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Date : 20150424


Dossier : T-2586-14

Référence : 2015 CF 531

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 24 avril 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ROTOR MAXX SUPPORT LTD.

 

demanderesse

et

LA MINISTRE DES TRANSPORTS

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

Aperçu

[1]               La demanderesse a demandé une injonction visant à faire mettre fin à une « alerte » qui, selon la ministre des Transports, était une mesure de sécurité essentielle pour la sécurité des membres du public passagers à bord d’aéronefs.

[2]               Quelle qu’en soit l’importance, des risques sérieux à la vie humaine doivent l’emporter sur tout intérêt commercial.

[3]               Par conséquent, une injonction ne sera pas accordée afin de protéger des intérêts commerciaux, car rien ne met plus en jeu a) une question sérieuse, b) la prépondérance des inconvénients et c) un préjudice irréparable que des pertes de vies humaines.

[4]               Tous les facteurs susmentionnés en vue d’obtenir la délivrance d’une injonction penchent en faveur du défendeur, la ministre des Transports, pour des motifs de sécurité du public, plutôt qu’en faveur des intérêts commerciaux de la demanderesse.

[5]               Des pièces importantes de certains aéronefs peuvent être défectueuses en raison de certifications douteuses qui peuvent entraîner des conséquences « catastrophiques » comme l’indiquent la grande quantité d’affidavits, de communications et d’éléments de preuve techniques détaillés figurant au dossier.

[6]               En langage simple, la sécurité du public est mise en cause. Par conséquent une alerte sera émise, pour ne pas cacher les renseignements dont la ministre des Transports veut être certaine qu’ils soient communiqués en vertu de la mission qui lui est confiée par la loi en matière de sécurité des membres du public passagers à bord d’aéronefs.

Historique

[7]               La présente affaire découle du fait que la ministre des Transports [la ministre] se propose d’informer l’industrie aéronautique en émettant une alerte à la sécurité de l’Aviation civile [ASAC] afin de remédier au problème du risque posé par les pièces de moteur et de transmission d’hélicoptère qui, selon la ministre, ont été [traduction] « certifiées à tort » par la demanderesse. Selon la ministre, les pièces sont déjà utilisées partout dans le monde et [traduction] « leur défectuosité pourrait entraîner des pannes catastrophiques ». Il s’agit de l’opinion émise par Transport Canada en rapport avec sa mission qui consiste à [traduction] « protéger l’intérêt public en assurant une surveillance efficace de la sécurité du transport aérien ».

[8]               La demanderesse, au début des procédures relatives à la présente affaire, avait sollicité une ordonnance de confidentialité afin de s’assurer que ses intérêts commerciaux ne soient pas compromis par l’issue d’une telle « alerte ».

[9]               Une ordonnance provisoire de confidentialité a été accordée dès le début pour que les questions en litige soient examinées et formulées par écrit afin de permettre à la demanderesse et su défendeur d’obtenir d’autres explications par des documents à l’appui.

[10]           La demanderesse veut que l’ordonnance de confidentialité soit maintenue afin de faire en sorte que ses intérêts commerciaux ne soient pas compromis. La demanderesse souhaite disposer de plus de temps. Elle a proposé à Transport Canada ses propres mesures correctives, lesquelles n’ont pas été acceptées (en raison de délais, d’authenticité de pièces et de documents de certification douteux et de documents manquants ou insuffisants).

[11]           En matière de sécurité, un « intérêt commercial » doit être analysé à la lumière de l’intérêt général ou de l’intérêt « public ». Il faudrait, dans un tel cas, que l’« intérêt commercial important » l’emporte sur la nécessité de savoir pour des raisons de sécurité publique.

[12]           Lorsqu’une telle ordonnance de confidentialité est sollicitée, la Cour doit apprécier le risque pour les « intérêts commerciaux d’une société » en fonction des effets néfastes d’une telle ordonnance sur les importants intérêts de sécurité publique, en ce qui concerne la sécurité publique, et, en l’espèce, la sécurité aérienne.

[13]           Si une telle ordonnance de confidentialité était maintenue, des éléments de preuve détaillés, des dossiers de requête, des observations et des décisions écrites seraient cachés au  public. (Renvoi est fait à la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, 2002 CarswellNat 822, au paragraphe 53).

[14]           Une telle ordonnance de confidentialité fait indirectement ce que la demanderesse voudrait faire directement, c’est-à-dire faire en sorte que la preuve ne soit pas dans le domaine public; la ministre ne pourrait ainsi pas être empêchée d’émettre une alerte quant à l’affaire.

[15]           De plus, la demanderesse a sollicité une injonction interlocutoire interdisant à la ministre d’émettre une « alerte » quant à l’affaire.

[16]           Une injonction interlocutoire est une « mesure exceptionnelle ». Le critère cumulatif à trois volets applicable à l’octroi d’une injonction doit être satisfait pour que l’injonction soit rendue. Il faut en plus de démontrer qu’elle est urgente.

[17]           L’historique, en ce qui concerne l’émission d’une « alerte », découle des facteurs suivants :

a)      L’émission de l’ASAC se rapporte aux conclusions d’une inspection de la sécurité de l'Aviation civile qui a eu lieu au début de 2013;

b)      Depuis juillet 2014, la demanderesse est au courant de la possibilité qu’il y ait une alerte;

c)      Depuis novembre 2014, la demanderesse a en main une ébauche de l’ASAC envisagée;

d)     La demanderesse a été informée de la teneur de l’alerte trois semaines avant le 17 mars 2015, date à laquelle elle a été émise;

e)      La demanderesse a signifié un dossier de requête dans lequel elle demandait une mesure provisoire, une semaine avant que l’alerte du 17 mars 2015 soit émise.

[18]           Une demande de contrôle judiciaire a été déposée à la Cour par la demanderesse relativement à une lettre de Transport Canada datée du 24 novembre 2014 concernant des modifications au manuel de politiques de maintenance.

[19]           La demande d’injonction interlocutoire vise à empêcher la ministre d’émettre une alerte  concernant l’existence possible de pièces ayant été certifiées à tort comme satisfaisant à la définition de type approuvée.

Analyse

[20]           En ce qui concerne le critère à trois volets de l’arrêt RJR MacDonald, la Cour n’estime pas qu’il existe une question sérieuse à trancher qui mettrait en doute le caractère raisonnable d’une telle alerte.

[21]           Lorsqu’une partie demande qu’une entité de surveillance publique soit muselée ou soit empêchée d’exercer le pouvoir qui lui est conféré par la loi, la prépondérance des inconvénients devient telle que l’intérêt public souffre et la balance penche ainsi en faveur du public; par conséquent, la prépondérance des inconvénients, en fait, milite en faveur de la ministre, car l’alerte contestée devait être émise en vertu de sa responsabilité en matière de sécurité publique que lui confère la loi (RJR MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, aux paragraphes 76 et 77).

[22]           Un intérêt public important a été reconnu par la Cour d’appel fédérale relativement à l’application par Transport Canada de la Loi sur l’aéronautique et ses règlements pour les besoins de la sécurité publique (Swanson Estate c R., [1991] CAF no 452, au paragraphe 27).

[23]           De plus, il a été clairement affirmé que le ministre a « la lourde responsabilité envers le public de voir à ce que les opérations liées aux aéronefs et aux transporteurs aériens soient menées en toute sécurité » (Sierra Fox Inc. c Canada (Ministre des Transports), 2007 CF 129, au paragraphe 6).

[24]           La Cour a reconnu que la Loi a pour mission de veiller à ce que le transport aérien soit le plus sécuritaire possible, car selon l’état de la technique [traduction] « les intérêts économiques d’une partie intéressée doivent céder le pas à l’intérêt général du public » (Gill c Canada (Minister of Transport), 2014 BCSC 582).

[25]           Il est important de préciser que la demanderesse, elle-même, a décrit en 2012 son processus de certification des pièces comme étant [traduction] « très arbitraire », en [traduction] « évolution constante », non écrit, appliqué durant une période de croissance au cours de laquelle le gestionnaire de l’assurance de la qualité était, comme il a été dit, débordé, et que cela a créé une atmosphère d’[traduction] « agitation ».

[26]           Il est fait renvoi à l’affidavit de Mathew MacWilliam, paragraphe 33, pièce 6, à l’affidavit de Michael Godsell, pièces  6-9, aux dossiers du défendeur, aux pages 56, 57, 58 et aux pages 76 et 77; ces renvois aux affidavits et aux communications ci-dessous sont des exemples que des éléments de preuves pertinents qui nécessitaient des dossiers d’évaluation ne sont pas inclus pour vérifier des pièces conformes à une définition de type et que les renseignements transmis par les vendeurs de pièces soulevaient des doutes quant à l’authenticité des pièces, elles-mêmes. [De plus, il est expressément fait mention du danger auquel pourraient être exposés les membres du public passagers à bord d’aéronefs comme il en est question dans les documents suivants : l’affidavit supplémentaire de Michael Godsell, au paragraphe 49, pièce 49, relativement à la question de savoir si une pièce est forcément en état de navigabilité; de plus, il est fait mention de la criticité en rapport avec la navigabilité; pour comprendre les questions connexes en ce qui concerne les dossiers et documents manquants et insuffisants, il est fait renvoi à l’affidavit supplémentaire de Michael Godsell, aux paragraphes 8-10, pièce 12, au dossier supplémentaire du défendeur, aux pages 71, 172-185, 227-250, 300-304, aux transcriptions du contre-interrogatoire de Michael Godsell, à la page 27, lignes 9-12; l’ensemble du dossier de requête supplémentaire du défendeur est important, à cet égard, et, plus précisément les pages 348 et 349 qui démontrent clairement qu’il y a un problème avec le processus de recertification par la demanderesse, daté du 16 avril 2015.]

[27]           L’article 571.13 du Règlement de l’aviation canadien précise qu’il est interdit de monter une pièce sur un aéronef à moins qu’elle ne réponde à la définition de type.

[28]           L’alerte à la sécurité de l’Aviation civile vise à aviser l’industrie du risque résiduel posé par les pièces de moteur et de transmission qui n’ont pas été correctement certifiées. Ces pièces sont utilisées partout dans le monde (cela comprend un aéronef qui est utilisé par le président des États-Unis).

[29]           Si des pièces ne sont pas conformes, elles peuvent faire défaillance, ce qui peut entraîner un échec quant à la protection des intérêts du public en raison d’un risque indu occasionné par l’absence d’un avis alors qu’il aurait dû être émis.

[30]           Les plans soumis par la demanderesse n’ont pas été jugés adéquats pour justifier le risque qui pourrait être occasionné.

[31]           Il est important de préciser que la demanderesse a reconnu que, en raison de dépenses, elle avait décidé de ne pas se conformer à une demande d’énumération des pièces non documentées qui ont été certifiées ». (La demanderesse a également reconnu que sa tenue des dossiers [traduction] « n’était pas à la hauteur » en ce qui concerne la période allant de juin 2011 à novembre 2012.)

[32]           Le préjudice irréparable causé à la sécurité aérienne du public l’emporte sur les intérêts commerciaux de la demanderesse. (Il est fait renvoi aux affidavits détaillés, susmentionnés, démontrant qu’une catastrophe pourrait se produire). Ce qui est primordial, c’est de savoir quelles sont les pièces, telles qu’« authentifiées » qui sont visées, à quoi elles servent, à qui elles ont été vendues et sur quel aéronef elles ont été installées.

Conclusion

[33]           Après avoir poursuivi sa lecture des nombreux cartables d’affidavits, des communications et des éléments de preuve détaillés au cours des neuf derniers jours, et après deux jours d’audience avec les parties, la Cour, par conséquent, en raison de tout ce qui précède, rejette la requête d’injonction interlocutoire avec dépens en faveur du défendeur et met fin à l’ordonnance provisoire de confidentialité (injonction).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la requête en injonction interlocutoire de la demanderesse est rejetée avec dépens et, de plus, qu’il est mis fin, en date du présent jugement, à l’ordonnance provisoire de confidentialité (injonction) qui était en vigueur jusqu’à aujourd’hui, le vendredi 24 avril 2015.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2586-14

 

INTITULÉ :

ROTOR MAXX SUPPORT LTD. c LA MINISTRE DES TRANSPORTS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 22 ET 23 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 24 avril 2015

 

COMPARUTIONS :

Naomi Nind

Terry Davis

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kerry Boyd

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Parlee McLaws LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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