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Date : 20150421


Dossier : T-1836-13

Référence : 2015 CF 509

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2015

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

5652210 MANITOBA LTD.

demanderesse

et

ARTHUR KIELBOWICZ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, d'une décision sur un appel de recouvrement de salaire rendue le 3 octobre 2013 par un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [le Code]. L'arbitre a conclu que le défendeur Arthur Kielbowicz était un employé de la demanderesse, et a ordonné à la demanderesse de rembourser les salaires non payés ainsi que les dépens dans la procédure au défendeur.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande doit être rejetée. Après avoir soigneusement étudié le dossier, j'en suis venu à la conclusion que les nombreuses allégations de manquement à l’équité procédurale reflètent dans une large mesure la relation acrimonieuse entre l'arbitre et l'avocat de la demanderesse à l'audience. Bien que la procédure et les actions de l'arbitre à l'audience aient été controversées et parfois même non conventionnelles, elles ne se sont pas avérées partiales à l'égard de la demanderesse. En ce qui concerne la décision comme telle, elle est bien motivée et étayée, et les conclusions de l'arbitre sont raisonnables à l'égard d'un différend factuel très litigieux.

I.                   Les faits

[3]               La demanderesse est une société à numéro œuvrant dans le domaine du transport routier au Manitoba, dont le président est M. Harminder Walia. Le défendeur est Arthur Kielbowicz, chauffeur-mécanicien.

[4]               Le défendeur a été embauché par la demanderesse en janvier 2009 comme chauffeur pour transporter de la marchandise à partir de Winnipeg vers diverses destinations dans le nord du Manitoba. Il était rémunéré par l'entremise de sa propre société, Artcan Import and Export Corporation. La nature de la relation et le mode de rémunération font l'objet du présent litige.

[5]               Son travail consistait à conduire durant de longues heures sur les routes d'hiver vers des endroits éloignés. De nombreux problèmes et conflits se sont présentés au cours de l'hiver. Le défendeur a dû faire des heures supplémentaires pour réparer l'équipement et s'est retrouvé coincé dans des endroits éloignés en raison de pannes. Le défendeur soutient que la demanderesse a omis de le rémunérer pour le nombre d'heures totales travaillées pour les mois de février, mars et avril 2009.

[6]               Le 20 mai 2009, le défendeur a déposé une plainte auprès des normes du travail. Un inspecteur désigné en vertu du Code (l'inspecteur Schewe) a rendu une décision le 17 décembre 2010. Lors d'une décision antérieure rendue le 3 février 2010, l'inspecteur avait déterminé l'existence d'une relation employeur‑employé. Dans sa décision du 17 décembre, l'inspecteur a conclu qu'aucun salaire n'était dû en raison de l'absence de preuves d'heures travaillées. Il a cependant adjugé un montant de 845,12 $ pour retenues non autorisées et pour indemnité de congé annuel. Les deux parties ont interjeté appel de la décision de l'inspecteur.

[7]               En février 2011, le ministre du Travail a désigné un arbitre en vertu du Code.

[8]               L'audience s'est tenue au cours d'une période de deux ans : les 20 et 21 juillet 2011, les 5 et 6 juin 2013, les 19 et 20 juin 2013 et les 7 et 8 août 2013. À l'audience de 2011, la demanderesse était représentée par Me Boudreau. Les 5 et 6 juin 2013, Me Boudreau n'était pas présent à l'audience et la demanderesse était représentée par son président, M. Walia. La demanderesse a mandaté son présent avocat à partir de l'audience tenue les 19 et 20 juin 2013. Le défendeur s’est représenté lui-même lors des audiences. La décision est datée du 19 septembre 2013, et l'ordre de paiement en date du 3 octobre 2013 a été reçu par les parties le 7 octobre 2013.

II.                La décision contestée

[9]               L'arbitre Derek Booth a conclu qu'il existait une relation employeur-employé et que les salaires non payés étaient dus : il a ordonné à la demanderesse de payer 19 552,95 $ en salaires non payés, plus les indemnités et les dépens pour l'audience. L'arbitre a d'abord examiné les témoignages et les éléments de preuve soumis lors de chaque audience, puis il a tiré des conclusions, dont les motifs sont indiqués dans une décision de 32 pages.

[10]           À l'audience tenue les 20 et 21 juillet 2011, la demanderesse était représentée par Me Boudreau. L'audience a commencé par l'exposé initial des parties. La demanderesse s'est opposée en raison de la compétence : son avocat a soutenu que l'arbitre n'avait pas compétence parce qu'il n'y avait aucune relation employeur‑employé. Il a soutenu qu'en vertu du Code, l'employé devait être une personne individuelle, et qu'en l'occurrence il s'agissait d'une société employée comme entrepreneur par la demanderesse. L'arbitre a différé le jugement.

[11]           La demanderesse a ensuite convoqué Harminder Walia à titre de témoin. Monsieur Walia a donné un compte rendu de la façon dont le défendeur a été embauché et rémunéré à titre d'entrepreneur indépendant, puis il a présenté un prétendu contrat (pièce 16). Ce contrat se veut une entente de paiement en fonction d'un taux au mille (0,42 $/mille) sur l'autoroute, ainsi que d'un taux fixe pour les routes d'hiver. Interrogé sur les registres, il a répondu qu’[traduction] « il ne les avait pas ». Le défendeur a ensuite convoqué M. Raymond Buors, un (ancien) superviseur employé par les entreprises de M. Walia. Il a témoigné d'un certain nombre de problèmes qui seraient survenus avec l'entreprise de camionnage de M. Walia à l'hiver 2009. Par la suite, la demanderesse a déclaré sa preuve close et le défendeur a commencé son témoignage.

[12]           L'audience a ensuite été ajournée. Les audiences subséquentes (en novembre 2011) ont également été ajournées, et l’arbitre n’a pas eu de nouvelles « des parties » jusqu'à ce qu’il communique avec elles le 20 mars 2013 pour savoir si elles désiraient poursuivre les démarches. La demanderesse (par l'intermédiaire de Me Boudreau) a demandé à ce que l'appel soit radié pour défaut de poursuite et pour retard. Pour sa part, le défendeur aurait pensé que les nouvelles dates allaient lui être communiquées. De plus, il voulait poursuivre les démarches. L'arbitre a laissé savoir que les démarches allaient se poursuivre, et il a fixé des dates pour juin 2013. Le 2 avril 2013, Me Boudreau a avisé que la demanderesse se représenterait elle-même. Le défendeur a produit de nouvelles pièces, y compris des photos et une demande révisée.

[13]           À l'audience des 5 et 6 juin 2013, les deux parties ont agi pour leur propre compte. Le défendeur a poursuivi son témoignage. M. Walia l’a interrompu et a procédé à un contre‑interrogatoire. Le défendeur a présenté un document contenant ce qu'il affirme être les conditions convenues du contrat, écrites à la main au verso de la carte professionnelle de M. Walia (pièce 6). Le défendeur a également présenté un compte rendu de ses heures travaillées. Lors du témoignage du défendeur, et après que celui-ci ait présenté sa liste écrite à la main des heures qu'il avait soumise à M. Walia en 2009, M. Walia a produit une copie des registres manquants. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il n'avait pas produit les registres plus tôt, il a demandé un ajournement pour communiquer avec un avocat. Lorsqu'il n'a pu retenir les services de Me Boudreau, il a demandé un autre ajournement. Enfin, M. Walia a convenu de procéder avec le reste de l'interrogatoire principal, et l'arbitre a convenu d'ajourner l'audience de sorte qu'il puisse retenir les services d'un avocat pour le contre-interrogatoire du défendeur. À la suite de l'interrogatoire principal du défendeur, M. Walia a produit pour la première fois la version originale du prétendu contrat (pièce 30). Il a alors convoqué un autre témoin, M. Joseph Noval, qui aurait été employé comme superviseur par les entreprises de M. Walia. Monsieur Noval, qui a signé le prétendu contrat, a contredit le témoignage de M. Walia sur la date et le lieu de la signature du contrat, et n'a pu être en mesure de dire quand les ajouts et les insertions ont été effectués. Après cela, M. Walia a poursuivi son contre-interrogatoire du défendeur. Il a également mentionné qu'il voulait convoquer trois autres témoins et qu'il allait déposer une requête afin que l'arbitre se désiste.

[14]           Le 12 juin 2013, l'arbitre a rendu une décision écrite rejetant la requête de M. Walia selon laquelle l'arbitre devait se récuser en raison d'un préjugé racial.

[15]           Le 13 juin 2013, la demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, laquelle portait sur la décision de l'arbitre de ne pas se récuser et dans laquelle elle demandait un sursis de l'audience en attendant l'issue du contrôle judiciaire (dossier T 1060‑13). La demanderesse a prétendu que l'arbitre avait qualifié un tiers de « nègre », ce qui constituait une preuve de partialité raciale contre la demanderesse, qui avait elle‑même la peau foncée et avait été victime de racisme dans le passé. La juge Gagné n'a pas statué sur la question de la partialité; elle a rejeté la demande de sursis de l'instance au motif qu'il était encore trop tôt pour le faire et n'a constaté aucun tort irréparable pouvant découler de la continuation de l'audience. Elle a recommandé que le reste de la poursuite soit enregistré.

[16]           À l'audience qui s'est tenue les 19 et 20 juin 2013, la demanderesse était représentée par un nouvel avocat, Me Purves, et l'audience a été enregistrée. La demanderesse a commencé par deux objections : la première faisait valoir que l'arbitre devait se désister en raison d'un conflit d'intérêts; la deuxième faisait valoir que le défendeur ne devait pas être autorisé à appeler l'épouse de M. Walia, Sapna Rai, à témoigner. L'objection en raison du conflit d'intérêts était fondée sur le fait que l'arbitre avait déjà été associé au cabinet d'avocats de l'ancien avocat de la demanderesse, Me Boudreau. L'arbitre a rejeté l'objection et il a fait remarquer qu'il n'avait actuellement aucun lien avec ce cabinet, qu'il ne faisait pas du tout affaire avec la demanderesse et que Me Boudreau lui‑même avait procédé à l'audience pendant deux jours sans qu'aucune objection ne soit formulée. Il a réservé sa décision quant à Mme Rai. Le nouvel avocat de la demanderesse a poursuivi le contre‑interrogatoire du défendeur. Le 20 juin 2013, le défendeur a présenté une nouvelle demande comportant de nouveaux calculs fondés sur un tarif horaire majoré pour les heures supplémentaires.

[17]           Le contre‑interrogatoire du défendeur a pris fin les 7 et 8 août 2013 et aucun autre témoin n'a été appelé. Les parties ont alors exposé leurs conclusions finales.

[18]           L'arbitre a conclu que le défendeur avait convenu d'être rémunéré en fonction des heures et de la distance. Bien que le défendeur n'ait pas tenu un registre adéquat de ses heures, l'arbitre a accepté intégralement le témoignage de vive voix du défendeur et lui a donné plus de poids qu'aux registres écrits. L'arbitre a conclu qu'il y avait une entente précisant une rémunération de 23,35 $ l'heure et 0,44 $ le mille; il a constaté que les conditions d'emploi avaient été consignées dans les notes manuscrites au verso de la carte professionnelle de la demanderesse (pièce 6). Le tarif horaire comprenait tout le travail effectué, y compris les heures de conduite, les travaux de réparation et le temps pendant lequel il était coincé.

[19]           L'arbitre a conclu que les conditions du contrat avaient été consignées par écrit au verso de la carte professionnelle, que l'inspecteur n'avait pas, et non pas dans le prétendu contrat présenté par la demanderesse. Si l'inspecteur avait mené une enquête sur le prétendu contrat, il aurait constaté que ce contrat n'était pas un contrat valide parce qu'il ne comportait pas de date et que des parties avaient été ajoutées après la signature. En revanche, l'arbitre a accepté que les notes manuscrites à la pièce 6 constituaient les véritables conditions du contrat.

[20]           L'arbitre a décidé que les heures travaillées avaient été corroborées par le témoignage du défendeur, les registres et les photographies que le défendeur avait prises sur les routes. Sur ce point, il a invalidé la décision de l'inspecteur, parce que l'inspecteur n'a pas bénéficié de cet élément de preuve. L'arbitre a également constaté que la demanderesse avait « supprimé » les registres.

[21]           L'arbitre a conclu que le témoignage du défendeur était crédible : ses éléments de preuve ont été corroborés par les autres témoins et son contre‑interrogatoire n'a que confirmé et renforcé ses éléments de preuve. En revanche, l'arbitre a conclu que M. Walia « n'était pas le moindrement crédible » en raison de la suppression des journaux de bord et de l'original du contrat allégué, de ses « trous de mémoire incessants », de ses contradictions avec son propre témoin, M. Noval, de sa désinvolture et de sa narration [traduction] « rapide et implacable tournant à l'obsession » et de son [traduction] « évidente absence de sincérité » (décision, page 26).

[22]           En conséquence de son témoignage et des pièces qu'il a produites, de l'utilisation de la demanderesse de cartes professionnelles de différentes sociétés et de l'aveu de M. Walia selon lequel son « épouse était présidente de toutes les sociétés », l’arbitre a ajouté Harminder Walia, Sapna Rai (l'épouse de M. Walia), SVB Co. Inc. et SVB Inc. comme parties responsables, en application de à l'alinéa 251.12(2)e) du Code. Les dispositions en cause du Code sont reproduites en annexe.

[23]           L'arbitre a statué sur l'objection en matière de compétence : il a constaté qu'il y avait une relation employeur‑employé et que, par conséquent, il avait la compétence. Bien que le défendeur ait reçu le paiement par l'intermédiaire d’une société, cette appellation était tout simplement un moyen de paiement. La preuve établit que le défendeur était un employé, non pas un entrepreneur indépendant, pour les mêmes raisons que celles qui ont été constatées par l'inspecteur Schewe et compte tenu de ce qui suit :

a) AK [le défendeur] dépendait entièrement de l'employeur sur le plan économique; b) l'employeur exerçait une surveillance et un contrôle sur AK; c) décidait quel travail devait être accompli, où et quand; d) fournissait les camions et payait l'entretien des camions (abstraction faite des travaux d'urgence effectués par AK et de l'utilisation, dans certains cas, de ses propres outils). Je conviens donc que l'employeur exerçait un contrôle et une surveillance sur l'employé.

Rien n'indique qu'AK a gagné ou perdu du capital pour son propre compte, ou a cherché à faire des profits et risqué de faire des pertes, et la seule matière première fournie était son labeur. Il dépendait économiquement de l'employeur et avait l'obligation d'accomplir un travail ou de fournir des services.

Quant à l'utilisation du nom Artcan Import Export & Transportation, et le fait qu'aucune retenue n'a été effectuée par l'employeur, j'estime que la décision Dynamex (précitée) répond pleinement à cette question.

(Décision, pages 28 et 29.)

[24]           Quant aux heures travaillées et aux sommes dues, l'arbitre a accepté le relevé des heures du défendeur ainsi que sa demande modifiée, à quelques exceptions près. Les raisons pour lesquelles il a accepté le nombre considérable d'heures sont les suivantes :

Qu'il ait été en train de conduire sur les routes d'hiver, en panne ou en train de travailler à réparer des camions ou à les remettre en marche ou à leur faire reprendre la route, j'estime qu'AK n'en était pas moins engagé ou tenu à l'extérieur de la ville par l'employeur pendant toutes ces heures, et j'alloue toutes les heures qu'il a réclamées sur les routes d'hiver, sauf lorsqu'il y a des incohérences, comme je l'ai déjà mentionné.

(Décision, page 30.)

[25]           L'arbitre a accepté l'explication du défendeur en ce qui concerne les écarts entre les heures qu'il a réclamées et les registres : les chauffeurs étaient [traduction] « encouragés à faire des modifications » aux registres, car si les heures appropriées étaient notées, elles dépasseraient le nombre maximum d'heures permis par règlement.

[26]           L'arbitre a donc calculé le nombre d'heures travaillées en février (329), mars (532) et avril (28), et a accordé les salaires selon ces heures. L'arbitre n'a pas accordé le plein montant réclamé par le défendeur au titre du taux de rémunération pour les heures supplémentaires, mais il a accordé une indemnité forfaitaire pour les heures supplémentaires. L'arbitre a accordé des sommes supplémentaires pour les milles sur les autoroutes, les déductions non autorisées, l'indemnité de congé sur les gains supplémentaires, ainsi qu'une somme de 2 500 $ pour les coûts de l'audience.

III.             Les questions à trancher

[27]           L’affaire soulève les deux questions suivantes :

A.                L'arbitre a‑t‑il contrevenu aux principes de l'équité procédurale?

B.                 L'arbitre a‑t‑il outrepassé sa compétence ou tiré des conclusions déraisonnables?

IV.             Analyse

[28]           Avant de traiter les principales questions découlant de cette demande, quelques observations s'imposent à propos d'une question procédurale. Le 9 mars 2015, le défendeur a demandé une conférence de gestion des cas pour régler deux [traduction] « questions importantes ». Premièrement, parce que [traduction] « la demanderesse a fait valoir que SVB Inc.et SVC Co Inc. n'étaient pas des entreprises fédérales au sens du Code », le défendeur a présenté une lettre de 2009 du ministère du Travail et de l'Immigration du Manitoba qui donne un avis selon lequel ces « questions » (d'après les apparences, le litige entre le défendeur et la demanderesse) relèvent de la compétence fédérale et non pas de la compétence provinciale. Deuxièmement, pour donner suite à l'élément de preuve concernant les encaissements, le défendeur présente l'affidavit d'Amber Peters, ancienne secrétaire de M. Walia, qui nie avoir émis quelque paiement en espèces que ce soit au défendeur ou à son épouse.

[29]           Le protonotaire Lafrenière n'a pas accueilli la demande de conférence de gestion des cas. À l'audience, le défendeur a tenté de présenter ses nouveaux éléments de preuve, malgré l'objection de la demanderesse. À l'audience, j'ai rendu une décision selon laquelle les documents que tentait de présenter le défendeur étaient inadmissibles, essentiellement pour deux raisons. Premièrement, je suis d'accord avec l'avocat de la demanderesse sur le fait que le défendeur essaie de contourner l'ordonnance du 22 décembre 2014 rendue par le protonotaire Lafrenière qui lui interdisait de produire des affidavits. Étant donné que le défendeur a déposé son dossier en retard, il n'était pas autorisé à déposer des affidavits, mais seulement un mémoire. Par conséquent, il ne doit pas être autorisé à déposer des affidavits ou des éléments de preuve maintenant.

[30]           Quoi qu'il en soit, les nouveaux documents ne sont pas pertinents en ce qui a trait aux questions fondamentales du contrôle judiciaire. En ce qui a trait aux personnes morales, la demanderesse n'a même pas fait valoir que les sociétés (SVB Inc.et SVB Co. Inc.) n'étaient pas des entreprises fédérales. Quant aux encaissements, la question de déterminer si des avances en espèces avaient été consenties au défendeur ou à son épouse n'est pas une question en litige aux fins du présent contrôle judiciaire. Par conséquent, dans l'hypothèse la plus optimiste, ces documents sont marginaux dans le contexte de la présente action.

A.                 L'arbitre a‑t‑il contrevenu aux principes de l'équité procédurale?

[31]           La demanderesse présente six allégations à l'égard de l'équité procédurale. Premièrement, elle fait valoir que le retard considérable de l'arbitre lui a porté préjudice parce qu'il deviendrait presque impossible de trouver en 2013 des témoins possibles en contre‑preuve. Deuxièmement, l'arbitre a fait peu de cas de l'administration de la justice parce qu'il a perdu la copie originale du prétendu contrat. Troisièmement, l'arbitre a fait preuve de partialité et de préjugé racial lorsqu'il a utilisé le terme « nègre » pour désigner un tiers. Monsieur Walia a la peau foncée et il est sensible au préjugé racial. Quatrièmement, en août 2013, l'arbitre a agité un maillet en caoutchouc (qui servait de marteau) devant l'avocat de la demanderesse et la demanderesse s'est sentie menacée. Cinquièmement, l'arbitre a contrevenu aux principes de la justice naturelle lorsqu'il a permis au défendeur de modifier les allégations dans sa demande après que la demanderesse eut fermé son dossier. Sixièmement, il y a eu manquement aux principes de la justice naturelle parce que la demanderesse a été tenue de présenter sa cause en entier en premier. En application de l'alinéa 251.12(2)d), l'arbitre a le pouvoir d'établir la procédure, mais il devait donner toute possibilité aux parties de présenter leur preuve, ce qui ne fut pas le cas, puisque la demanderesse n'a pas eu toute la possibilité de présenter ses éléments de preuve.

[32]           À mon avis, le retard n'a pas contrevenu à l'équité procédurale. Les raisons de la longue interruption entre 2011 et 2013 ne sont pas claires : les notes de l'arbitre mentionnent tout simplement qu'il y a eu une interruption des communications. Dans ses motifs, l'arbitre a expliqué que l'avocat de la demanderesse avait demandé un ajournement en novembre 2011, indiquant qu'il ne serait disponible qu'après le 16 avril 2012. N'ayant pas reçu de nouvelles de ni l’une, ni l’autre des parties, l'arbitre a écrit aux deux parties en mars 2013 et leur a demandé si l'affaire avait été réglée ou si elles allaient poursuivre la procédure. Dans ce cas, le retard ne peut être imputé au défendeur. Quoi qu'il en soit, aucun élément de preuve ne démontre que la demanderesse a subi un préjudice en ce qui a trait à la reprise de la procédure après un hiatus de presque deux ans. La demanderesse fait valoir qu'elle a perdu la possibilité de convoquer des témoins en contre‑preuve, mais cet argument ne tient pas. La demanderesse avait fermé son dossier après les premiers jours de l'audience en juin 2011. Néanmoins, la demanderesse a convoqué un témoin en contre‑preuve en 2013, M. Noval. En outre, il n'y a aucun élément de preuve lié au préjudice dans son affidavit, M. Walia ne mentionne pas les autres témoins qu'il aurait aimé appeler à témoigner, mais qu'il n'avait pas pu convoquer en raison du retard. En outre, les notes d'audience ne mentionnent aucune requête en irrecevabilité pour défaut de poursuite lorsque l'audience a repris en juin 2013; probablement que M. Walia n'a pas soulevé la question à l'audience et M. Boudreau n'était plus son avocat. D'après ce que je peux voir, la demanderesse n'a pas demandé d'appeler d'autres témoins à témoigner et le retard ne l'a pas empêché de le faire.

[33]           L'allégation selon laquelle la perte du contrat original contrevient au droit audi alteram partem de la demanderesse est également sans fondement. Tout d'abord, il n'y a aucun élément de preuve qui démontre que l'arbitre est responsable de la perte de ce document. En outre, il y avait deux copies de ce prétendu contrat en dossier (pièces 16 et 33).

[34]           Quant à l'ordre de présentation de la preuve, l'arbitre a le pouvoir, en application de l'alinéa 251.12(2)d) du Code, d'établir la procédure, mais il doit s'assurer que toutes les parties ont la possibilité de présenter leurs éléments de preuve. Bien que la norme de contrôle habituelle en matière d'équité procédurale soit la décision correcte, il s'agit d'une procédure où s'impose un « certain devoir de réserve » puisqu'il s'agit d'un contrôle des choix de l'arbitre en matière procédurale : voir Ré : Sonne c. Conseil du secteur de conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, aux paragraphes 34 à 42.

[35]           À mon avis, l'arbitre s'est acquitté de son obligation dans ce cas, bien que la présentation des éléments de preuve ait été chaotique, à vrai dire. La demanderesse a été autorisée à contre‑interroger le défendeur et le témoin du défendeur, ce qu'elle a fait; en outre, la demanderesse a été autorisée à appeler un autre témoin (Joseph Noval) en juin 2013, après qu’elle eut fermé son dossier en 2011. En outre, aucun élément de preuve ne démontre que la demanderesse n'était pas autorisée à appeler d'autres témoins après le contre‑interrogatoire du défendeur. En bref, je n'ai pas été convaincu que l'ordre de présentation des éléments de preuve choisi par l'arbitre avait causé un préjudice quelconque à la demanderesse.

[36]           C'est également vrai pour la décision de permettre au défendeur de présenter une demande modifiée le 20 juin 2013 (pièce 6). Le dossier indique que le défendeur a en effet présenté une demande modifiée le 20 juin 2013, au milieu de son contre‑interrogatoire, et ce, longtemps après que la demanderesse ait clôt sa preuve. L'avocat de la demanderesse s'est opposé à l'admission de ce document, mais l'arbitre l'a accepté, à la condition que suffisamment de temps soit alloué à l'avocat de la demanderesse afin qu'il l'examine et le compare aux versions précédentes de la demande. L'arbitre a donc pris cette question en considération, il a décidé d’accepter ce document et il a pris des mesures afin de réduire au minimum le préjudice susceptible d'être porté à la demanderesse. En outre, l'avocat de la demanderesse a accepté cette procédure (transcription de l'audience du 20 juin 2011, pages 383 à 386, dossier de la demanderesse, pages 633 à 636). Compte tenu du pouvoir de l'arbitre en matière d'établissement de la procédure et du devoir de réserve restreint qui est lié à ses décisions à cet égard, je ne vois aucune raison d'intervenir. Il n'y a eu aucun manquement aux principes généraux du droit en permettant au défendeur de présenter cette demande modifiée.

[37]           En fait, la demande modifiée était identique pour l'essentiel à un document présenté précédemment au cours de l'audience (voir les pièces 18 et 19) : le défendeur revendiquait le même nombre d'heures, mais recalculait le salaire en fonction de taux horaires pour les heures supplémentaires. La demanderesse a eu maintes occasions de contre‑interroger le défendeur au sujet de cette demande modifiée; en fait, la majeure partie des journées du 20 juin et du 7 août 2013 ont été consacrées à un examen minutieux de ce document et d'autres éléments de preuve présentés par le défendeur. Finalement, l'arbitre n'a pas accepté les taux revendiqués pour les heures supplémentaires. Par conséquent, bien qu'il ne soit pas dans l'ordre des choses de permettre une demande modifiée à une étape aussi avancée de l'action, il n'y a aucune raison pour que la Cour intervienne.

[38]           L'avocat de la demanderesse a également formulé certaines allégations qui tendaient à démontrer que l'arbitre n'était pas impartial. Après avoir lu attentivement le dossier et la transcription disponible, je n'ai pas été en mesure de trouver des éléments de preuve clairs qui démontraient qu'un préjudice avait été porté à la demanderesse. Cela ne signifie pas que la relation entre l'arbitre et la demanderesse n'était pas tendue : en effet, la demanderesse a demandé à l'arbitre de se récuser à deux reprises et a demandé un contrôle judiciaire de l'un des refus. Quant à lui, l'arbitre n'a manifestement pas été impressionné par M. Walia ni par son avocat. L'arbitre et Me Purves ont eu plusieurs conversations acrimonieuses au cours de l'audience, dont le prétendu « incident du maillet » le 7 août 2013, dont je donnerai plus de détails sous peu. Dans la décision, l'arbitre a conclu que M. Walia « n'était pas le moindrement crédible », qu'il avait tenté de manipuler les témoins et supprimé des éléments de preuve. Bien qu'il y ait certainement eu des débordements et des moments dépourvus de professionnalisme à l'audience de la part de toutes les parties, à mon avis, cela ne révèle pas une partialité quelconque. La partialité n'est pas établie non plus par le simple fait que l'arbitre a accepté la preuve du contrat par le défendeur au verso de la carte professionnelle tout en rejetant d'autres éléments de preuve provenant de la demanderesse.

[39]           L'allégation de préjugé racial est une échappatoire dans le même ordre d'idées. La demanderesse prétend que l'arbitre a utilisé le mot « nègre » pour désigner un tiers au cours de l'audience qui s'est tenue les 5 et 6 juin 2013, pour laquelle il n'y a aucune transcription. La juge Gagné n'a pas statué sur le bien‑fondé de cette allégation de préjugé racial, mais elle a recommandé que la poursuite soit enregistrée. Monsieur Walia prétend dans son affidavit que l'arbitre a continué d'utiliser ce mot au cours des dates d'audience qui sont consignées dans le dossier (les 19 et 20 juin et le 7 août 2013). Bien que l'arbitre ait désigné un tiers comme un [traduction] « nègre, un noir » et qu'il ait continué de défendre l'usage de ce mot (voir le dossier de la demanderesse aux pages 421, 725 et 726 et 1004 à 1006), cela n'établit pas un préjugé racial de la part de l'arbitre à l'endroit de M. Walia lui‑même. Il faut convenir que l'usage constant de ce mot de la part de l'arbitre après que M. Walia eut porté plainte dénote un manque de délicatesse, mais aucun élément de preuve n'indique que les conclusions de l'arbitre ont été entachées pour autant.

[40]           Quant à l’« incident du maillet en caoutchouc », bien qu'il soit bizarre, il démontre la relation acrimonieuse entre l'arbitre et l'avocat de la demanderesse, mais il ne constitue pas une partialité. Au début de l'audience le 7 août 2013, l'arbitre a expliqué ce qui suit :

[traduction]

J'ai apporté un maillet et lorsque je donne un coup sur la table, tout le monde cessera de parler, à l'exception de la sténographe et de moi‑même, qui maîtrise son hilarité. (…) Alors, j'espère que cela mettra fin à la bisbille entre les deux parties.

(Transcription du 7 août 2013, page 515; dossier de la demanderesse, page 766.)

[41]           Au cours du contre‑interrogatoire du défendeur par Me Purves, l'arbitre est intervenu dans l'interrogatoire. Dans une conversation particulière et en apparence enfantine, Me Purves a dit : [traduction] « vous pouvez frapper votre maillet autant que vous le désirez » et [traduction] « pointer votre maillet sur moi encore ». La conversation s'est poursuivie et M. Walia est intervenu à un moment donné pour dire : [traduction] « C'est menaçant, monsieur. C'est menaçant, monsieur. Je suis menacé. » Apparemment, il s'est levé et a agité les mains. À ce moment, l'arbitre a expulsé M. Walia de la salle d'audience. Après une courte pause, M. Walia a été réadmis dans la salle, sous réserve des directives de Me Purves selon lesquelles il ne devait pas prendre la parole à moins que l'arbitre ou Me Purves ne s'adresse à lui (voir le dossier de la demanderesse aux pages 833 à 838). Selon cette conversation, on peut supposer que la relation entre l'arbitre et Me Purves avait dégénéré et que la tension dans la salle était très vive. L'utilisation du maillet était certainement très bizarre et même dépourvue de professionnalisme et arbitraire. Cependant, je n'ai pas été convaincu que la partialité avait été établie.

[42]           Le critère applicable en matière de partialité a été énoncé clairement par le juge de Grandpré, qui était dissident, dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394 :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] [le] critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [nom du décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[43]           Une allégation de partialité est une allégation grave et elle ne devrait pas être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, sur des hypothèses ou les impressions d'un demandeur ou de son avocat, mais elle doit être étayée par une preuve forte. Je n'ai pas été convaincu que ce critère préliminaire a été respecté en l'espèce. L'audience était de toute évidence tendue et l'arbitre est parfois intervenu au cours du contre‑interrogatoire du défendeur afin de clarifier ou de faire avancer ce contre‑interrogatoire, jouant presque le rôle d'avocat du défendeur. Il y a eu plusieurs conversations tendues entre l'arbitre et Me Purves (voir, par exemple, le dossier de la demanderesse aux pages 405 et 406, 623 à 626 et 833 à 838) et il semble également que des mots très forts aient été échangés entre les parties pendant les pauses (voir, par exemple, le dossier de la demanderesse aux pages 412 et 413, 926 à 931). À ce que je vois, cette procédure a été déplaisante et prolongée. Cela dit, la demanderesse n'a pas exprimé une crainte raisonnable de partialité et rien n'indique dans les motifs véritables de l'arbitre que les prétendus manquements au devoir d'équité procédurale aient influé sur sa décision.

B.                 L'arbitre a‑t‑il outrepassé sa compétence ou tiré des conclusions déraisonnables?

[44]           L'avocat du défendeur a convenu à l'audience que la contestation du caractère raisonnable de la décision représenterait une [traduction] « tâche de taille » sans les questions d'équité procédurale. Les parties s'entendent sur le fait que la teneur de la décision de l'arbitre comporte des questions mixtes de fait et de droit et de pures questions de fait, qui doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable : Bellefleur c Diffusion Laval, 2012 CF 172, au paragraphe 20 [Bellefleur]; Albani c Rogers Communications, 2014 CF 662, au paragraphe 25 [Albani]. Il en va de même pour la décision de l'arbitre lorsqu'il s'agit d'établir s'il existe une relation employeur‑employé; bien qu'une telle conclusion ait été considérée par la Cour d'appel fédérale comme sujette à révision selon la norme de la décision correcte dans Dynamex Canada c Mamona, 2003 CAF 248, au paragraphe 45 [Dynamex], ce précédent a été supplanté par la jurisprudence postérieure à l’arrêt Dunsmuir (voir Bellefleur et Albani, ci‑dessus) et la présomption que la norme de la décision raisonnable s'applique à l'interprétation du tribunal de sa loi constitutive (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 34; McLean c British Columbia (Securities Commission), 2013 CSC 67, aux paragraphes 21, 22 et 33).

[45]           À mon avis, la décision d'ajouter les deux sociétés et les deux particuliers comme parties responsables était une décision raisonnable. Les pouvoirs de l'arbitre en vertu du paragraphe 251.12(2) sont plutôt vastes : l'alinéa 251.12(2)e) du Code confère le pouvoir à l'arbitre d'ajouter toute partie qui, de son avis, « a essentiellement les mêmes intérêts qu'une des parties et pourrait être concerné par la décision ». La demanderesse fait valoir que l'arbitre a indûment ajouté les deux sociétés et Mme Rai parce qu'il n'existe pas de lien officiel entre la société demanderesse et ces parties. Il est vrai que Mme Rai est l'unique actionnaire de SVB Inc., mais elle n'est ni une actionnaire ni une administratrice de la société demanderesse. Cela dit, ni la structure organisationnelle ni l'absence de Mme Rai comme témoin n'empêchent l'arbitre d'ajouter ces parties. L'arbitre explique brièvement la raison pour laquelle il a ajouté ces parties : il s’est fondé sur le témoignage et les pièces de trois témoins (le défendeur, Raymond Buors, et Joseph Noval) de même que sur l'aveu de M. Walia ([traduction] « mon épouse était présidente de toutes les sociétés ») et l'utilisation interchangeable de la raison sociale de ces sociétés. Ces sociétés partagent la même adresse et les éléments de preuve démontrent que Mme Rai prenait part à l'exploitation d'une façon quelconque. En fait, la carte professionnelle sur laquelle les conditions du contrat étaient écrites (pièce 6) affiche « SVB Inc. » et M. Walia comme le directeur de l'entreprise.

[46]           En bref, il y avait suffisamment d'éléments de preuve qui démontraient le lien et la confusion entre les différentes sociétés et les différentes personnes. L'arbitre a décidé selon les faits que ces parties avaient essentiellement les mêmes intérêts et qu'elles étaient susceptibles d'être touchées. À mon avis, l'ajout de ces parties est conforme à l'objet de la Partie III du Code, qui vise à protéger les travailleurs individuels et à créer une confiance dans le marché du travail, parce les défendeurs peuvent avoir la certitude de pouvoir récupérer les salaires dus (voir Dynamex, ci‑dessus, aux paragraphes 31 à 35). Le fait qu'une partie responsable (SVB Co. Inc.) n'existe peut‑être pas, comme le fait valoir la demanderesse, n'a aucune incidence sur la situation des autres parties ajoutées (SVB Inc., Sapna Rai et M. Walia). Par conséquent, je conclus que la décision de l'arbitre d'ajouter ces parties est une décision raisonnable.

[47]           L'avocat de la demanderesse soutient également que l'arbitre a agi hors de son champ de compétence, puisqu'il n'y avait pas de relation employeur‑employé. Encore une fois, je suis d'accord avec le défendeur sur le fait que l'arbitre ait pu en arriver à cette conclusion de manière raisonnable. L'inspecteur et l'arbitre ont constaté une relation employeur‑employé en appliquant les facteurs de common law aux faits et le seul argument de la demanderesse pour contester cette conclusion découle du fait que le raisonnement qui relie les faits de cette instance au principe de common law est bref et comporte une lacune en ce qui a trait à l'examen de fond de la loi qui s'applique.

[48]           L'arbitre a donné les raisons justifiant la confirmation de la conclusion de l'inspecteur : il a mis en application plusieurs facteurs de common law afin d'établir le degré requis de contrôle et d'emprise dans le cas d'une relation employeur‑employé, comme on peut le constater dans la citation de ses motifs, reproduits au paragraphe 23 des présents motifs. L'arbitre a également expliqué les raisons pour lesquelles il avait constaté une relation employeur‑employé, bien que le défendeur ait été rémunéré par l'intermédiaire d'une société (décision, pages 26 et 27). Dans l'ensemble, les raisons de l'arbitre reflètent la loi et elles ne sont pas superficielles. Contrairement à l'argument de la demanderesse, la décision Dynamex que l'arbitre a citée en ce qui a trait à la proposition selon laquelle la langue utilisée dans un contrat de travail n'a aucun effet déterminant quant à l'existence d'une relation employeur‑employé était pertinente. Par conséquent, il n'y a aucune raison d'infirmer la conclusion de l'arbitre.

[49]           Les autres conclusions sont des conclusions de fait qui sont entièrement raisonnables. La demanderesse conteste les conclusions de l'arbitre qui portent sur les conditions du contrat et les heures travaillées et fait valoir que l'arbitre n'a pas accordé suffisamment de poids au prétendu contrat, dont la version originale a été perdue et aux registres contemporains (factures et registres) de l'employeur. La demanderesse demande essentiellement à la Cour d’apprécier de nouveau les éléments de preuve dûment examinés par l'arbitre. À mon avis, l'arbitre a donné amplement de raisons pour lesquelles il a préféré le témoignage du défendeur et les notes manuscrites au sujet des conditions du contrat (pièce 6) plutôt que le prétendu contrat établi par l'employeur (pièce 16) et pour lesquelles il a préféré le compte rendu après le fait des heures travaillées du défendeur plutôt que les registres écrits contemporains. L'arbitre a conclu que M. Walia n'était pas un témoin crédible; il a conclu que le défendeur était crédible et que sa version avait été corroborée par d'autres témoins; il a constaté que l'employeur avait « supprimé » les registres; il a également accepté l'explication du défendeur en ce qui a trait aux écarts entre les registres et les déplacements réels et les heures travaillées. En ce qui concerne le nombre considérable d'heures travaillées, l'arbitre a également expliqué les raisons pour lesquelles il avait accepté ces heures, parfois jusqu'à 24 heures par jour : il a accepté toutes les heures pendant lesquelles le défendeur était au travail ou était retenu à l'extérieur de la ville (décision, page 30; citation au paragraphe 24 des présents motifs). Étant donné que le défendeur était souvent coincé ou qu'il faisait souvent des heures supplémentaires pour réparer le matériel, le nombre considérable d'heures en février et mars n'est pas déraisonnable de prime abord; il est expliqué et fondé sur les éléments de preuve. En bref, il n'y a aucune raison de pondérer les éléments de preuve de nouveau et d'infirmer les conclusions de fait de l'arbitre.

V.                Conclusion

[50]           Pour tous les motifs exposés ci-dessus, j’arrive à la conclusion que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Ce litige, pour un montant de moins de 20 000 $ en recouvrement de salaire, traîne déjà depuis près de six ans et est devenu inutilement compliqué et amer. Même si certains événements survenus lors de l'audience sont troublants, la décision comme telle est raisonnable et ne présente aucun signe de partialité réelle ou appréhendée. Dans les circonstances, l'issue la plus juste et appropriée est de maintenir la décision de l'arbitre.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les dépens sont adjugés au défendeur, à la moitié de la somme qui pourrait être recouvrée selon la colonne III du Tarif « B ».

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


ANNEXE

Code canadien du travail, article 251.12

Nomination d’un arbitre

Appointment of referee

251.12 (1) Le ministre, saisi d’un appel, désigne en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’appel et lui transmet la décision faisant l’objet de l’appel ainsi que la demande d’appel ou, en cas d’application du paragraphe 251.101(7), la demande de révision présentée en vertu du paragraphe 251.101(1).

251.12 (1) The Minister shall appoint any person that the Minister considers appropriate as a referee to hear and adjudicate an appeal and shall provide that person with the decision being appealed and either the request for appeal or, if subsection 251.101(7) applies, the request for review submitted under subsection 251.101(1).

Pouvoirs de l’arbitre

Powers of referee

(2) Dans le cadre des appels que lui transmet le ministre, l’arbitre peut :

(2) A referee to whom an appeal has been referred by the Minister

a) convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment, oralement ou par écrit, ainsi qu’à produire les documents et les pièces qu’il estime nécessaires pour lui permettre de rendre sa décision;

(a) may summon and enforce the attendance of witnesses and compel them to give oral or written evidence on oath and to produce such documents and things as the referee deems necessary to deciding the appeal;

b) faire prêter serment et recevoir des affirmations solennelles;

(b) may administer oaths and solemn affirmations;

c) accepter sous serment, par voie d’affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu’à son appréciation il juge indiqués, qu’ils soient admissibles ou non en justice;

(c) may receive and accept such evidence and information on oath, affidavit or otherwise as the referee sees fit, whether or not admissible in a court of law;

d) fixer lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

(d) may determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the appeal to present evidence and make submissions to the referee, and shall consider the information relating to the appeal; and

e) accorder le statut de partie à toute personne ou tout groupe qui, à son avis, a essentiellement les mêmes intérêts qu’une des parties et pourrait être concerné par la décision.

(e) may make a party to the appeal any person who, or any group that, in the referee’s opinion, has substantially the same interest as one of the parties and could be affected by the decision.

Délai

Time frame

(3) Dans le cadre des appels que lui transmet le ministre, l’arbitre dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil pour procéder à l’examen du cas dont il est saisi ou rendre sa décision.

(3) The referee shall consider an appeal and render a decision within such time as the Governor in Council may, by regulation, prescribe.

Décision de l’arbitre

Referee’s decision

(4) L’arbitre peut rendre toutes les ordonnances nécessaires à la mise en oeuvre de sa décision et peut notamment, par ordonnance :

(4) The referee may make any order that is necessary to give effect to the referee’s decision and, without limiting the generality of the foregoing, the referee may, by order,

a) confirmer, annuler ou modifier — en totalité ou en partie — la décision faisant l’objet de l’appel;

(a) confirm, rescind or vary, in whole or in part, the decision being appealed;

b) ordonner le versement, à la personne qu’il désigne, de la somme consignée auprès du receveur général du Canada;

(b) direct payment to any specified person of any money held in trust by the Receiver General that relates to the appeal; and

c) adjuger les dépens.

(c) award costs in the proceedings.

Remise de la décision

Copies of decision to be sent

(5) L’arbitre transmet une copie de sa décision sur un appel, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

(5) The referee shall send a copy of the decision, and of the reasons therefor, to each party to the appeal and to the Minister.

Caractère définitif des décisions

Order final

(6) Les ordonnances de l’arbitre sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(6) The referee’s order is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

Interdiction de recours extraordinaires

No review by certiorari, etc.

(7) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre du présent article.

(7) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain a referee in any proceedings of the referee under this section.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1836-13

 

INTITULÉ :

5652210 MANITOBA LTD. c ARTHUR KIELBOWICZ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 mars 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 avril 2015

 

COMPARUTIONS :

Clay Purves

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Arthur Kielbowicz

 

POUR LE DÉFENDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wilder Wilder & Langtry

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Arthur Kielbowicz

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

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