Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150421


Dossier : IMM-7228-14

Référence : 2015 CF 514

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2015

En présence de monsieur le juge Noël

ENTRE :

TISHANAN NAGENDRAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de Tishanan Nagendram [le demandeur] présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision datée du 13 juin 2014 d’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada [l’agent ERAR] rejetant sa demande d’examen des risques avant renvoi [demande ERAR].

II.                Faits allégués

[2]               Le demandeur est un Tamoul du Sri Lanka, originaire de Jaffna. Il dit avoir quitté le Sri Lanka parce qu’il était à risque de persécution aux mains des groupes militaires et paramilitaires sri-lankais ainsi que dû au fait qu’il est un jeune Tamoul de la région du nord du Sri Lanka ayant des liens avec les Tigres de libération de l'Eelam tamoul [LTTE].

[3]               Il est arrivé au Canada le 6 octobre 2010 et a présenté une demande de réfugié. La section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté sa demande d’asile le 23 novembre 2012. La demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été rejetée à son tour le 14 novembre 2013.

[4]               Le demandeur a présenté une demande d’ERAR le 19 décembre 2013. Celle-ci a été rejetée le 13 juin 2014. C’est la décision contestée.

III.             Décision contestée

[5]               L’agent ERAR a premièrement analysé la nouvelle preuve soumise en vertu du paragraphe 113(2) de la LIPR. L’agent ERAR a tout d’abord rejeté la lettre de l’employeur du demandeur datée du 18 décembre 2013, la jugeant non pertinente à sa demande ERAR.

[6]               L’agent ERAR a ensuite évalué les documents concernant la santé mentale du demandeur. En ce qui a trait à la lettre de la psychologue Dr Sylvie Laurion, datée du 2 janvier 2014, l’agent ERAR a précisé que la Dr Laurion a administré plusieurs examens et a effectué trois entrevues avec le demandeur depuis le premier rapport émis le 25 septembre 2012. La conclusion du Dr Laurion est que la santé mentale du demandeur s’était détériorée due au fait qu’il faisait face à une possible déportation. L’agent ERAR a également tenu compte d’une lettre de la famille du demandeur datée du 19 décembre 2013 expliquant que la mort de sa mère et les évènements qui sont arrivés au demandeur l’ont tellement perturbé que de forts bruits le perturbent. L’agent ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que les informations concernant sa santé mentale s’élevaient aux risques décrits sous les articles 96 et 97 de la LIPR.

[7]               Quant à la preuve documentaire présentée portant sur les conditions du pays, l’agent ERAR a déterminé que les risques auxquels le demandeur a dit faire face advenant son retour au Sri Lanka, soient que les jeunes Tamouls font encore face à certains dangers au Sri Lanka et que lui-même serait arrêté s’il devait retourner dans son pays parce qu’il avait déjà été arrêté et ciblé par les autorités du pays, ne diffèrent pas de façon significative des risques présentés dans sa demande de réfugié présentée devant la SPR.

[8]               L’agent ERAR a tout de même évalué la preuve documentaire soumise au soutien des allégations du demandeur. Quant aux articles soumis concernant des gens qui auraient souffert de violations des droits de la personne au Sri Lanka, l’agent ERAR a déterminé que le demandeur n’avait pas démontré comment son profil le plaçait dans une situation similaire comme celle de ceux présentés dans les articles et qu’il ne serait pas sujet au même traitement que ces personnes du fait qu’il est un Tamoul. Quant aux documents discutant de la situation au Sri Lanka suite à la guerre civile, l’agent ERAR a conclu que les Tamouls peuvent faire face à de la discrimination à cause de leur ethnicité. Le demandeur n’a toutefois pas su démontrer que cette discrimination s’élevait à de la persécution. Par conséquent, l’agent ERAR a conclu que le demandeur ne serait pas à risque au Sri Lanka parce qu’il est Tamoul. L’agent ERAR ajoute que le demandeur n’a pas présenté suffisamment de preuve au soutien de son argument qu’il serait arrêté à son retour au Sri Lanka.

[9]               Pour toutes ces raisons, l’agent ERAR a rejeté la demande ERAR du demandeur.

IV.             Prétentions des parties

[10]           Le demandeur allègue que l’agent ERAR a omis de considérer la situation du demandeur au moment de sa demande ERAR. Le demandeur argumente également que l’agent ERAR a omis de tenir compte de la preuve documentaire comprise au dossier concernant la situation au Sri Lanka pour les jeunes Tamouls qui est postérieure à la décision de la SPR de novembre 2012. En réponse, le défendeur argumente que la demande ERAR du demandeur est fondée sur les mêmes faits que sa demande d’asile présentée devant la SPR. Le défendeur ajoute que l’agent ERAR a également analysé et cité la preuve documentaire récente quant à la situation des jeunes Tamouls au Sri Lanka et a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas le profil d’une personne à risque au Sri Lanka.

[11]           Quant à la situation psychologique du demandeur, ce dernier prétend que l’agent ERAR a omis de considérer la preuve à ce sujet. Pour sa part, le défendeur avance que le rapport psychologique présenté ne change rien quant à son profil de risques advenant son retour au Sri Lanka.

V.                Question en litige

[12]           Après avoir révisé les prétentions des parties et leur dossier respectif, je formule la question en litige comme suit :

1.      La décision de l’agent ERAR est-elle raisonnable?

VI.             Norme de révision

[13]           La question à savoir si la décision de l’agent ERAR est raisonnable se rapporte à des conclusions de faits et fera par conséquent l’objet d’un examen selon la norme de la décision raisonnable (Pareja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1333 au para 12; Kandel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 659 au para 17). Cette Cour n’interviendra donc que si la décision est déraisonnable, soit qu’elle tombe en dehors « des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

VII.          Analyse

[14]           Une demande ERAR n’est pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile (Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385 au para 12 [Raza]). Une demande ERAR peut par contre nécessiter l’examen de certains ou de toutes les mêmes questions de fait ou de droit qu’une demande d’asile. L’alinéa 113a) de la LIPR vient atténuer le risque de multiplication de recours que ce processus peut engendrer en limitant les preuves qui peuvent être présentées à un agent ERAR. Effectivement, l’alinéa 113a) de la LIPR  « repose sur l’idée que l’agent ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance » (Raza au para 13). Finalement, un « agent ERAR peut validement rejeter de telles preuves si elles n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR » (Raza au para 17). En l’espèce, la demande ERAR du demandeur est essentiellement fondée sur les mêmes faits allégués devant la SPR et il n’y a nul besoin pour cette Cour d’intervenir.

[15]           Le demandeur allègue qu’il est à risque en tant que réfugié retournant dans son pays. Il prétend également que l’agent ERAR a refusé de tenir compte de la preuve documentaire voulant que le demandeur correspondait à un profil qui le mettait à risque d’arrestation et d’interrogation, soit une personne soupçonnée d’être sympathisant des LTTE. Il avance également que l’agent ERAR a erré en déterminant que la situation est inchangée depuis la décision de la SPR. Ces arguments sont erronés. La décision de l’agent ERAR démontre clairement que la preuve documentaire postérieure à la décision de la SPR a été prise en compte (Dossier du demandeur pages 14 à 16). Plus précisément, l’agent ERAR a tenu compte de plusieurs documents datés de 2013, tous postdatant donc la décision de la SPR signée le 12 novembre 2012. Ces arguments du demandeur ont également été analysés par la SPR (Dossier du demandeur [DD] page 30, aux paras 20 à 23) et révisés en contrôle judiciaire par cette Cour (DD page 40, au para 14). L’agent ERAR a réévalué les arguments du demandeur avec la preuve soumise par ce dernier pour conclure qu’il n’était pas à risque s’il devait retourner au Sri Lanka. L’agent ERAR a validement écrit que les risques présentés par le demandeur ne diffèrent pas de façon significative de ceux présentés à la SPR (DD page 13).

[16]           Le demandeur argumente également que l’agent ERAR a refusé d’admettre les faits reconnus par la SPR concernant le fait qu’il avait été arrêté à plusieurs reprises en plus d’être questionné sur l’assassinat de sa mère et son départ de Jaffna et que les jeunes Tamouls soupçonnés d’avoir des liens avec le LTTE sont à risque au Sri Lanka. Cet argument ne tient pas. En effet, l’agent ERAR, a écrit, quant aux arrestations du demandeur et du meurtre de sa mère que :

The IRB found that there was nothing to indicate that the police or military had substantial interest in the claimant, particularly due to the fact that the applicant was released twice after being detained during wartime conditions. It found that the applicant did not demonstrate that he had the profile of an individual that would be apprehended upon his return. Furthermore, the IRB found that there was nothing to indicate that the murder of the applicant’s mother was related to the LTTE or that the interest of the police in the case might indicate that it involved the LTTE. It found that the applicant did not demonstrate a real or perceived personal risk with the LTTE (DD page 13).

Plus loin, après avoir tenu compte de la preuve documentaire et des autres éléments de preuve déposés par le demandeur, l’agent ERAR a déterminé ceci :

Moreover, the applicant has not submitted sufficient evidence to demonstrate that he will be arrested upon his return to Sri Lanka due to the fact that he had already been targeted and arrested by the authorities in the past. As mentioned previously, it is not the role of the PRRA officer to revisit the IRB’s findings. The IRB had already deliberated this allegation and found that there was nothing to indicate that the police or military had any interest in the claimant, having previously detained and subsequently released him (Dossier du demandeur aux pages 14 et 15).

L’agent ERAR continue ensuite son évaluation des conditions au Sri Lanka et détermine qu’elles sont restées relativement inchangées depuis la décision de la SPR (DD page 13). L’agent conclut donc finalement que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait un profil qui le mettait à risque s’il devait retourner au Sri Lanka (DD page 13). L’agent ERAR n’a donc pas refusé d’admettre les faits reconnus par la SPR comme le prétend le demandeur ni même refusé d’évaluer la situation des jeunes Tamouls soupçonnés d’avoir des liens avec le LTTE. L’agent ERAR a plutôt évalué toute la preuve au dossier, les faits allégués et l’analyse de la SPR avant de refuser la demande ERAR.

[17]           Le deuxième argument avancé par le demandeur concerne l’état psychologique du demandeur et que l’agent ERAR a omis de discuter de cette preuve dans sa décision. Cet argument est encore une fois erroné. L’agent ERAR a en effet tenu compte de l’évaluation du Dr Laurion, soumise par le demandeur, qui a été effectuée après la décision de la SPR (DD page 2). Sur cette question, l’agent ERAR s’est dit sensible aux expériences passées du demandeur au Sri Lanka et les effets possibles que ces évènements peuvent avoir eu sur le demandeur. L’agent  ERAR, après avoir évalué la lettre de sa famille au Canada et l’évaluation du Dr Laurion conclut que les allégations sur son possible état mental vulnérable s’il devait retourner au Sri Lanka ne soulèvent pas les risques mentionnés dans les articles 96 et 97 de la LIPR et ne sont pas pertinents pour sa demande ERAR. Cette conclusion est raisonnable.

VIII.       Conclusion

[18]           La décision de l’agent ERAR est complète et comprend une bonne analyse du dossier au soutien de la demande ERAR du demandeur. L’agent ERAR a adéquatement évalué la nouvelle preuve présentée par le demandeur et tous les documents compris au dossier. Aucune erreur n’a été commise par l’agent. Il n’y a donc nul besoin pour cette Cour d’intervenir.

[19]           Les parties ont été invitées à soumettre une question pour certification, mais aucune n’a été soumise.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


dossier :

IMM-7228-14

 

INTITULÉ :

TISHANAN NAGENDRAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 avril 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

 

pour le demandeur

 

Pavol Janura

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.