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Date : 20150506


Dossier : IMM-3259-14

Référence : 2015 CF 596

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 6 mai 2015

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

PETER CONKA

DOROTA CONKOVA

SOFIA CONKOVA

TINA CONKOVA

MAGGIE CONKOVA

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour le compte de sa famille, Peter Conka conteste la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) rejetant leurs demandes d’asile conjointes. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Le contexte

[1]               Les membres de la famille Conka sont citoyens de la Slovaquie. Ils appartiennent au groupe ethnique des Roms. Ils sont arrivés au Canada le 11 février 2012 et ont immédiatement demandé l’asile.

[2]               Peter a 33 ans. Il représente sa famille au cours de ses procédures d’immigration. Son épouse, Dorota, a 31 ans. Ils ont trois filles âgées de 6, de 10 et de 14 ans.

[3]               Les demandeurs ont dit craindre la persécution en Slovaquie en raison de leur appartenance ethnique. La Commission a rejeté leurs cinq demandes d’asile par une décision rendue le 4 avril 2014.

[4]               Dans sa décision, la Commission explique que le demandeur d’asile principal, Peter, vivait à Levoca, en Slovaquie, avec sa famille. Dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), il dit être allé dans la capitale, Bratislava, en septembre 2010, pour une entrevue d’emploi. L’intervieweuse a refusé de l’embaucher lorsqu’elle s’est rendu compte qu’il était Rom. Comme il revenait chez lui, un groupe de cinq ou six hommes l’ont abordé et lui ont crié des insultes racistes. L’un d’eux l’a frappé au poignet à l’aide d’une batte de baseball. Le demandeur s’est enfui et a rencontré deux policiers, qui lui ont dit que, s’il voulait porter plainte, c’était au commissariat de police qu’il devait le faire et qu’il devait les payer. Il s’est plutôt rendu à l’hôpital pour se faire soigner. Il est par la suite allé au commissariat de police et a expliqué ce qui s’était passé. Un policier lui a dit qu’il serait difficile de trouver les agresseurs et l’a renvoyé chez lui.

[5]               M. Conka a dit qu’il se rendait chez lui avec un ami en janvier 2012, lorsque trois skinheads les ont abordés et ont commencé à crier des insultes racistes. Ils l’ont agressé avec un vaporisateur de poivre de Cayenne et ont commencé à lui donner des coups de pied. Il prétend avoir subi des blessures graves, comme des côtes cassées. Les agresseurs ont déguerpi lorsqu’une voiture de police est arrivée. Le demandeur principal a fourni une description des agresseurs aux policiers. Ensuite, il a sollicité des soins médicaux. Lorsqu’il s’est rendu au commissariat de police le lendemain muni de son rapport médical, un policier lui a dit qu’il était trop occupé pour rédiger un rapport. Il y est retourné le lendemain, mais on lui a dit qu’il était trop tard pour déposer une plainte. Il s’est plaint au maire, mais n’a reçu aucune aide.

[6]               Le même mois, alors que Mme Conkova marchait avec leurs enfants, quatre jeunes hommes les ont menacées et ont proféré des insultes racistes à leur endroit. Elle a voulu porter plainte à la police, mais les policiers ont refusé de rédiger un rapport parce qu’elle n’était pas en mesure d’identifier les agresseurs.

[7]               En septembre 2011, une de leurs filles est revenue de l’école en pleurs parce que l’école séparait les enfants roms des autres.

[8]               La Commission examine d’abord la question de la protection offerte par l’État. Citant Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 (Ward), la Commission explique qu’à moins d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État protège ses citoyens. Le demandeur d’asile doit persuader la Commission, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est inadéquate.

[9]               La Commission conclut que la Slovaquie est une démocratie qui fonctionne. Le demandeur principal n’a pas épuisé tous les moyens de recours raisonnables, comme il lui incombait de le faire. La structure des forces de sécurité slovaques est hiérarchique et les gens peuvent se plaindre à une autorité supérieure, en particulier au Bureau des services d’inspection du corps de police.

[10]           La Commission cite l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] ACF no 248 (CAF) (Maldonado) et mentionne que le témoignage d’un demandeur d’asile est présumé être vrai à moins qu’il n’y ait des raisons de douter de sa véracité. La Commission conclut que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible et digne de foi en raison des contradictions entre l’exposé circonstancié de son FRP et son témoignage de vive voix.

[11]           Premièrement, dans son FRP, M. Conka a allégué qu’il est allé à l’hôpital après avoir parlé à deux policiers de l’agression à la batte de baseball. Il n’y a absolument rien qui indique qu’il est allé au commissariat de police avec ces deux policiers avant d’aller à l’hôpital. À l’audience, le demandeur a raconté une tout autre histoire. Il a dit que ces policiers l’avaient conduit au commissariat de police vers 11 h, qu’ils ne l’y ont pas aidé, et que par la suite il est allé à l’hôpital. Après avoir eu son congé, il est retourné au commissariat vers 15 h 30 muni de son rapport médical, mais, encore une fois, les policiers ont refusé de le servir. Pourtant, son FRP ne révèle pas qu’il a apporté un rapport médical au commissariat après être allé à l’hôpital. Enfin, à l’audience, le demandeur a oublié de mentionner que les deux policiers lui avaient demandé de l’argent, comme il l’avait allégué dans son FRP. Le tribunal conclut que le demandeur a modifié son récit pour donner plus de poids à sa demande.

[12]           Il y avait des incohérences entre l’exposé circonstancié du FRP et le témoignage de vive voix du demandeur principal à propos des plaintes qu’il peut avoir adressées aux superviseurs des policiers. De l’avis de la Commission, ce qu’il a dit pour expliquer ces incohérences était vague et portait à confusion. Selon la prépondérance des probabilités, la Commission conclut que le demandeur n’a jamais demandé à parler aux supérieurs des policiers. Cela mine encore plus sa crédibilité.

[13]           M. Conka a affirmé avoir dit aux policiers qu’il pouvait identifier un de ses agresseurs à Bratislava, mais qu’ils ne voulaient toujours pas rédiger de rapport. La Commission a exprimé des doutes quant à la possibilité du demandeur de fournir une description, parce qu’il se trouvait dans une ville à 400 km de sa ville d’origine, et qu’il se faisait rouer de coups par des hommes qu’il n’avait jamais vus auparavant.

[14]           Mme Conkova a déclaré qu’elle était en mesure de décrire un des hommes qui l’a menacée à la police. La Commission lui a demandé quelle description elle a donnée. Elle a dit que l’agresseur avait la même taille qu’elle et les cheveux noirs. La Commission conclut qu’elle n’a pas donné de piste utile à la police et n’a donc pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

[15]           Bien que M. Conka ait allégué avoir reçu des soins médicaux à deux occasions distinctes, il n’a produit aucun rapport médical à la Commission, même s’il a déclaré être allé au commissariat de police muni d’un rapport médical après l’agression à Bratislava. Il a affirmé ne pas avoir su qu’il devait apporter le rapport au Canada. Il a ajouté que, lorsqu’il s’est rendu compte qu’il en avait besoin, il a téléphoné à sa mère pour le lui demander. Elle n’a pas pu le trouver et en a demandé un nouvel exemplaire à l’hôpital, mais le personnel lui a dit que le demandeur devait passer le chercher en personne. M. Conka a présenté une lettre de sa mère. La Commission y a accordé très peu de poids, parce que la lettre n’est pas datée.

[16]           La Commission conclut qu’il n’y a pas d’éléments de preuve convaincants que M. Conka n’ait jamais été injurié et agressé physiquement, qu’il ait reçu des soins médicaux ou qu’il se soit plaint à la police ou au maire. Il n’a produit aucun document corroborant ses dires, comme des rapports médicaux ou de police.

[17]           En outre, la Commission reproche à M. Conka de ne pas avoir porté plainte auprès des organismes qui font enquête sur l’inconduite des policiers en Slovaquie. La Commission rappelle que la présomption de la protection de l’État ne peut pas être renversée par des conjectures sur son efficacité et avancer une réticence subjective à solliciter cette protection ne suffit pas à prouver que celle‑ci n’existe pas. En l’absence d’explications convaincantes, le défaut de solliciter la protection de l’État est un obstacle insurmontable à la réussite de la demande.

[18]           La Commission insiste sur le fait que la prépondérance des éléments de preuve objectifs établit que la protection de l’État est adéquate en Slovaquie, parce que l’État [traduction] « fait de sérieux efforts » pour régler les problèmes et que [traduction] « la police est disposée à protéger les victimes et en mesure de le faire ». Il y a de la corruption et des lacunes dans les forces policières, mais il ne s’agit pas d’un problème systémique.

[19]           En définitive, la Commission rejette les cinq demandes fondées sur les articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Les questions en litige

[20]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les quatre questions suivantes :

1.                  La Commission a‑t-elle commis une erreur en évaluant la crédibilité?

2.                  La Commission a‑t-elle choisi le critère adéquat en ce qui concerne la protection de l’État?

3.                  La Commission a‑t-elle commis une erreur en évaluant la protection de l’État?

4.                  La Commission a‑t-elle commis une erreur en omettant d’examiner séparément les demandes des demanderesses mineures?

III.             La norme de contrôle

[21]           Les conclusions relatives à la crédibilité sont des questions de fait. Elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Triana Aguirre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 571, aux paragraphes 13 et 14; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1078, au paragraphe 51.

[22]           La norme de contrôle qui s’applique à l’évaluation par la Commission de sa compréhension du critère de la protection de l’État est celle de la décision correcte. Pourtant, la norme de contrôle qui s’applique à l’application de ce critère aux faits de l’espèce est celle de la décision raisonnable : Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 22.

[23]           La quatrième question n’exige pas l’analyse d’une norme de contrôle.

IV.             Analyse

A.                La Commission a‑t-elle commis une erreur en évaluant la crédibilité?

[24]           Il est bien établi en droit que les allégations d’un demandeur d’asile doivent être présumées vraies à moins qu’il n’y ait des raisons de douter de leur véracité : arrêt Maldonado. Après avoir examiné les motifs de la Commission, l’exposé circonstancié du FRP du demandeur principal et la transcription de l’audience, la Cour a conclu que la Commission a exprimé des doutes raisonnables quant à la crédibilité du témoignage sous serment. Par conséquent, la présomption de véracité a été déplacée. Il était loisible à la Commission d’insister afin d’obtenir des éléments de preuve corroborant les allégations et de rejeter les explications données par les demandeurs pour justifier leur défaut d’en produire.

[25]           La Commission n’était absolument pas tenue de croire le demandeur principal sur parole, car il n’a pas donné de récit clair et cohérent. Il n’a pas non plus remédié aux omissions et incohérences de son témoignage à l’aide de preuves objectives. La conclusion de la Commission, selon laquelle il n’a jamais été agressé ni injurié, appartient aux issues acceptables selon la norme de la décision raisonnable.

B.                 La Commission a‑t-elle choisi le critère adéquat en ce qui concerne la protection de l’État?

[26]           Selon les demandeurs, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a mis l’accent sur les efforts entrepris par la Slovaquie pour enrayer la corruption et l’impunité, plutôt que sur le caractère satisfaisant des efforts concrets.

[27]           Les demandeurs ont raison de dire que le critère de la protection de l’État met l’accent sur l’efficacité : Cervenakova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 525, au paragraphe 74; Ruszo, précité, au paragraphe 27; Beri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 854, aux paragraphes 35 et 36. Leur argument selon lequel la Commission a commis une erreur n’est pourtant pas fondé.

[28]           Dans leurs observations, les demandeurs ont choisi des extraits des motifs de la Commission à l’appui de leur argument selon lequel le critère appliqué n’était pas adéquat. La Cour doit examiner les motifs comme un tout. Bien que la Commission ait mentionné les efforts déployés par les autorités en Slovaquie, elle a aussi fait référence au critère adéquat et a déclaré sans équivoque que [traduction] « la police est disposée à protéger les victimes et en mesure de le faire » [non souligné dans l’original]. La Commission a de toute évidence appliqué le critère du caractère satisfaisant. Que les demandeurs ne soient pas d’accord avec la conclusion de la Commission ne signifie pas que celle‑ci a commis une erreur à cet égard.

C.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en évaluant la protection de l’État?

[29]           Il est bien établi en droit que les tribunaux au Canada doivent présumer que la protection de l’État est offerte dans le pays d’origine. Il incombe toujours au demandeur de renverser cette présomption à l’aide d’une « preuve claire et convaincante de l’incapacité d’un État d’assurer la protection » : Ward, précité, à 725 et 726.

[30]           En l’espèce, la Commission a conclu que les allégations précises du demandeur principal n’étaient pas crédibles. Elle a évalué la preuve documentaire et a conclu qu’elle ne renversait pas la présomption de la protection de l’État. Il s’agit d’une conclusion raisonnable qu’il était loisible à la Commission de tirer sur la foi des éléments de preuve. Le rôle de la Cour lorsqu’elle procède à un contrôle judiciaire n’est pas de soupeser à nouveau la preuve et de substituer son propre point de vue à celui du décideur.

[31]           Les arguments des demandeurs selon lesquels la Commission n’a pas tenu compte de la situation particulière des Roms en Slovaquie ou selon lesquels son évaluation de la corruption des forces de sécurité ne s’appliquait pas à leurs demandes. Au contraire, l’honnêteté et l’efficacité des forces policières sont au cœur de l’analyse de la protection de l’État.

D.                La Commission a‑t-elle commis une erreur en omettant d’examiner séparément les demandes des demanderesses mineures?

[32]           La Commission a été muette quant aux allégations de la discrimination à laquelle les demanderesses mineures auraient été exposées en Slovaquie. Le conseil des demandeurs, s’appuyant sur les décisions Ramnauth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 233 et Babos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 346, fait valoir que l’omission de trancher séparément les demandes qui soulèvent des questions distinctes constitue une erreur susceptible de contrôle.

[33]           Le défendeur rétorque que les demanderesses ont consciemment choisi de désigner Peter comme leur représentant pour leurs affaires en matière d’immigration. Il était le seul, parmi eux, à avoir présenté un exposé circonstancié dans son FRP.

[34]           La Cour est d’avis qu’il aurait été préférable que la Commission mentionne expressément les allégations selon lesquelles les enfants sont exposés à la persécution en Slovaquie, en raison de l’intimidation et de la ségrégation à l’école. Toutefois, avant d’infirmer une décision administrative, la Cour doit examiner les éléments de preuve et déterminer si ceux-ci peuvent étayer la décision : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

[35]           Les allégations que la Commission n’a pas explicitement traitées sont les plus faibles. Même si elles étaient acceptées comme vraies, il ne peut raisonnablement être conclu que la discrimination à laquelle les enfants sont exposés équivaut à la persécution qui justifie que la demande d’asile soit accueillie. Dans de telles circonstances, le défaut de la Commission de traiter la question n’a pas entaché le caractère raisonnable de sa décision.

[36]           La présente demande est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification et aucune n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3259-14

 

INTITULÉ :

PETER CONKA, DOROTA CONKOVA, SOFIA CONKOVA, TINA CONKOVA, MAGGIE CONKOVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge MOSLEY

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 6 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Mordechai Wasserman

POUR LES DEMANDEURS

 

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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