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Date : 20150414


Dossiers : IMM‑8253‑13

IMM‑8254‑13

Référence : 2015 CF 462

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 14 avril 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

MELEDJE CLÉMENT ESMEL ESSIS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente décision concerne des demandes de contrôle judiciaire déposées à l’encontre de deux décisions d’un agent principal de l’immigration (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada. Dans l’une des décisions, l’agent rejetait une demande de résidence permanente faite au Canada et fondée sur des considérations humanitaires. Dans la seconde décision, l’agent rejetait une demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR).

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que les deux demandes de contrôle judiciaire devraient être rejetées.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Côte d’Ivoire qui est arrivé au Canada en 2004. Il a quitté la Côte d’Ivoire en 1998, puis est demeuré aux États-Unis jusqu’à son arrivée au Canada. Il a présenté une demande d'asile à son arrivée au Canada, demande qui a été rejetée en 2005.

[4]               Le demandeur appartient à la minorité ethnique adjoukroue du groupe Akan, en Côte d’Ivoire, et il est chrétien catholique. Il affirme aussi être membre du Front populaire ivoirien (le FPI) et être partisan de l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo. Il prétend que, pour toutes ces raisons, il est exposé à des risques s’il est renvoyé en Côte d’Ivoire. Il a invoqué les risques en question à l’appui de sa demande fondée sur des considérations humanitaires et de sa demande d’ERAR.

II.                La demande fondée sur des considérations humanitaires

[5]               À l’appui de sa demande fondée sur des considérations humanitaires, le demandeur a soulevé deux questions supplémentaires en plus des risques évoqués plus haut. Ces questions sont les suivantes : son niveau d’établissement au Canada, et l’intérêt supérieur de ses enfants.

A.                Critère applicable à une demande fondée sur des considérations humanitaires

[6]               L’un des arguments principaux avancés par le demandeur à l’appui de son affirmation selon laquelle le rejet de sa demande fondée sur des considérations humanitaires devrait être annulé est le fait que l’agent a appliqué le mauvais critère pour évaluer la demande. Le bon critère est énoncé vers le début de la décision contestée de l’agent : [traduction« Il incombe au demandeur de prouver que sa situation personnelle est telle que les difficultés qui découleraient d’un refus d’accueillir [la demande fondée sur des considérations humanitaires] seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives ».

[7]               Malheureusement, à quelques reprises dans les motifs de la décision contestée, l’agent a écrit qu’il incombait au demandeur de prouver que les risques qu’il disait courir s’il devait retourner en Côte d’Ivoire lui étaient personnels, mais aussi que les risques en question lui seraient préjudiciables davantage qu’au reste de la population en Côte d’Ivoire :

[traduction] […] cette preuve décrit la situation générale prévalant dans le pays et ne montre pas que la situation du demandeur lui est propre ni qu’elle diffère de la situation d’autres Ivoiriens. [page 6 de la décision]

[…] il ne m’a pas persuadé que sa situation personnelle est particulière et qu’elle diffère de celle du reste de la population ivoirienne. [page 7 de la décision]

[Non souligné dans l'original.]

[8]               Le demandeur soutient que l’agent a mal appliqué la règle énoncée au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, selon laquelle il doit être exposé aux prétendus risques « alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas ». Cependant, il faut faire la distinction entre cette règle, selon laquelle le demandeur est exposé aux risques d’une manière différente du reste de la population, et la règle applicable à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, selon laquelle les prétendus risques sont courus par le demandeur lui-même plutôt que par la population en général, le demandeur n’étant en fait pas personnellement exposé. Autrement dit, même si les risques sont généralisés, il faut prouver que le demandeur y est personnellement exposé.  La première règle est inapplicable dans la présente affaire, mais la seconde doit être examinée. La subtilité de cette distinction est sans doute ce qui a conduit l’agent à énoncer la règle d’une manière qui ouvrait la porte à une mauvaise interprétation.

[9]               En définitive, cependant, je suis persuadé que, en dépit de l’erreur mentionnée plus haut, l’agent a saisi le bon critère et l’a appliqué. Il a cité une décision du juge Frenette, Rahman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 138, dans laquelle était examinée cette distinction. Par ailleurs, l’agent a bien fait porter son analyse sur la question de savoir si le demandeur était susceptible d’être personnellement exposé aux risques qu’il évoquait.

[10]           Puisque je suis arrivé à la conclusion que l’agent a appliqué le bon critère, il ne m’est pas nécessaire de me prononcer sur la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à cette question.


B.                 Examen des risques

[11]           Les parties s’accordent pour dire que la norme de contrôle applicable à la manière dont l’agent a évalué la demande fondée sur des considérations humanitaires est la norme de la décision raisonnable. Je partage leur point de vue : Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 802, aux paragraphes 10 et 11.

[12]           S’agissant de l’examen des risques évoqués par le demandeur, l’agent a conclu que la preuve ne permettait pas d’ajouter foi aux craintes du demandeur ou de penser que le demandeur serait personnellement exposé.

[13]           L’agent a pris note de plusieurs articles décrivant les conditions qui avaient cours en Côte d’Ivoire et il a reconnu que, d’après la preuve, la situation des droits de la personne dans ce pays n’était pas idéale. Toutefois, il n’a pas trouvé que le demandeur risquait d’être personnellement inquiété s’il devait retourner en Côte d’Ivoire. Selon lui, la preuve ne montrait pas que les membres de son groupe ethnique ou de sa religion étaient plus particulièrement la cible de persécutions ou de violences. Le demandeur ne m’a pas persuadé que cette conclusion était déraisonnable.

[14]           S’agissant de l’affirmation du demandeur selon laquelle il est membre du FPI et partisan de l’ancien président Gbagbo, l’agent a noté que rien de tout cela n’était prouvé. Le demandeur prétendait avoir participé à des tribunes et des rassemblements, mais il n’a produit aucun document le confirmant. Il soutient que l’agent a tiré ici des conclusions implicites de non‑crédibilité et que sa décision devrait être annulée parce qu’il n’a pas été invité à dissiper les doutes de l’agent sur sa crédibilité. Il affirme que, faute d’une conclusion sur sa crédibilité (absente ici en l’occurrence), la preuve produite par un demandeur est tenue pour avérée : Cho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 1299, au paragraphe 24. Toutefois, le défendeur note que cette présomption de véracité ne s’applique qu’aux allégations faites sous serment, et aussi que la présomption est réfutable lorsque la preuve corroborante comporte des failles : Adetunji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 708, au paragraphe 46. Pour ces motifs, je suis d’avis qu’il était loisible à l’agent d’espérer un genre ou un autre de preuve documentaire appuyant les affirmations du demandeur.

[15]           Le demandeur prétend aussi que sa maison en Côte d’Ivoire a été expropriée par des partisans de l’actuel président et que sa famille a été contrainte de fuir. Là encore, l’agent a déploré l’absence de documents. Je reconnais avec le demandeur qu’il peut être déraisonnable de compter qu’il puisse obtenir des documents témoignant de l’expropriation arbitraire de sa maison par des opposants politiques dans un pays comme la Côte d’Ivoire. Toutefois, à mon avis, il était quand même loisible à l’agent de noter l’absence de toute preuve, quelle qu’elle soit, se rapportant à tels événements, et d’en tirer des conclusions.

[16]           Le demandeur soutient aussi qu’il est exposé à un risque à son retour en Côte d’Ivoire à titre de demandeur d’asile débouté. Au cours de l’audience, son avocat a précisé qu’il ne prétend pas que les demandeurs d’asile déboutés sont exposés à un plus grand risque que d’autres personnes qui retournent en Côte d’Ivoire. Je crois plutôt que son argument vise à rappeler que la Côte d’Ivoire est un endroit dangereux et que le demandeur sera exposé à des risques s’il y retourne. Je n’ai trouvé aucune preuve montrant que les demandeurs d’asile déboutés sont à ce titre exposés à des risques à leur retour en Côte d’Ivoire.

C.                 Niveau d’établissement au Canada

[17]           Le demandeur affirme que l’agent a mal analysé son niveau d’établissement au Canada. Je ne partage pas cet avis.

[18]           L’agent a pris note que le demandeur occupe un emploi continu, qu’il est capable de vivre au Canada sans compter sur l’aide sociale et de payer ses impôts, qu’il est propriétaire d’un véhicule et d’autres biens au Canada, qu’il participe aux activités de son église, qu’il fait du bénévolat et qu’il respecte la loi. Cependant, il a estimé que cela ne suffisait pas à prouver que son départ vers la Côte d’Ivoire lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[19]           Comme il est indiqué plus haut, l’agent n’a pas non plus été convaincu par la preuve produite censée démontrer que la maison du demandeur avait été expropriée et sa famille, déplacée.

[20]           À mon avis, les conclusions de l’agent concernant le niveau d’établissement du demandeur au Canada étaient raisonnables.

D.                Intérêt supérieur des enfants

[21]           Le demandeur affirme qu’il subvient aux besoins d’une belle-fille au Canada ainsi que d’un fils en Côte d’Ivoire et qu’il a établi une solide relation familiale au Canada. L’agent a relevé que ce soutien n’avait pas été démontré.

[22]           L’argument du demandeur concernant l’absence de preuve ici s’apparente à l’argument évoqué plus haut. Ma conclusion est la même : ayant reconnu son obligation de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants, il était loisible à l’agent de conclure que la preuve ne permettait pas sur ce point de faire droit à la demande fondée sur des considérations humanitaires.

III.             La demande d’ERAR

[23]           Les arguments du demandeur à l’appui de la demande d'ERAR s’apparentent aux arguments avancés dans le contexte de la demande fondée sur des considérations humanitaires concernant les risques auxquels il serait exposé s’il retournait en Côte d’Ivoire. Je suis arrivé à la conclusion que l’agent a eu raison de dire que la preuve était insuffisante et qu’il a fait une bonne analyse, et cette conclusion vaut également ici.

IV.             Conclusion

[24]           Pour les motifs exposés plus haut, je suis d’avis que les demandes de contrôle judiciaire déposées à l’encontre des décisions concernant la demande fondée sur des considérations humanitaires et la demande d'ERAR doivent être rejetées.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.
  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM‑8253‑13, IMM‑8254‑13

 

INTITULÉ :

MELEDJE CLÉMENT ESMEL ESSIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JANVIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 14 AVril 2015

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

 

POUR LE demandeur

 

Maria Green

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE défendeur

 

 

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