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Date : 20150430


Dossier : IMM‑7099‑14

Référence : 2015 CF 565

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2015

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

QIN HANG CHEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration [l’agent] qui a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi [la demande d’ERAR] du demandeur, dont la demande d’asile a été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR].

[2]               Le demandeur a présenté des preuves « nouvelles » dans le cadre de sa demande d’ERAR, qui n’ont pas été admises par l’agent.

[3]               La disposition pertinente en l’espèce est l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, qui porte que :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

II.                Contexte

[4]               Le demandeur est un citoyen de la Chine qui a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être persécuté par le gouvernement chinois parce qu’il a pratiqué le christianisme dans une église « clandestine » (non approuvée par l’État).

[5]               La CISR a jugé que les questions déterminantes étaient celles de la crédibilité et de la situation des chrétiens dans la province du Fujian. La CISR a tiré un certain nombre d’inférences et de conclusions négatives quant à la crédibilité du demandeur qui l’ont amenée à conclure que celui‑ci n’est pas chrétien et n’est pas recherché par le Bureau de la sécurité publique [le BSP]. La CISR a de plus conclu que le demandeur s’est joint à une église chrétienne au Canada dans l’unique but de soutenir sa demande d’asile. Enfin, la CISR a conclu que le demandeur pouvait pratiquer sa foi au Fujian et qu’il n’existait pas une possibilité sérieuse de persécution.

[6]               En ce qui concerne la demande d’ERAR, le demandeur a déposé les documents suivants :

1.                  des affidavits du demandeur datés du 3 juin 2014 et du 21 mai 2014;

2.                  l’agenda personnel du fils du demandeur;

3.                  une lettre de l’épouse du demandeur;

4.                  une assignation traduite délivrée par le Bureau de la sécurité publique de la ville de Fuqing, datée du 11 mars 2014, contre le demandeur;

5.                  un mandat d’arrestation traduit lancé par le Bureau de la sécurité publique de la ville de Fuqing, daté du 6 février 2014, contre Guoquin Mei;

6.                  des photographies en noir et blanc du demandeur, de son épouse et de son fils, ainsi que des photographies montrant une pièce dans laquelle les meubles avaient été déplacés;

7.                  des documents médicaux traduits, datés du 11 mars 2014, selon lesquels l’épouse du demandeur a été blessée au bras;

8.                  une lettre traduite, datée du 16 mai 2014, de l’épouse du demandeur, selon laquelle des agents du BSP sont venus chez elle parce qu’ils étaient à la recherche du demandeur; elle dit qu’ils l’ont frappée avec un bâton lorsqu’elle a essayé de les empêcher d’endommager sa demeure;

9.                  une lettre traduite, datée du 26 mai 2014, des parents du demandeur, mentionnant que des agents du BSP se sont rendus chez le demandeur, ont endommagé sa demeure et ont blessé son épouse;

10.              une lettre traduite, datée du 19 mai 2014, de la voisine du demandeur en Chine, qui dit avoir vu un véhicule de police stationné devant la maison du demandeur et avoir trouvé son épouse étendue sur le plancher lorsqu’elle s’est rendue chez elle;

11.              une lettre traduite, datée du 20 mai 2014, de la voisine de l’épouse du demandeur, qui dit avoir vu des agents de police entrer chez elle, briser des choses et la battre;

12.              une lettre traduite, datée du 29 mai 2014, de Cheng Shen He disant que Gou Mei lui a donné un pamphlet en chinois et en anglais, et lui a dit qu’un ami au Canada le lui avait envoyé;

13.              la décision rendue par la CISR le 26 juin 2000 et des décisions de la Cour fédérale datées des 19 janvier 2011 et 4 mai 2012;

14.              les statistiques de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] concernant les décisions rendues par le commissaire Favreau en 2012 et 2013;

15.              la décision de la SPR et le formulaire de renseignements personnels [le FRP] du demandeur;

16.              une lettre adressée « À qui de droit » de l’Église pentecôtiste chinoise de Vancouver, datée du 27 mai 2014;

17.              des lettres, datées des 14 mai 2014 et 30 mai 2012, ainsi que des copies de reçus de dons délivrés par l’Assemblée Living Water à Toronto;

18.              des photographies en noir et blanc du demandeur avec des membres de sa congrégation à Toronto;

19.              le certificat de baptême du demandeur daté du 24 avril 2011;

20.              des lettres traduites d’anciens membres de sa congrégation en Chine;

21.              du matériel documentaire sur la situation en Chine.

[7]               En ce qui concerne les éléments de preuve 1 à 12, l’agent a conclu qu’il ne s’agissait pas de « preuves nouvelles » parce que l’information ne différait pas beaucoup de ce qui avait déjà été fourni à la CISR ni ne suffirait à écarter ses conclusions.

L’élément de preuve 21 a été considéré comme une preuve antérieure à la décision de la CISR, qui était raisonnablement disponible et aurait pu être présentée devant la CISR. La même conclusion a été tirée à propos des éléments de preuve 13 et 15 à 20. L’élément de preuve 14 a été considéré comme non pertinent.

[8]               La date déterminante concernant le dossier de preuve dont disposait la CISR est le 17 octobre 2012, soit la date à laquelle elle a rendu sa décision. La plus grande partie des « preuves nouvelles » sont postérieures à la décision de la CISR. Il s’agit notamment d’une assignation à comparaître délivrée contre le demandeur et signifiée à son épouse en 2014, d’un mandat d’arrestation lancé en 2014 contre M. Mei, la personne ayant reçu les documents religieux envoyés par le demandeur, ainsi que d’attestations de témoins ayant vu le BSP effectuer une descente chez le demandeur.

Toutes ces preuves indiquaient que le demandeur était exposé au moment de l’ERAR à un risque de la nature du risque allégué devant la CISR.

[9]               Après avoir fait référence à la décision Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, 304 FTR 46 [Raza], et cité cette décision, l’agent a tiré la conclusion suivante :

[traduction] Le demandeur, en l’espèce, a fourni sensiblement les mêmes renseignements qu’il a présentés à la SPR. Il n’a pas réfuté les conclusions de la SPR. Par conséquent, je ne dispose pas de preuves suffisantes pour arriver à une conclusion différente de celle de la SPR.

[10]           Le présent contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

                     L’agent a‑t‑il appliqué le bon critère juridique en ce qui concerne l’alinéa 113a)?

                     L’agent a‑t‑il commis une erreur en appliquant cet alinéa aux circonstances particulières de l’affaire?

III.             Analyse

[11]           Le premier point est une question de droit, à l’égard de laquelle la norme applicable est la décision correcte. Le deuxième, qui consiste à se demander si l’agent a commis une erreur, est une question mixte de fait et de droit à l’égard de laquelle la norme applicable est celle de la décision raisonnable (Elezi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 240, [2008] 1 RCF 365).

[12]           L’agent a cité un extrait pertinent de la décision Raza rendue par la Cour fédérale, mais il a totalement ignoré le cadre analytique décrit par la Cour d’appel dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, 289 DLR (4th) 675, dans lequel la Cour fait remarquer, au paragraphe 13, que l’alinéa 113a) exige que l’agent examine un certain nombre de points :

1.         Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2.         Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

3.         Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a)         à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b)         à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c)         à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les concidérer [sic].

4.         Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les concidérer [sic].

5.         Conditions légales explicites :

a)         Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les concidérer [sic].

b)         Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

[13]           L’agent n’a pas effectué le type d’analyse exigée par l’arrêt Raza. Pour ce motif à lui seul, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[14]           Plus particulièrement, l’agent semble avoir jugé les preuves nouvelles inadmissibles parce qu’elles concernaient le risque initialement allégué. Or, il est évident qu’une bonne partie de ces nouveaux éléments de preuve ont trait à des faits qui se sont produits bien après la décision de la CISR.

[15]           Comme il a été établi dans la décision Kirindage De Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 841, 159 ACWS (3d) 562, le fait que les nouveaux éléments de preuve concernent le risque initialement invoqué ne signifie pas qu’ils ne doivent pas être pris en compte, au contraire.

[17]      Bien que le processus d’ERAR soit conçu pour évaluer seulement les preuves de nouveaux risques, cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas prendre en considération des éléments de preuve nouveaux concernant d’anciens risques. En outre, il ne faut surtout pas confondre la question de savoir si des éléments de preuve sont de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 133a) et celle de savoir si les éléments de preuve établissent l’existence d’un risque. L’agent d’ERAR doit d’abord vérifier si le document est visé par l’un des trois volets de l’alinéa 113a). Dans l’affirmative, il doit ensuite vérifier si le document en question prouve l’existence d’un risque nouveau.

[…]

[21]      L’agente a exclu ces documents en se fondant uniquement sur le fait qu’ils avaient trait à des allégations qui avaient été soulevées devant la Commission. Il ne s’agit pas là du critère applicable aux nouveaux éléments de preuve qui est formulé dans l’alinéa 113a). Je conclus donc que l’agente a commis une erreur de droit en interprétant de manière erronée cette disposition.

[16]           L’agent a confondu la question de la nouveauté des preuves avec la question de savoir si ces preuves établissaient l’existence du risque. L’approche de l’agent rendrait stérile l’ERAR et amènerait à ne pas tenir compte d’éléments de preuve démontrant l’existence d’un risque actuel ou permanent parce que le même type de risque a été examiné auparavant.

[17]           Étant donné ma conclusion en ce qui a trait au critère juridique, je ne commenterai pas davantage le caractère raisonnable de la décision, sauf pour dire que la CISR ne disposait d’aucun élément de preuve établissant que l’épouse du demandeur avait été agressée pendant la perquisition antérieure du BSP ni d’aucun élément de preuve concernant le fait que le demandeur était recherché parce qu’il diffusait des documents religieux.

IV.             Conclusion

[18]           La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent accueillie, la décision annulée, et l’affaire renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[19]           Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7099‑14

 

INTITULÉ :

QIN HANG CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AVRIL 2015

 

MOTIFS ET JUGEMENT :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Douglas Cannon

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bobby Bharaj

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associés

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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