausses déclarations (Jiang c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CF 413; Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-8219-12).

[22]           Je ne suis pas de cet avis. À mes yeux, en l’espèce, la SAI n’a pas discrédité les facteurs favorables appuyant la demande de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire simplement parce que les demandeurs avaient fait des présentations erronées. Elle a plutôt soupesé les circonstances favorables et défavorables et en est arrivée à une évaluation globale des facteurs d’ordre humanitaire. Elle n’a pas diminué la valeur des aspects favorables des circonstances des demandeurs au simple motif des fausses déclarations.

[23]           De plus, la conclusion de la SAI selon laquelle les demandeurs n’éprouvaient pas de remords était raisonnable. M. Ratnasingam a admis avoir fait des présentations erronées seulement après que l’agent l’eut mis en présence d’une preuve contradictoire. De même, Mme Thavarasa a déclaré avoir décidé d’attendre de voir si les faux renseignements figurant dans la demande de son époux poseraient problème. À mon avis, cette preuve appuyait la conclusion de la SAI selon laquelle les demandeurs n’éprouvaient pas de remords à l’égard de leurs présentations erronées.

V.                Conclusion et dispositif

[24]           À mon avis, la SAI a conclu à juste titre que M. Ratnasingam était assujetti à une période d’interdiction de territoire de deux ans commençant à la date à laquelle elle a rendu sa décision. De plus, la SAI a soupesé les facteurs et les éléments de preuve pertinents pour conclure qu’il n’était pas approprié dans les circonstances d’accorder des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire. Je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé une question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Fausses déclarations

Misrepresentation

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

Personne à protéger

Application

40. (2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

40. (2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of two years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced;

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6591-13

 

INTITULÉ :

NITHARSHANA THAVARASA ET RAVINATH RATNASINGAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

19 JANVIER 2015

 

Jugement et motifs :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE :

12 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jamie Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour les demandeurS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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