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Date : 20150420


Dossier : IMM-545-14

Référence : 2015 CF 496

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

MIROSLAV SKORIC

MARIJANA MEDIC SKORIC

PETAR SKORIC

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs sont une famille de parents croates et de deux enfants dont l’un est né au Canada. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de refus de rouvrir leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la Cour a conclu que la demande devrait être rejetée.

I.                   Le contexte

[2]               La demande pour motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs était fondée sur leur établissement au Canada et sur l’intérêt supérieur des deux enfants. Les demandeurs se sont aussi fondés sur les difficultés auxquelles ils seraient exposés en Croatie, parce que M. Skoric est d’origine ethnique rom, et que les deux parents sont d’origine serbe.

[3]               Un agent d’immigration a refusé d’accorder une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire aux demandeurs; l’agent a conclu que l’établissement de la famille au Canada était limité. L’agent a aussi conclu que, au-delà de l’affirmation générale que leur situation serait meilleure au Canada qu’en Croatie, aucun renseignement n’a été fourni relativement à l’intérêt supérieur des enfants.

[4]               L’agent a aussi relevé que la Section de la protection des réfugiés n’a pas cru que M. Skoric était d’origine ethnique rom. Leur demande a été rejetée au motif de la crédibilité, et la Cour a confirmé la décision de la Commission lors du contrôle judiciaire.

[5]               Étant donné que les demandeurs n’ont pas fourni de renseignements supplémentaires à l’agent d’immigration quant à l’origine ethnique rom de M. Skoric, l’agent n’y a pas accordé de poids en tant que facteur d’appréciation des difficultés. L’agent d’immigration a accordé peu de poids à l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils seraient exposés à des [TRADUCTION] « problèmes » en Croatie, en raison de leur origine serbe, car ils n’ont pas expliqué en quoi consistaient ces « problèmes ».

[6]               Les demandeurs n’ont pas sollicité le contrôle judiciaire de la première décision de l’agent relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, ils ont produit des observations supplémentaires à l’appui de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, après que la décision fut rendue, mais avant qu’ils aient reçu signification de celle-ci. Ces observations incluaient des bordereaux de paye relatifs à l’emploi de M. Skoric, plusieurs lettres d’appui de membres de la famille et d’amis au Canada, et de nombreux articles de journaux sur le conflit ethnique et les conditions économiques en Croatie.

[7]               L’agent d’immigration a traité ces observations supplémentaires comme une demande de réouverture de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, après avoir examiné les observations, l’agent a décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de rouvrir la demande; l’agent a relevé que les observations consistaient en grande partie en des déclarations générales de l’avocat plutôt qu’en des renseignements nouveaux et utiles. L’agent a aussi conclu que les articles de journaux ne semblaient pas être liés à la situation personnelle des demandeurs, de façon importante ou pertinente.

[8]               L’agent a accepté que les lettres d’appui fussent [traduction] « plus utiles », et que certaines lettres fissent référence aux problèmes économiques en Croatie, bien qu’elles ne traitent pas les autres facteurs liés aux difficultés sur lesquels les demandeurs se sont fondés. L’agent a aussi accepté que beaucoup de personnes eussent une haute estime des demandeurs. Toutefois, l’agent n’était pas convaincu que les renseignements supplémentaires justifiaient la réouverture de sa décision antérieure. Le refus de l’agent de rouvrir la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présenté par les demandeurs fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.                Analyse

[9]               Les demandeurs affirment que l’agent n’a pas suffisamment motivé son refus de rouvrir leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et que l’agent a omis de tenir compte des difficultés auxquelles ils seraient exposés en Croatie en tant que personnes d’origine serbe. Les demandeurs soutiennent en outre que, l’appréciation faite par l’agent de l’intérêt supérieur de leurs enfants n’était pas adéquate, et que [traduction] « l’attitude dédaigneuse » et « méprisante » de l’agent équivaut à une crainte raisonnable de partialité.

A.                La partialité

[10]           Une allégation de partialité réelle ou de crainte de partialité soulève une question d’équité procédurale. Par conséquent, la Cour doit déterminer si le processus que le décideur a suivi correspondait au degré d’équité qui est exigé dans la totalité des circonstances : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43.

[11]           Le critère de la partialité réelle ou de la crainte de partialité est bien connu : la Cour doit examiner à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. C’est-à-dire, croirait-elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste : Justice and Liberty c Canada (l’Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, 68 DLR (3d) 716, à la page 386.

[12]           Les demandeurs n’ont pas satisfait à ce critère. Les observations supplémentaires produites par les demandeurs à l’appui de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire étaient succinctes, très générales, et similaires en grande partie aux premières observations qu’ils ont présentées. Par conséquent, il n’était guère surprenant que l’agent d’immigration ait balayé ces observations du revers de la main, et les demandeurs n’ont pas convaincu la Cour qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité à cet égard.

B.                 Le caractère suffisant des motifs

[13]           Les demandeurs se fondent sur de nombreuses décisions, notamment la décision que j’ai rendue dans Adu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, [2005] ACF no 693, à l’appui de leur affirmation que les motifs rendus par l’agent pour justifier le refus de rouvrir leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants. Toutefois, comme je l’ai fait remarquer au paragraphe 4 de la décision Ayanru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1017, [2013] ACF no 1113, en ce qui concerne le caractère suffisant des motifs des décisions des tribunaux administratifs, le droit applicable a grandement évolué depuis l’époque où la décision Adu a été rendue, tant pour ce qui est du niveau de détail de l’analyse sur laquelle devraient se baser les décisions reposant sur des faits et les décisions discrétionnaires, comme celle qui nous intéresse en l’espèce, que pour ce qui est du caractère suffisant des motifs en tant que raison justifiant à elle seule le contrôle judiciaire.

[14]           En effet, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême a décidé que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de faire droit à une demande de contrôle judiciaire. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient complets ni qu’ils visent tous les éléments de preuve ou les arguments avancés par l’une des parties. Au contraire, ils doivent être lus comme un tout, en corrélation avec le dossier, dans le but de décider si les motifs offrent la justification, la transparence et l’intelligibilité requise d’une décision raisonnable et si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[15]           En l’espèce, la décision de réexamen de l’agent explique clairement la raison pour laquelle celui-ci a décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur des demandeurs. Par conséquent, il n’y a pas de bien‑fondé à l’argument selon lequel les motifs de l’agent n’étaient pas suffisants.

C.                 Le caractère raisonnable de la décision de l’agent

[16]           Dans l’arrêt Kurukkal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 230, 324 D.L.R. (4th) 292, la Cour d’appel fédérale a décidé que les agents d’immigration ont en réalité un pouvoir discrétionnaire de réexaminer les décisions pour motif d’ordre humanitaire fondées sur de nouveaux renseignements. Un examen de la décision de l’agent rendue le 7 janvier 2014 révèle que l’agent savait qu’il disposait de ce pouvoir discrétionnaire et qu’il a tenu compte des observations supplémentaires des demandeurs.

[17]           Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas pris en compte l’intérêt supérieur de leurs enfants. Toutefois, leur deuxième ensemble d’observations répète simplement l’affirmation de leurs premières observations selon laquelle les enfants auraient une meilleure situation au Canada. Les agents sont réputés savoir qu’un enfant aura généralement une vie meilleure au Canada : Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 CF 555, au paragraphe 5. Les demandeurs n’ont dirigé la Cour vers aucun élément important dans les lettres d’appui relatives à l’intérêt supérieur des enfants qui exigerait un examen express de l’agent.

[18]           En outre, l’agent savait que les demandeurs avaient allégué qu’ils seraient exposés à des [TRADUCTION] « problèmes » en Croatie, en raison de leur origine serbe, mais il a accordé peu de poids à cette allégation, étant donné que les demandeurs n’ont pas expliqué quels étaient les « problèmes » auxquels ils seraient exposés en Croatie. Les demandeurs ont inclus des articles de journaux faisant référence aux tensions ethniques en Croatie dans leurs observations supplémentaires, mais encore une fois, ils n’ont pas expliqué comment les articles étaient reliés à leur situation personnelle. Les demandeurs n’ont pas non plus expliqué comment ils seraient identifiés comme étant des personnes d’origine serbe. Dans de telles circonstances, il était raisonnable que l’agent conclût que les articles de journaux ne justifiaient pas la réouverture de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs.

 

III.             Dispositif

[19]           Les demandeurs semblent être des personnes travaillantes qui veulent bâtir une vie meilleure pour eux et pour leurs enfants ici au Canada. Bien que la Cour soit sensible à leur situation, la sensibilité n’est pas un fondement permettant d’annuler une décision discrétionnaire telle que celle qui est en cause en l’espèce. Une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est exceptionnelle et l’agent a raisonnablement conclu que l’affaire des demandeurs n’était pas exceptionnelle. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-545-14

 

INTITULÉ :

MIROSLAV SKORIC MARIJANA MEDIC SKORIC PETAR SKORIC

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 avril 2015

 

Jugement et motifs :

La juge MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 20 avril 2015

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

Pour les demandeurs

 

Marina Stefanovic

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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