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Date : 20150508


Dossier : T-817-14

Référence : 2015 CF 605

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2015

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

JIHAD ACHKAR

MARIE SASSINE

YOUMNA ACHKAR

YASMINA ACHKAR

ANIS ACHKAR

IYAD ACHKAR

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le Ministre] sollicite un jugement sommaire déclarant que les défendeurs, six membres d’une même famille, ont acquis leur citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[2]               Je suis d’avis que les défendeurs n’ont pas soulevé de question litigieuse quant à  l’acquisition de leur citoyenneté canadienne au moyen de fausses déclarations consignées dans leur demande de citoyenneté, et je rendrai donc le jugement sommaire demandé par le Ministre.

II.                BREF EXPOSÉ DES FAITS

[3]               Les défendeurs constituent une famille, composée des conjoints, M. Jihad Achkar et  Mme Marie Sassine, et de leurs quatre enfants, Youmna, Yasmina, Anis et Iyad.

[4]               Le 6 juillet 2001, les défendeurs arrivent au Canada et y sont admis à titre de résidents permanents du Canada.

[5]               Le 20 janvier 2005, Mme Sassine signe sa demande de citoyenneté canadienne et elle signe aussi celle de chacun des enfants du couple. La période de référence de leurs demandes s’étend donc du 6 juillet 2001 au 20 janvier 2005.

[6]               Madame Sassine confirme dans sa demande avoir été absente du Canada pendant 157 jours et y avoir été présente 1137 jours pendant la période de référence. Dans la demande qu’elle signe pour chacun des enfants, Mme Sassine confirme que ces derniers n’ont pas été absents du Canada pour une période de six mois ou plus pendant la période de référence.

[7]               Le 4 mars 2005, M. Achkar signe sa demande de citoyenneté canadienne. La période de référence de sa demande s’étend du 6 juillet 2001 au 4 mars 2005.

[8]                M. Achkar confirme dans sa demande avoir été absent du Canada 138 jours et y avoir été présent pendant 1199 jours pendant la période de référence.

[9]               Tous les membres de la famille consignent par ailleurs exclusivement des adresses de résidence au Canada pendant toute la période de référence.

[10]           Le 30 mai 2006, la citoyenneté canadienne est attribuée à M. Achkar et le 11 avril 2006, la citoyenneté canadienne est attribuée à Mme Sassine et aux quatre enfants.

[11]           Le 3 novembre 2011, aux termes de l’article 18 de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 [Loi sur la citoyenneté], le Ministre signifie à chacun des défendeurs des avis d’annulation de la citoyenneté datés du 29 juin 2011 [les Avis] les informant de son intention de soumettre un rapport au gouverneur en conseil pour faire état du fait qu’ils ont obtenu leur citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels afin que leur citoyenneté canadienne leur soit retirée.

[12]           Dans les Avis transmis à M. Achkar et à Mme Sassine, le Ministre allègue qu’ils ont « omis de déclarer tout [sic] [leurs] absences du Canada durant les quatre années précédant immédiatement la date de la demande de citoyenneté [et ont fait] de fausses déclarations sur la demande de citoyenneté par rapport au critère de résidence pendant la période des quatre ans précédant immédiatement la date de la demande de citoyenneté. »

[13]           Dans les Avis transmis aux enfants, le Ministre allègue que « [leurs] parents ont omis de divulguer tout [sic] leurs absences du Canada au cours des quatre années précédant immédiatement la date à laquelle ils ont fait leurs demandes de citoyenneté [et] ont fourni de fausses informations sur leurs demandes de citoyenneté à l’égard de leur résidence au Canada au cours des quatre années précédant immédiatement la date de leur demande de citoyenneté. »

[14]           En effet, selon la preuve déposée par le Ministre, les parents n’auraient pas été présents au Canada le nombre de jours consignés dans leurs formulaires, les enfants auraient été absents du Canada pour six mois ou plus et tous les membres de la famille n’auraient pas résidé aux adresses de résidence consignées.

[15]            En effet, contrairement aux informations consignées dans leurs demandes de citoyenneté, les défendeurs sont venus au Canada le 6 juillet 2001 pour obtenir leur statut de résident permanent, sont restés sur le territoire pendant quelques semaines pour compléter des procédures administratives et sont repartis vivre au Liban. Pendant les deux années suivantes, les parents ne sont revenus au Canada que de façon sporadique, tandis que les enfants ne sont pas revenus.

[16]           La famille s’est établie au Canada et y a résidé seulement de juillet 2003 à juillet 2006.

[17]           Le 9 novembre 2011, les défendeurs demandent le renvoi de leur dossier devant la Cour fédérale conformément aux dispositions prévues au paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté.

[18]           Le 3 avril 2014, le Ministre dépose une Déclaration selon la Règle 171(a)i) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. Le 15 septembre 2014, les défendeurs produisent leur défense et le 30 septembre 2014, le Ministre produit sa réponse.

[19]           Dans leur défense, les défendeurs admettent avoir fait de fausses déclarations et ne pas avoir été présents au Canada le nombre de jours déclarés dans leurs demandes de citoyenneté canadienne. Il est difficile de suivre leur raisonnement lorsqu’ils tentent de justifier leurs actions puisqu’ils déclarent ne pas avoir été informés de la nécessité d’être présents physiquement au Canada tout en affirmant simultanément avoir été informés d’une telle nécessité par un officier de l’Agence des services frontaliers du Canada en décembre 2002, et d’avoir alors justement décidé de s’établir au Canada.

[20]           Les défendeurs allèguent qu’ils ont été floués par leur consultant en immigration, que leurs déclarations ont été faites de bonne foi, qu’ils sont innocents même si les déclarations sont fautives ou trompeuses, que les parents et surtout les enfants mineurs n’avaient pas l’intention d’induire le Ministre en erreur. Les défendeurs allèguent même que le Ministre lui-même est responsable de leurs actions puisque son laxisme dans le contrôle des frontières incite les demandeurs de citoyenneté canadienne à frauder.

[21]             Le 28 octobre 2014, les défendeurs produisent un affidavit de documents selon la Règle 223 et le 3 novembre 2014, le Ministre produit un affidavit de documents selon la même Règle.

[22]           Les défendeurs n’ont par ailleurs produit aucun affidavit afin d’établir les faits dont ils ont connaissance.

III.             QUESTION EN LITIGE

[23]           La Cour doit déterminer si la présente affaire soulève une question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès ou si, au contraire, elle peut conclure qu’une telle question n’est pas soulevée et conséquemment rendre un jugement sommaire.

IV.             CADRE LÉGISLATIF

A.                Perte de la citoyenneté

[24]           Le paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté prévoit que « le gouverneur en conseil peut, lorsqu’il est convaincu, sur rapport du ministre, que l’acquisition [...] de la citoyenneté […] est intervenue […] par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l’intéressé » peut, notamment, perdre sa citoyenneté (alinéa 10(1)a)), ceci sous réserve du seul article 18 de la même loi.

[25]           Le paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté prévoit cependant que le Ministre ne peut procéder à l’établissement du rapport mentionné à l’article 10 précité sans avoir auparavant avisé l’intéressé de son intention dans ce sens et sans que l’une ou l’autre des deux conditions ne se soit réalisée, soit : (a) l’intéressé n’a pas, dans les trente jours suivant la date d’expédition de l’avis, demandé le renvoi de l’affaire devant la Cour; soit (b) la Cour saisie de l’affaire a décidé qu’il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[26]           Le renvoi prévu au paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté a été considéré essentiellement comme une « procédure d’enquête visant à colliger la preuve des faits entourant l’acquisition de la citoyenneté en vue de déterminer si elle a été obtenue par des moyens dolosifs » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Obodzinsky, 2002 CAF 518 au para 15).

[27]           Ainsi, et tel que l’a affirmé madame la juge Mactavish, « la Cour a donc pour tâche de tirer des conclusions de fait au sujet de la question de savoir si les défendeurs ont obtenu la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. La décision de la Cour au titre de l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté est définitive et n’est pas susceptible d’appel. » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Houchaine, 2014 CF 342 au para 12).

[28]            Les conclusions de la Cour pourront fonder un rapport présenté par le Ministre au gouverneur en conseil en vue de la révocation de la citoyenneté par ce dernier.

[29]           Le Ministre porte le fardeau de prouver, par prépondérance des probabilités, que les défendeurs ont acquis leur citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Skomatchuk, 2006 CF 994 au para 21).

[30]           Dans ce cadre, la Cour a établi certains principes. Ainsi, les demandeurs de citoyenneté doivent avoir eu l’intention d’induire le décideur en erreur, afin d’éviter qu’une erreur technique commise par inadvertance ou innocence ne devienne assujettie à l’article 10 (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Savic, 2014 CF 523 au para 74).

[31]           Par ailleurs, la Cour a aussi établi que « l’“aveuglement délibéré”, lorsque pratiqué par un demandeur de citoyenneté canadienne dans le contexte de sa demande, ne doit pas être toléré. Dans ce cas, le demandeur de citoyenneté lorsqu’il est dans une situation de doute, devrait invariablement, au risque de se tromper, tout divulguer au juge de la citoyenneté ou au fonctionnaire de la citoyenneté. » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Phan, 2003 CF 1194 au para 33).

[32]           Finalement, devant la situation où un parent signe la demande d’un enfant mineur, la Cour a confirmé que, puisque la Loi sur la citoyenneté autorise un parent à présenter une demande de citoyenneté pour le compte de son enfant mineur, toute allégation de fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels doit conséquemment viser les actes ou omissions du parent, et n’exige donc pas que l’enfant lui-même ait eu l’intention d’induire le décideur en erreur (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zakaria, 2014 CF 864 au para 84).


B.                 Jugement sommaire

[33]           La Règle 215 prévoit que la Cour rend un jugement sommaire si, par suite d’une requête en jugement sommaire, elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense. Ainsi, il n’y a pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque la procédure de jugement sommaire « (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires (2) lui permet d'appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d'arriver à un résultat juste. » (Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 au para 49).

[34]           Dans le cadre de cette procédure, il est bien établi que le « défendeur doit "présenter ses meilleurs arguments" et pour cela il doit prouver et présenter des arguments selon lesquels il existe une véritable question litigieuse » (Moroccanoil Israel Ltd c Lipton, 2013 CF 667 au para 10).

V.                ANALYSE

[35]           Les défendeurs admettent avoir fait de fausses déclarations dans leurs demandes de citoyenneté et le Ministre a présenté les documents nécessaires pour soutenir ses allégations.

[36]           La Cour a revu les documents au dossier et est convaincue que le Ministre a satisfait le fardeau de preuve qui lui est imposé et que les défendeurs ont fait de fausses déclarations.  En effet, ils ont omis de déclarer des faits essentiels en l’occurrence, qu’ils ont à toutes fins pratiques été absents du Canada de juillet 2001 à juillet 2003, que les enfants se sont absentés du Canada pour des périodes de six mois ou plus et que les membres de la famille n’ont pas résidé à l’adresse résidentielle déclarée de juillet 2001 à juillet 2003. Les copies des dossiers scolaires des enfants sont probants à cet égard puisqu’ils confirment que tous les enfants ont été scolarisés au Liban jusqu’à la fin de l’année scolaire 2003.

[37]           Les défendeurs ont choisi de ne pas déposer de preuve par affidavits au soutien de leurs prétentions. Les Règles ne créent pas une obligation pour eux de présenter de tels affidavits, cependant, le défaut de se prévaloir de cette possibilité limite d’autant leur preuve et leurs représentations. En effet, le dépôt d’un affidavit permet d’établir les faits au soutien des prétentions d’une partie (Palmar Inc c Canada, (1998), 98 GTC 6281 au para 4 (CF)) et dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, la Cour apprécie cette preuve contenue aux affidavits en vue de déterminer s’il y a une véritable question litigieuse (0871768 BC Ltd c Aestival (Le), 2014 CF 1047 au para 55).

[38]           Les défendeurs ont aussi soutenu qu’ils souhaitaient la tenue d’un procès justement pour pouvoir présenter la preuve liée à leur défense. Tel que mentionné plus haut, ils devaient plutôt présenter leurs meilleurs arguments dans le cadre de la présente requête pour jugement sommaire afin de démontrer l’existence d’une question litigieuse, et la Cour ne peut donc souscrire à leur position.

[39]           Ayant choisi de ne pas déposer d’affidavits, les défendeurs n’ont pas soumis de preuve à l’appui de leurs allégations, particulièrement celles en lien avec leurs croyances quant à la nécessité ou la dispense d’être physiquement présents au Canada pendant la période de juillet 2001 à juillet 2003. De plus, faut-il le rappeler, ils ont admis dans leur défense avoir fait de fausses déclarations dans le cadre de leurs demandes de citoyenneté et ils ont réitéré ces aveux devant cette Cour lors de l’audience.

[40]           Ils ont, tant dans leur défense que devant cette Cour, tenté d’invoquer avoir été induits en erreur et avoir été confus dans leur interprétation des exigences de résidence en vue de l’octroi de la citoyenneté.

[41]           La Cour est au contraire convaincue que les fausses déclarations et omissions de faits des défendeurs ne sont pas innocentes et qu’ils auraient dû, s’ils avaient un doute, divulguer toutes les informations concernant leur situation dans leurs demandes de citoyenneté.

[42]            Finalement, tel que mentionné plus haut, la Cour considère que toute allégation de fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels vise les actes ou omissions du parent qui agit pour ses enfants, et n’exige donc pas que les enfants eux-mêmes aient eu l’intention d’induire le décideur en erreur.


JUGEMENT

LA COUR DÉCLARE que:

1.         Chacun des défendeurs, Jihad Achkar, Marie Sassine, Youmna Achkar, Yasmina Achkar, Anis Achkar et Iyad Achkar ont acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen de fausses déclarations ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels au sens de l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29;

2.         Le demandeur a droit aux dépens en vertu de l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

« Martine St-Louis »

Juge



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-817-13

 

INTITULÉ :

MCI et JIHAD ACHKAR MARIE SASSINE YOUMNA ACHKAR YASMINA ACHKAR ANIS ACHKAR LYAD ACHKAR

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

Pavol Janura

 

POUR LE demandeur

 

Joseph Daoura

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pavol Janura

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE demandeur

 

Joseph Daoura

Montréal (Québec)

Pour les défendeurs

 

 

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