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Date : 20150417


Dossiers : IMM-6238-13

IMM-6239-13

Référence : 2015 CF 490

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

Dossier : IMM-6238-13

ENTRE :

ROSA DELIA GONZALEZ TOVAR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-6239-13

ET ENTRE :

ROSA DELIA GONZALEZ TOVAR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La demanderesse (Mme Tovar) vient du Mexique. Elle est entrée au Canada en mai 2007 munie d’un permis de séjour temporaire de trois mois. Peu après son arrivée, elle a présenté une demande d’asile au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) au motif qu’elle craignait d’être exposée à un risque de la part de son ex-petit ami, qui serait toxicomane et alcoolique, si elle devait retourner au Mexique. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté sa demande d’asile le 10 février 2010, et la Cour a rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision le 23 juin 2010.

[2]               Le 28 août 2010, Mme Tovar a épousé un certain M. Navarro, qui avait obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention quelques mois auparavant. En décembre 2010, M. Navarro a demandé la résidence permanente pour lui-même à titre de membre de la catégorie des personnes protégées et pour Mme Tovar à titre de personne à sa charge.

[3]               En avril 2011, Mme Tovar a reçu une trousse de demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qu’elle a remplie et renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada. Elle a déposé les éléments de preuve suivants à l’appui de sa demande d’ERAR : une copie de son certificat de mariage et une lettre adressée à M. Navarro et datée du 7 avril 2011 au sujet du traitement de sa demande de résidence permanente.

[4]               Comme Mme Tovar avait déjà demandé la résidence permanente comme personne à charge, le traitement de sa demande d’ERAR a été suspendu, car il aurait été inutile d’y donner suite si Mme Tovar avait obtenu le droit d’établissement en tant que personne à charge dans le cadre de la demande de M. Navarro.

[5]               Dans une lettre datée du 1er mai 2013, M. Novarro a été informé que sa demande de résidence permanente et celle de Mme Tovar à titre de personne à sa charge avaient été rejetées. Le lendemain, la demande d’ERAR de Mme Tovar a été transmise à un agent d’ERAR pour qu’il rende une décision. Le 26 juin 2013, cette demande a elle aussi été rejetée.

[6]               L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a ensuite été informée de la décision défavorable à l’issue de l’ERAR, et elle a convoqué Mme Tovar à une entrevue avant renvoi. Lors de l’entrevue, qui a eu lieu au bureau de l’ASFC de Montréal le 17 septembre 2013, Mme Tovar a été informée de la décision défavorable de l’ERAR et de son renvoi prévu pour le 15 octobre 2013.

[7]               Au moment de l’entrevue, Mme Tovar n’habitait plus avec M. Navarro depuis longtemps et avait un nouveau conjoint de fait, M. Peralta. Les deux enfants de M. Peralta habitaient avec eux, leur mère étant décédée depuis peu. Le 14 septembre 2013, c’est-à-dire trois jours avant son entrevue avec une agente de l’ASFC, Mme Tovar a présenté une demande de résidence permanente comme membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait. Une copie de sa demande de résidence permanente a été remise à l’agente de l’ASFC à l’appui de ce que Mme Tovar affirme être une demande orale de report de la mesure de renvoi. L’ASFC nie qu’une telle demande a été présentée à l’entrevue ou à tout autre moment.

[8]               Le 8 octobre 2013, la Cour a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi de l’ASFC.

[9]               La demanderesse conteste la décision défavorable rendue par suite de l’ERAR (dossier IMM-6238-13) et la mesure de renvoi de l’ASFC (dossier IMM-6239-13). Elle soutient que l’agent d’ERAR a manqué aux principes d’équité et de justice naturelle et l’a par conséquent privée d’un examen des risques opportun et à jour en évaluant sa demande d’ERAR deux ans après son dépôt sans lui donner l’occasion de la mettre à jour.

[10]           S’agissant de la mesure de renvoi de l’ASFC, Mme Tovar prétend que l’agente de renvoi a manqué aux principes d’équité et de justice naturelle en omettant d’accepter la preuve documentaire qu’elle a présentée à l’appui de sa prétendue demande orale de report. Elle prétend également que l’agente a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte, même de manière limitée, de l’intérêt supérieur des enfants de M. Peralta, qui venaient de perdre leur mère.

[11]           Pour les motifs qui suivent, les deux contestations sont rejetées.

[12]           Comme les deux affaires ont été instruites ensemble, le présent jugement et les motifs qui l’accompagnent sont déposés dans les dossiers IMM-6238-13 et IMM-6239-13.

II.                Questions en litige et norme de contrôle

[13]           La contestation de la décision défavorable rendue à l’égard de l’ERAR et la contestation de la mesure de renvoi soulèvent toutes les deux la question de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Il est bien établi en droit que cette question commande la norme de contrôle de la décision correcte, ce qui signifie qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard du décideur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, [2008] 1 RCS 190; Chekroun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 737, au paragraphe 37, 436 FTR 1; Gonzalez c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CF 153, au paragraphe 46, [2013] ACF no 150 (QL)).

[14]           La contestation de la mesure de renvoi soulève également la question de savoir si l’agente de renvoi a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire. Les décisions prises par les agents de renvoi, qui ne disposent que d’un pouvoir discrétionnaire limité de reporter les mesures de renvoi, doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Gonzalez, précitée, au paragraphe 47; Ortiz c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 18, au paragraphe 39, [2012] ACF n11 (QL); Cortes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 78, aux paragraphes 5 et 6, 308 FTR 69). Cela signifie qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent et que la Cour n’intervient que si la décision de l’agent manque de justification, de transparence et d’intelligibilité ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précitée, au paragraphe 47).

III.             Analyse

A.                Décision défavorable rendue à l’égard de l’ERAR

[15]           Le processus d’ERAR est prévu aux articles 112 et 113 de la Loi. Ces dispositions permettent au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration – ou à son délégué – de décider si une personne visée par une mesure de renvoi est une personne à protéger. Un ERAR est mené lorsqu’un des motifs mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi est invoqué. Une décision favorable de l’ERAR entraîne un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

[16]           Lorsque la demande d’ERAR est présentée par un demandeur d’asile débouté, comme c’est le cas en l’espèce, le droit établit clairement que le processus d’ERAR ne doit pas devenir une voie de recours subsidiaire en matière de demande d’asile. Cela signifie qu’il incombe au demandeur d’ERAR qui a été débouté de sa demande d’asile « de prouver que les conditions de son pays ou ses circonstances personnelles ont changé depuis la décision de la SPR au point que celui-ci, dont la SPR a conclu qu’il n’était pas exposé à un risque, est maintenant exposé à un risque » et que s’il ne s’acquitte pas de ce fardeau « la demande d’ERAR sera ([ou] devrait être) rejetée » (Cupid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 176, au paragraphe 4, [2007] ACF no 244 (QL); voir aussi Ponniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 386, au paragraphe 27, 431 FTR 71; Kaybaki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 32, au paragraphe 11, [2004] ACF no 27 (QL); Nam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1298, au paragraphe 22, [2011] ACF no 1578 (QL)).

[17]           Par conséquent, l’agent d’ERAR ne peut modifier la décision de la SPR et donc remettre en cause la décision défavorable de la SPR que s’il est saisi de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la Loi. Sinon, il n’est pas loisible à l’agent d’ERAR de s’écarter des conclusions de la SPR ni de procéder à une analyse relative à l’article 96 ou 97 (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, aux paragraphes 11 à 13, 370 NR 344).

[18]           En l’espèce, il est clair que la demande d’ERAR de Mme Tovar, telle qu’elle était au moment où elle a été évaluée en juin 2013, était vouée à l’échec, parce que les sections du formulaire de demande d’ERAR réservées aux nouveaux risques n’avaient pas été remplies et que les seuls documents mentionnés à l’appui de la demande étaient le certificat attestant le mariage de Mme Tovar et de M. Navarro et une lettre de Citoyenneté et Immigration Canada au sujet de la demande de résidence permanente de Mme Tovar. Autrement dit, Mme Tovar n’a fait valoir aucun risque et a simplement informé l’agent d’ERAR que sa demande d’établissement à titre de personne à charge d’une personne protégée était en traitement.

[19]           Mme Tovar soutient que le délai de deux ans entre le dépôt et l’évaluation de sa demande d’ERAR lui a causé un préjudice. Elle fait valoir que, compte tenu des circonstances, l’agent d’ERAR avait l’obligation de lui donner l’occasion de mettre à jour sa demande d’ERAR de façon à ce qu’elle puisse se prévaloir d’un ERAR opportun et à jour, comme l’exige la Loi. Mme Tovar affirme que si l’agent d’ERAR lui en avait donné l’occasion, elle l’aurait informé du décès de la mère biologique des enfants de M. Peralta et de la possibilité qu’elle doive retourner au Mexique avec les deux enfants, ce qui aurait pour effet d’augmenter le risque de persécution de la part de son ex-petit ami.

[20]           La proposition de la demanderesse pose un certain nombre de problèmes.

[21]           Premièrement, en principe, l’agent d’ERAR n’a pas l’obligation de chercher à obtenir des renseignements à jour. Comme il est indiqué ci-dessus, il incombe au demandeur d’ERAR de soumettre tous les éléments de preuve pertinents à l’agent d’ERAR. Ainsi, l’agent d’ERAR n’est tenu d’examiner que les éléments de preuve dont il est saisi, et il n’est pas tenu de demander au demandeur d’ERAR de lui fournir une meilleure preuve ou une preuve additionnelle (Ormankaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1089, aux paragraphes 31 et 32, [2010] ACF no 1362 (QL); Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, au paragraphe 22, 256 FTR 53).

[22]           Il incombait donc à Mme Tovar de présenter les renseignements additionnels qu’elle estimait nécessaires à l’appui de sa demande d’ERAR, et il lui était loisible de le faire en tout temps jusqu’à la date de la décision de l’agent d’ERAR (Arumugam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 985, au paragraphe 17, 211 FTR 65; Souici c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 66, aux paragraphes 50 et 51, 308 FTR 111). Elle ne l’a pas fait et doit assumer les conséquences de son inaction.

[23]           Deuxièmement, je suis d’avis qu’il est injuste d’imputer à l’agent d’ERAR, comme le fait Mme Tovar, le délai de deux ans dans le traitement de la demande d’ERAR. Il est vrai que la demande d’ERAR de Mme Tovar a été suspendue en attendant qu’une décision soit prise à l’égard de la demande de résidence permanente de M. Navarro. Toutefois, il n’y a aucune preuve au dossier qui indique que Mme Tovar a informé l’agent d’ERAR que M. Navarro et elle ne vivaient plus comme mari et femme depuis aussi tôt qu’avril 2011 ou qu’elle habitait avec un autre homme depuis mai 2012 et que, par conséquent, elle n’était plus une personne à la charge de M. Navarro aux fins de la demande de résidence permanente qui était alors en cours. Si l’agent d’ERAR en avait été informé, la demande d’ERAR de Mme Tovar aurait probablement été traitée bien plus rapidement. Encore une fois, Mme Tovar doit assumer en grande partie les conséquences de son inaction.

[24]           Troisièmement, le nouveau risque allégué, que Mme Tovar aurait présenté à l’agent d’ERAR si elle en avait eu l’occasion, pose de nombreux problèmes. Comme le défendeur le souligne, la SPR a conclu que Mme Tovar pouvait déménager de façon sécuritaire dans d’autres régions du Mexique où son ex-petit ami ne serait pas en mesure ou n’aurait pas les moyens de la trouver. En outre, il est hautement invraisemblable que M. Peralta permette à Mme Tovar d’emmener ses filles au Mexique si cela augmente le risque de persécution auquel serait exposées non seulement Mme Tovar, mais aussi ses filles. Enfin, et surtout, M. Peralta a signé un affidavit à l’appui de la contestation de la mesure de renvoi de Mme Tovar dans lequel il a déclaré que ses filles demeureraient au Canada avec lui advenant l’expulsion de Mme Tovar. Mme Tovar ne peut pas jouer sur les deux tableaux : elle ne peut pas se servir des enfants comme facteur de risque accru si elle est renvoyée au Mexique tout en se servant de leur présence au Canada pour contester la mesure de renvoi au motif qu’il est dans leur intérêt supérieur qu’elle demeure au Canada.

[25]           Même si Mme Tovar avait eu l’occasion de présenter ce nouveau risque allégué à l’agent d’ERAR, à mon avis, la décision relative à l’ERAR aurait été la même. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, ce nouveau risque est tout simplement sans fondement.

[26]           Mme Tovar se plaint d’avoir été tenue dans l’ignorance de son statut d’immigrant entre avril 2011 et septembre 2013, ce qui l’a privée de l’occasion d’informer l’agent d’ERAR du nouveau risque allégué. Elle prétend avoir été victime des [traduction] « efforts de coordination non transparents » de l’agent d’ERAR et de l’ASFC, car elle a été mise au courant de la décision défavorable de  l’ERAR et de la mesure de renvoi lors de l’entrevue avant renvoi, le 17 septembre 2013.

[27]           Compte tenu des circonstances de l’affaire, ces arguments sont sans fondement. Premièrement, selon la preuve au dossier, Mme Tovar n’aurait pas été avisée de la décision défavorable rendue à l’égard de la demande de résidence permanente de M. Novarro, car seul le demandeur principal – et non les personnes à charge – est informé de la décision. Comme il a déjà été mentionné, Mme Tovar est en grande partie responsable de la situation, car, au moment de déposer sa demande d’ERAR, elle a omis de divulguer qu’elle n’était plus en relation avec M. Navarro et a omis de faire un changement d’adresse officiel lorsqu’elle a quitté la résidence de M. Navarro.

[28]           Deuxièmement, concernant les prétendus [traduction] « efforts de coordination non transparents » consistant à présenter en même temps la décision défavorable de l’ERAR et la mesure de renvoi, il s’agit en fait d’une procédure normale. Selon le guide sur l’exécution de la loi en matière de renvoi, le demandeur d’ERAR est convoqué à une entrevue au bureau de l’ASFC, où il est informé de la décision, qu’elle soit favorable ou défavorable. Lorsque la décision est favorable, on recommande au demandeur de présenter une demande d’établissement dans les 180 jours. Lorsque la décision est défavorable, le demandeur est informé de la date de son renvoi et des avantages de partir volontairement. Quoi qu’il en soit, pour être pertinent, le manquement à l’équité procédurale lié à la décision défavorable rendue à l’égard de l’ERAR doit être survenu au plus tard à la date de la décision. Comme je l’ai déjà mentionné, Mme Tovar n’a pas démontré l’existence d’un tel manquement, car rien ne l’empêchait de présenter de nouveaux éléments de preuve et des observations à l’appui de sa demande d’ERAR et encore moins de demander des renseignements au sujet de l’état de sa demande ou d’informer les autorités concernées qu’elle n’était plus à la charge de M. Navarro.

[29]           Enfin, les arrêts Hassan c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 564, [2004] ACF no 707 (QL) et Varga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 394, [2007] 4 RCF 3 ne sont d’aucune utilité à Mme Tovar. L’arrêt Varga a confirmé que, dans le cadre d’une demande de report, l’intérêt des enfants ne peut être considéré qu’en fonction des conséquences à court terme. Cet arrêt n’a aucune incidence en l’espèce, dans la mesure où il est question de la validité de la décision défavorable de l’ERAR. Pour ce qui est de l’arrêt Hassan, contrairement à la présente affaire, il était question d’un risque apparu entre la date de la décision défavorable de l’ERAR et la date à laquelle la décision a été transmise au demandeur par l’agent de renvoi dans le contexte d’un sursis au renvoi, question qui relève normalement de l’agent de renvoi et non de l’agent d’ERAR.

[30]           Pour tous ces motifs, je conclus que le rejet de la demande d’ERAR de Mme Tovar n’a donné lieu à aucun manquement à l’équité procédurale et, par conséquent, qu’il n’y a pas lieu de modifier la décision de l’agent d’ERAR.

B.                 Mesure de renvoi

[31]           Selon le paragraphe 48(2) de la Loi, les mesures de renvoi doivent être exécutées « dès que possible ». Ainsi, les agents de renvoi disposent d’un pouvoir discrétionnaire limité pour reporter les mesures de renvoi et, lorsqu’ils choisissent d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, ils doivent le faire tout en continuant d’exécuter les mesures de renvoi dès que possible, c’est-à-dire en éliminant les obstacles concrets et temporaires au renvoi (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286, au paragraphe 45, [2012] 2 RCF 133; Griffiths c Canada (Solliciteur général), 2006 CF 127, au paragraphe 19, [2006] ACF no 182 (QL); Mondelus c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 1138, au paragraphe 46, [2011] ACF no 1392 (QL); Uthayakumar c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 998, au paragraphe 7, [2007] ACF no 1318 (QL)).

[32]           Mme Tovar prétend que personne ne lui a expliqué la raison d’être de l’entrevue du 17 septembre 2013 avec l’agente de l’ASFC. Elle soutient que, lorsque l’agente de renvoi l’a informée de la décision défavorable de l’ERAR et de la date de son renvoi, elle a demandé le report de la mesure de renvoi en remettant à l’agente de renvoi une copie de sa nouvelle demande de résidence permanente comme membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait.

[33]           L’agente de renvoi aurait jeté un coup d’œil rapide à la nouvelle demande de résidence permanente avant de la remettre à Mme Tovar. Cette dernière affirme que, ce faisant, l’agente de renvoi n’a pas tenu compte de sa situation particulière ni de l’intérêt supérieur des deux enfants de M. Peralta, entravant ainsi l’exercice de son pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 48 de la Loi. Elle ajoute que le décès de la mère biologique des deux filles survenu seulement deux mois avant l’entrevue était une circonstance particulière dont il aurait fallu tenir compte. Les autres documents remis à l’agente de renvoi lors de l’entrevue comprenaient le certificat de décès de la mère biologique des deux enfants, le contrat de location qui établit que la famille reconstituée habite sous le même toit et des photos pour établir l’authenticité de la relation entre les filles et Mme Tovar.

[34]           Mme Tovar aurait demandé que l’exécution de la mesure de renvoi soit reportée jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de sa nouvelle demande de résidence.

[35]           Le défendeur, à savoir le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, fait valoir que Mme Tovar n’a jamais demandé le report de la mesure de renvoi et que notre Cour n’a donc aucune décision à examiner. Il soutient que lorsqu’elle a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, la Cour n’avait pas à sa disposition l’affidavit de l’agente de renvoi, qui était la seule à pouvoir réfuter les déclarations de Mme Tovar, mais qui n’était toutefois pas en mesure de signer un affidavit à ce moment-là.

[36]           La Cour a donc la tâche difficile de choisir entre deux versions incompatibles de ce qui s’est passé le 17 septembre 2013. Dans l’affidavit qu’elle a signé le 21 novembre 2013, l’agente de renvoi a indiqué que jamais pendant l’entrevue Mme Tovar n’avait demandé que son renvoi soit reporté, que le contenu de sa demande de résidence permanente en tant que conjointe de fait soit examiné ou que ces documents soient conservés. Elle a également affirmé que jamais pendant l’entrevue Mme Tovar n’avait indiqué qu’elle envisageait le report pour des motifs liés à l’intérêt supérieur des enfants, mais elle a admis que Mme Tovar avait mentionné que son conjoint de fait avait deux enfants qui habitaient avec eux.

[37]           L’agente de renvoi a également affirmé que jamais pendant l’entrevue Mme Tovar n’avait indiqué qu’il existait des raisons pour lesquelles elle craignait maintenant d’être renvoyée au Mexique.

[38]           L’agente de renvoi a joint ses notes d’entrevue à son affidavit et a souligné que si la demanderesse avait demandé le report de la mesure de renvoi lors de l’entrevue ou exprimé sa crainte de retourner au Mexique, elle l’aurait consigné dans ses notes.

[39]           Les deux affidavits contradictoires ont été signés à un mois d’intervalle, et ils datent tous deux de la même période que l’entrevue avant renvoi. Dans Charles c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1096, [2012] ACF n1236 (QL), le juge David G. Near, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, était confronté à une preuve contradictoire similaire, et il a préféré l’affidavit de l’agent de renvoi. Un des principaux facteurs de sa décision était le fait qu’une demande de report d’une mesure de renvoi est un aspect important qui ne manquerait pas de retenir l’attention d’un agent de renvoi au courant de la procédure de renvoi et qui serait donc normalement inscrite dans les notes consignées dans le système (Charles, précitée, aux paragraphes 21 et 22).

[40]           En l’espèce, l’agente de renvoi a indiqué dans son affidavit qu’elle a examiné les documents relatifs à la demande de résidence permanente de Mme Tovar dans le but de déterminer si celle-ci avait droit à un report administratif de 60 jours sous le régime du paragraphe 25(1) de la Loi, qui concerne les demandes de résidence permanente présentées à l’intérieur du pays pour des motifs d’ordre humanitaire. Elle a conclu que Mme Tovar n’avait pas droit au report administratif, a expliqué pourquoi et a remis les documents à Mme Tovar.

[41]           L’affidavit de l’agente de renvoi n’explique pas pourquoi Mme Tovar lui a remis les documents relatifs à la demande de résidence permanente. Dans ses notes, l’agente de renvoi a indiqué : « cliente ne parle pas et ne pose aucune question ».

[42]           Dans ce contexte et compte tenu du fait que je n’ai pas eu l’avantage d’entendre les contre-interrogatoires sur affidavit, je suis enclin à préférer la version des faits présentée par l’agente de renvoi, d’autant plus que Mme Tovar n’a pas été tout à fait franche en omettant de divulguer qu’elle n’habitait plus avec M. Navarro pendant que la demande de résidence permanente de ce dernier et la sienne comme personne à charge étaient encore en traitement. Il incombait à Mme Tovar d’établir qu’elle avait présenté une demande orale de report ou du moins une demande de la nature de celle qu’elle prétend maintenant avoir présentée. Mme Tovar ne s’est pas acquittée de ce fardeau. Par conséquent, comme le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile le fait valoir, il n’y a aucune décision à examiner dans le dossier IMM-6239-13.

[43]           Quoi qu’il en soit, l’omission de la part de Mme Tovar de demander que la mesure de renvoi soit annulée est susceptible d’avoir très peu d’effets pratiques, car une nouvelle date de renvoi devra être fixée, ce qui donnera à Mme Tovar la possibilité de présenter une nouvelle demande de report. Cette absence d’effets pratiques a mené certains membres de la Cour à remettre en question la pertinence de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour en faveur de l’examen des mesures de renvoi lorsqu’il a été sursis au renvoi (Palka c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 342, 71 Imm LR (4e) 239; Higgins c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 377, 64 Imm LR (3e) 98; Vu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1109, [2007] ACF no 1431 (QL); Surujdeo c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 76, [2008] ACF n1431 (QL); Madani c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 1168, 66 Imm LR (3e) 156; Maruthalingam c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 823, 63 Imm LR (3e) 242; Solmaz c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 607, [2007] ACF n819 (QL); Kovacs c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 1247, 68 Imm LR (3e) 218; Amsterdam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 244, [2008] ACF no 303 (QL)).

[44]           Quoi qu’il en soit, je conclus que Mme Tovar n’a pas établi qu’elle avait présenté une demande orale de report. Par conséquent, sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la mesure de renvoi est rejetée.

C.                Question proposée aux fins de certification

[45]           Mme Tovar propose la question suivante aux fins de certification :

L’agent d’ERAR qui effectue un examen sous le régime de l’alinéa 113c) du RIPR agit-il conformément à son mandat lorsqu’il décide de suspendre l’examen des risques en attendant qu’une décision soit rendue à l’égard de la demande de résidence permanente?

a.  L’agent d’ERAR a-t-il une obligation d’équité envers le ressortissant étranger et est-il tenu :

i. de l’informer du fait que l’examen des risques est suspendu en attendant qu’une décision soit prise à l’égard de la demande de résidence permanente;

ii. de l’informer de la décision de l’agent de reprendre l’examen des risques?

b. L’omission de la part de l’agent d’ERAR d’informer le ressortissant étranger que l’examen des risques est suspendu en attendant qu’une décision soit rendue à l’égard de la demande de résidence permanente ou de l’informer de la décision de l’agent de reprendre l’examen des risques constitue-t-elle un manquement aux principes d’équité?

[46]           Le critère de la certification consiste à déterminer s’il y a une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel et qui transcende l’intérêt des parties au litige (Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CAF 89, au paragraphe 11, 318 NR 365; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigratio) c Liyanagamage (1994), 176 NR 4, au paragraphe 4, [1994] ACF n1637 (QL)).

[47]           Mme Tovar fait valoir que, puisque la décision de suspendre sa demande d’ERAR n’était pas fondée sur la détermination des risques comme tels, mais plutôt sur l’issue d’une demande de résidence permanente distincte, il est important de savoir si l’agent d’ERAR a commis une erreur de droit.

[48]           Dans le dossier IMM-6238-13, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration s’est opposé à la demande de Mme Tovar, notamment au motif que les questions proposées par Mme Tovar ne permettraient pas de régler l’appel. Je suis d’accord. Comme le souligne le défendeur, même si la Cour concluait que l’agent d’ERAR avait une obligation quelconque d’informer Mme Tovar du fait que sa demande d’ERAR avait été suspendue, l’issue de la demande aurait été la même, car l’allégation de Mme Tovar au sujet de l’apparition d’un nouveau risque n’avait aucun fondement dans les circonstances particulières de l’espèce.

[49]           La présente question est très factuelle; par conséquent, elle ne se prête pas à la certification.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  Les demandes de contrôle judiciaire présentées dans les dossiers IMM-6238-13 et IMM-6239-13 sont rejetées.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

3.                  Une copie du présent jugement et des motifs qui l’accompagnent sera versée dans les dossiers IMM-6238-13 et IMM-6239-13.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B. B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6238-13

INTITULÉ :

ROSA DELIA GONZALEZ TOVAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET DOSSIER :

IMM-6239-13

INTITULÉ :

ROSA DELIA GONZALEZ TOVAR c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 OCTOBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 17 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Alvaro J. Carol

POUR LA DEMANDERESSE

(IMM-6238-13 et IMM-6239-13)

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

(imm-6238-13 et IMM-6239-13)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alvaro J. Carol

Avocat

Markham (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

(IMM-6238-13 et IMM-6239-13)

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

(IMM-6238-13 et IMM-6239-13)

 

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