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Date : 20150428


Dossier : IMM-1666-14

Référence : 2015 CF 538

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

BENJAMIN TRAVIS TOLLERENE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Benjamin Travis Tollerene (le demandeur) présente une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27 (la LIPR), et visant la décision par laquelle un agent des visas d’immigration (l’agent) du bureau du Consulat général du Canada à Los Angeles a refusé sa demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs autonomes, en vertu des paragraphes 12(2) de la LIPR et 100(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). L’agent a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à la définition de « travailleur autonome » énoncée au paragraphe 88(1) du Règlement.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Le contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen américain qui gagne sa vie comme joueur de poker professionnel. Le 16 avril 2013, il a présenté une demande de visa de résident permanent dans la catégorie des travailleurs autonomes aux termes du paragraphe 88(1) du Règlement.

[4]               Le 4 septembre 2013, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) lui a demandé de fournir d’autres documents concernant son emploi. Le 4 novembre suivant, le demandeur a soumis des documents en réponse, et son dossier a été transféré au bureau des visas de Los Angeles aux fins de traitement. Dans son courrier du 4 novembre 2013, le demandeur demandait aussi à CIC de préciser de quels genres de contrats ou de factures ils avaient besoin.

[5]               Le demandeur n’a plus eu de nouvelles du bureau du Consulat général de Los Angeles jusqu’au 25 février 2014, date à laquelle sa demande a été rejetée.

III.             Les questions en litige

[6]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.    Le demandeur a-t-il été privé d’équité procédurale parce qu’il ne s’est pas vu accorder la possibilité suffisante de répondre?

B.     Les motifs de l’agent étaient-ils suffisants?

C.     La décision de l’agent était-elle raisonnable?

IV.             La décision de l’agent

[7]               Dans la décision écrite qui a été fournie au demandeur, l’agent énonce les dispositions pertinentes de la LIPR et du Règlement avant de conclure que le demandeur ne satisfait pas aux exigences légales relatives à la catégorie des travailleurs autonomes. L’agent a spécifiquement examiné la définition des expressions « travailleur autonome » et « expérience utile » employées dans le Règlement puis a conclu :

[traduction

Je ne suis pas convaincu que vous satisfaites à la définition de travailleur autonome énoncée au paragraphe 88(1) du Règlement étant donné que les renseignements figurant dans votre demande ne démontrent pas clairement en quoi l’activité que vous avez l’intention de mener au Canada, c.-à-d. celle de joueur de poker professionnel, contribuera de manière importante à des activités économiques précises au Canada.

[8]               D’après les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (notes du STIDI), lorsque le demandeur a fourni à la demande de CIC d’autres documents – décrits dans les notes du STIDI comme des déclarations de revenus, des exemples de travaux accomplis, une autorisation de sécurité du FBI et le solde de son compte bancaire –, l’agent de contrôle a conclu qu’une entrevue devait avoir lieu pour déterminer s’il répondait à la définition d’athlète professionnel et s’il était à même d’apporter une contribution économique importante au Canada. Une fois son dossier transféré à Los Angeles, les notes du STIDI indiquent que l’agent chargé de rendre une décision a examiné l’emploi du demandeur comme joueur de poker professionnel, activité qu’il exerce sur Internet et en personne, et il a fait remarquer que le demandeur [traduction« semble réaliser des gains importants du fait de sa profession de joueur de poker, quoique son historique d’accumulation de fonds n’ait pas été suffisamment établie. »

[9]               L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment de renseignements pour démontrer dans quelle mesure il contribuerait à la culture et aux sports canadiens par son activité de joueur de poker professionnel. Par conséquent, le demandeur n’a pas pu démontrer qu’il contribuerait de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

V.                Les dispositions pertinentes

[10]           Le paragraphe 12(2) de la LIPR prévoit :

12. (2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

12. (2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

 

[11]           Le paragraphe 100(1) du Règlement prévoit :

100. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs autonomes est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1).

100. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the self-employed persons class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who are self-employed persons within the meaning of subsection 88(1).

[12]           Le paragraphe 88(1) du Règlement prévoit :

88. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

 

88. (1) The definitions in this subsection apply in this Division.

 

[…]

[…]

 

« expérience utile »

 

“relevant experience”

“relevant experience”

 

« expérience utile »

« expérience utile »

 

“relevant experience”, in respect of

 

a) S’agissant d’un travailleur autonome autre qu’un travailleur autonome sélectionné par une province, s’entend de l’expérience d’une durée d’au moins deux ans au cours de la période commençant cinq ans avant la date où la demande de visa de résident permanent est faite et prenant fin à la date où il est statué sur celle-ci, composée :

 

(a) a self-employed person, other than a self-employed person selected by a province, means a minimum of two years of experience, during the period beginning five years before the date of application for a permanent resident visa and ending on the day a determination is made in respect of the application, consisting of

 

(i) relativement à des activités culturelles :

 

(i) in respect of cultural activities,

 

(A) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans un travail autonome relatif à des activités culturelles,

 

(A) two one-year periods of experience in self-employment in cultural activities,

 

(B) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans la participation à des activités culturelles à l’échelle internationale,

 

(B) two one-year periods of experience in participation at a world class level in cultural activities, or

 

(C) soit d’un an d’expérience au titre de la division (A) et d’un an d’expérience au titre de la division (B),

 

(C) a combination of a one-year period of experience described in clause (A) and a one-year period of experience described in clause (B),

 

(ii) relativement à des activités sportives :

 

(ii) in respect of athletics,

 

(A) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans un travail autonome relatif à des activités sportives,

 

(A) two one-year periods of experience in self-employment in athletics,

 

(B) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans la participation à des activités sportives à l’échelle internationale,

 

(B) two one-year periods of experience in participation at a world class level in athletics, or

 

(C) soit d’un an d’expérience au titre de la division (A) et d’un an d’expérience au titre de la division (B),

 

(C) a combination of a one-year period of experience described in clause (A) and a one-year period of experience described in clause (B), and

 

(iii) relativement à l’achat et à la gestion d’une ferme, de deux périodes d’un an d’expérience dans la gestion d’une ferme;

 

(iii) in respect of the purchase and management of a farm, two one-year periods of experience in the management of a farm; and

 

b) s’agissant d’un travailleur autonome sélectionné par une province, s’entend de l’expérience évaluée conformément au droit provincial.

 

(b) a self-employed person selected by a province, has the meaning provided by the laws of the province.

 

[…]

 

[…]

« travailleur autonome »

 

“self-employed person”

 

“self-employed person”

 

« travailleur autonome »

 

« travailleur autonome »

Étranger qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

“self-employed person” means a foreign national who has relevant experience and has the intention and ability to be self-employed in Canada and to make a significant contribution to specified economic activities in Canada.

 

VI.             La norme de contrôle

[13]           La décision se rapportant à une demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie des travailleurs autonomes est soumise à la norme de la raisonnabilité (Griscenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 614, au paragraphe 10; Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1291, au paragraphe 18; Ding c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 764, au paragraphe 8). La Cour ne doit pas intervenir pour autant que la décision de l’agent appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La Cour ne peut y substituer sa propre opinion pour le simple motif qu’elle aurait pu parvenir à une conclusion différente (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Kim, précitée, au paragraphe 18).

[14]           La question de savoir si le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale, et en particulier si l’agent devait lui accorder une entrevue, est susceptible de contrôle selon la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

VII.          Analyse

[15]           Dans Hamza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 264, 429 FTR 93, aux paragraphes 22 à 25, la juge Bédard a déclaré ce qui suit au sujet des exigences en matière de preuve et des droits procéduraux se rapportant aux demandes de résidence permanente :

22        Premièrement, il incombe clairement au demandeur ou à la demanderesse d’établir qu’il ou qu’elle répond aux exigences du Règlement en fournissant des éléments de preuve suffisants à l’appui de sa demande (El Sherbiny c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 69, au paragraphe 6 (disponible sur CanLII) [El Sherbiny]; Enriquez, précitée, au paragraphe 8; Torres, précitée, aux paragraphes 37 à 40; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 758, au paragraphe 30 (disponible sur CanLII) [Kaur]; Oladipo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 366, au paragraphe 24, 166 ACWS (3d) 355; Ismaili, précitée, au paragraphe 18.

23        Deuxièmement, l’obligation d’équité procédurale dont doivent s’acquitter les agents des visas se trouve à l’extrémité inférieure du spectre (Farooq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 164, au paragraphe 10 (disponible sur CanLII) [Farooq]; Sandhu, précitée, au paragraphe 25; Trivedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, au paragraphe 39 (disponible sur CanLII) [Trivedi]; Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, aux paragraphes 30 à 32, [2002] 2 CF 413; Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 55, au paragraphe 10, 288 NR 48; Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 41 (disponible sur CanLII) (CA), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 28418 (16 août 2001).

24        Troisièmement, un agent des visas est ni tenu d’aviser un demandeur ou une demanderesse des lacunes relevées dans sa demande, ni dans les documents fournis à l’appui de la demande. En outre, un agent des visas n’est pas tenu de demander des précisions ou des documents supplémentaires, ou de donner l’occasion au demandeur ou à la demanderesse de dissiper ses préoccupations, lorsque les documents présentés à l’appui d’une demande sont obscurs, incomplets ou insuffisants pour permettre de convaincre l’agent que le demandeur ou la demanderesse se conforme à toutes les exigences qui découlent du Règlement (Hassani, précitée, aux paragraphes 23 et 24; Patel, précitée, au paragraphe 21; El Sherbiny, précitée, au paragraphe 6; Sandhu, précitée, au paragraphe 25; Luongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 618, au paragraphe 18 (disponible sur CanLII); Ismaili, précitée, au paragraphe 18; Triveldi, précitée, au paragraphe 42; Singh, précitée, au paragraphe 40; Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8, 179 ACWS (3d) 912).

25        Néanmoins, l’agent peut être tenu de donner la chance au demandeur de répondre à ses préoccupations lorsqu’il s’agit de préoccupations liées à la crédibilité, à la véracité ou à l’authenticité des documents présentés par le demandeur et non de préoccupations liées au caractère suffisant de la preuve qui a été présentée.

[16]           Le demandeur accorde une importance considérable à l’entrée dans les notes du STIDI dans laquelle l’agent de contrôle de CIC estime qu’une entrevue serait requise pour déterminer s’il satisfait à la définition de « travailleur autonome » et s’il apportera un avantage pour le Canada. Cependant, les demandeurs ne bénéficient pas dans tous les cas d’un droit de réponse, par voie d’entrevue ou autrement. La possibilité de répondre ne sera généralement accordée que lorsque l’agent peut fonder une décision sur des renseignements inconnus du demandeur, ou lorsque subsistent des préoccupations concernant sa crédibilité ou l’authenticité de documents (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 620, au paragraphe 7; Bahr c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 527, au paragraphe 37; Ling c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1198, au paragraphe 15; Salman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 877; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501).

[17]           Le demandeur invoque la décision Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1284, qui concernait une demande de permis de travail temporaire. L’agent des visas avait refusé la demande parce qu’il n’était pas convaincu que le demandeur retournerait en Chine à l’expiration du permis, mais sans jamais l’informer de cette préoccupation. Même si la Cour a conclu dans Li que le demandeur aurait dû se voir accorder une entrevue, cette conclusion reposait sur un raisonnement conforme à la jurisprudence citée dans le paragraphe précédent. Dans cette affaire, une entrevue était nécessaire parce que le demandeur ignorait que l’agent des visas n’était pas sûr que ses liens avec sa terre natale fussent suffisamment solides. Non seulement le demandeur dans Li ignorait-il les préoccupations de l’agent des visas, mais la décision rendue dans cette affaire ne reposait pas sur la preuve qu’il avait soumise.

[18]           Un raisonnement semblable a été suivi dans Bonilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 20, au paragraphe 27, décision dans laquelle la Cour a infirmé la décision de l’agent des visas qui reposait sur une opinion subjective :

Il ne s’agit pas ici d’un cas où la demande elle-même de visa était incomplète, mais d’un cas où l’agent est arrivé à la conclusion subjective que la demanderesse ne retournerait pas en Colombie après avoir terminé ses études. Selon moi, l’agent aurait dû ici donner à la demanderesse l’occasion de répondre à sa préoccupation. La demanderesse n’avait aucun moyen de savoir que l’agent des visas suivrait son idée selon laquelle ceux ou celles qui sont dans leurs « années formatrices » ne peuvent pas venir étudier au Canada durant une période de quatre ans parce qu’il est improbable qu’ils retourneront dans leur pays. Le fait que l’agent des visas n’a pas donné à la demanderesse l’occasion de répondre à ses préoccupations constitue, au vu des faits de l’affaire, un manquement aux règles de la justice naturelle.

[Non souligné dans l’original.]

[19]           Ces décisions peuvent être mises en opposition avec les faits de la présente affaire, dans laquelle les préoccupations de l’agent provenaient uniquement des renseignements soumis par le demandeur à l’appui de sa demande de résidence permanente.

[20]           Le demandeur reproche à l’agent de ne pas avoir répondu à sa demande écrite de précisions concernant les documents requis. Cependant, les agents des visas ne sont nullement tenus de corriger une demande lacunaire (Trivedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, au paragraphe 42; Talpur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 25, au paragraphe 24). L’agent des visas n’a pas à informer le demandeur de préoccupations découlant directement des exigences de la Loi ou du Règlement (Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, 247 FTR 147, au paragraphe 23); Sandhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), au paragraphe 28; Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501, au paragraphe 24). La Cour a estimé que les préoccupations qui concernent la suffisance des fonds et des actifs d’un demandeur découlent directement des exigences du Règlement (Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 465, au paragraphe 28).

[21]           La jurisprudence limitée qui confirme la nécessité d’une entrevue dans le contexte d’une demande de résidence permanente n’est d’aucune aide au demandeur en l’espèce. La décision de convoquer une entrevue suppose l’obligation pour le demandeur de s’y présenter, non celle pour l’agent d’en tenir une. Voir Su c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 152 FTR 136; Voskanova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 167 FTR 258, au paragraphe 20.

[22]           Malgré l’opinion exprimée à l’interne par l’agent de contrôle qui s’occupait du dossier avant qu’il ne soit transféré à Los Angeles, l’agent chargé de rendre une décision en l’espèce n’était pas obligé d’interviewer le demandeur. Aucun doute n’a été soulevé quant à l’authenticité des documents fournis par ce dernier pour établir sa profession de joueur de poker, pas plus que sa crédibilité n’a suscité de préoccupations. L’agent de contrôle a fait une demande de documents justificatifs le 4 septembre 2013, le demandeur savait donc qu’il était tenu de fournir des documents de cette nature. Une fois reçus, l’agent chargé de rendre une décision n’était pas obligé de réclamer des renseignements additionnels pour permettre au demandeur de démontrer qu’il apporterait une contribution importante au Canada.

[23]           Le défendeur indique que les notes de l’agent de contrôle n’étaient qu’une simple recommandation et que l’agent chargé de rendre une décision au bureau de Los Angeles n’était pas tenu de l’accepter. Je suis d’accord. Il incombait au demandeur de fournir des renseignements suffisants à l’appui de sa demande, ce qu’il n’a pas fait.

[24]           Le demandeur conteste également le caractère suffisant des motifs et affirme qu’il est impossible de comprendre pourquoi il ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 88(1) du Règlement. Il est bien établi qu’une lettre communiquant la décision d’un agent des visas n’a pas à mentionner tous les motifs de la décision, et les notes du STIDI passent pour faire partie intégrante des motifs (Ziaei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1169, au paragraphe 21; Veryamani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1268, 379 FTR 153, au paragraphe 28; Rezaeiazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 761, 436 FTR 41, au paragraphe 59).

[25]           En l’espèce, les notes du STIDI confirment que l’agent a pris en compte l’absence de définition réglementaire de l’expression « contribution importante » avant de conclure que le demandeur n’avait fourni aucun renseignement démontrant que son emploi projeté de joueur de poker contribuerait de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[26]           L’appelant a cité la Classification nationale des professions (CNP) relative aux athlètes employée par CIC, qui envisage spécifiquement que les joueurs de poker puissent relever de cette catégorie. Cependant, je conviens avec le défendeur que cette CNP est conçue pour les demandes présentées au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et non de celle des travailleurs autonomes. Même si la CNP relative aux travailleurs qualifiés (fédéral) dans la catégorie des athlètes peut en effet comprendre des « participant(s) à des jeux tels que le poker et les échecs », le Règlement, les définitions et les directives s’appliquant aux immigrants travailleurs autonomes sont muets sur cette question. Les directives applicables (OP 8) précisent ce qui suit (à la section 11.3) :

L’agent doit prendre en considération les éléments suivants au moment d’évaluer l’expérience, l’intention et la capacité du demandeur de créer son propre emploi au Canada :

• Expérience de travail autonome dans des activités culturelles ou sportives. Cela couvre les personnes qui présentent une demande dans cette catégorie. Par exemple, les professeurs de musique, les peintres, les illustrateurs, les cinéastes et les journalistes à la pige. Au-delà de ces professionnels, la catégorie vise à couvrir les personnes qui travaillent dans l’ombre, par exemple, les chorégraphes, les décorateurs, les entraîneurs et les soigneurs.

[…]

• L’actif financier d’une personne peut également être une mesure de l’intention et de la capacité de cette personne à s’établir au Canada. Il n’y a pas de niveau d’investissement minimum imposé aux travailleurs autonomes. Le capital requis dépend de la nature du travail. Les demandeurs doivent disposer de suffisamment de fonds pour se créer un emploi et pour subvenir à leurs propres besoins et à ceux des membres de leur famille. Ils doivent aussi prouver qu’ils ont pu subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leur famille grâce à leur talent et qu’ils continueront probablement à le faire au Canada. Cela comprend la capacité de subvenir à ses besoins jusqu’à ce que l’emploi autonome ait été créé.

[27]           Les notes du STIDI témoignent clairement des préoccupations de l’agent de contrôle comme de l’agent chargé de rendre une décision liées au caractère insuffisant de la preuve fournie par le demandeur concernant sa contribution probable au Canada. Les notes du STIDI indiquent notamment : [traduction« Le compte TD fait état d’une somme de [montant] – pas d’historique. Entrevue requise pour déterminer si le DP satisfait à la définition et si contribution importante pour le Canada. À ce jour, n’a pas payé d’impôts ni démontré d’avantages pour le Canada » et [traduction« […] semble réaliser des gains importants du fait de sa profession de joueur de poker, quoique son historique d’accumulation de fonds n’ait pas été suffisamment établi ». La décision est donc intelligible et les motifs sont suffisants.

[28]           La décision d’un agent d’immigration doit être lue dans son intégralité (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 14). Elle appelle une grande déférence de la part de la Cour. Je suis convaincu que la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’a pas satisfait à la définition de travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1) du Règlement appartient aux issues acceptables (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). La Cour n’a aucune raison légitime de revenir sur la décision de l’agent.

VIII.       Conclusion

[29]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1666-14

 

INTITULÉ :

BENJAMIN TRAVIS TOLLERENE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 mars 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS

LE 28 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov

pour le demandeur

BENJAMIN TRAVIS TOLLERENE

 

Ladan Shahrooz

pour le défendeur

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur

BENJAMIN TRAVIS TOLLERENE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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