Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150420


Dossier : IMM-1126-14

Référence : 2015 CF 494

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

THOMA MOHAMED OMER

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Thoma Mohamed Omer sollicite le contrôle judiciaire du rejet de sa demande de résidence permanente par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour des motifs d’interdiction de territoire. Un agent d’immigration a conclu que Mme Omer était membre du Front de libération de l’Érythrée (le FLE), une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée au terrorisme. Par conséquent, l’agent a conclu que Mme Omer était interdite de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]               Bien que Mme Omer ait initialement contesté les critères appliqués par l’agent pour établir si elle était membre du FLE, en raison de l’arrêt récemment rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kanagendren c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CAF 86, [2015] ACF no 382, la Cour n’est maintenant saisie que d’une seule question, qui consiste à savoir si les modifications que CIC a apportées à sa politique sur le traitement des demandes au titre de l’article 34 de la LIPR ont fait en sorte que Mme Omer a été traitée de manière inéquitable.

[3]               Lorsqu’une question ayant trait à l’équité de la procédure est soulevée, la Cour doit se demander si le processus suivi par le décideur respectait le degré d’équité requis en toutes circonstances : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43.

[4]               Mme Omer a présenté sa demande de résidence permanente à titre de personne protégée le 3 mai 2006, et sa demande a été approuvée en principe le 3 janvier 2007. Le 30 octobre 2009, le dossier de Mme Omer a été affecté à un agent d’immigration en vue d’établir si elle était interdite de territoire, et elle a été interviewée par l’agent quelques semaines plus tard. Mme Omer a été informée des préoccupations de l’agent quant à son appartenance reconnue au FLE, et elle s’est vu offrir l’occasion de répondre à ces préoccupations.

[5]               Dans une lettre datée du 17 février 2010, l’agent a avisé Mme Omer qu’elle était interdite de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. L’agent a souligné que Mme Omer avait tenté d’obtenir un redressement ministériel en vertu de ce qui était alors le paragraphe 34(2) de la LIPR et a ensuite expliqué le processus de redressement ministériel. La lettre ne précisait pas si une décision serait rendue à l’égard de la demande de résidence permanente de Mme Omer avant ou après la prise de la décision relative à sa demande de redressement ministériel.

[6]               Dans une décision datée du 21 janvier 2014, Mme Omer a été avisée que sa demande de résidence permanente à titre de personne protégée avait été rejetée. La lettre de rejet contenait le passage suivant :

[traduction] En mai 2013, Citoyenneté et Immigration Canada a modifié sa politique en ce qui a trait à la tenue en suspens de toute demande de résidence permanente quand une demande de redressement ministériel est en cours de traitement. Cette modification de politique a été annoncée dans le Bulletin opérationnel 524.

[7]               Mme Omer a été avisée que l’agent d’immigration avait examiné sa demande et conclu qu’elle correspondait à une personne décrite à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR; ainsi, Mme Omer était interdite de territoire au Canada, et sa demande de résidence permanente a été rejetée en conséquence. L’agent a reconnu que la demande de redressement ministériel de Mme Omer était toujours en cours de traitement et a enjoint à cette dernière de s’adresser au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile si elle avait des questions au sujet de ce processus.

[8]               Mme Omer affirme qu’elle avait une expectative légitime, à savoir que la politique en vigueur avant mai 2013 serait appliquée à sa demande de résidence permanente, bien qu’elle n’ait fourni aucun élément de preuve montrant qu’elle était au fait de la politique antérieure ou qu’elle s’était fiée à cette politique à son détriment. Toutefois, comme l’a observé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Centre hospitalier Mont-Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 RCS 281, aux paragraphes 29 et 30, un demandeur qui invoque la théorie de l’expectative légitime ne doit pas nécessairement démontrer qu’il était au fait d’une pratique ou d’une politique antérieure ou qu’il s’y est fié à son détriment; voir également l’arrêt Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504, au paragraphe 68.

[9]               Cela dit, une cour de révision peut décider de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire d’intervenir en l’absence de préjudice : Robert W. Macaulay et James L.H. Sprague, Practice and Procedure Before Administrative Tribunals, feuilles mobiles, (Toronto, Carswell, 2013), chapitre 40, pages 21 et 22.

[10]           Vu le dossier qui m’a été soumis, je ne suis pas convaincue que Mme Omer a été traitée inéquitablement en raison de la modification de la politique de CIC d’une manière qui justifierait l’intervention de la Cour.   

[11]           Comme je l’ai souligné dans la décision Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1174, [2005] 1 RCF 485, aux paragraphes 40 à 43, l’article 34 de la LIPR comportait deux éléments en vigueur au moment dont il est question ici. Lorsqu’on le lit conjointement avec l’article 33, le paragraphe 34(1) exige qu’un agent d’immigration tranche la question de savoir si, entre autres choses, il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur a été membre d'une organisation terroriste. Par contre, le paragraphe 34(2) prévoit qu’un décideur différent – à savoir le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile lui-même – examine la question de savoir si la présence constante de l’étranger au Canada serait préjudiciable à l’intérêt national.

[12]           Une enquête relative au paragraphe 34(2) vise une question différente de celle envisagée au paragraphe 34(1) de la LIPR. La question que devait trancher le ministre en vertu du paragraphe 34(2) n’était pas celle de la justesse de la décision de l’agent selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire qu’un demandeur est membre d’une organisation terroriste. Le ministre était plutôt chargé d’examiner la question de savoir si, en dépit de l’appartenance du demandeur à une organisation terroriste, il serait préjudiciable à l’intérêt national de permettre au demandeur de demeurer au Canada.

[13]           En d’autres mots, le paragraphe 34(2) de la LIPR habilite le ministre à accorder un redressement exceptionnel, malgré la conclusion ayant déjà été tirée par l’agent d’immigration selon laquelle il y a interdiction de territoire.

[14]           La conclusion voulant que Mme Omer soit interdite de territoire au Canada a été rendue en 2010, et on l’a avisée de la possibilité de recourir au processus de redressement ministériel à ce moment‑là. On n’a nullement assuré à Mme Omer que, si elle présentait une demande de redressement ministériel, sa demande de résidence permanente serait mise en suspens jusqu’à la prise d’une décision relativement à sa demande de redressement ministériel.

[15]           Plus fondamentalement, Mme Omer n’a pas été en mesure de démontrer en quoi la modification de la politique de CIC était à l’origine de la manière inéquitable dont elle aurait été traitée. En particulier, elle n’a pas expliqué de façon satisfaisante en quoi la situation aurait été différente, de quelque manière que ce soit, si la décision relative à sa demande de redressement ministériel avait été rendue avant et non après la prise de la décision concernant sa demande de résidence permanente. Le traitement de la demande de redressement ministériel de Mme Omer se poursuivra, et aucun élément figurant au dossier qui m’a été soumis ne donne à penser que le fait qu’une décision rejetant sa demande de résidence permanente a déjà été rendue aura une incidence négative sur sa demande de redressement ministériel. 

[16]           Bien que je n’exclue pas la possibilité que la modification apportée à la politique de CIC en mai 2013 ait pu donner lieu à une iniquité procédurale dans une autre situation, le dossier qui m’a été soumis ne m’a pas convaincue qu’il y a eu en l’espèce une iniquité justifiant l’intervention de la Cour.

Conclusion

[17]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

M.-C. Gervais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1126-14

 

INTITULÉ :

THOMA MOHAMED OMER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 20 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Michael Crane

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sally Thomas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.