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Date : 20150414


Dossier : IMM-67-14

Référence : 2015 CF 455

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2015

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

CHIME TRETSETSANG

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

I.                   La nature de l’affaire

[1]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), M. Chime Tretsetsang conteste la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR), qui a accueilli l’appel que le ministre avait interjeté à l’encontre de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR).

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

II.                Les faits

[3]               M. Tretsetsang est d’ethnicité tibétaine. Il est né en Inde le 5 octobre 1968. Ses parents avaient fui en Inde lorsque le gouvernement chinois avait pris le contrôle du Tibet en 1959.

[4]               M. Tretsetsang est entré au Canada le 3 mai 2013, avec un passeport indien qui, selon lui, était frauduleux. Il a présenté une demande d’asile, dans laquelle il alléguait qu’il était apatride et que l’Inde l’expulserait en Chine, où il serait persécuté en raison de sa religion (le bouddhisme) et de ses opinions politiques (soutien au dalaï‑lama et opposition au gouvernement de la Chine). Il n’avait pas demandé la citoyenneté indienne lorsqu’il vivait en Inde.

[5]               Le 20 août 2013, la SPR a accueilli sa demande d’asile. Le tribunal a reconnu que le Citizenship Act, 1955 de l’Inde prescrivait qu’une personne née en Inde entre le 26 janvier 1950 et le 1er juillet 1987 avait la citoyenneté indienne, sans égard à la nationalité de ses parents. Le demandeur n’avait pas d’acte de naissance, mais il avait en sa possession un document de voyage indien connu comme étant un certificat d’identité qui énonçait son lieu de naissance en Inde au cours de la période pertinente. Ce certificat, maintenant expiré, portait aussi un timbre se lisant ainsi : [traduction] « Rien ne s’oppose à un retour en Inde ».

[6]               La SPR a fait référence à la preuve relative à la situation dans le pays en cause qui donnait à penser que les Tibétains nés durant cette période pouvaient avoir des difficultés à obtenir des documents de citoyenneté indienne. Relativement peu de Tibétains ont présenté avec succès une demande de citoyenneté indienne, et ils ont [traduction] « éprouvé des difficultés » en ce faisant.

[7]               La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’était pas un citoyen de l’Inde et qu’il ne pouvait être tenu d’y retourner, puisqu’il ne disposait pas d’un droit de résidence protégé dans ce pays. La SPR a conclu qu’il y avait une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté en Chine en raison de sa religion et de ses opinions politiques.

[8]               Le ministre a introduit un appel devant la SAR. La question déterminante, a expliqué la SAR, était de savoir si, dans le cas de M. Tretsetsang, il était en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté en Inde, et elle a appliqué l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Williams, 2005 CAF 126 (Williams). La SAR a conclu qu’elle devait examiner la décision de la SPR en fonction de la norme de la décision raisonnable. Dans sa décision datée du 11 décembre 2013, la SAR a accueilli l’appel du ministre et jugé que M. Tretsetsang n’était pas un réfugié. Ce faisant, la SAR a rejeté son argument selon lequel l’affaire devait être renvoyée à la SPR sur la question relative à la persécution en Inde. La SAR a conclu que M. Tretsetsang n’avait pas établi qu’il craignait avec raison d’être persécuté dans ce pays.

III.             Les questions en litige

[9]               La présente demande soulève deux questions :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur était un citoyen de l’Inde?
  2. La SAR a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité en rejetant la prétention du demandeur à l’encontre de l’Inde, sans lui donner l’occasion de se faire entendre?

IV.             La norme de contrôle

[10]           La première question en litige est une question mixte de droit et de fait susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), au paragraphe 54.

[11]           L’allégation d’entorse à l’équité procédurale appelle un contrôle en fonction de la norme de la décision correcte : Dunsmuir, précité, au paragraphe 129; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79.

V.                Analyse

A.                 La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur était un citoyen de l’Inde?

[12]           Je conviens avec les parties que le critère approprié est énoncé dans l’arrêt Williams, précité, aux paragraphes 19 à 27. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’un demandeur ne se verra pas accorder la qualité de personne à protéger au Canada si l’acquisition de la citoyenneté dans un pays sûr est une question de « simples formalités » ou de « contrôle » de la part de ce demandeur.

[13]           Le critère du contrôle énoncé par le juge Décary était tiré des motifs du jugement du juge Rothstein, qui siégeait alors à la Cour, dans Bouianova c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 67 FTR 74, à la page 77:

Le fait de ne pas avoir de nationalité ne doit pas relever du contrôle d'un [demandeur].

Dans l’arrêt Williams, le juge Décary a ajouté au paragraphe 22 :

Le véritable critère est, selon moi, le suivant : s’il est en son pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’un pays pour lequel il n’a aucune crainte fondée d’être persécuté, la qualité de réfugié sera refusée au demandeur. Bien que des expressions comme « acquisition de la citoyenneté de plein droit » ou « par l’accomplissement de simples formalités » aient été employées, il est préférable de formuler le critère en parlant de « pouvoir, faculté ou contrôle du demandeur », car cette expression englobe divers types de situations. De plus, ce critère dissuade les demandeurs d’asile de rechercher le pays le plus accommodant, une démarche qui est incompatible avec l’aspect « subsidiaire » de la protection internationale des réfugiés reconnue dans l’arrêt Ward et, contrairement à ce que l’avocat de l’intimé a laissé entendre, ce critère ne se limite pas à de simples formalités comme le serait le dépôt de documents appropriés. Le critère du « contrôle » exprime aussi une idée qui ressort de la définition du réfugié, en l’occurrence le fait que l’absence de « volonté » du demandeur à accomplir les démarches nécessaires pour obtenir la protection de l’État entraîne le rejet de sa demande d’asile à moins que cette absence s’explique par la crainte même de persécution. Le paragraphe 106 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié précise bien que « [c]haque fois qu'elle peut être réclamée, la protection nationale l'emporte sur la protection internationale ». Dans l’arrêt Ward, à la page 752, la Cour suprême du Canada fait observer, à la page 752, que « [l]orsqu'il est possible de l'obtenir, la protection de l'État d'origine est la seule solution qui s'offre à un demandeur ».

[14]           Dans l’arrêt Williams, précité, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer, au paragraphe 23 : « Il importe peu que la citoyenneté d’un autre pays ait été obtenue de naissance, par naturalisation ou par succession d’États, pourvu que le demandeur ait la faculté de l’obtenir » [non souligné dans l’original]. Au paragraphe 27, la Cour d’appel écrit que :

[...] lorsque la citoyenneté d’un autre pays peut être réclamée, le demandeur est censé entreprendre des démarches pour l’obtenir et […] il se voit refuser la qualité de réfugié s’il est démontré qu’il était en son pouvoir d’acquérir cette autre citoyenneté.

[Souligné dans l’original.]

[15]           Dans la présente affaire, rien n’indique que le demandeur ait déjà tenté d’acquérir la citoyenneté indienne.

[16]           La SAR s’est appuyée sur la preuve relative à des jugements rendus par la Haute Cour de Delhi et par la Haute Cour de Karnataka pour conclure que : (1) les Tibétains qui sont dans la position du demandeur sont des citoyens indiens de naissance; (2) ces jugements lient le gouvernement de l’Inde; (3) ces personnes n’ont pas à demander la citoyenneté, parce qu’elles la possèdent automatiquement; (4) le fait que certains Tibétains ont eu de la difficulté à obtenir un passeport n’établit pas qu’ils n’ont pas la faculté d’acquérir la citoyenneté.

[17]           Le demandeur prétend qu’aucune de ces conclusions n’est étayée par la preuve. Il fait valoir que la raison pour laquelle certains Tibétains ont eu de la difficulté à obtenir un passeport est que l’Inde ne les reconnaît pas en tant que citoyens et, par conséquent, ne leur accorde pas de passeport, ce qui constitue un document de citoyenneté fondamental.

[18]           En outre, fait valoir le demandeur, la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas présenté d’éléments de preuve quant à la raison pour laquelle la citoyenneté indienne lui serait refusée. Son fardeau était de démontrer qu’il n’avait pas la faculté d’acquérir la citoyenneté, et il y avait une preuve abondante à cet effet. La SAR aurait dû s’en remettre à la conclusion de la SPR sur cette question.

[19]           Le défendeur soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle la décision de la SPR était déraisonnable était étayée par la preuve qui démontrait que le demandeur était un citoyen indien de naissance, sans égard à la nationalité de ses parents, et qu’il n’avait pas besoin de faire une demande en vue d’obtenir la citoyenneté indienne. Cela a été démontré par les deux jugements récents des hautes cours de Delhi et de Karnataka. La décision de la SAR appartenait donc aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Bien que le demandeur ne possède pas d’acte de naissance, il peut prouver sa date de naissance aux autorités indiennes au moyen des autres documents délivrés par le gouvernement de l’Inde.

[20]           Dans la décision Wanchuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 885, le juge O’Reilly a accepté des arguments qui ressemblent à ceux du demandeur en l’espèce. Le demandeur invoque également les décisions Tsering Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 583 (Khan), aux paragraphes 19 à 21, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hua Ma, 2009 CF 779 (Hua Ma), aux paragraphes 108 à 122.

[21]           Les faits de l’affaire Wanchuk sont pratiquement les mêmes que ceux de l’affaire dont je suis saisi. Comme une distinction significative ne peut être établie, le principe de la courtoisie judiciaire exigerait normalement que je suive la décision de mon collègue dans l’intérêt de favoriser la certitude du droit. Il peut être dérogé à ce principe lorsque la décision antérieure n’a pas examiné la jurisprudence qui aurait donné lieu à un résultat différent : Almrei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1025, aux paragraphes 61 et 62. Comme j’en discuterai ultérieurement, je crois que je suis lié par l’arrêt Williams dans les circonstances de la présente affaire.

[22]           Dans l’affaire Khan, une femme tibétaine s’était mariée avec un citoyen du Guyana et s’était installée là‑bas. Le couple avait par la suite sollicité l’asile au Canada. La SPR avait conclu, entre autres choses, que la femme aurait pu devenir citoyenne du Guyana en raison de son mariage. La disposition applicable de la Constitution du Guyana, reproduite au paragraphe 8 de la décision, établit le droit d’un étranger d’acquérir la citoyenneté guyanienne par mariage, mais ce droit [traduction] « doit être subordonné aux exceptions ou aux restrictions prévues dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de l’ordre public ».

[23]           Au paragraphe 21, le juge Lemieux a souligné ces exceptions discrétionnaires et a expliqué qu’il n’était pas approprié que la SPR avance l’hypothèse que la femme obtiendrait la citoyenneté du Guyana si elle la demandait :

L’erreur déterminante qu’a commise le tribunal a été de faire une incursion en territoire interdit lorsque, après avoir reconnu que les autorités guyaniennes n’étaient pas tenues d’accepter la demande de citoyenneté de Mme Khan, il s’est exprimé sur la manière dont le ministre guyanien pouvait exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui a été conféré. De telles circonstances sont hors du contrôle de la demanderesse. Mme Khan n’est pas obligée de demander la protection de la Guyana avant de demander celle du Canada.

[24]           À mon avis, les restrictions quant au droit d’acquérir la citoyenneté au Guyana ont mis l’affaire hors de la portée du principe de contrôle énoncé dans l’arrêt Williams.

[25]           Dans l’affaire Hua Ma, les demandeurs adultes étaient nés en Chine, mais avaient déménagé aux Îles Salomon et acquis la citoyenneté là‑bas, de sorte qu’ils avaient perdu leur citoyenneté chinoise. La législation chinoise ne confère pas un droit clair de recouvrer la citoyenneté. En outre, ces demandeurs avaient plusieurs enfants, ce qui allait à l’encontre de la politique de la Chine relative à l’enfant unique. Au paragraphe 116 de la décision, le juge Russell a fait observer qu’il y avait des éléments de preuve selon lesquels la Chine exigeait des ex‑citoyens de payer des frais élevés ou de subir une stérilisation en vue de recouvrer la citoyenneté. Pour ces motifs, la Cour a accepté l’argument voulant que les demandeurs n’aient pas le pouvoir d’obtenir la citoyenneté chinoise. Le juge Russell a décidé, au paragraphe 119, que le fait d’exiger d’eux qu’il fasse d’abord une demande en Chine « aurait pour effet d’imposer un fardeau intolérable à des personnes » dans leur situation.

[26]           Le défendeur a attiré mon attention sur une décision récente du juge Hughes : Dolker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 124. Dans l’affaire Dolker, la question déterminante consistait à savoir si la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse était une citoyenne de l’Inde était raisonnable. Le juge Hughes a confirmé cette conclusion, mais a continué pour examiner, dans des remarques incidentes, le point de savoir si la demanderesse aurait dû au moins faire des efforts pour obtenir la citoyenneté, si elle ne l’avait pas déjà. Après un examen de la jurisprudence, il a conclu, au paragraphe 27, qu’aucun précédent au Canada ne posait comme condition qu’un demandeur devait d’abord solliciter, puis se voir refuser, la citoyenneté dans un pays sûr où il a le droit de le faire avant de demander l’asile au Canada. De fait, dans la décision Khan, le juge Lemieux a clairement énoncé le contraire.

[27]           Néanmoins, le juge Hughes a fait remarquer, aux paragraphes 28 et 29, que, si des mesures raisonnables avaient été prises et poursuivies, le fait de ne pas avoir obtenu la citoyenneté dans un pays sûr contribuerait dans une large mesure à soutenir une demande d’asile au Canada. Il a fait observer qu’il n’y avait rien dans l’arrêt Williams donnant à penser qu’un demandeur n’avait même pas à présenter une demande ou à prendre d’autres mesures raisonnables pour acquérir la citoyenneté.

[28]           En l’espèce, le demandeur ne conteste pas le fait qu’il a droit à la citoyenneté, sous le régime de la législation indienne, en raison de sa naissance dans ce pays. De plus, son certificat d’identité indien qui est expiré porte un timbre indiquant [traduction] « Rien ne s’oppose à un retour », et la SPR a fait remarquer que le demandeur avait voyagé en Angleterre, en Italie, en Suisse et à Singapour avant de venir au Canada pour demander l’asile. Le demandeur fait cependant valoir que les fonctionnaires indiens ne reconnaissent pas les droits à la citoyenneté des Tibétains, malgré le cadre juridique en place. S’il demande des documents relatifs à la citoyenneté, tels qu’un passeport, il prétend que sa demande peut être refusée à la discrétion de ces fonctionnaires.

[29]           Je ne peux être d’accord avec le demandeur. L’article 96 de la Loi renvoie clairement aux « pays dont elle a la nationalité », et non aux pays de nationalité où une personne peut faire valoir l’ensemble de ses droits relatifs à la nationalité sans empêchement. La législation indienne est sans équivoque et prévoit que le demandeur est un citoyen de naissance. Deux hautes cours d’état en Inde ont approuvé ce point de vue. Le demandeur ne peut pas alléguer qu’il n’est pas un citoyen indien du fait que certains fonctionnaires puissent faire usage de discrimination à son égard et nier le fait qu’il ait la citoyenneté – peu importe jusqu’à quel point la preuve relative à la discrimination peut être convaincante.

[30]           Si le demandeur demande des documents relatifs à la citoyenneté en Inde, tels qu’un passeport, et qu’ils lui sont refusés, il peut intenter un recours judiciaire semblable à ceux décrits dans la preuve documentaire. Dans l’arrêt Williams, au paragraphe 27, la Cour d’appel a jugé qu’un demandeur devait tenter d’acquérir la citoyenneté dans tout pays sûr où il pouvait la réclamer. Le même principe semblerait s’appliquer à l’exercice de droits conférés par la loi au demandeur, en tant que citoyen, en dépit des efforts d’obstruction déployés par les fonctionnaires. Selon l’admission qu’a faite le demandeur à la SPR, il n’a jamais tenté d’obtenir ou d’exercer les droits relatifs à la citoyenneté indienne. Il pose simplement comme hypothèse qu’il ne sera pas en mesure de le faire, malgré la législation et la jurisprudence en sa faveur. À mon avis, il ne peut demander l’asile au Canada sans faire quelque effort que ce soit pour se réclamer de la nationalité indienne, à laquelle il a droit dans ce pays.

[31]           C’est ici que je dois, avec égards, refuser de suivre Wanchuk. Au paragraphe 10 de cette décision, le juge O’Reilly a exprimé l’avis que le fait d’obtenir la citoyenneté indienne était une « simple possibilité » pour un demandeur se trouvant dans une situation similaire, puisque cela pourrait nécessiter de porter la cause devant les tribunaux. Cela, à mon avis, n’équivaut pas au niveau de « fardeau intolérable » que le juge Russell a décidé d’appliquer dans la décision Hua Ma, à la lumière de la politique relative à l’enfant unique en Chine et d’autres considérations. Et cela n’est pas compatible avec les enseignements de l’arrêt Williams. On s’attend à ce que les demandeurs prennent des mesures raisonnables pour obtenir ou exercer tout droit relatif à la citoyenneté dont ils disposent. Un droit qui est consacré dans la législation et qui a été reconnu par les tribunaux représente plus qu’une « simple possibilité ». Il n’y a rien de déraisonnable dans le fait de s’attendre à ce que le demandeur intente un recours en justice si son pays de nationalité tente de lui nier ses droits.

[32]           Il était loisible à la SAR d’accorder peu de valeur probante à l’affidavit de l’ancien conseil du demandeur et de conclure que l’absence d’un acte de naissance ne nierait pas l’existence de ses droits de citoyen en Inde, compte tenu des autres documents en sa possession, délivrés par le gouvernement, qui établissaient sa date de naissance dans ce pays. Les conclusions de la SAR quant à la nationalité et au droit de revendiquer la citoyenneté en Inde appartenaient, selon la preuve, à l’éventail acceptable de décisions raisonnables.

B.                 La SAR a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité en rejetant la prétention du demandeur à l’encontre de l’Inde, sans lui donner l’occasion de se faire entendre?

[33]           Le demandeur interprète mal l’explication donnée par la SAR pour rejeter sa prétention à l’égard de l’Inde. La SAR n’a pas laissé entendre que le demandeur aurait dû prédire que le ministre interjetterait appel de la conclusion de la SPR selon laquelle il n’était pas un citoyen indien. La SAR a plutôt laissé entendre qu’il aurait dû prévoir que sa citoyenneté serait débattue devant la SPR et, par conséquent, qu’il aurait dû divulguer toute crainte qu’il pouvait avoir à l’égard de l’Inde dans sa demande d’asile initiale. La SAR a aussi pris en défaut le demandeur pour ne pas avoir fourni une preuve ou un argument concernant l’Inde lorsqu’il a répondu à l’appel interjeté par le ministre à l’encontre de la décision de la SPR.

[34]           Le demandeur avait le fardeau d’étayer sa demande. Lorsqu’il a demandé l’asile, le demandeur aurait dû savoir que sa citoyenneté serait mise en cause. Puisqu’il est né en Inde et qu’il y a vécu toute sa vie, il aurait dû prévoir qu’un décideur, que ce soit à la SPR ou à la SAR, pouvait juger qu’il était un citoyen indien. Il avait la responsabilité d’étayer sa demande quant à tous les pays de référence possibles. Puisqu’il n’a pas allégué craindre avec raison d’être persécuté en Inde, il ne peut se plaindre qu’on ne lui ait pas donné l’occasion de se faire entendre sur cette question.

[35]           Dans son mémoire présenté à la SAR, le ministre a clairement contesté la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était pas un citoyen indien. Le demandeur avait ainsi reçu un avis raisonnable que la SAR pouvait infirmer cette conclusion. Pourtant, au lieu d’offrir une preuve ou un argument sur une crainte bien fondée de persécution en Inde, il a simplement demandé, dans son mémoire à la SAR, que celle‑ci renvoie l’affaire à la SPR si elle devait conclure qu’il était un citoyen indien. Il ne peut maintenant se plaindre qu’on lui a refusé l’occasion de présenter une preuve quant à une crainte bien fondée de persécution en Inde. Le juge Zinn a formulé une observation semblable, que j’approuve, dans la décision Lhakyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 235, au paragraphe 9.

[36]           Aucun manquement à l’obligation d’équité ne ressort des faits de la présente affaire. La demande sera donc rejetée.

VI.             Les questions en vue de la certification

[37]           À la fin de l’audience dans la présente affaire, j’ai pris ma décision en délibéré et mentionné aux avocats que je leur donnerais l’occasion d’avancer des observations quant à la certification de questions avant de rendre un jugement, dans le cas où je refuserais de suivre la décision Wanchuk. Les présents motifs seront par conséquent fournis aux parties et feront par ailleurs l’objet d’une diffusion. L’avocat du demandeur disposera de sept jours à compter de la date des présents motifs pour déposer et signifier des observations au sujet de la certification. Par la suite, si l’avocat du demandeur a signifié et déposé de telles observations, l’avocat du défendeur aura sept jours pour signifier et déposer des observations en réponse. Advenant que des observations en réponse soient signifiées et déposées, l’avocat du demandeur aura un délai additionnel de trois jours pour signifier et déposer des observations en réplique. Le jugement sera ensuite rendu.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-67-14

INTITULÉ :

CHIME TRETSETSANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MARS 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 14 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt

POUR LE DEMANDEUR

Tamrat Gebeyehu

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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