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Date : 20150416


Dossier IMM-6075-13

Référence : 2015 CF 483

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 16 avril 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

MARIA FELIX CISNADO

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), visant la décision du 3 septembre 2013 (la décision) par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a fait droit à l’appel interjeté par Maria Felix Cisnado (la défenderesse) contre le refus de la demande de parrainage de sa nièce, Guadalupe Patricia Cisnado (la nièce). Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAI.

[2]               Pour les motifs énoncés ci-dessous, la Cour a conclu que la présente demande devait être rejetée.

II.                Les faits

[3]               En mars 2009, la défenderesse a présenté une demande de parrainage de la demande d’établissement de sa nièce.

[4]               La nièce est née au Salvador en 1992. Sa mère, qui était prostituée, est décédée lorsqu’elle avait six mois. Elle n’a jamais rencontré son père et tout porte à croire que ni sa mère ni elle ne savaient qui était le père. La grand-mère de la nièce s’est occupée d’elle après le décès de sa mère, mais cette grand-mère est décédée en 2000. À partir de ce moment-là, la nièce est passée par plusieurs conventions quant à sa tutelle et a séjourné dans des orphelinats.

[5]               Dans une lettre du 13 avril 2010, un agent des visas a informé la nièce que la demande de parrainage présentée par la défenderesse était refusée parce que cette dernière ne satisfaisait pas à l’exigence relative au seuil de faible revenu. L’agent des visas a estimé que la défenderesse n’avait pas le niveau de revenus requis pour parrainer trois personnes (c’est-à-dire son époux, sa nièce et le nouveau-né de celle-ci).

[6]               La défenderesse a fait appel de la décision de l’agent des visas à la SAI.

III.             La décision

[7]               La SAI a conclu que la nièce appartenait « à la catégorie du regroupement familial » aux termes du paragraphe 117(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR) (puisque « [ses] parents sont décédés »), ce qui autorisait la défenderesse à présenter une demande en vue de son parrainage. Même si la nièce n’a jamais connu son père et ne pouvait donc pas prouver qu’il était décédé, le tribunal a estimé que le législateur ne pouvait avoir eu l’intention d’exiger la preuve du décès d’une personne qu’on ne pourrait vraisemblablement jamais identifier.

[8]               La SAI a ensuite apprécié les facteurs d’ordre humanitaire. Elle a reconnu que le revenu de la défenderesse n’était pas conforme au seuil de faible revenu requis. Toutefois, la SAI a estimé, compte tenu des circonstances et de l’intérêt supérieur de l’enfant (le nouveau-né de la nièce), qu’il y avait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier d’accueillir l’appel. La SAI a jugé que les circonstances étaient exceptionnelles, car la nièce est maintenant mère d’un enfant dans un pays où la violence à l’égard des femmes est très répandue, et que la seule parente qu’elle ait jamais connue (sa mère) est décédée. La SAI a décidé que la nièce et son enfant auraient « à tout le moins de meilleures chances de survie au Canada ».

IV.             Les questions en litige

[9]               La présente affaire soulève les questions litigieuses suivantes :

1.                  La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que la nièce appartenait à la « catégorie du regroupement familial » aux termes du sous-alinéa 117(1)f)(ii) du RIPR?

2.                  La SAI a-t-elle commis une erreur en faisant droit à l’appel sur le fondement de facteurs d’ordre humanitaire?

V.                Dispositions pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27)

Regroupement familial

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien
ou un résident permanent, à
titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

Parrainage de l’étranger

13. (1) Tout citoyen canadien, résident permanent ou groupe de citoyens canadiens ou de résidents permanents ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial - ou tout groupe de telles de ces personnes ou associations - peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger.

Règlement sur l’immigration

et la protection des réfugiés (DORS/2002-227)

117. (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants

[…]

f) s’ils sont âgés de moins de dix-huit ans, si leurs parents sont décédés et s’ils n’ont pas d’époux ni de conjoint de fait :

[…]

(ii) les enfants des enfants de l’un ou l’autre de ses parents,

Immigration and Refugee Protection Act (S.C. 2001, c. 27)

Family reunification

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

Sponsorship of foreign nationals

13. (1) A Canadian citizen or permanent resident, or a group of Canadian citizens or permanent residents, a corporation incorporated under a law of Canada or of a province or an unincorporated organization or association under federal or provincial law
- or any combination of them - may sponsor a foreign
national, subject to the regulations.

Immigration and Refugee Protection Regulations (SOR/2002-227)

117. (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is :

[…]

(f) a person whose parents are deceased, who is under 18
years of age, who is not a spouse or common-law partner and who is

[…]

(ii) a child of a child of the sponsor’s mother or father, or

VI.             Analyse

[10]           Une question importante en l’espèce est de savoir si le législateur avait l’intention d’exiger d’une personne qui cherche à être admise comme membre de la catégorie du regroupement familial, aux termes du sous-alinéa 117(1)f)(ii) du RIPR, qu’elle produise des éléments de preuve établissant que son père est décédé, alors qu’il est entendu que nul ne connaît ni n’a jamais connu l’identité du père.

A.                La norme de contrôle

[11]           La question de la norme de contrôle revêt une importance cruciale dans la présente décision. Elle requiert donc davantage qu’un examen superficiel.

[12]           Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa loi habilitante, la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 39 (Alberta Teachers); Medzalabanleth c Conseil des Abénakis de Wôlinak, 2014 CF 508, au paragraphe 28). Cependant, cette présomption peut être réfutée. Aux paragraphes 22, 32 et 33 de l’arrêt McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, le juge Moldaver a déclaré :

[22] Or, la présomption adoptée dans Alberta Teachers n’est pas immuable. D’abord, notre Cour reconnaît depuis longtemps que certaines catégories de questions, même lorsqu’elles emportent l’interprétation d’une loi constitutive, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, par. 58‑61). Ensuite, elle affirme également qu’une analyse contextuelle peut « écarter la présomption d’assujettissement à la norme de la raisonnabilité de la décision qui résulte d’une interprétation de la loi constitutive » […]

[…]

[32] En clair, une disposition législative fera parfois l’objet de plusieurs interprétations raisonnables, car le législateur ne s’exprime pas toujours de manière limpide et les moyens d’interprétation législative ne garantissent pas toujours l’obtention d’une seule solution précise (Dunsmuir, par. 47; voir également Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, [2012] 3 R.C.S. 405). Tel est effectivement le cas en l’espèce, comme je l’explique ci‑après. Il faut donc se demander à qui il appartient de choisir entre ces interprétations divergentes raisonnables?

[33] Comme l’a maintes fois rappelé notre Cour depuis l’arrêt Dunsmuir, mieux vaut généralement laisser au décideur administratif le soin de clarifier le texte ambigu de sa loi constitutive. La raison en est que le choix d’une interprétation parmi plusieurs qui sont raisonnables tient souvent à des considérations de politique générale dont on présume que le législateur a voulu confier la prise en compte au décideur administratif plutôt qu’à une cour de justice. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire d’interprétation relève en effet de l’« expertise » du décideur administratif.

[Souligné dans l’original.]

[13]           Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kandola, 2014 CAF 85 (Kandola), la Cour d’appel fédérale a estimé que la question de savoir « si le père canadien d’un enfant conçu à l’aide d’une technique de procréation assistée – l’enfant n’ayant aucun lien génétique avec lui ou avec sa mère naturelle étrangère – transmet la citoyenneté par filiation en vertu de l’alinéa 3(1)b) de la [Loi sur la Citoyenneté] », devait être soumise à la norme de la décision correcte. Dans cet arrêt, le juge Marc Noël, s’exprimant au nom de la majorité, a déclaré aux paragraphes 43 à 45 :

[43] Plus précisément, il n’y a pas de clause privative en jeu et l’agent de citoyenneté était saisi d’une pure question d’interprétation de la loi qui ne comportait aucun élément discrétionnaire. La question sur laquelle il était appelé à se prononcer est difficile et l’agent de citoyenneté ne peut prétendre qu’il possède une expertise supérieure à celle de la Cour d’appel, qui a été créée précisément pour résoudre de telles questions.

[44] À cet égard, je note que, pour interpréter l’alinéa 3(1)b), il faut prendre en considération la règle de la signification commune lors de l’application de lois bilingues; il faut aussi prendre en considération l’utilisation qui peut être faite du texte français compte tenu du fait qu’il est le fruit d’une révision. Rien n’indique qu’on ait jamais demandé à un agent de citoyenneté de tenir compte de l’une ou de l’autre de ces questions, et il n’y a rien dans la structure ou l’esprit de la Loi qui donne à penser que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision d’un agent de citoyenneté sur une telle question.

[45] Par conséquent, je conclus que la présomption [que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique] est réfutée.

[14]           Dans l’arrêt B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, la Cour d’appel fédérale a estimé que l’interprétation de l’expression « passage de clandestins » devait être soumise à la norme de la décision raisonnable. Aux paragraphes 64 à 66, la juge Dawson a déclaré :

[64] Plus récemment, par l’arrêt Alberta Teachers, précité, au paragraphe 45, la Cour suprême a réaffirmé le principe général suivant lequel la raisonnabilité est habituellement la norme de contrôle applicable lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi habilitante ou interprète sa loi constitutive ou une loi étroitement liée à sa mission. Au paragraphe 30 de leurs motifs, les juges majoritaires expliquent ce qui suit :

[…] Le principe ne vaut cependant pas lorsque l’interprétation de la loi constitutive relève d’une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable, à savoir les « questions constitutionnelles, [les] questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, [les] questions portant sur la “délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents” [et] les questions touchant véritablement à la compétence » (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, par. 18, les juges LeBel et Cromwell, citant Dunsmuir, par. 58, 60‑61).

[65] L’application de ces principes à la présente affaire m’amène à la seconde raison pour laquelle je conclus que la Cour fédérale a retenu la bonne norme de contrôle en l’espèce.

[66] Les commissaires exercent leur mission dans le cadre d’un régime administratif distinct et particulier. Ils possèdent une expertise pour ce qui est de l’interprétation et de l’application de la Loi. La nature de la question de droit en l’espèce est l’interprétation des mots « passage de clandestins ». Cette question d’interprétation de la loi constitutive de la Commission ne soulève pas de question constitutionnelle ou de question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Elle ne soulève pas non plus de question portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents ou de question touchant véritablement à la compétence (dans la mesure où ces questions continuent à se poser) (Alberta Teachers, aux paragraphes 33 à 43).

[15]           Plus récemment, dans la décision Ijaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 67, la juge Strickland s’est demandée si, dans le contexte d’une demande de résidence permanente, l’évaluation relative à l’attribution de points à un travailleur qualifié pour un diplôme canadien ou une attestation de compétence, au titre de l’article 78 du RIPR, exigeait que le diplôme, certificat ou titre de compétence étranger soit l’équivalent d’un diplôme obtenu au Canada. La juge Strickland a estimé que la présomption relative à l’application de la norme de la décision raisonnable n’avait pas été réfutée, et a déclaré au paragraphe 32 :

[…] Dans le cas présent, cette expertise entre en jeu au moment de déterminer si les exigences techniques de la LIPR et du RIPR ont été remplies. Plus spécifiquement, il s’agit de savoir si, dans les circonstances, le nombre de points requis a été obtenu pour que le demandeur soit admissible dans la catégorie des TQF. Le fait d’évaluer la composante des études aussi bien que les résultats des attestations d’équivalence suppose l’interprétation des articles 78 et 73 du RIPR. À mon avis, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui appelle une certaine déférence. Par ailleurs, l’ambiguïté législative au cœur du présent contrôle judiciaire ne relève pas d’une des catégories de questions à l’égard desquelles la norme de la décision correcte continue de s’appliquer – les questions constitutionnelles, les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui échappent au domaine d’expertise de l’arbitre, les questions liées à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents ainsi que les véritables questions de compétence (Commission canadienne des droits de la personne, au paragraphe 18, Dunsmuir, aux paragraphes 58, 60 et 61; Alberta Teachers’, au paragraphe 30).

[16]           Au paragraphe 25 de la décision Fang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 733 (Fang), la juge Heneghan a expliqué que, s’il il a été déterminé qu’une personne ne se conforme pas au critère défini au Règlement pour l’appartenance à la « catégorie du regroupement familial » au sens du RIPR, la SAI ne peut se prévaloir du pouvoir discrétionnaire dont elle dispose relativement aux facteurs d’ordre humanitaire pour pallier l’inadmissibilité. La question de savoir si une personne appartient à cette catégorie permet donc de déterminer si la SAI avait ou non la compétence requise pour évaluer ces facteurs (Fang, au paragraphe 25). Dans cette affaire, la SAI a déterminé qu’elle n’avait pas cette compétence. D’après la juge Heneghan, la détermination de sa compétence par la Commission est une question de validité, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Fang, au paragraphe 16).

[17]           En revanche, dans l’arrêt Alberta Teachers, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada a fait observer, au paragraphe 33, que la catégorie de questions touchant véritablement à la compétence est vraiment étroite, et qu’aucune question de cet ordre n’a été relevée par la Cour depuis l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. La position de la Cour suprême dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c (Procureur général), 2014 CSC 40 (Compagnie des chemins de fer) a confirmé la portée limitée des exceptions à la présomption suivant laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique lorsqu’un tribunal administratif interprète sa loi habilitante. Dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer, la question centrale concernait l’interprétation de l’article 120.1 de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10, qui avait trait à des contrats confidentiels et à un mécanisme de plainte qui se limitait aux expéditeurs répondants aux conditions légales prévues au paragraphe 120.1(1) (Compagnie des chemins de fer, paragraphe 60). La Cour suprême du Canada a estimé que cette question ne revêtait pas une importance capitale pour le système juridique et n’avait valeur de précédent que pour les questions relevant de ce régime législatif (Compagnie des chemins de fer, paragraphe 60). Elle a donc considéré que la présomption relative à la norme de la décision raisonnable n’avait pas été réfutée (Compagnie des chemins de fer, paragraphe 62).

[18]           Selon la Cour, la présente affaire ne soulève aucune : (i) question constitutionnelle, (ii) question de droit qui est d’une importance capitale pour l’ensemble du système juridique et étrangère à l’expertise de l’arbitre, (iii) question portant sur la délimitation des compétences respectives entre au moins deux tribunaux spécialisés concurrents, (iv) question relevant de la catégorie exceptionnelle des questions touchant véritablement à la compétence.

[19]           Par ailleurs, les questions mixtes de fait et de droit, notamment le statut d’un membre allégué de la « catégorie du regroupement familial », sont soumises au contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Fang, au paragraphe 18).

[20]           La Cour souscrit à la thèse de la défenderesse que la conclusion de la SAI concernant l’appartenance de la nièce à la « catégorie du regroupement familial » devrait être soumise au contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La Cour arrive à la même conclusion au sujet des facteurs d’ordre humanitaire de la présente affaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 57 et 58).

B.                 La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que la nièce appartenait à la « catégorie du regroupement familial » aux termes du sous-alinéa 117(1)f)(ii) du RIPR?

[21]           Comme mentionné ci-dessus, une question importante en l’espèce est de savoir si le législateur avait l’intention d’exiger d’une personne qui cherche à être admise comme membre de la catégorie du regroupement familial, aux termes du sous-alinéa 117(1)f)(ii) du RIPR, qu’elle produise des éléments de preuve établissant que son père est décédé, alors qu’il est entendu que nul ne connaît ni n’a jamais connu l’identité du père. Plus largement, la question centrale est de savoir si le législateur souhaitait exclure de la « catégorie du regroupement familial » toute personne incapable de retrouver ou même d’identifier un parent.

[22]           Quoique la SAI consacre une grande partie de sa décision au sens du mot « parent », la Cour est d’avis qu’elle n’a pas à décider si cette analyse est correcte ou raisonnable. Selon la Cour, compte tenu des libellés de la LIPR et du RIPR lus dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec le régime de la LIPR et l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21), la présente affaire peut être tranchée en établissant plus de distance.

[23]           La Cour est consciente que l’un des objectifs de la LIPR est de veiller à la réunification des familles (alinéa 3(1)d)). Le paragraphe 12(1) de la LIPR établit un lien entre cet objectif et la notion de « catégorie du regroupement familial ».

[24]           La Cour est également d’avis que le certificat de naissance d’une personne est une source raisonnable permettant d’identifier les parents de la personne. En l’espèce, le certificat de naissance de la nièce permet d’identifier sa mère (décédée il y a longtemps), mais ne désigne pas de père. Compte tenu des circonstances, cette omission est aisément compréhensible. Il appert que, officiellement, la nièce n’a jamais eu qu’un seul parent.

[25]           Selon la Cour, il est aussi raisonnable de conclure qu’aux fins de la demande de parrainage de la défenderesse, la nièce n’avait qu’un parent, ce qui est cohérent avec les documents et les renseignements disponibles. Cela est aussi cohérent avec l’objectif de la réunification des familles. Il paraît donc raisonnable à la Cour d’interpréter l’exigence prévue à l’alinéa 117(1)f) du RIPR selon laquelle l’étranger peut être parrainé si « [ses] parents sont décédés », comme signifiant que tout parent identifié ou identifiable est décédé.

[26]           Pour contester la décision de la SAI, le demandeur invoque la jurisprudence dont il ressort qu’il existe une présomption selon laquelle le législateur n’avait pas l’intention d’adopter une loi qui a des conséquences absurdes. La Cour souscrit à ce principe, mais elle estime qu’il s’applique en l’espèce en faveur de la défenderesse. Il serait absurde de s’attendre à ce qu’une personne apporte la preuve du décès d’une personne qui ne peut pas être identifiée. Il semblerait tout aussi absurde de priver quiconque ne peut identifier l’un de leurs parents du parrainage au titre de la catégorie du regroupement familial. La Cour n’a entendu aucun argument convaincant permettant d’expliquer pourquoi le législateur aurait souhaité une telle issue.

[27]           Par conséquent, la Cour conclut que la SAI n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a estimé que la nièce appartenait à la « catégorie du regroupement familial ».

C.                 La SAI a-t-elle commis une erreur en faisant droit à l’appel sur le fondement de facteurs d’ordre humanitaire?

[28]           Le demandeur soutient également qu’il était déraisonnable de la part de la SAI de conclure que les motifs d’ordre humanitaire étaient suffisants pour accueillir la demande de parrainage de la défenderesse. À l’appui de cet argument, le demandeur cite plusieurs facteurs qui auraient dû être examinés. Toutefois, la Cour n’est pas convaincue que la SAI a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas débattu de ces facteurs ou lorsqu’elle a conclu que les motifs d’ordre humanitaire étaient suffisants, nonobstant ces facteurs. La Cour arrive à cette conclusion en étant consciente qu’en sa qualité de tribunal possédant une expertise particulière, la SAI mérite une grande déférence dans le contexte de cette décision hautement discrétionnaire : Bielecki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 442, au paragraphe 23; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdo, 2007 CAF 64, au paragraphe 13.

VII.          Dispositif

[29]           Selon la Cour, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande est rejetée.
  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6075-13

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c MARIA FELIX CISNADO

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 février 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Sharon Stewart Guthrie

 

POUR LE demandeur

 

Marvin Moses

 

POUR LA défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

Cabinet d’avocat Marvin Moses

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA défenderesse

 

 

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