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Date : 20150430


Dossier : T-1357-14

Référence : 2015 CF 561

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

GERALD IKERIONWU UKAOBASI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Gerald Ikerionwu Ukaobasi (le demandeur) a interjeté appel en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29, (la Loi) à l’encontre d’une décision par laquelle une juge de la citoyenneté a rejeté sa demande de citoyenneté canadienne au motif qu’il ne satisfaisait pas aux exigences prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. La juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas démontré avoir résidé au Canada pendant au moins trois des quatre années précédant le dépôt de sa demande.

[2]               Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur est citoyen du Nigeria. Il est arrivé au Canada en 2004 et il a été déclaré réfugié au sens de la Convention en 2005. Il est devenu résident permanent le 22 juin 2006.

[4]               Le 9 mars 2009, le demandeur a présenté une demande de citoyenneté canadienne. Dans sa demande, il a déclaré 39 jours d’absence du Canada entre le 9 mars 2005 et le 9 mars 2009, soit les quatre années qui ont précédé le dépôt de sa demande (la période pertinente).

[5]               Le demandeur s’est présenté à l’audience devant la juge de la citoyenneté le 18 mars 2014, au cours de laquelle il s’est vu poser des questions à propos de sa résidence au Canada pendant la période pertinente. La juge de la citoyenneté lui a demandé de produire des documents attestant sa résidence entre juin 2006 et septembre 2007 avant le 1er avril 2014. 

[6]               Le 25 mars 2014, le demandeur a envoyé une lettre à la juge de la citoyenneté à laquelle étaient joints des relevés bancaires et un reçu émis à la suite d’un don à l’église. Il a aussi informé la juge de la citoyenneté qu’il avait demandé les documents afférents à sa carte de crédit, mais qu’il ne les avait pas encore reçus. Il a affirmé qu’il les transmettrait dès qu’il les recevrait.

[7]               La juge de la citoyenneté a rendu une décision relativement à la demande de citoyenneté du demandeur le 8 avril 2014. Elle a rejeté la demande au motif que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. La juge de la citoyenneté a souligné avoir appliqué le critère rigoureux établi par le juge Muldoon dans l’affaire Re Pourghasemi, [1993] ACF n° 232, 62 FTR 122.

[8]               La juge de la citoyenneté a reconnu que les documents supplémentaires fournis par le demandeur établissaient sa présence au Canada entre le 6 octobre 2006 et septembre 2007. Cependant, elle a affirmé qu’il n’avait fourni aucun document pour prouver qu’il vivait au Canada pendant la période de 106 jours allant du 22 juin 2006 au 6 octobre 2006.  

[9]               La juge de la citoyenneté a aussi exprimé des doutes au sujet de la crédibilité des allégations du demandeur quant à sa présence effective au Canada pendant la période pertinente et a aussi relevé plusieurs incohérences dans son témoignage. Par exemple, le demandeur est retourné au Nigeria à deux reprises en dépit du fait qu’il avait obtenu l’asile au Canada parce qu’il craignait d’être persécuté dans ce pays. Le demandeur a affirmé craindre d’être persécuté du fait qu’il était homosexuel; or, lors de l’une de ses visites au Nigeria, il a épousé une femme. À l’audience, il a affirmé qu’un représentant l’avait aidé à remplir sa demande, mais il a ensuite annulé cette déclaration dans une lettre datée du 25 mars 2014 et déclaré avoir rempli les formulaires lui-même.

[10]           Vu ses doutes concernant la crédibilité du demandeur, la juge de la citoyenneté a conclu qu’en l’absence de documents supplémentaires, le demandeur ne pouvait pas établir plus de 1 080 jours de présence effective au Canada pendant la période pertinente. Le demandeur avait déclaré 39 jours d’absence et il y avait 106 autres jours pour lesquels il n’y avait aucune preuve qu’il vivait au Canada. La juge de la citoyenneté a donc conclu qu’il manquait au demandeur 15 jours pour respecter l’exigence légale prévue par l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

III.             Questions en litige

[11]           Le demandeur a soulevé les questions suivantes :  

A.                Le demandeur a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale?

B.                 La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en fusionnant les différents critères de résidence?

C.                 La décision de la juge de la citoyenneté était-elle raisonnable?

IV.             Norme de contrôle

[12]           Les questions d’équité procédurale commandent la norme de contrôle de la décision correcte (Canada (Ministre de Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). Cependant, le contenu de l’obligation d’équité procédurale est souple et peut varier selon le contexte (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 21 à 28; Khela, au paragraphe 89).

[13]           Bien qu’un juge de la citoyenneté soit libre de choisir quel critère de résidence il adopte afin de trancher une demande, fusionner les différents critères constitue une erreur de droit et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Arif c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 824, au paragraphe 16; Hsu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 579, au paragraphe 7).

[14]           La décision rendue par un juge de la citoyenneté sur la question de savoir si un demandeur satisfait aux exigences en matière de résidence est une question mixte de fait et de droit et est, par conséquent, assujettie à la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 48, 51; Kohestani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 373, au paragraphe 12; Idahosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 739, au paragraphe 9; Arif, au paragraphe 15).

V.                Analyse

A.                Le demandeur a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale?

[15]           Le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne lui accordant pas suffisamment de temps pour produire une preuve documentaire établissant qu’il était effectivement présent au Canada. Il affirme que le délai de deux semaines n’était pas suffisant puisque les documents exigés s’étalaient sur une période de sept ans et qu’ils relevaient du contrôle et du pouvoir de tierces parties.

[16]           Le défendeur affirme que la juge de la citoyenneté n’était pas tenue de proroger le délai et que le demandeur a eu une possibilité raisonnable de présenter d’autres documents établissant sa présence effective au Canada (Hawa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 271, au paragraphe 6). La prorogation de délai n’aurait pas aidé le demandeur parce que les relevés de carte de crédit fournis dans son affidavit ne visaient pas la période en cause.

[17]           Je suis d’accord avec le défendeur. Les relevés de carte de crédit joints à l’affidavit du demandeur ne font état d’aucune transaction entre le 22 juin et le 6 octobre 2006. Par conséquent, même si la juge de la citoyenneté avait accordé plus de temps au demandeur pour produire les documents à l’appui, cela n’aurait rien changé à sa décision finale (Sarker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1168, aux paragraphes 16 à 18).

[18]           Par conséquent, l’appel ne peut pas être accueilli pour des motifs d’équité procédurale.

B.                 La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en fusionnant les différents critères de résidence?

[19]           Le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en fusionnant différents critères de résidence, plus précisément le critère quantitatif rigoureux qui oblige le demandeur à être effectivement présent pendant 1 095 jours et le critère qualitatif plus souple qui tient compte du degré d’attachement du demandeur au Canada.

[20]           Je ne suis pas d’accord. La juge de la citoyenneté a clairement dit qu’elle appliquait le critère énoncé dans l’affaire Pourghasemi. Rien dans la décision ne laisse croire qu’elle a fusionné l’exigence stricte selon laquelle le demandeur doit avoir été effectivement présent au Canada pendant 1 095 jours avec les critères plus souples formulés dans les affaires Re: Koo, [1993] 1 CF 286 (1re inst), et Re Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208 (1re inst). Les motifs portaient principalement sur la question de savoir si le demandeur avait établi 1 095 jours de présence effective au Canada, et non pas sur la question de savoir s’il avait suffisamment centralisé son mode de vie au Canada ou s’il vivait régulièrement, normalement ou habituellement au Canada.

C.                 La décision de la juge de la citoyenneté était-elle raisonnable?

[21]           Le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence prévues par la Loi puisqu’elle n’a pas clairement indiqué dans ses brefs motifs la raison pour laquelle elle a conclu que la preuve documentaire était insuffisante – surtout si elle appliquait le critère de résidence plus souple. Cependant, la juge de la citoyenneté a expressément dit qu’elle appliquait le critère énoncé dans l’affaire Pourghasemi, lequel exige 1 095 jours de présence effective. Dans sa décision, la juge de la citoyenneté explique clairement pourquoi la preuve présentée par le demandeur ne suffisait pas pour satisfaire à ce critère.

[22]           La décision de la juge de la citoyenneté était donc raisonnable. Il incombait au demandeur de soumettre des éléments de preuve suffisamment crédibles pour permettre l’appréciation de la résidence (Abbas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 145, au paragraphe 8). Comme le demandeur n’a fourni aucun document pour établir qu’il était effectivement présent au Canada du 22 juin au 6 octobre 2006, la juge de la citoyenneté a raisonnablement conclu qu’il ne pouvait pas prouver avoir été effectivement présent au Canada pendant plus de 1 080 jours au cours de la période pertinente.

[23]           Bien que le demandeur ait indiqué dans sa demande avoir été présent au Canada pendant la période en cause, une conclusion négative tirée au sujet de la crédibilité peut s’étendre à l’ensemble des éléments de preuve pertinents (Kohestani, au paragraphe 24). Vu les craintes bien fondées de la juge de la citoyenneté en ce qui concerne la crédibilité du demandeur, sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences prévues par l’alinéa 5(1)c) de la Loi était raisonnable.

[24]           L’appel interjeté par le demandeur est donc rejeté.

VI.             Dépens

[25]           Le défendeur sollicite les dépens sur la base avocat-client. Les dépens ne sont que rarement attribués dans les appels en matière de citoyenneté (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 763, au paragraphe 23; McIlroy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 685, au paragraphe 34).

[26]           Les dépens avocat-client sont attribués seulement dans des situations exceptionnelles, par exemple lorsqu’une partie a fait preuve d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante ou quand des raisons d’intérêt public peuvent également fonder une telle ordonnance (Mackin c Nouveau-Brunswick, [2002] 1 RCS 405, au paragraphe 86). Il n’est pas approprié de solliciter des dépens avocat-client simplement parce que la preuve de la partie adverse est faible ou non fondée (Luis Vuitton Malletier SA c Yang, 2008 CF 45, au paragraphe 25). Il n’y a aucune circonstance exceptionnelle en l’espèce justifiant l’adjudication des dépens avocat-client.

[27]           Un examen des documents financiers présentés par le demandeur à l’appui de sa demande de citoyenneté révèle qu’il est peu fortuné.  Je refuse donc d’adjuger des dépens en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1357-14

 

INTITULÉ :

GERALD IKERIONWU UKAOBASI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Paul R. Krumeh

 

pour le demandeur

 

Alexis Singer

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul R. Krumeh

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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