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Date : 20150414


Dossier : T-1472-13

Référence : 2015 CF 458

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 14 avril 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

SHIRE CANADA INC.

demanderesse

et

COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

SHIRE LLC

brevetée/défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Le contexte

[1]               La Cour est saisie d’une requête présentée par la demanderesse Shire Canada Inc. (Shire), par laquelle elle interjette appel de l’ordonnance de la protonotaire Tabib datée du 9 octobre 2014 (l’ordonnance de la protonotaire Tabib), laquelle rejetait la requête en radiation, présentée par Shire, qui visait la radiation de certains éléments de preuve par affidavit produits par la défenderesse, Cobalt Pharmaceuticals Company (Cobalt), dans la demande en l’espèce, conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (DORS/93-133) (le Règlement AC). Plus précisément, Shire cherchait à faire radier l’affidavit de Michael Stewart et certaines parties de l’affidavit de Peter Rue. Subsidiairement, Shire cherchait à produire un élément de preuve supplémentaire, soit un affidavit en réponse souscrit par James Polli.

II.                La norme de contrôle applicable

[2]               Cobalt prétend et Shire reconnaît aux paragraphes 30 et 31 de ses observations écrites à l’appui de la présente requête en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à l’égard d’une décision rendue en vertu du pouvoir discrétionnaire d’une protonotaire, que celles‑ci ne devraient pas être modifiées, à moins que a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, ou b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits: Merck & Co. Inc. c Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19. Il n’est pas contesté que les questions soulevées dans le cadre de la présente requête sont cruciales quant à l’issue du principal dans la présente instance. Par conséquent, la présente requête doit être tranchée en fonction de la question de savoir si l’ordonnance de la protonotaire Tabib est entachée d’une erreur flagrante.

[3]               Lors de l’instruction de la présente requête, Shire s’est éloigné de ses représentations écrites et elle a prétendu qu’une norme de contrôle plus stricte devrait être appliquée en l’espèce, parce que, en plus d’entendre la présente requête, je serai le juge qui instruira la demande en l’espèce sur le fond. Shire n’a invoqué aucun précédent à l’appui d’une telle exception aux critères bien établis relativement à l’appel interjeté à l’égard de la décision d’un protonotaire. Je ne souscris pas à l’argument de Shire à cet égard, parce qu’il y a de nombreux motifs pour faire preuve de déférence à l’endroit des décisions des protonotaires, dont certains ne sont pas liés à la question de savoir si le juge qui instruit l’appel est aussi celui qui juge l’affaire sur le fond.

III.             Le droit applicable

[4]               Les parties semblent s’entendre quant au fait que la question de savoir s’il convient de radier la preuve en question doit être tranchée conformément à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 CPR (4th) 272 (AB Hassle). Dans cet arrêt, la Cour a fait remarquer que la nature des instances au titre du Règlement AC nécessite que l’avis d’allégation (AA) communiqué par la « seconde personne » avant le début de l’instance soulève tous les arguments factuels et juridiques sur lesquels elle se fonde à l’appui de ses allégations. Comme l’a déclaré le juge Hughes dans la décision Bayer Inc. c Cobalt Pharmaceuticals Company, 2013 CF 1061, au paragraphe 34, la seconde personne « ne peut formuler de nouveaux arguments ou soulever de nouvelles allégations ou de nouveaux faits ou de nouveaux documents relatifs à l’antériorité qui ne se trouvaient pas dans son avis d’allégation ». Cependant, les parties semblent s’entendre quant au fait que cette interdiction n’empêche pas une seconde personne de répondre à la preuve produite et aux questions soulevées par la première personne.

[5]               Cependant, la requête en l’espèce doit être tranchée, du moins en partie, sous l’angle de la question de savoir si la preuve présentée par Cobalt et qui est contestée en l’espèce soulève de nouvelles allégations ou de nouveaux faits, ou si elle ne fait que répondre à la preuve produite par Shire.

IV.             L’ordonnance de la protonotaire Tabib

[6]               La protonotaire Tabib a conclu que l’affidavit de M. Stewart pouvait constituer une réponse à l’affidavit de Cobalt souscrit par Beth Burnsideet que Shire n’avait subi aucun préjudice en laissant le juge du fond examiner l’admissibilité de la preuve. La protonotaire Tabib a rejeté l’argument de Shire selon lequel l’affidavit de M. Stewart avait été produit à l’appui d’un nouveau motif d’invalidité dans l’instance liée au brevet canadien n2,348,090 (le brevet 090).

[7]               La protonotaire Tabib a conclu la même chose en ce qui concerne l’affidavit de M. Rue : les parties de l’affidavit faisant l’objet du différend ne concernaient pas un nouvel argument portant que le brevet 090 avait été inscrit de manière irrégulière.

[8]               Par conséquent, la protonotaire Tabib a refusé de radier les éléments de preuve en question. Elle a aussi refusé d’accorder à Shire la possibilité de déposer un élément de preuve en réponse, puisque celui‑ci se rapportait au nouvel argument quant à la prétendue irrégularité de l’inscription.

V.                Analyse

[9]               La présente requête porte donc essentiellement sur la question de savoir si la protonotaire Tabib a commis une erreur flagrante lorsqu’elle a statué que :

  1. l’affidavit de M. Stewart pouvait constituer une réponse à l’affidavit de la Dre Burnsideet qu’il ne soulevait pas par ailleurs de nouveaux arguments factuels ou juridiques;
  2. les parties de l’affidavit de M. Rue en cause ne soulevaient pas de nouveaux arguments factuels ou juridiques;
  3. la preuve en réponse proposée traite seulement d’une question qui n’est pas en litige.

A.                Affidavit de M. Stewart

[10]           M. Stewart est un agent de brevet accrédité au Canada et aux États‑Unis. Son affidavit met en preuve l’historique du dossier du brevet 090, ainsi qu’un certain nombre de brevets américains connexes aux brevets 090, y compris leur historique, au sujet desquels M. Stewart fait aussi des commentaires.

[11]           Shire prétend que la protonotaire Tabib a commis une erreur flagrante lorsqu’elle a statué que l’affidavit de M. Stewart pouvait constituer une réponse à l’affidavit de la Dre Burnside. Elle fait remarquer, à juste titre, que l’affidavit de M. Stewart ne fait pas mention de l’affidavit de la Dre Burnside, et que M. Stewart n’a même pas eu connaissance de l’affidavit de la Dre Burnside. Dans la même veine, Shire relève correctement que l’AA de Cobalt ne fait pas mention des documents joints à l’affidavit de M. Stewart.

[12]           Cobalt prétend que l’affidavit de M. Stewart est recevable en preuve, et ce, pour un bon nombre de motifs. L’un de ces motifs est le fait que l’affidavit de la Dre Burnsiderenvoie aux corrections effectuées au brevet 090, aux brevets américains « correspondants » ainsi qu’aux diverses corrections apportées à ces derniers, sans toutefois produire les documents sous‑jacents. Cobalt prétend qu’il est approprié de produire en preuve les documents et les faits en bonne et due forme et que ces documents et faits sont pertinents, et ce, pour un certain nombre de motifs. La plupart des renseignements que Cobalt cherche à garder en preuve se rapportent à l’image 7 du brevet 090, laquelle, compte tenu de la position adoptée par Shire dans la présente instance, est devenue cruciale à l’égard de l’invention réclamée par le brevet 090. Cobalt souhaite établir que l’image 7 a été introduite après la date de priorité alléguée, ce qui pourrait avoir une incidence sur la date de certaines revendications, et donc, sur l’opposabilité de certaines antériorités invoquées. Cobalt souhaite aussi démontrer qu’il n’était pas nécessaire de rédiger des revendications en lien avec l’image 7, ce qui appuierait son allégation selon laquelle le brevet 090 viole le paragraphe 86(1) des Règles sur les brevets, DORS/96-423. De plus, l’image 7 est pertinente quant à l’argument de Cobalt au sujet de l’ambiguïté évitable. De surcroît, Cobalt souhaite établir que l’axe des Y à l’image 7 mesure un énantiomère simple d’amphétamine, plutôt que la quantité totale d’amphétamine, ce qui peut être pertinent quant à la question de la contrefaçon. Sans me prononcer quant à la question de savoir si ses divers arguments sont fondés, je ne suis pas disposé à conclure que la protonotaire Tabib a commis une erreur flagrante lorsqu’elle a conclu que l’affidavit de M. Stewart pouvait constituer une réponse à l’affidavit de la Dre Burnside. Je ne suis pas non plus disposé, à titre de juge qui instruira la demande sur le fond, à rendre une décision différente à ce stade‑ci.

[13]           Shire prétend qu’il est bien reconnu au Canada que les revendications doivent être interprétées sans renvoi à la preuve extrinsèque, comme les antécédents en matière de litiges concernant le brevet 090 ou de brevets connexes à l’étranger, et que les antécédents des dossiers en question ne sont pas pertinents. Cobalt réplique que, selon la jurisprudence récente, il existe un doute quant à la question de savoir si l’interdiction à l’encontre de la preuve extrinsèque est de portée aussi étendue que ce que prétend Shire. Cobalt prétend qu’on devrait lui permettre d’explorer cet argument et de produire les éléments de preuve nécessaire à l’appui de sa thèse. Encore une fois, sans trancher la question de savoir si la thèse de Cobalt à cet égard est fondée, je suis d’avis qu’on devrait lui permettre de présenter cet argument.

[14]           Shire fait remarquer que M. Stewart, à titre d’agent de brevet, n’a pas d’expertise concernant la manière avec laquelle les revendications en l’espèce devraient être interprétées, et elle prétend, pour ce motif que son témoignage devrait être radié. Bien que je reconnaisse la portée limitée de l’expertise de M. Stewart, je suis d’avis que cela relève davantage du poids à accorder à son témoignage plutôt qu’à sa recevabilité.

[15]           En dernier lieu, Shire renvoie à la règle dégagée dans l’arrêt Browne c Dunn (1893), 6 R 67 (Ch.L.), pour prétendre que l’affidavit de M. Stewart est irrecevable en réponse à l’affidavit de la Dre Burnside, puisqu’il n’a pas été porté à l’attention de la Dre Burnsideau cours de son contre‑interrogatoire. Je ne suis pas convaincu que cette règle s’applique en l’espèce. Après avoir entendu Shire à cet égard, je ne comprends pas quels aspects de l’affidavit de M. Stewart auraient dû être portés à la connaissance de la Dre Burnsideet quel type de précisions elle aurait pu offrir si ces aspects de l’affidavit de M. Stewart lui avaient été présentés.

B.                 L’affidavit de M. Rue

[16]           Shire prétend que les parties contestées de l’affidavit de M. Rue font valoir que son produit breveté, soit l’Adderall XR, ne relève pas de la portée de la revendication 22 du brevet 090. Puisqu’elle n’avait pas fait valoir cette prétention auparavant, Shire prétend que cela consiste en un nouvel argument, et possiblement, un argument quant à l’inscription incorrecte. Shire prétend que les parties contestées devraient être radiées.

[17]           Après avoir relu les parties contestées, je suis convaincu qu’elles n’ont pas pour objet de faire valoir que l’Adderall XR ne fait effectivement pas partie de la portée de la revendication 22. Elles font plutôt partie d’un argument portant que l’interprétation de la revendication dans l’affidavit de M. James Polli ne devrait pas être retenue, parce qu’elle conduit à la conclusion selon laquelle l’Adderall XR ne fait pas partie de la portée de la revendication 22.

[18]           Compte tenu de ce qui précède, ainsi que de la mention expresse de Cobalt selon laquelle l’inscription incorrecte n’est pas en cause, je ne suis pas disposé à conclure que la protonotaire Tabib a commis une erreur flagrante en refusant de radier les parties contestées de l’affidavit de M. Rue.

C.                 La preuve en réponse

[19]           Compte tenu de ma conclusion concernant l’affidavit de M. Rue, il s’ensuit que la protonotaire Tabib n’a pas commis une erreur flagrante lorsqu’elle a conclu que la preuve proposée en réplique n’était pas nécessaire, ni pertinente. La pronotonotaire n’a pas commis une erreur en ne procédant pas à l’examen selon le critère à quatre volets dégagés dans la décision Merck‑Frosst c Canada (Santé), 2009 CF 914, au paragraphe 10.

VI.             Conclusion

[20]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, j’ai conclu que la protonotaire Tabib n’a pas commis d’erreur dans son ordonnance, et que la présente requête devrait être rejetée, avec dépens. Parce que le temps manquait au cours de l’audition de la requête en l’espèce, j’ai accepté de permettre aux parties de présenter des observations écrites quant aux dépens après la publication de la présente décision.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente requête est rejetée.
  2. Cobalt recouvrera auprès de Shire les dépens afférents à la présente requête. Le montant sera déterminé après réception des observations des parties :
    1. Cobalt peut produire des observations écrites d’au plus trois (3) pages dans la semaine suivant la date de la présente ordonnance;
    2. Shire peut produire des observations écrites d’au plus trois (3) pages dans la semaine suivant la présentation, par Cobalt, de ses observations écrites;
    3. Cobalt peut produire des observations écrites en réplique d’au plus deux (2) pages, dans les quatre jours suivant la présentation, par Shire, de ses observations écrites.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1472-13

 

INTITULÉ :

SHIRE CANADA INC. c COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET SHIRE LLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

2 AVRIL 2015

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

lE JUGE LOCKE

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 14 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Jay Zakaïb

Adam Heckman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kavita Ramamoorthy

Thomas  Wong

 

POUR LA DÉFENDERESSE

COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLINGS

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

DEETH WILLIAMS WALL

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

COBALT PHARMACEUTICALS COMPANY

 

 

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