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Date : 20150429


Dossiers : IMM-7966-13

IMM-8082-13

Référence : 2015 CF 562

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2015

En présence de madame la juge Strickland

Dossier : IMM-7966-13

ENTRE :

ZOLTAN KOKY, MILADA KOKYOVA, ZOLTAN KOKY

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-8082-13

ET ENTRE :

ZLATICA KOKYOVA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de deux décisions rendues par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datées respectivement du 4 novembre 2012 et du 24 novembre 2013. Dans la première décision, le commissaire du tribunal (le commissaire) a prononcé le désistement des demandes d’asile de Zoltan Koky (le demandeur principal) et de ses deux enfants mineurs, Milada Kokyova et Zoltan Koky fils, présentées au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) (IMM‑7966‑13). Dans la seconde décision, le commissaire a rejeté la demande de Zlatica Kokyova, l’épouse du demandeur principal, après avoir conclu qu’elle n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre des articles 96 et 97, respectivement, de la LIPR (IMM‑8082‑13).

[2]               Le demandeur principal, son épouse et leurs deux enfants mineurs (les demandeurs) sont des citoyens de la Slovaquie. La SPR a fixé au 8 août 2013 la date de l’audience des demandeurs. Les demandes des membres de la famille devaient être entendues en même temps et s’appuyaient toutes sur l’exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur principal.

[3]               Tous les demandeurs ont assisté à l’audience du 8 août 2013 au cours de laquelle leur conseil a remis au commissaire une lettre du médecin de premier recours de Mme Kokyova datée du 29 juillet 2013. Dans cette lettre, le médecin précisait qu’il traitait Mme Kokyova depuis un an et que celle‑ci avait souffert d’un état de stress post-traumatique (ESPT) en raison du harcèlement et des agressions dont elle avait été victime de la part de skinheads en Slovaquie. Son médecin a apporté des détails sur son état et son traitement, et a mentionné ce qui suit :

[traduction]

Il importe également de comprendre qu’en raison de l’ESPT, il se peut que Mme Kokyova ait de la difficulté à se représenter elle‑même à l’audience et à se rappeler des événements passés avec précision. Les patients présentant un ESPT ont souvent de la difficulté à se rappeler le premier événement déclencheur, car ils l’ont revécu à maintes reprises dans leur tête et certains souvenirs peuvent être déformés. En raison de son ESPT, elle souffre d’une très grande anxiété dans certaines situations et ce problème sera probablement aggravé lorsqu’elle se trouvera dans une salle d’audience.

[4]               La SPR avait aussi fixé des dates d'audience en double, et, finalement, l’audience a été ajournée au 16 octobre 2013.

[5]               Le 16 octobre 2013, le demandeur principal et les deux demandeurs mineurs ont assisté à la reprise de l’audience; cependant Mme Kokyova n’y était pas. D’autres documents médicaux ont été produits, dont une lettre d’un psychiatre qui avait diagnostiqué un ESPT chez Mme Kokyova le 15 octobre 2013. Dans cette lettre, il décrivait le traitement, les médicaments et la psychothérapie de Mme Kokyova à cette date‑là et précisait que ses symptômes étaient sévères et s’étaient aggravés récemment en raison de l’audience imminente relative à la demande d’asile et de l’incertitude quant à un retour possible en Slovaquie. Parmi les documents produits se trouvait également une note du service des urgences du Toronto East General Hospital indiquant que Mme Kokyova avait consulté à cet endroit le 15 et le 16 octobre 2013 et qu’elle raterait l’audience.

[6]               Le demandeur principal a demandé un ajournement, que le commissaire a refusé. Le commissaire a ensuite séparé la demande de Mme Kokyova au titre de l’article 56 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les Règles de la SPR). En outre, comme le demandeur principal a refusé de témoigner en l’absence de son épouse, le commissaire a immédiatement entamé la procédure de désistement aux termes de l’alinéa 65(1)a) des Règles de la SPR. Le commissaire n’a pas accepté l’explication du demandeur principal, à savoir que celui‑ci souhaitait que son épouse soit présente, bien qu’elle ne soit pas en mesure de témoigner, et a prononcé le désistement des demandes du demandeur principal et des deux demandeurs mineurs en vertu de l’article 168 de la LIPR.

[7]               L’audience de Mme Kokyova a eu lieu ultérieurement, soit le 14 novembre 2013. Le conseil a demandé au commissaire de se récuser en raison de sa partialité, ce que le commissaire a refusé. Le conseil a ensuite demandé de joindre de nouveau les demandes des autres membres de la famille, ce que le commissaire a aussi refusé. Le commissaire a proposé au demandeur principal de témoigner au nom de son épouse compte tenu de l’état psychologique de celle‑ci, mais le demandeur principal a refusé. Le commissaire a également offert de décider la demande sur la base de l’argumentation du conseil et de la preuve écrite, mais le conseil de Mme Kokyova a refusé. Mme Kokyova a témoigné, et le commissaire a conclu qu’elle n’était pas crédible, que sa demande n’était pas étayée, qu'il existait moins qu'une sérieuse possibilité qu’elle soit agressée physiquement en raison de son origine rom si elle retournait en Slovaquie et que la discrimination à l’endroit des Roms en Slovaquie n’équivalait pas à de la persécution. Par conséquent, Mme Kokyova n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96 ni qualité de personne à protéger au titre de l’article 97 de la LIPR.

IMM- 7966-13

Les questions en litige

[8]               À mon avis, voici les questions en litige :

1.      Le commissaire a‑t‑il violé les principes d’équité procédurale et de justice naturelle lorsqu’il a refusé un ajournement et poursuivi l’audience?

2.      Existait‑il une crainte raisonnable de partialité ou une partialité réelle?

La norme de contrôle

[9]               Les demandeurs n’ont présenté aucune observation sur la norme de contrôle. Le défendeur soutient, et je suis du même avis, qu’en matière d’équité procédurale et de justice naturelle, la norme applicable est la décision correcte (Juste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 670, aux paragraphes 23 et 24; Olson c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 458, au paragraphe 27). En application de la norme de la décision correcte, la cour de révision ne doit pas manifester de déférence envers le décideur; elle doit effectuer sa propre analyse de la question et tirer sa propre conclusion (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50; Wu c Canada (Procureur général), 2013 CF 838, au paragraphe 12; Etienne c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1128, au paragraphe 14; Lambie c Canada (Procureur général), 2011 CF 104, au paragraphe 37; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 442, au paragraphe 6; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 53; Tahmourpour c Canada (Solliciteur général, 2005 CAF 113, au paragraphe 7).

La décision faisant l’objet du contrôle

[10]           Le commissaire a reconnu que la SPR avait fixé des dates d'audience en double le 8 août 2013 et qu’en conséquence, l’affaire n’avait pu être entendue ce jour‑là. Par conséquent, il a ajourné l’audience au 16 octobre 2013. Le commissaire a également reconnu avoir reçu la lettre du 29 juillet 2012 provenant du médecin de Mme Kokyova et a conclu, malgré le fait que la SPR avait fixé des dates d’audience en double, que Mme Kokyova n’était pas en mesure de témoigner ce jour­‑là. En outre, il avait l’impression que Mme Kokyova serait longtemps dans cet état psychologique. Par conséquent, en supposant qu’elle ne serait toujours pas en mesure de témoigner à la prochaine audience en raison de son état psychologique, le commissaire a informé le conseil que le demandeur principal agirait à titre de représentant désigné (RD) pour son épouse. Le commissaire a affirmé que, selon ses documents, le conseil des demandeurs a accepté cette proposition ou, à tout le moins, il ne s’y est pas opposé. Le commissaire a ensuite reconnu que son utilisation du terme RD était fautive, car il aurait dû dire que Mme Kokyova serait considérée comme une personne vulnérable aux termes des Directives numéro 8. Il a expliqué que [traduction] « le tribunal a clairement signalé son intention de faire témoigner le demandeur au nom de son épouse, car celle‑ci était dans l’impossibilité de le faire, les parties ont compris cette intention et le conseil a acquiescé à cette proposition ».

[11]           La décision précise qu’à l’audience du 16 octobre 2013, à laquelle Mme Kokyova n’a pas assisté, le commissaire a rappelé au conseil et au demandeur principal qu’il leur avait déjà conseillé de témoigner au nom de son épouse et a suggéré, par conséquent, que l’audience suive son cours. Pour ce motif, le commissaire a refusé une demande d’ajournement. Il a séparé la demande de Mme Kokyova en s’appuyant sur l’article 56 des Règles de la SPR, car la séparation des demandes peut favoriser l’efficacité du travail de la SPR sans qu’elle puisse causer d’injustice. Il a affirmé que la prochaine étape dans le traitement de la demande de Mme Kokyova serait une audience sur le désistement. Le commissaire a ensuite proposé d’envisager la possibilité de permettre au demandeur principal de témoigner au nom de son épouse à ce moment‑là, car celle‑ci pourrait vraisemblablement être considérée comme une personne vulnérable. Ainsi, si la demande d’asile de Mme Kokyova était accueillie, les demandeurs, dont les demandes sont séparées, pourraient obtenir le droit d’établissement grâce à la demande d’établissement de Mme Kokyova.

[12]           Comme le demandeur principal a refusé de témoigner, le commissaire a entamé la procédure de désistement aux termes de l’alinéa 65(1)a) des Règles de la SPR. Le demandeur principal a été invité à expliquer pourquoi le désistement de leurs demandes ne devrait pas être prononcé. Il a fait valoir qu’en raison du fait que l’audience du 16 octobre 2013 était essentiellement la première audience, le désistement des demandes ne devrait pas être prononcé à cette étape‑là. Le commissaire a rejeté cet argument et a conclu que le fait que la SRP avait fixé des dates d’audience en double et n’était pas disponible était non pertinent, car Mme Kokyova [traduction] « n’était pas disponible » non plus pour témoigner à cette date. En outre, à la première séance, le commissaire a informé le conseil et le demandeur principal que celui‑ci devrait témoigner en son propre nom et au nom de son épouse si celle‑ci n’était pas en mesure de témoigner ultérieurement.

[13]           Le commissaire a rejeté l’objection de fond du demandeur principal, selon laquelle il souhaitait que son épouse soit présente pour lui apporter du soutien moral, même si elle ne pouvait pas témoigner. Le commissaire a souligné que le demandeur principal était un homme mature de 45 ans n’ayant aucun problème médical ou psychologique connu pouvant l’empêcher de témoigner. L’anxiété qu’il éprouvait à la première audience est une réaction normale chez les demandeurs d’asile et ne constitue pas un motif suffisant pour interrompre le traitement d’une demande.

[14]           Le commissaire a conclu que l’absence de l’épouse du demandeur principal ne constituait pas un motif suffisant pour que celui‑ci refuse de témoigner dans l’objectif de faire avancer sa propre demande d’asile. Le commissaire a prononcé le désistement de la demande du demandeur principal et des demandes connexes des deux demandeurs mineurs aux termes de l’article 168 de la LIPR.

PREMIÈRE QUESTION : le commissaire a‑t‑il violé les principes d’équité procédurale et de justice naturelle lorsqu’il a refusé un ajournement et poursuivi l’audience?

La position du demandeur principal

[15]           Le demandeur principal estime que le commissaire n’a tenu compte d’aucun des facteurs énoncés dans les Règles de la SPR qu’il convient d’examiner lorsqu’une demande de remise est présentée. En outre, comme il s’agissait d’une question de droit et de procédure, Mme Kokyova avait le droit d’assister à l’audience portant sur la demande du demandeur principal pour décider si elle témoignerait. Elle s’est vu refuser injustement ce droit, bien qu’aient été produits des documents démontrant qu’elle était absente à l’audience du 16 octobre 2013 en raison de problèmes de santé.

[16]           Le demandeur principal soutient également que le commissaire a enfreint la politique de la SPR lorsqu’il a poursuivi l’audience, car les demandes des membres d’une même famille doivent habituellement être entendues en même temps. Par conséquent, le commissaire a ainsi outrepassé sa compétence. Il était également contraire à la politique de la SPR et erroné de prononcer le désistement des demandes le 16 octobre 2013, car, comme le veut le processus habituel, la SPR avait fixé la date d’une audience spéciale, soit le 6 novembre 2013, à cette fin, dans l’éventualité où les demandeurs n’auraient pas comparu à l’audience régulière prévue. En réalité, le demandeur principal a été pénalisé pour avoir comparu le 16 octobre 2013, car, s’il ne l’avait pas fait, il aurait eu droit à une audience complète sur le désistement le 6 novembre 2013.

[17]           De plus, le commissaire n’avait aucun motif de prononcer le désistement des demandes, car le demandeur principal n’avait aucunement l’intention de se désister de ces demandes et avait tout à fait l’intention de leur donner suite.

[18]           Le demandeur principal affirme que le commissaire a commis des actes tout à fait injustes, erronés et inappropriés; qu’il a contourné les politiques de la SPR pour en venir à ses propres fins; qu’il a, sans motif valable, tenté de forcer les demandeurs à poursuivre la procédure [traduction] « même si c’était illégal » ou de prononcer le désistement de leurs demandes; qu’il ne laisserait rien lui faire obstacle, y compris la séparation inappropriée des demandes; qu’il [traduction] « s’est donné personnellement pour mission d’atteindre ses objectifs ». Le demandeur a ajouté que la conduite et le comportement du commissaire [traduction] « étaient tellement scandaleux qu’il ne pouvait manifestement pas rendre une décision équitable dans les dossiers des demandeurs, que ce soit concernant l’audience sur le désistement convoquée à la hâte ou le fondement des demandes d’asile des demandeurs ». Le commissaire a également rejeté la requête en récusation s’appuyant sur le motif d’une crainte raisonnable de partialité, mais n’a pas mentionné cette requête dans sa décision et n’a pas fourni de motifs justifiant le rejet de cette requête. Le demandeur principal fait valoir que l’agressivité ressortant du comportement et des actes du commissaire a suscité une crainte raisonnable de partialité, qui a fait en sorte que le commissaire a outrepassé sa compétence, peu importe s’il aurait autrement pu arriver à un résultat correct (R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 (RDS)).

La position du défendeur

[19]           Le défendeur soutient que le paragraphe 56(5) des Règles de la SPR énonce certains facteurs dont tient compte la SPR lorsqu’elle joint ou sépare des demandes d’asile, y compris la question de savoir si la jonction ou la séparation favorise l’efficacité du travail de la SPR ou peut causer une injustice. Aux termes du paragraphe 65(1) des Règles de la SPR, qui porte sur le désistement, la SPR doit donner au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé sur-le-champ, dans le cas où le demandeur d’asile est présent à la procédure et où la SPR juge qu’il est équitable de le faire ou au cours d’une audience spéciale, dans tout autre cas.

[20]           Compte tenu des circonstances de la présente affaire, la SPR avait la compétence nécessaire pour séparer la demande de l’épouse du demandeur principal des autres demandes et de poursuivre la procédure relative aux demandes des autres demandeurs. Le demandeur principal a eu la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé, et le commissaire a fourni des motifs expliquant pourquoi l’explication donnée était inacceptable.

[21]           En ce qui a trait à l’argument des demandeurs selon lequel le tribunal faisait preuve de partialité, car il n’avait pas ajourné l’audience, il est bien établi en droit qu’il faut présumer que le décideur a agi avec impartialité (Elkebti c Canada (Solliciteur général), (22 mars 2004) IMM‑1876‑04 et IMM‑1877‑04; Jones c Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 382, au paragraphe 29). En outre, les demandeurs n’ont pas prouvé comment le commissaire avait fait preuve de partialité dans son comportement. Selon l’affidavit du demandeur principal, lorsque le conseil du demandeur a terminé de présenter son argumentation et les motifs pour lesquels il ne convenait pas de séparer les demandes et de poursuivre l’audience, le commissaire est sorti de la salle pour délibérer et est revenu rendre sa décision. Le fait que les demandeurs soient en désaccord avec l’issue n’est pas une preuve de partialité. Il n’y a pas non plus eu de manquement aux principes de justice naturelle.

[22]           Le défendeur fait valoir que les demandeurs n’ont pas prouvé qu’ils n’avaient pas eu une possibilité suffisante d’être entendus par un tribunal neutre et impartial. En fait, le demandeur principal n’a pas fourni de motif suffisant justifiant son refus de témoigner à son audience sur la demande d’asile, qui était planifiée, même après s’être fait clairement expliquer que le tribunal considérerait qu’il s’était désisté de sa demande.

Analyse

[23]           Pour comprendre le contexte procédural en l’espèce, un examen de la transcription des procédures s’impose.

a)                   La transcription

[24]           Selon la transcription, tous les membres de la famille ont assisté à la première audience prévue, qui a eu lieu le 8 août 2013. Le commissaire a accusé réception de la lettre du médecin de Mme Kokyova et a précisé, comme il semblait que Mme Kokyova serait longtemps dans cet état psychologique, que le demandeur principal pourrait agir à titre de représentant désigné pour son épouse et que la procédure pouvait se poursuivre. Le conseil des demandeurs, qui était en désaccord avec cette déclaration, a affirmé que le demandeur principal ne se sentait pas bien et que Mme Kokyova n’était pas en mesure de parler. Le demandeur principal a informé le commissaire qu’il était anxieux, avait le trac et croyait qu’il serait moins anxieux un autre jour. Le conseil s’est aussi opposé à l’idée que le demandeur principal agisse à titre de représentant désigné pour son épouse en raison des circonstances.

[25]           Comme l’anxiété du demandeur principal est une réaction normale au cours des audiences de cette nature, le commissaire a proposé d’entendre le témoignage du demandeur principal, parce que celui‑ci était l’auteur de l’exposé circonstancié commun et que, de toute façon, l’audience commencerait tard, car des dates d’audience étaient fixées en double. Il a également proposé que le témoignage de Mme Kokyova, le cas échéant, soit entendu à la prochaine date d’audience.

[26]           Le conseil s’est opposé à cette proposition au motif que le demandeur principal avait dit qu’il était nerveux et qu’il serait injuste de faire attendre les demandeurs pendant une heure ou deux. Le conseil a ensuite ajouté qu’il devait partir à 16 h et que l’interprète souhaitait partir à 15 h 45.

[27]           Par conséquent, le commissaire, qui a décidé de fixer l’audition de l’affaire à une date ultérieure, s’est exprimé en ces termes :

[traduction]

COMMISSAIRE : Voici ce que je vais faire. Je vous informe que si la demanderesse n’est pas en mesure de témoigner ou de comprendre, je propose de nommer le demandeur comme son RD.

CONSEIL : D’accord.

COMMISSAIRE : D’accord?

CONSEIL : D’accord, mais pourriez-vous nous accorder au moins un mois ou deux afin qu’elle...

COMMISSAIRE : Oui, je pense bien. Je pense bien. Je ne fixerai pas la date en août. Ce ne sera pas avant septembre.

(Dossier certifié du tribunal (DCT), à la page 884.)

[28]           Le commissaire a aussi expliqué au demandeur principal que, si son épouse n’était pas en mesure de témoigner à la prochaine audience, il lui demanderait de parler en son nom (DCT, à la page 885). Le commissaire a répété son opinion au conseil (DCT, à la page 886), tout en reconnaissant que Mme Kokyova tremblait et était manifestement anxieuse.

[29]           Cela ressort de la décision du commissaire, lorsque celui‑ci affirme qu’il avait l’intention de faire témoigner le demandeur principal au nom de son épouse, car celle‑ci n’était pas en mesure de le faire. Ainsi, le 8 août 2013, il a laissé savoir que, si l’épouse du demandeur principal n’était pas en mesure de témoigner à la prochaine date d’audience, il s’attendait à ce que le demandeur principal le fasse en son nom. Les conséquences seraient les mêmes qu’il soit nommé comme RD ou qu’elle soit considérée comme une personne vulnérable.

[30]           Dans les faits, Mme Kokyova n’a pas été en mesure d’assister à l’audience du 16 octobre 2013. Selon la transcription, le conseil a demandé la remise de l’audience. Le commissaire a rappelé au conseil que, le 8 août 2013, il avait laissé savoir que, si Mme Kokyova ne pouvait pas témoigner, le demandeur principal serait son RD. Le conseil a manifesté son opposition au motif que Mme Kokyova avait le droit de témoigner ou, à tout le moins, d’assister à l’audience. Le commissaire a souligné que le demandeur principal avait rédigé l’exposé circonstancié commun du FRP, qu’il était présent et qu’il était en mesure de témoigner. Le conseil a ensuite soutenu que, quoiqu’il n’y ait pas de note d’un médecin, le commissaire devrait prendre connaissance d’office du fait qu’un époux ne se trouve probablement pas dans un bon état d’esprit lorsque son épouse est à l’urgence. La discussion s’est longuement poursuivie, et le conseil des demandeurs a affirmé qu’il était d’avis qu’il serait injuste de poursuivre l’audience dans les circonstances.

[31]           Le commissaire a ensuite posé au conseil la question de savoir s’il voulait demander au demandeur principal si celui‑ci avait changé d’avis et souhaitait désormais témoigner. Le demandeur principal s’est alors exprimé en ces termes :

[traduction]

DEMANDEUR 1 : Monsieur, j’aimerais mentionner que mon épouse était absente la dernière fois, car elle était très malade. Aujourd’hui, elle ne se sent pas bien. Elle ne se sentait pas bien la dernière fois et ne se sent pas bien aujourd’hui... Si c’est possible, j’aimerais ne pas témoigner aujourd’hui, car elle ne serait pas là pour dire des choses importantes.

COMMISSAIRE : D’accord. Je remarque qu’elle n’a pas son propre récit. A‑t‑elle de nouveaux éléments à ajouter, outre ce que vous nous avez raconté?

DEMANDEUR 1 : Non, Monsieur, nous avons tous deux le même récit.

(DCT, à la page 901.)

[32]           Le commissaire a ensuite invité le conseil à présenter son argumentation sur la séparation de la demande de Mme Kokyova, compte tenu du fait que le demandeur principal avait refusé de témoigner. Le conseil s’est opposé à cela, et là encore, les discussions se sont poursuivies longuement. Le commissaire a ensuite conclu que l’audience relative à la demande d’asile du demandeur principal et des deux demandeurs mineurs aurait lieu immédiatement. Si Mme Kokyova était en mesure de témoigner ultérieurement, elle‑même ou par l’entremise de son RD, elle aurait la possibilité de le faire. Le commissaire a affirmé qu’il en était ainsi à des fins d’efficacité. Selon le conseil, comme le commissaire n’avait pas été en mesure de tenir l’audience le 8 août 2013, il s’agissait en réalité de la première audience et il était injuste, compte tenu des circonstances, de séparer les demandes et de forcer le demandeur principal à procéder en l’absence de son épouse.

[33]           Le commissaire a demandé au demandeur principal s’il était possible que son épouse soit en mesure de témoigner dans deux ou trois semaines, ou, à tout le moins, d’être présente pour lui apporter le soutien dont il affirmait avoir besoin. Le demandeur principal a répondu qu’elle était très malade et qu’il ignorait si elle serait prête dans un, deux ou trois mois.

[34]           La demande a été séparée des autres demandes. Le demandeur principal ne voulant toujours pas témoigner, le commissaire a laissé savoir qu’il avait l’intention de prononcer le désistement des demandes du demandeur principal et des deux demandeurs mineurs. Il a demandé au conseil de présenter ses arguments à cet égard. À ce moment‑là, le conseil a indiqué qu’il voulait présenter une requête afin que le commissaire se récuse de l’affaire, car il faisait preuve de [traduction] « dureté dans le traitement de ce cas. Vous avez commis des actes qui sont loin d’être raisonnables et votre décision de séparer les demandes était malveillante » (DCT, à la page 909). Le conseil a répété les arguments qu’il avait déjà présentés concernant le caractère injuste des actes du commissaire et a affirmé que le commissaire tentait de contourner la loi pour créer une injustice. Le commissaire a nié être injuste ou faire preuve de partialité, et a rejeté la requête. Le commissaire a remis le prononcé de la décision, pour ensuite, finalement, conclure que le demandeur principal s’était désisté de sa demande.

[35]           Dans ce contexte, il convient désormais d’analyser la décision du commissaire en fonction des contestations des demandeurs à l’égard de celle‑ci.

[36]           Les dispositions pertinentes de la LIPR et des Règles de la SPR sur la séparation des demandes sont reproduites ci‑dessous :

Les Règles de la SPR :

Demande de jonction

Application to join

56. (1) Toute partie peut demander à la Section de joindre des demandes d’asile, d’annulation ou de constat de perte de l’asile.

56. (1) A party may make an application to the Division to join claims or applications to vacate or to cease refugee protection.

Demande de séparation

Application to separate

(2) Toute partie peut demander à la Section de séparer des demandes d’asile, d’annulation ou de constat de perte de l’asile qui sont jointes.

(2) A party may make an application to the Division to separate claims or applications to vacate or to cease refugee protection that are joined.

Forme et transmission de la demande

Form of application and providing application

(3) La partie fait sa demande de jonction ou de séparation des demandes d’asile ou d’annulation ou de constat de perte de l’asile conformément à la règle 50, mais elle n’est pas tenue d’y joindre un affidavit ou une déclaration solennelle. De plus, elle transmet :

(3) A party who makes an application to join or separate claims or applications to vacate or to cease refugee protection must do so in accordance with rule 50, but the party is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration. The party must also

a) à toute personne qui sera touchée par la décision de la Section à l’égard de la demande, une copie de la demande;

(a) provide a copy of the application to any person who will be affected by the Division’s decision on the application; and

b) à la Section, une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon la copie de la demande a été transmise à toute personne touchée, et une preuve de la transmission.

(b) provide to the Division a written statement indicating how and when the copy of the application was provided to any affected person, together with proof that the party provided the copy to that person.

Délai

Time limit

(4) Les documents transmis en application de la présente règle doivent être reçus par leurs destinataires au plus tard vingt jours avant la date fixée pour l’audience.

(4) Documents provided under this rule must be received by their recipients no later than 20 days before the date fixed for the hearing.

Éléments à considérer

Factors

(5) Pour statuer sur la demande de jonction ou de séparation, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment la possibilité que :

(5) In deciding the application to join or separate, the Division must consider any relevant factors, including whether

a) des questions similaires de droit ou de fait découlent des demandes d’asile, d’annulation ou de constat de perte de l’asile;

(a) the claims or applications to vacate or to cease refugee protection involve similar questions of fact or law;

b) l’accueil de la demande de jonction ou de séparation puisse favoriser l’efficacité du travail de la Section;

(b) allowing the application to join or separate would promote the efficient administration of the Division’s work; and

c) l’accueil de la demande de jonction ou de séparation puisse vraisemblablement causer une injustice.

(c) allowing the application to join or separate would likely cause an injustice.

Cas non prévus

No applicable rule

69. Dans le cas où les présentes règles ne contiennent pas de dispositions permettant de régler une question qui survient dans le cadre des procédures, la Section peut prendre toute mesure nécessaire pour régler celle-ci.

69. In the absence of a provision in these Rules dealing with a matter raised during the proceedings, the Division may do whatever is necessary to deal with the matter.

Pouvoirs de la Section

Powers of Division

70. La Section peut, si elle en avise au préalable les parties et leur donne la possibilité de s’opposer :

70. The Division may, after giving the parties notice and an opportunity to object,

a) agir de sa propre initiative sans qu’une partie ait à lui présenter une demande;

(a) act on its own initiative, without a party having to make an application or request to the Division;

b) modifier l’exigence d’une règle;

(b) change a requirement of a rule;

c) permettre à une personne de ne pas suivre une règle;

(c) excuse a person from a requirement of a rule; and

d) proroger un délai avant ou après son expiration ou l’abréger avant son expiration.

(d) extend a time limit, before or after the time limit has expired, or shorten it if the time limit has not expired.

Les dispositions de la LIPR :

Compétence exclusive

Sole and exclusive jurisdiction

162. (1) Chacune des sections a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — dans le cadre des affaires dont elle est saisie.

162. (1) Each Division of the Board has, in respect of proceedings brought before it under this Act, sole and exclusive jurisdiction to hear and determine all questions of law and fact, including questions of jurisdiction.

Fonctionnement

Procedure

(2) Chacune des sections fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité.

(2) Each Division shall deal with all proceedings before it as informally and quickly as the circumstances and the considerations of fairness and natural justice permit.

[...]

[...]

Pouvoir d’enquête

Powers of a commissioner

165. La Section de la protection des réfugiés, la Section d’appel des réfugiés et la Section de l’immigration et chacun de leurs commissaires sont investis des pouvoirs d’un commissaire nommé aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes et peuvent prendre les mesures que ceux-ci jugent utiles à la procédure.

165. The Refugee Protection Division, the Refugee Appeal Division and the Immigration Division and each member of those Divisions have the powers and authority of a commissioner appointed under Part I of the Inquiries Act and may do any other thing they consider necessary to provide a full and proper hearing.

[37]           En ce qui a trait à la séparation de la demande de Mme Kokyova, le commissaire a affirmé qu’il s’était appuyé sur l’article 56 des Règles de la SPR. Cependant, comme le révèlent les dispositions reproduites ci‑dessus, l’article 56 des Règles de la SPR ne s’applique pas. Cet article se rapporte à la séparation de demandes sur présentation d’une demande d’une partie. En l’espèce, comme le ministre n’est pas intervenu, les demandeurs étaient les seules parties et n’ont pas présenté de demande de séparation. Toutefois, bien que le paragraphe 56(5) des Règles de la SPR ne s’applique pas, le défendeur cite le paragraphe 162(1) et l’article 165 de la LIPR. Je mentionne également le paragraphe 162(2) de la LIPR et l’article 70 des Règles de la SPR.

[38]           Comme le révèle la transcription, malgré l’incapacité de Mme Kokyova à témoigner en raison de problèmes de santé, le commissaire, après avoir réglé la question des audiences fixées en double, était prêt, à tout le moins, à commencer l’audience le 8 août 2013. Il voulait au moins commencer à entendre le témoignage du demandeur principal. Cependant, le demandeur principal prétendait être anxieux et ne voulait pas procéder. Le commissaire a été conciliant à cet égard et a accepté de ne pas commencer l’audience tardivement ce jour‑là, mais a précisé que, si Mme Kokyova ne pouvait pas témoigner à la prochaine audience, le demandeur principal agirait comme son RD. Le conseil a acquiescé à cet arrangement. Bien que les facteurs prévus au paragraphe 56(6) des Règles de la SPR ne s’appliquent pas, le commissaire a expliqué qu’il procédait ainsi pour favoriser l’efficacité et que cette procédure ne causerait pas d’injustice. À mon avis, aux termes de l’alinéa 70a) des Règles de la SPR, le commissaire avait le pouvoir d’agir de sa propre initiative, a avisé les demandeurs qu’il envisageait la possibilité de séparer les demandes et a reçu une réponse du conseil à cet égard. Le commissaire était maître de sa propre procédure (Julien c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 150, au paragraphe 16; Badalyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 561, au paragraphe 15; Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, au paragraphe 183; Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, aux paragraphes 568 et 569).

[39]           Le commissaire aurait pu accepter de remettre l’audience au 16 octobre 2013, compte tenu de la preuve médicale (paragraphes 54(3), (4), (6) et (7) des Règles de la SPR), mais il n’était pas tenu de le faire, particulièrement en raison du fait que cette preuve médicale ne précisait pas à quel moment Mme Kokyova serait en mesure de témoigner (Cruz Telez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 102, au paragraphe 17; Javadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 278, aux paragraphes 25 et 26; Wagg c R, 2003 CF 303, au paragraphe 19; Julien c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 351, aux paragraphes 28 à 30). En outre, en séparant la demande de Mme Kokyova des autres demandes, il a effectivement protégé la demande de celle‑ci, bien qu’il ait finalement prononcé le désistement des demandes des membres de sa famille. À cet égard, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

[40]           Le commissaire avait également le pouvoir, aux termes de l’article 65 des Règles de la SPR, de prononcer le désistement des autres demandes :

DÉSISTEMENT

ABANDONMENT

Possibilité de s’expliquer

Opportunity to explain

65. (1) Lorsqu’elle détermine si elle prononce ou non le désistement d’une demande d’asile aux termes du paragraphe 168(1) de la Loi, la Section donne au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé :

65. (1) In determining whether a claim has been abandoned under subsection 168(1) of the Act, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned,

a) sur-le-champ, dans le cas où le demandeur d’asile est présent à la procédure et où la Section juge qu’il est équitable de le faire;

(a) immediately, if the claimant is present at the proceeding and the Division considers that it is fair to do so; or

b) au cours d’une audience spéciale, dans tout autre cas.

(b) in any other case, by way of a special hearing.

Audience spéciale — Formulaire de fondement de la demande d’asile

Special hearing — Basis of Claim Form

(2) L’audience spéciale sur le désistement de la demande d’asile pour défaut de transmettre en vertu de l’alinéa 7(5)a) un Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli, est tenue au plus tard cinq jours ouvrables après la date à laquelle le formulaire devait être transmis. À l’audience spéciale, le demandeur d’asile transmet son Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli, à moins qu’il ne l’ait déjà transmis à la Section.

(2) The special hearing on the abandonment of the claim for the failure to provide a completed Basis of Claim Form in accordance with paragraph 7(5)(a) must be held no later than five working days after the day on which the completed Basis of Claim Form was due. At the special hearing, the claimant must provide their completed Basis of Claim Form, unless the form has already been provided to the Division.

Audience spéciale — omission de se présenter

Special hearing — failure to appear

(3) L’audience spéciale sur le désistement de la demande d’asile pour défaut de se présenter à l’audience relative à la demande d’asile est tenue au plus tard cinq jours ouvrables après la date initialement fixée pour l’audience relative à la demande d’asile.

(3) The special hearing on the abandonment of the claim for the failure to appear for the hearing of the claim must be held no later than five working days after the day originally fixed for the hearing of the claim.

Éléments à considérer

Factors to consider

(4) Pour décider si elle prononce le désistement de la demande d’asile, la Section prend en considération l’explication donnée par le demandeur d’asile et tout autre élément pertinent, notamment le fait qu’il est prêt à commencer ou à poursuivre les procédures.

(4) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanation given by the claimant and any other relevant factors, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

Raisons médicales

Medical reasons

(5) Si l’explication du demandeur d’asile comporte des raisons médicales, à l’exception de celles ayant trait à son conseil, le demandeur d’asile transmet avec l’explication un certificat médical original, récent, daté et lisible, signé par un médecin qualifié, et sur lequel sont imprimés ou estampillés les nom et adresse de ce dernier.

(5) If the claimant’s explanation includes medical reasons, other than those related to their counsel, they must provide, together with the explanation, the original of a legible, recently dated medical certificate signed by a qualified medical practitioner whose name and address are printed or stamped on the certificate.

Contenu du certificat

Content of certificate

(6) Le certificat médical indique, à la fois :

(6) The medical certificate must set out

a) sans mentionner de diagnostic, les particularités de la situation médicale qui ont empêché le demandeur d’asile de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de transmettre le Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli à la date à laquelle il devait être transmis ou de se présenter à l’audience relative à la demande d’asile;

(a) the particulars of the medical condition, without specifying the diagnosis, that prevented the claimant from providing the completed Basis of Claim Form on the due date, appearing for the hearing of the claim, or otherwise pursuing their claim, as the case may be; and

b) la date à laquelle il devrait être en mesure de poursuivre l’affaire.

(b) the date on which the claimant is expected to be able to pursue their claim.

Défaut de transmettre un certificat médical

Failure to provide medical certificate

(7) À défaut de transmettre un certificat médical, conformément aux paragraphes (5) et (6), le demandeur d’asile inclut dans son explication :

(7) If a claimant fails to provide a medical certificate in accordance with subrules (5) and (6), the claimant must include in their explanation

a) des précisions quant aux efforts qu’il a faits pour obtenir le certificat médical requis ainsi que des éléments de preuve à l’appui;

(a) particulars of any efforts they made to obtain the required medical certificate, supported by corroborating evidence;

b) des précisions quant aux raisons médicales incluses dans l’explication ainsi que des éléments de preuve à l’appui;

(b) particulars of the medical reasons included in the explanation, supported by corroborating evidence; and

c) une explication de la raison pour laquelle la situation médicale l’a empêché de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de transmettre le Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli à la date à laquelle il devait être transmis ou de se présenter à l’audience relative à la demande d’asile.

(c) an explanation of how the medical condition prevented them from providing the completed Basis of Claim Form on the due date, appearing for the hearing of the claim or otherwise pursuing their claim, as the case may be.

Commencer ou poursuivre les procédures

Start or continue proceedings

(8) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, sauf dans le cas prévu au paragraphe (2), elle commence ou poursuit les procédures le jour même de cette décision ou, dès que possible après cette date.

(8) If the Division decides not to declare the claim abandoned, other than under subrule (2), it must start or continue the proceedings on the day the decision is made or as soon as possible after that day.

[41]           Aux termes de l’alinéa 65(1)a) des Règles de la SPR, le commissaire pouvait prononcer le désistement des demandes si les demandeurs avaient eu la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Les demandeurs d’asile étaient présents, et le commissaire a jugé qu’il était juste de prononcer le désistement des demandes. Les demandeurs n’ont cité aucune jurisprudence à l’appui de leur argument selon lequel le commissaire ne pouvait tenir immédiatement une audience sur le désistement, en raison du fait que la date d’une audience spéciale, à savoir le 6 novembre 2013, avait été fixée automatiquement dans l’avis d’audience dans l’éventualité où ils n’assisteraient pas à l’audience. La simple lecture du paragraphe 65(1) des Règles de la SPR ne corrobore pas non plus cet argument.

[42]           Quant à leur opinion selon laquelle la politique de la SPR sur la tenue d’une audience relative aux demandes des membres d’une même famille empêchait le commissaire de séparer les demandes, les demandeurs n’ont pas désigné la politique en question, ni cité quelque précédent que ce soit pour cette proposition. De même, bien que les demandeurs estiment que le commissaire n’a pas tenu compte des facteurs énoncés dans les Règles de la SPR qu’il convient d’examiner lorsqu’une demande de remise est présentée, ils n’ont pas précisé les articles pertinents des Règles de la SPR sur lesquels ils s’appuyaient et n’ont pas dégagé les facteurs qui, à leur avis, n’avaient pas été pris en compte.

[43]           En résumé, le commissaire avait la compétence nécessaire pour séparer la demande de Mme Kokyova des autres demandes. De plus, le commissaire n’a pas agi de façon injuste, compte tenu de l’absence de Mme Kokyova à l’audience du 16 octobre 2013, de la preuve médicale, du fait que le commissaire avait avisé le demandeur principal qu’il témoignerait au nom de son épouse si celle‑ci n’était pas en mesure de le faire et du fait que tous les membres de la famille s’appuyaient sur le FRP du demandeur principal. Ainsi, la séparation de la demande de Mme Kokyova aurait permis de tenir l’audience relative aux demandes du demandeur principal et des deux demandeurs mineurs tout en protégeant la demande de Mme Kokyova. Au besoin, le demandeur principal aurait pu témoigner ultérieurement au nom de son épouse si celle‑ci avait été déclarée personne vulnérable. Après la séparation de la demande de Mme Kokyova des autres demandes, celle‑ci n’avait pas le droit d’assister aux audiences des autres demandeurs. Le demandeur principal n’a pas fourni de raison adéquate pour expliquer pourquoi son épouse devait être présente à l’audience relative à sa demande; il a simplement dit qu’il lui serait difficile de témoigner sans son épouse.

[44]           En ce qui a trait au désistement, le commissaire avait également la compétence nécessaire en vertu du paragraphe 65(1) des Règles de la SPR pour prononcer le désistement de la demande à l’audience du 16 octobre 2013. Le demandeur principal a eu la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé, compte tenu de son refus de témoigner. Bien qu’il ait d’abord déclaré que son épouse avait un témoignage important à livrer, il s’est ravisé et a confirmé que leur demande était commune. Il a donné une seule autre raison, soit qu’il voulait qu’elle lui apporte son soutien, même si elle ne pouvait pas témoigner. Le commissaire a jugé que cette raison était insuffisante et a fourni des motifs justifiant sa conclusion. Le demandeur principal s’est obstiné à ne pas témoigner, bien qu’il ait été informé du risque que le commissaire prononce le désistement de sa demande. En maintenant son refus de témoigner, malgré le fait qu’il était confronté au risque très réel que le commissaire prononce le désistement de sa demande, il n’a pas prouvé qu’il avait l’intention de poursuivre l’instance. En fait, il a prouvé le contraire.

[45]           Dans les circonstances, le commissaire a respecté les limites de son pouvoir lorsqu’il a refusé de remettre l’audience au 16 octobre 2013, séparé les demandes et prononcé le désistement de la demande du demandeur principal et des demandeurs mineurs. Il n’y a eu aucun manquement aux principes d’équité procédurale ou de justice naturelle.

DEUXIÈME QUESTION : existait‑il une crainte raisonnable de partialité ou une partialité réelle?

[46]           En ce qui a trait à l’allégation voulant qu’il existe une crainte raisonnable de partialité, il faut d’abord souligner que les demandeurs ne donnent pas de détails à l’appui de cette allégation. Bien qu’ils affirment que le commissaire s’est entêté, coûte que coûte, à obtenir l’issue qu’il souhaitait, la question qui importe réellement est celle de l’équité procédurale. Comme il l’a déjà été précisé, le commissaire avait la compétence nécessaire pour refuser la demande d’ajournement, pour séparer les demandes lorsqu’il a été confronté au refus de témoigner du demandeur principal et pour prononcer le désistement des demandes des demandeurs. Le commissaire a expliqué qu’il séparait les demandes à des fins d’efficacité et que la demande de Mme Kokyova serait protégée. À l’audience, le conseil des demandeurs a déclaré que, si le commissaire ne voyait pas en quoi cette façon de faire était injuste, il ne pouvait rendre une décision juste dans cette affaire. Le commissaire a répondu que le conseil n’avait pas donné de raison valable pour expliquer que la séparation des demandes aurait une incidence sur la demande du demandeur principal (DCT, aux pages 906 et 907).

[47]           La Cour suprême du Canada a établi le test applicable à la crainte raisonnable de partialité dans l’arrêt RDS :

[31]      Le test applicable à la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369. Bien qu’il ait été dissident, le test qu’il a formulé a été adopté par la majorité et a été constamment repris par notre Cour au cours des deux décennies subséquentes : voir par exemple Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267. Le juge de Grandpré a déclaré, aux pp. 394 et 395 :

. . . la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [. . .] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je [. . .] refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

[...]

[104]    Dans l’arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, à la p. 685, le juge Le Dain a conclu que la notion d’impartialité désigne « un état d’esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée ». Il a ajouté : « [l]e terme "impartial" [. . .] connote une absence de préjugé, réel ou apparent ». Voir également R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, à la p. 283. Dans un sens plus positif, l’impartialité peut être décrite -- peut-être de façon quelque peu inexacte -- comme l’état d’esprit de l’arbitre désintéressé eu égard au résultat et susceptible d’être persuadé par la preuve et les arguments soumis.

[105]    Par contraste, la partialité dénote un état d’esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions. Le juge Scalia a fourni une explication intéressante de cette notion dans Liteky c. U.S., 114 S.Ct. 1147 (1994), à la p. 1155 :

[traduction] Les termes [partialité ou préjugé] connotent une disposition ou une opinion favorable ou défavorable qui, pour une raison ou une autre, est erronée ou inappropriée, soit parce qu’elle est injustifiée ou qu’elle repose sur des connaissances que le sujet ne devrait pas posséder (par exemple, dans un procès criminel, le juré qui devient partial ou est de parti pris après avoir reçu des éléments de preuve inadmissibles concernant les activités criminelles antérieures du défendeur), ou parce qu’elle est excessive (par exemple, le juré dans un procès criminel qui est si offusqué par la preuve des activités criminelles antérieures du défendeur, légalement admise, qu’il votera la culpabilité quels que soient les faits). [En italique dans l’original.]

Le juge Scalia a pris soin de souligner que ce ne sont pas toutes les dispositions favorables ou défavorables qui justifieront qu’on parle de partialité ou de préjugé. Ainsi, on ne saurait prétendre que ceux qui condamnent Hitler sont partiaux ou ont un parti pris. Cette disposition défavorable est objectivement justifiable -- en d’autres termes, elle n’est pas « erronée ou inappropriée » : Liteky, précité, à la p. 1155.

[106]    Ces principes sont exposés de manière similaire dans R. c. Bertram, [1989] O.J. No. 2123 (H.C.), où le juge Watt a fait observer ceci, aux pp. 51 et 52 :

[traduction] Dans la langue courante, le terme partialité désigne une tendance, une inclination ou une prédisposition conduisant à privilégier une partie plutôt qu’une autre ou un résultat particulier. Dans le domaine des procédures judiciaires, c’est la prédisposition à trancher une question ou une affaire d’une certaine façon qui ne permet pas au juge d’être parfaitement ouvert à la persuasion. La partialité est un état d’esprit qui infléchit le jugement et rend l’officier judiciaire inapte à exercer ses fonctions impartialement dans une affaire donnée.

Voir également R. c. Stark, [1994] O.J. No. 406 (Div. gén.), au par. 64; Gushman, précité, au par. 29.

[48]           Le demandeur principal doit prouver que les actes ou les motifs du commissaire dénotaient une partialité réelle ou apparente. La norme à respecter à cet égard est rigoureuse, comme le prévoit la décision Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1139 (Zhu), au paragraphe 2 :

[2]        Le demandeur qui allègue la partialité doit satisfaire à une norme très rigoureuse. Il doit fournir une « preuve convaincante » démontrant qu’un aspect de la conduite d’un commissaire de la Section de la protection des réfugiés [SPR] suscite une crainte raisonnable de partialité (R c RDS, [1997] 3 RCS 484, aux paragraphes 116 et 117). La Cour d’appel fédérale a affirmé dans l’arrêt Arthur c Canada (Canada (Procureur général)), 2001 CAF 223, qu’une allégation de partialité ne peut être faite à la légère :

[8]        [...] Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. [...] [Non souligné dans l’original.]

[Souligné dans l’original.]

[49]           Je suis de l’avis du défendeur lorsque celui‑ci soutient que les demandeurs n’ont pas prouvé en quoi les actes du commissaire dénotaient une partialité. Ils n’ont pas non plus établi qu’ils n’avaient pas eu la possibilité d’être entendus par un tribunal neutre et impartial et qu’ils avaient, par conséquent, fait l’objet d’un déni de justice naturelle.

[50]           Les demandeurs soutiennent également qu’ils ont demandé de vive voix au commissaire de se récuser, mais que celui‑ci a refusé et n’a pas mentionné cette requête dans la décision. Toutefois, ils n’ont fourni aucun précédent appuyant leur proposition selon laquelle ils avaient doit à des motifs écrits concernant la requête de vive voix. Cependant, selon la jurisprudence, lorsque les motifs justifiant le rejet d’une requête sont énoncés de vive voix au cours d’une audience devant la SPR, celle‑ci n’est pas tenue de répéter ses motifs dans la décision (Elmahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1472, aux paragraphes 14 à 16).

[51]           Quoi qu’il en soit, la transcription révèle que le commissaire était en désaccord avec les demandeurs lorsque ceux‑ci faisaient valoir que ses actes étaient malveillants, qu’il tentait de contourner la loi et de créer une injustice ou que la séparation des demandes était illégale et inappropriée. Il a rejeté la requête, car, comme il l’a affirmé, il ne croyait pas qu’il était injuste et impartial. J’estime qu’à la lecture de la transcription et de la décision, ensemble, les motifs à l’appui des actes du commissaire étaient clairement expliqués et n’étayent pas une allégation relative à une crainte de partialité.

[52]           Pour ces motifs, la demande sera rejetée.

IMM-8082-13

La décision faisant l’objet du contrôle

[53]           Le commissaire a intégré sa décision sur le désistement des demandes du demandeur principal et des deux demandeurs mineurs dans sa décision relative à la demande de Mme Kokyova. Il a mentionné que, le jour de l’audience, l’époux de Mme Kokyova se trouvait dans la salle d’attente pendant la comparution de celle‑ci. Le conseil a demandé au commissaire de se récuser en raison de sa partialité. Le commissaire a rejeté cette requête, car il respectait les Règles de la SPR et avait pour objectif d’assurer l’application de toutes les règles de justice naturelle tout en travaillant efficacement pour finaliser le traitement des demandes. Le conseil a également demandé au commissaire de joindre de nouveau les demandes des autres membres de la famille, ce que le commissaire a refusé conformément à la décision sur le désistement, dans laquelle le commissaire explique sa position.

[54]           Le commissaire a affirmé qu’il souhaitait que les quatre demandeurs initiaux aient, d’une façon ou d’une autre, l’occasion de présenter leurs demandes d’asile puis, si celles‑ci étaient accueillies, de présenter une demande de résidence permanente au Canada. Ceci serait possible même si seule la demande de Mme Kokyova était entendue, car, si elle était accueillie, la demande d’établissement de Mme Kokyova pourrait comprendre les autres membres de la famille.

[55]           Le commissaire s’est exprimé en ces termes :

[traduction]

[24] Il convient de rappeler que l’époux de la demanderesse a déjà refusé de témoigner, car la demanderesse n’était pas avec lui dans la salle d’audience. À la présente audience, le demandeur est demeuré dans la salle d’attente. Ainsi, compte tenu de l’état psychologique de la demanderesse, le tribunal a de nouveau proposé au conseil de faire témoigner l’époux de la demanderesse au nom de celle‑ci. Il allait, semble‑t‑il, le faire au cours de sa propre audience, mais a refusé en raison de l’absence de la demanderesse. Cette fois-ci, la demanderesse était présente, mais le conseil a laissé savoir que l’époux de celle‑ci refusait de témoigner. Le tribunal a proposé que, s’il pouvait livrer un témoignage plus solide que la demanderesse, compte tenu de l’état psychologique de celle‑ci, il soit préférable qu’elle [sic] témoigne. Le tribunal a ensuite répété sa proposition, qui a été rejetée une fois de plus. Le conseil a affirmé que l’époux de la demanderesse était nerveux et anxieux, et avait des maux d’estomac, mais ne voulait tout simplement pas témoigner, car le désistement de sa demande avait été prononcé. Bien qu’il n’en ait pas été question à l’audience, aucune note d’un médecin concernant l’époux de la demanderesse n’a été produite. En fait, le tribunal aurait préféré que l’époux de la demanderesse livre un témoignage de vive voix, car il n’avait pas de problème psychologique ni de tremblement. Cependant, le tribunal ne peut prendre de décision à cet égard; la décision est revenue au conseil, à la demanderesse et à son époux. Le tribunal pouvait seulement faire la proposition et la recommander gentiment, mais la décision revenait aux autres parties. Le tribunal a fait tout son possible pour offrir des mesures d'adaptation raisonnables à la demanderesse dans le cadre de la procédure. Le tribunal a également offert au conseil la possibilité de faire en sorte que la décision se fonde seulement sur ses observations et la preuve écrite s’il croyait que la demanderesse ne pouvait livrer un témoignage adéquat. Le conseil a rejeté cette possibilité.

[56]           Mme Kokyova a témoigné et le commissaire a conclu que, dans l’ensemble, son témoignage n’était pas crédible et était par conséquent insuffisant pour étayer sa demande d’asile. Fait quelque peu étonnant, Mme Kokyova n’a pas contesté cette conclusion.

[57]           Le commissaire s’est ensuite penché sur la question de savoir si Mme Kokyova devait être protégée, car elle est une Rom de la Slovaquie. Le commissaire a affirmé qu’il avait examiné les documents versés au dossier et avait tenu compte des observations de vive voix du conseil et d’une décision que le conseil avait citée dans ses observations. Le commissaire a cité des documents sur la situation dans le pays, a souligné que d’autres documents versés au dossier étaient compatibles avec ces documents et a conclu qu’il y avait une simple possibilité, mais moins qu’une possibilité sérieuse, que Mme Kokyova soit victime d’une agression physique en raison de son origine rom. Ensuite, il a conclu que la discrimination à l’endroit des Roms en Slovaquie, même considérée collectivement et sous toutes ses formes, n’équivalait pas à de la persécution. Par conséquent, Mme Kokyova n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. Cette conclusion n’a pas non plus été contestée.

[58]           Le commissaire a également souligné qu’il avait refusé d’inscrire comme pièce un DVD qui, selon le conseil, comprenait environ [traduction] « 55 ou 65 » films, vraisemblablement sur les Roms en Slovaquie. Il a affirmé qu’il en était ainsi, car, s’il y avait appel de la décision, il faudrait créer un dossier écrit, et il est difficile, voire impossible, de reproduire un DVD dans un dossier écrit. Selon la décision, le commissaire a proposé de visionner le DVD lors de l’audition du dossier, mais aucun appareil n’était disponible à cette fin et le conseil n’avait pas demandé d’équipement audiovisuel malgré le fait que le commissaire avait précisé, à une audience antérieure, qu’il n’accepterait pas d’inscrire le DVD comme pièce au dossier. Le commissaire a également proposé au conseil de produire une transcription du DVD, ce qui n’a pas été fait. Le commissaire a souligné que la pièce C‑5 compte quelque 712 pages sur la situation dans le pays. Il y avait également la pièce R/A‑1 ainsi que le témoignage personnel et de vive voix de Mme Kokyova. Le commissaire a conclu que le dossier comprenait suffisamment d’éléments de preuve sur la situation dans le pays.

La position de la demanderesse

[59]           Les observations écrites de Mme Kokyova en l’espèce sont presque identiques à celles présentées dans le dossier IMM‑7966‑13. De plus, elle soutient que le commissaire a commis une erreur en refusant la remise de l’audience le 16 octobre 2013, où il est clair qu’elle était vraiment malade. En outre, elle soutient que la décision était dévalorisante et que le commissaire, dans l’objectif de cacher ses manquements à l’équité procédurale et de remédier à ceux‑ci, avait déclaré qu’il allait permettre au demandeur principal, dont le désistement de la demande avait été prononcé et qui se trouvait dans la salle d’attente pendant l’audience de la demanderesse, de témoigner au nom de celle‑ci. Mme Kokyova fait valoir qu’il s’agissait là d’une tentative déplacée et insultante de lui reprocher de ne pas avoir demandé à son époux de témoigner en son nom.

[60]           En outre, selon elle, il semble que le commissaire n’a pas inscrit le DVD soumis le 26 mars 2012 comme pièce, car il était incapable de le lire au moyen de son ordinateur. Il a aussi refusé la proposition du conseil de lire le DVD sur son propre ordinateur à l’audience. Cela révèle que le commissaire faisait montre de partialité et ne souhaitait pas entendre ou voir la preuve.

[61]           Mme Kokyova soutient que le refus d’accepter le DVD et les événements survenus au cours de l’audience du 16 octobre 2013 et de sa propre audience révèlent que le commissaire avait déjà pris une décision sur son dossier. Le fait qu’il a déclaré à plusieurs reprises [traduction] « finissons-en avec cette audience » prouve aussi qu’il faisait preuve de partialité.

La position du défendeur

[62]           Le défendeur souligne que Mme Kokyova ne conteste pas les conclusions défavorables quant à la crédibilité sur lesquelles le commissaire s’est appuyé pour rejeter sa demande d’asile. Elle ne conteste pas non plus sa conclusion selon laquelle la discrimination dont elle a été victime en Slovaquie n’équivalait pas à de la persécution.

[63]           Le défendeur soutient qu’à l’audience du 16 octobre 2013, le commissaire a explicitement affirmé que le désistement de la demande de Mme Kokyova n’avait pas été prononcé. De plus, le fait que le commissaire a prononcé le désistement de la demande du demandeur principal ne lui a porté aucun préjudice et elle n’a pas été privée de son droit d’assister à l’audience relative à sa propre demande d’asile.

[64]           Le test applicable à la crainte raisonnable de partialité est rigoureux (RDS) et repose largement sur les faits. Mme Kokyova ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait à cet égard (Zhu, au paragraphe 46). Elle fait plutôt de simples allégations à maintes reprises sans s’appuyer sur les motifs ou le témoignage sous serment. Le commissaire a tenu compte de toutes les circonstances entourant la demande de Mme Kokyova et a expliqué les raisons pour lesquelles il avait refusé de joindre de nouveau les demandes et de se récuser. Le commissaire a tenté de prendre des mesures d’adaptation en raison de l’état psychologique de Mme Kokyova et a justifié son refus d’inscrire le DVD comme pièce au cours de l’audience. Le fait qu’il a offert au conseil de produire une transcription du DVD réfute la prétention de Mme Kokyova, à savoir que le commissaire faisait preuve de partialité et ne souhaitait pas voir ou entendre la preuve.

[65]           La prétention de Mme Kokyova, à savoir que le commissaire avait déjà pris une décision sur son dossier, est contredite par les motifs donnés par celui‑ci, qui ne comprennent aucun élément de preuve pouvant pousser une personne raisonnable à croire que le commissaire a fait preuve de partialité réelle ou apparente au cours de l’audition de la demande d’asile de la demanderesse. En outre, les prétentions de Mme Kokyova sont des attaques ad hominem ne s’appuyant pas sur la preuve (Zhu, au paragraphe 46).

[66]           Le défendeur soutient que le commissaire a protégé le droit de Mme Kokyova de faire entendre sa demande d’asile et qu’il n’a violé aucun principe de justice naturelle ou d’équité procédurale lorsqu’il a conclu que la demanderesse n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

Analyse

[67]           J’estime que la prétention de Mme Kokyova, à savoir que le commissaire a fait montre de partialité lorsqu’il a invité son époux à témoigner en son nom et l’a ainsi dévalorisée, est infondée. Comme il l’a déjà été précisé, à l’audience du 8 août 2013, Mme Kokyova a présenté une preuve médicale relativement à sa santé mentale; en fait, le commissaire, qui avait même remarqué qu’elle tremblait, n’a aucunement contesté son état psychologique. Dans la lettre du 15 octobre 2013, le psychiatre de Mme Kokyova affirmait que les symptômes de celle‑ci étaient graves et que le traitement avait permis de les atténuer seulement légèrement, mais avait bon espoir que le traitement permettrait d’améliorer son état si elle demeurait au Canada sans craindre d’être renvoyée. Elle n’a pas assisté à l’audience du 16 octobre 2013 en raison de ses problèmes de santé mentale, ce qui a été appuyé par d’autres éléments de preuve médicale. La proposition de faire témoigner son époux en son nom, d’abord à titre de RD, mais ensuite plutôt parce qu’elle serait déclarée personne vulnérable, n’était pas inappropriée compte tenu des circonstances et ne révèle aucune partialité.

[68]           Le commissaire a aussi offert la possibilité de décider la demande en se fondant sur les observations du conseil et la preuve écrite si Mme Kokyova ne pouvait livrer un témoignage adéquat en raison de son état psychologique.

[69]           Il convient également de souligner qu’au paragraphe 24 de ses observations écrites, Mme Kokyova critique la séparation de sa demande, car, en raison de celle‑ci, elle a dû s’exprimer seule en son propre nom :

[traduction]

Dans le cas présent, les actes de M. Sterlin ont largement dépassé ceux associés au rôle de commissaire, et il s’est donné personnellement pour mission d’atteindre ses objectifs. M. Sterlin est même passé outre le fait qu’en séparant la demande de Zlatica Kokyova des demandes des autres membres de la famille, il condamnait Zlatica Kokyova, la demanderesse, à faire quelque chose qu’elle ne pouvait probablement pas faire, comme il le savait tout à fait, soit de s’exprimer en son propre nom si sa demande devait être traitée individuellement.

[70]           Toutefois, aux paragraphes 30 et 31 de ces mêmes observations, elle affirme que le commissaire l’a dévalorisée lorsqu’il a proposé que son époux témoigne en son nom :

[traduction]

Dans une partie particulièrement dévalorisante de sa décision, dans l’objectif de cacher ses grands manquements à l’équité procédurale dans le traitement réservé à cette famille et de remédier à ceux‑ci, M. Sterlin affirme qu’il permettra à l’époux de la demanderesse, dont le désistement de la demande avait été prononcé récemment, soit le 16 octobre 2013, et qui se trouvait dans la salle d’attente pendant l’audience de la demanderesse, de témoigner au nom de celle‑ci.

Il est difficile de trouver les bons mots pour décrire cette tentative totalement déplacée et insultante du commissaire Sterlin de reprocher à la demanderesse de ne pas avoir demandé à son époux de témoigner en son nom. Tout cela n’est dépassé que par l’étrange déclaration de M. Sterlin dans la décision, dans laquelle il déclare : [traduction] « Le tribunal a fait tout son possible pour offrir des mesures d'adaptation raisonnables à la demanderesse dans le cadre de la procédure. » Il est incompréhensible que M. Sterlin fasse une telle déclaration, tandis qu’il a prononcé le désistement des demandes de l’époux et des deux enfants de la demanderesse, qu’il a complètement violé et bafoué tous leurs droits procéduraux, comme le prouve l’affidavit, et qu’il a fait preuve d’une extrême partialité à l’égard des membres de cette famille au cours de toutes leurs audiences.

[71]           La proposition du commissaire ne visait pas à dévaloriser Mme Kokyova et ne révélait certainement aucune partialité. Elle visait plutôt à assurer la présentation de la meilleure preuve disponible, compte tenu des problèmes de santé mentale de Mme Kokyova, au sujet desquels elle avait elle‑même exprimé des préoccupations.

[72]           Quant au refus du commissaire de se récuser, Mme Kokyova soutient que le commissaire avait déjà pris une décision sur son dossier et qu’en raison de ses [traduction] « antécédents » avec elle et les membres de sa famille, il n’aurait pas dû être responsable du traitement de sa demande. La lecture de la transcription de l’audience révèle que la requête en récusation a été présentée au début de l’audience. Cette requête ne s’appuyait sur aucun fondement factuel justifiant les allégations de partialité à l’égard de Mme Kokyova. Le conseil a plutôt répété sa position, qu’il avait exprimée au cours de l’audience relative à la demande du demandeur principal (DCT, aux pages 960 à 962), à savoir que le commissaire avait violé des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale. Le commissaire a là encore rejeté la requête.

[73]           De plus, rien ne permet de conclure que le commissaire avait déjà décidé de l’issue. En fait, dans ses motifs, il a affirmé qu’il souhaitait que les quatre demandeurs initiaux aient l’occasion de présenter leurs demandes d’asile et que, si la demande de Mme Kokyova était accueillie, la demande d’établissement de Mme Kokyova pourrait alors comprendre les autres membres de la famille. Selon la transcription, il a à maintes reprises incité le conseil et Mme Kokyova à faire témoigner son époux en son nom en raison de son état psychologique fragile, dans l’objectif d’obtenir la meilleure preuve. De plus, dans sa décision, il a effectué une analyse complète des faits et de la preuve, et il a tiré des conclusions quant à la crédibilité, à la discrimination et à la persécution, lesquelles n’ont pas été contestées.

[74]           En ce qui concerne le DVD, le commissaire s’est exprimé en ces termes dans sa décision :

[traduction]

[28] [...] De plus, le tribunal souligne qu’à une séance antérieure (il existe cependant une faible possibilité que cela ait eu trait à une autre demande sur laquelle travaillait le même conseil, au sujet du même pays et avec un demandeur ayant le même profil), il a informé le conseil qu’il n’accepterait pas ce CD. Le conseil a soutenu qu’il ne s’en souvenait pas, mais c’est arrivé. Le conseil n’avait pas demandé l’équipement audiovisuel nécessaire au visionnement du CD à l’audience, malgré le fait qu’il savait ou aurait dû savoir que le tribunal n’accepterait pas de l’inscrire comme pièce au dossier.

[75]           La transcription révèle que le commissaire a refusé le DVD, car il faudrait créer un dossier papier si le dossier devait être reproduit pour la Cour. De plus, s’il voulait examiner cet élément de preuve ultérieurement dans son bureau, il ignorait si son ordinateur pouvait lire des DVD. Le conseil a proposé de lire le DVD sur son propre ordinateur à l’audience, mais le commissaire a refusé, car il ne croyait pas avoir le temps de regarder 65 films (la durée totale de ces films n’est pas précisée) et trouvait que ce n’était pas pratique. Le commissaire a déclaré qu’il accepterait une transcription du DVD après l’audience et que les demandeurs avaient présenté 712 pages sur la situation dans le pays, ce qui était suffisant pour étayer sa décision. En réponse au refus, le conseil a encore une fois allégué que le commissaire faisait preuve de partialité.

[76]           J’ai certains doutes quant à la validité du motif pour lequel le commissaire a refusé d’accepter le DVD comme élément de preuve sous cette forme, à savoir qu’il ne pourrait pas faire partie du dossier écrit. Je souligne, sans me prononcer sur cette question, que la Cour a conclu que les DVD sont admissibles devant les tribunaux administratifs dans d’autres circonstances (Grenier c Canada (Procureur général), 2013 CF 208, aux paragraphes 31 et 34 à 39). Quoi qu’il en soit, selon la décision, le commissaire a invité le conseil à produire une transcription écrite du contenu du DVD, ce qui laisse entendre qu’il était prêt à tenir compte de cet élément de preuve. Même si la décision de refuser le DVD était une erreur, compte tenu du fait que le commissaire était prêt à accepter une transcription écrite, elle n’est pas suffisante pour prouver la partialité.

[77]           Mme Kokyova soutient aussi que le fait que le commissaire a déclaré à plusieurs reprises [traduction] « finissons-en avec cette audience » prouve qu’il faisait preuve d’une grande partialité et ne souhaitait pas entendre la preuve. L’examen de la transcription révèle manifestement que le conseil s’est opposé à chaque proposition du commissaire et a plaidé les mêmes questions à répétition. Il n’est pas étonnant qu’à un certain moment, le commissaire ait déclaré qu’il voulait en finir avec cette audience. À mon avis, il s’agissait là d’un signe de frustration, et non d’un indice de partialité.

[78]           Par exemple, à un moment donné, le commissaire a dit [traduction] « finissons-en avec cette audience » après un échange au cours duquel le conseil l’avait interrompu inutilement à maintes reprises lorsqu’il tentait de poser une question à Mme Kokyova. Lorsque le conseil lui a demandé ce qu’il entendait par [traduction] « finissons-en avec cette audience », le commissaire a expliqué que Mme Kokyova ne se sentait pas bien et que l’argumentation de part et d’autre prolongeait l’interrogatoire (DCT, aux pages 986 à 988).

[79]           Compte tenu de ce qui précède, Mme Kokyova n’a pas prouvé que le commissaire avait manqué aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale ou avait fait preuve de partialité. Par conséquent, sa demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[80]           En résumé, bien que les demandeurs soient en désaccord avec la procédure adoptée par le commissaire, les décisions de celui‑ci à cet égard étaient dans les limites de sa compétence, n’étaient pas injustes dans les circonstances et n’ont pas entraîné un déni de justice naturelle. En outre, les faits et les circonstances de ces affaires ne satisfont pas à la norme rigoureuse qui s’applique pour établir une crainte raisonnable de partialité.

[81]           Par conséquent, les deux demandes seront rejetées.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.              Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

2.              Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.              Aucune question de portée générale n’a été proposée ou n’est soulevée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7966-13

 

INTITULÉ :

ZOLTAN KOKY, MILADA KOKYOVA, ZOLTAN KOKY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-8082-13

 

INTITULÉ :

ZLATICA KOKYOVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 29 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

George J. Kubes

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sybil Thompson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

George J. Kubes

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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