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Date : 20150504


Dossier : IMM-712-14

Référence : 2015 CF 560

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

SHEIKH NAUSHEER ALLY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Sheikh Nausheer Ally [le demandeur] présente, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par un agent des renvois [l’agent] datée du 31 janvier 2014. L’agent a refusé de reporter le renvoi du demandeur du Canada.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur est citoyen du Guyana. Il est entré au Canada la première fois en août 1988 et il s’est vu accorder le statut de résident permanent. Au début des années 1990, il a été déclaré coupable de deux chefs d’accusation de vol qualifié et il a purgé une peine de 16 mois d’emprisonnement.

[4]               En octobre 1994, une mesure d’expulsion a été prise à l’endroit du demandeur, au motif qu’il était interdit de territoire pour grande criminalité. L’appel interjeté à l’égard de cette mesure et une demande de contrôle judiciaire subséquente devant la Cour ont été rejetés.

[5]               En décembre 1994, le demandeur s’est marié. La première fille du demandeur, qui est atteinte du syndrome de Down, est née en septembre 1995. En février 1997, le demandeur a été renvoyé au Guyana. Son épouse était alors enceinte de leur deuxième enfant. Le fils du demandeur est né en juillet 1997. Le demandeur et son épouse ont divorcé en juillet 2000, apparemment pour permettre à l’épouse d’être admissible à des prestations gouvernementales plus élevées.

[6]               En septembre 2008, le demandeur est entré de nouveau au Canada, cette fois illégalement, et il a repris la vie commune avec son ancienne épouse et leurs enfants. Le couple a eu un troisième enfant en juin 2013.

[7]               Le même mois, le demandeur a été détenu par la police et une mesure d’expulsion a été prise contre lui. En janvier 2014, il a présenté une demande de résidence permanente et son épouse agissait à titre répondante [la demande de parrainage entre époux]. Il a demandé que sa demande soit examinée sous l’angle des considérations d’ordre humanitaire. Il a de plus, semble‑t‑il, présenté une demande de réhabilitation pour faire annuler l’interdiction de territoire pour criminalité.

[8]               Le 20 janvier 2014, le demandeur a reçu l’ordre de se présenter pour son renvoi. Le 28 janvier 2014, il a demandé à ce que le renvoi soit reporté, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue concernant sa demande de parrainage entre époux ou, subsidiairement, jusqu’à la naissance de son quatrième enfant (qui devait naître en septembre 2014). Il a fait valoir qu’il était dans l’intérêt supérieur de son épouse et de ses enfants que son renvoi soit reporté et qu’il serait en danger s’il était renvoyé au Guyana.

[9]               Le 31 janvier 2014, la demande de report a été refusée. Le demandeur s’est vu accorder un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi le 12 février 2014, dans l’attente du prononcé de la décision dans la présente demande de contrôle judiciaire.

III.             La décision de l’agent

[10]           L’agent a jugé que ni la demande de réhabilitation ni la demande de parrainage n’avaient été présentées en temps utile.

[11]           En ce qui a trait à la demande de réhabilitation, l’agent a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour corroborer l’allégation selon laquelle il avait retenu en 2010 les services d’un consultant en immigration qui avait accepté son argent, mais n’avait rien fait en contrepartie. L’agent a souligné que le demandeur avait attendu trois ans après avoir découvert que sa demande n’avait pas été soumise avant de recourir aux services d’une organisation appelée Pardons Canada pour obtenir de l’aide en vue de faire progresser sa demande. L’agent a estimé que la Commission des libérations conditionnelles du Canada ne rendrait pas sa décision avant novembre 2014 au plus tôt et que, par conséquent, aucune décision quant à la demande de réhabilitation n’était imminente.

[12]           En ce qui a trait à la demande de parrainage entre époux, l’agent a conclu que le demandeur avait attendu environ cinq ans après être rentré illégalement au Canada et six mois après avoir été avisé qu’il pouvait demander un examen des risques avant renvoi (ERAR) avant d’entreprendre sa démarche. L’agent était également d’avis qu’aucune décision quant à la demande de parrainage entre époux n’était imminente, car l’examen prendrait à lui seul jusqu’à neuf mois et que le dossier pourrait ensuite être confié à un bureau régional de Citoyenneté et Immigration Canada pour un examen approfondi. De plus, l’agent a souligné que le demandeur n’était pas admissible au parrainage entre époux en raison de ses déclarations de culpabilité au criminel et qu’il ne pouvait pas non plus bénéficier d’un report administratif, parce qu’il avait déposé sa demande de parrainage plus de six mois après avoir été jugé [traduction] « prêt au renvoi ». L’agent a estimé que le report du renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue concernant sa demande de parrainage était injustifié.

[13]           L’agent a ensuite examiné la question de savoir si un report du renvoi était justifié compte tenu de l’intérêt supérieur de l’épouse et des enfants du demandeur. Il a reconnu que le processus du renvoi pourrait être difficile pour tous les intéressés. Toutefois, comme l’épouse et les enfants du demandeur ont la citoyenneté canadienne, ils peuvent avoir accès à un large éventail de services sociaux et publics. Ils ont aussi le soutien des membres de leur famille et de leurs amis proches. L’agent a conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que l’épouse et les enfants du demandeur se retrouveraient dans une situation exceptionnellement difficile qui justifierait un report du renvoi.

[14]           Enfin, l’agent était d’avis que le demandeur n’était exposé à aucun risque personnalisé nouveau ou important qui justifierait le report de son renvoi. Le demandeur n’a pas allégué qu’il était exposé à des risques pour sa sécurité personnelle ou pour sa santé, qu’on lui avait refusé à l’accès à des services ou qu’il avait été victime d’actes discriminatoires au travail. L’agent a souligné que le demandeur n’avait pas présenté de demande d’ERAR et que les risques dont il est question dans la demande de report sont hypothétiques et qu’ils n’étaient pas corroborés par l’expérience vécue par le demandeur lorsqu’il résidait au Guyana.

IV.             La question en litige

[15]           La principale question soulevée par le demandeur dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si l’analyse de l’agent quant à l’intérêt supérieur des enfants était raisonnable.

V.                Analyse

[16]           La décision de l’agent de renvoi est assujettie au contrôle de la Cour suivant la norme de la raisonnabilité (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron], au paragraphe 25). La Cour doit établir si la décision est justifiée, transparente et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[17]           Le défendeur prétend que le demandeur n’a pas eu une « attitude irréprochable », compte tenu de ses déclarations de culpabilité antérieures et du fait qu’il est rentré au Canada illégalement après en avoir été expulsé. Dans l’arrêt Baron, le juge Nadon a dit ce qui suit au sujet de la doctrine de l’« attitude irréprochable » dans le présent contexte :

[65] Ainsi, si les agissements de la personne qui réclame le report de son renvoi la discréditent ou créent un précédent susceptible d’inciter d’autres personnes à agir de la même manière, il est parfaitement loisible à l’agent d’exécution d’en tenir compte pour décider s’il y a lieu d’accorder le report demandé. Ni les agents d’exécution ni d’ailleurs les tribunaux ne devraient encourager ou récompenser ceux qui n’ont pas une attitude irréprochable.

[18]           Dans Baron, le juge Nadon a également circonscrit le pouvoir discrétionnaire de l’agent de renvoi quant au report :

[…] mon collègue le juge Pelletier, alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale, a eu l’occasion, dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682, dans le contexte d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, d’aborder la question du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution de reporter le renvoi. Après avoir examiné attentivement et à fond les dispositions législatives applicables et la jurisprudence s’y rapportant, le juge Pelletier a circonscrit la portée du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution en matière de report de renvoi. Dans des motifs que je ne puis améliorer, il a expliqué ce qui suit :

- Il existe divers facteurs qui peuvent avoir une influence sur le moment du renvoi, même en donnant une interprétation très étroite à l’article 48. Il y a ceux qui ont trait aux arrangements de voyage, et ceux sur lesquels ces arrangements ont une incidence, notamment le calendrier scolaire des enfants et les incertitudes liées à la délivrance des documents de voyage ou les naissances ou décès imminents.

- La loi oblige le ministre à exécuter la mesure de renvoi valide et, par conséquent, toute ligne de conduite en matière de report doit respecter cet impératif de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, on devrait accorder une grande importance à l’existence d’une autre réparation, comme le droit de retour, puisqu’il s’agit d’une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi. Dans les affaires où le demandeur a gain de cause dans sa demande CH, il peut obtenir réparation par sa réadmission au pays.

- Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle.

- Il est possible de remédier aux affaires où les difficultés causées à la famille sont le seul préjudice subi par le demandeur en réadmettant celui‑ci au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était en instance.

[19]           La présente affaire s’apparente un peu aux faits dans la décision Ahmedov c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 730, 435 FTR 253 [Ahmedov], où un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi a été accordé jusqu’à la naissance de l’enfant du demandeur. La juge Gagné a déclaré ce qui suit :

47        Premièrement, il est possible que le refus de surseoir à la mesure de renvoi en attendant la naissance du deuxième fils du demandeur ait été déraisonnable. Ce pourrait fort bien expliquer pourquoi le juge Mosley a accueilli la requête du demandeur en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce que la présente demande de contrôle judiciaire ait été tranchée. Toutefois, cette question est théorique, car le deuxième fils du demandeur est né le 13 décembre 2012. Dans Ramirez c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), le juge Near (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a déclaré qu’un argument relatif au report du renvoi fondé sur la naissance d’un enfant n’a plus d’objet une fois l’enfant né. Citant Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, le juge Near a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher la question au fond.

[20]           En l’espèce, le quatrième enfant du demandeur était attendu en septembre 2014. Malheureusement, l’épouse du demandeur a fait une fausse couche. Compte tenu de la décision Ahmedov et de la jurisprudence qui y est citée, je suis convaincu que cet aspect de la demande de contrôle judiciaire est dépourvu d’intérêt pratique et qu’il ne sert à rien d’examiner son bien‑fondé.

[21]           En ce qui a trait aux autres arguments du demandeur, le juge de Montigny a fait remarquer, dans la décision Munar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] ACF no 1448 (QL), [2006] 2 RCF 664, aux paragraphes 40 et 41 [Munar], que les agents de renvoi n’avaient pas compétence pour faire l’analyse de fond complète sur l’intérêt supérieur de l’enfant qui s’impose dans le cadre d’une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Les agents de renvoi devraient plutôt se concentrer uniquement sur l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme. Le juge de Montigny a donné l’exemple notamment de la situation où le report permettrait à l’enfant de terminer son trimestre ou son année scolaire, ou encore permettrait de s’assurer que des dispositions appropriées ont été prises s’il est prévu que l’enfant n’accompagnera pas le parent visé par la mesure de renvoi.

[22]           Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Varga, 2006 CAF 394, au paragraphe 16, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit :

Compte tenu du peu de latitude dont jouit l’agent de renvoi pour l’accomplissement de ses tâches, son obligation, le cas échéant, de prendre en considération l’intérêt des enfants touchés est minime, contrairement à l’examen complet qui doit être mené dans le cadre d’une demande CH présentée en vertu du paragraphe 25(1).

[23]           De la même manière, dans Hernandez Fernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1131, au paragraphe 46), le juge O’Keefe a expliqué que « les agents d’exécution de la loi ne sont pas bien placés pour évaluer toute la preuve qui pourrait s’avérer pertinente dans le cadre d’une demande CH ». Ils doivent traiter l’« intérêt immédiat [de l’enfant touché] équitablement et avec sensibilité », mais ils ne sont pas tenus d’effectuer un examen approfondi de cet intérêt avant d’exécuter la mesure de renvoi.

[24]           Je suis convaincu que la décision de l’agent en l’espèce était raisonnable et qu’il a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur à court terme des enfants du demandeur. Il est manifeste que l’agent a tenu compte des renseignements fournis par les professionnels de la santé concernant la fille du demandeur qui est atteinte du syndrome de Down. Elle est âgée de 19 ans. Le fils du demandeur est adolescent. L’agent a souligné qu’ils bénéficiaient du soutien des membres de la famille et des amis, ainsi que des services sociaux offerts à tous les Canadiens. Le demandeur pourra donner suite à ses demandes de réhabilitation et de parrainage depuis l’étranger. Si tout va bien, la séparation d’avec son épouse et ses enfants sera temporaire.

[25]           Compte tenu de la compétence très limitée des agents de renvoi pour effectuer une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre d’une demande de report, je rejette l’affirmation du demandeur voulant que l’agent ait rendu sa décision sans égard à la preuve présentée ou que la décision soit par ailleurs déraisonnable.

[26]           L’exercice du pouvoir discrétionnaire par l’agent en l’espèce s’appuie aussi sur le fait que le demandeur n’a pas eu une « attitude irréprochable ».

VI.             Conclusion

[27]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[28]           Les parties ont présenté des observations quant à la certification d’une question pour les besoins d’un appel concernant l’étendue de l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant par l’agent de renvoi. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le droit concernant cette question est bien établi (voir Munar et la jurisprudence qui y est citée). Par conséquent, il n’y a aucune question à certifier en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-712-14

 

INTITULÉ :

SHEIKH NAUSHEER ALLY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MARS 2015

 

JUgeMENT et motifs :

le juge FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Subodh S. Bharati

 

pour le demandeur

 

Lucan Gregory

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Subodh S. Bharati

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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