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Date : 20150415


Dossier : T-1170-14

Référence : 2015 CF 466

Montréal (Québec), le 15 avril 2015

En présence de monsieur le juge Noël

 

ENTRE :

PHILIPPE BEAUREGARD

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Monsieur Philippe Beauregard, le demandeur, présente une requête selon la Règle 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] dans le but d’annuler la décision du protonotaire Richard Morneau [le protonotaire], datée du 7 janvier 2015. La décision en question rejette la demande de contrôle judiciaire pour cause de retard.

II.                Faits

[2]               Le demandeur est un agent du Service de police de Lévis qui prenait part au cours sur l’identité judiciaire du Collège canadien de police [CCP].

[3]               Une enquête administrative a été tenue par des agents de police de la Gendarmerie royale du Canada suite à des allégations d’infraction au Code de conduite du CCP portée à l’égard du demandeur au mois d’août 2013.

[4]               Le 20 août 2013, à l’issue de l’enquête, il a été déterminé que le demandeur avait contrevenu au Code de conduite. Il a également été décidé que le demandeur serait par conséquent renvoyé.

[5]               Une lettre de renvoi a été remise au demandeur le 30 août 2013.

[6]               Le demandeur porte cette décision en appel. Le CCP a reçu une lettre d’avocat le 23 septembre 2013 demandant que le demandeur soit réadmis au programme d’identité judiciaire.

[7]               Le 9 avril 2014, en réponse à cette lettre, le directeur général du Collège canadien de police [le directeur] répond que le demandeur a fait l’objet d’une enquête où il avait été déterminé qu’il avait contrevenu au Code de conduite. La sanction imposée, soit le renvoi, n’a pas lieu d’être modifiée. Le directeur a également précisé que si une enquête approfondie est nécessaire, elle serait menée par le Service de police de Lévis étant donné que le CCP n’exerce aucun pouvoir légal sur le demandeur. Le demandeur porte cette décision en contrôle judiciaire devant la Cour.

[8]               Une demande de contrôle judiciaire fut déposée le 9 mai 2014 et un affidavit du  demandeur avec pièces à l’appui suivit le 9 juin 2014 et aucun dossier du demandeur selon la Règle 309 des Règles ne fut déposé par la suite. Le défendeur déposera son affidavit avec pièces à l’appui le 23 septembre 2014.

[9]               Étant donné que 180 jours se sont écoulés depuis le dépôt de la demande de contrôle judiciaire, un avis d’examen de l’état de l’instance fut émis sous la signature du juge Harrington le 27 novembre 2014. Cet avis d’examen précise que dans les 15 jours, le demandeur devra déposer ses prétentions qui « […] doivent notamment comprendre une justification du retard et un projet d’échéancier indiquant les mesures nécessaires pour faire avancer l’instance de façon expéditive ». On y ajoute que le défendeur aura sept (7) jours pour y répondre.

[10]           Le demandeur soumet ses prétentions le 11 décembre 2014. Le défendeur soumet ses prétentions le 17 décembre 2014. Le demandeur soumet une réplique le 23 décembre 2014.

[11]           Le tout est confié au protonotaire qui rend une ordonnance le 7 janvier 2015 concluant que la demande de contrôle judiciaire est rejetée pour cause de retard. Ceci est l’ordonnance en appel.

III.             Décision contestée

[12]           Monsieur le protonotaire Morneau, tenant compte des représentations en chef et en réplique du procureur du demandeur a conclu que les prétentions du défendeur devaient prévaloir. Il a ajouté que ce n’est qu’en réplique que le demandeur a cherché à établir qu’il remplissait les critères de l’affaire Baroud c Canada, [1998] ACF no 1729, 160 FTR 91 [Baroud] cités par le défendeur. Ceci n’est pas, pour le protonotaire, justifiable, et en conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée pour cause de retard.

IV.             Prétentions des parties

[13]           L’avocat du demandeur affirme, dans ses prétentions écrites datées du 11 décembre 2014, que le non-respect du délai de 180 jours est dû à sa faute et non de la faute de son client, l’agent Beauregard. Il avance que son client ne devrait pas être pénalisé par son erreur. Il soutient que le protonotaire n’a pas tenu compte de l’échéancier soumis en réplique et qu’il y a donc ainsi créé une « contravention claire à la Règle Audi alteram partem » et qu’en conséquence, il aurait dû prendre en considération le délai rapide pour reprendre l’instance.

[14]           En réponse, le défendeur argue que le demandeur ne remplit pas les critères de l’affaire Baroud, les critères étant : (1) quelles sont les raisons pour lesquelles l’affaire n’a pas avancé plus vite et justifient-elles le retard qui a eu lieu et (2) quelles mesures le demandeur propose-t-il maintenant pour faire avancer l’affaire. Tenant compte de l’erreur avouée du procureur du demandeur concernant la compilation du délai de 180 jours, le défendeur soumet que cela démontre une « ignorance » des Règles et qu’il était de sa responsabilité d’obtenir l’information appropriée pour bien faire cheminer le dossier et qu’il n’a pas fait preuve de diligence dans le suivi dudit dossier. À l’appui de son argument, il réfère à plusieurs jugements qui concluent que le manque de diligence, l’ignorance et l’incompréhension des Règles ne constituent pas des excuses raisonnables de retard et qu’en conséquence le premier critère de Baroud n’est pas établi.

[15]           Quant à l’échéancier (2e critère de Baroud), il ne fut déposé qu’en réplique aux prétentions du défendeur. Il soutient que le protonotaire a pris en considération l’échéancier soumis en réplique contrairement à ce qu’il argumente en appel, mais que l’erreur dans le calcul de 180 jours n’excusait pas le demandeur et qu’en conséquence la demande de contrôle judiciaire fut rejetée et que le présent appel devrait aussi être rejeté.

V.                Analyse

[16]           Selon la Règle 51 des Règles et la jurisprudence, lorsque l’ordonnance en appel a une influence déterminante sur l’issue de la demande de contrôle judiciaire comme c’est le cas ici, le juge d’appel exerce son pouvoir discrétionnaire de novo (voir Canada c Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 RCF 425, 1993 CanLII 2939 (CAF), au para 95 et Merck & Co., Inc. c Apotex Inc., 2003 CAF 488 (CanLII), [2003] ACF no 1925, au para 19).

[17]           La jurisprudence des Cours fédérales concernant la Règle 382 des Cours fédérales et l’avis d’examen de l’état de l’instance est constante. En réponse à un tel avis, le demandeur doit, comme il était explicitement écrit dans l’avis d’examen émis le 27 novembre 2014, expliquer la justification du retard et inclure un échéancier pour faire avancer l’instance de façon expéditive. La Règle 382 ainsi que l’arrêt Baroud, précité, le disent aussi expressément.

[18]           En plus, la jurisprudence des Cours fédérales précise que l’erreur, l’ignorance et l’incompréhension des Règles ne sont pas nécessairement des motifs pour justifier le retard (voir Netupsky c Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2004 CAF 239 (CanLII), au para 18; Cotirta c Missinnipi Airways, 2012 CF 1262 CanLII), au para 13 (confirmé en appel (Cotirta v Missinippi Airways, 2013 FCA 280 (CanLII)).

[19]           J’en conviens que les parties impliquées dans un dossier et leurs avocats doivent apprendre à connaître les Règles ainsi que de les actualiser selon les besoins de la procédure choisi. Toutefois, lorsqu’une décision ultime a pour conséquence de terminer un recours valablement pris, de retirer à une partie son droit de présenter ses arguments, il me semble qu’en plus des deux critères de l’arrêt Baroud cités précédemment (la raison du retard et les mesures proposées pour faire avancer le dossier), une Cour doit aussi se demander si la partie demanderesse a démontré une intention à ce que le dossier chemine, et ce, même si fait maladroitement, mais en plus si le tout peut être corrigé pourvu que la partie défenderesse n’en subisse pas un préjudice important.

[20]           À ce sujet, la juge Sharlow, dans une décision de la Cour d’appel fédérale, Bernier c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CAF 58, au paragraphe 7, a reconnu que le non-respect des Règles n’était pas nécessairement fatal pourvu que, de bonne foi, on entend corriger la situation et que la partie défenderesse n’en subit pas un préjudice important. La juge Snider, dans l’arrêt Precision Drilling International c BBC Japan (Navire), 2004 CF 701, au paragraphe 12 (CanLII), s’exprimait ainsi à ce sujet :

Compte tenu des répercussions profondes que comporte le rejet d'une action pour cause de retard, j'estime qu'il y a lieu de s'en tenir à l'intérêt supérieur de la justice en l'espèce et de ne pas accorder trop d'importance aux omissions ou vices de procédure mineurs. La principale question devrait être celle de savoir si les demanderesses reconnaissent l'obligation qui leur incombe de voir à ce que l'action se déroule normalement et à faire le nécessaire en ce sens. À mon avis, les questions posées dans l'arrêt Baroud visent simplement à répondre à ces préoccupations et ne doivent pas être appliquées de manière à occulter la question plus globale. Ainsi, selon ma vision de ces deux questions eu égard aux faits de l'espèce, je suis portée à adopter une approche libérale en ce qui concerne cette analyse.

[21]           Ayant à l’esprit les propos relatés ci-haut tant pour la Cour d’appel fédérale que la Cour fédérale, je constate au présent dossier qu’il y a eu erreur dans la computation des délais par le procureur du demandeur. L’admission du procureur est éloquente à ce sujet. En plus, le dossier révèle que le demandeur et son procureur ont toujours voulu que le dossier suive son cours. De façon inappropriée, le procureur déposa une demande d’audience, mais en se faisant il indiquait qu’il voulait que la procédure procède bien que celle-ci n’était pas rendue à cette étape. De plus, lorsque dûment informé, il déposa un échéancier en réplique pour que le dossier procède diligemment. Certes, ceci n’est pas la façon de répondre adéquatement selon les Règles, mais les gestes posés par le procureur du demandeur informent quant à la raison du retard et il propose, de façon maladroite, un échéancier pour que la procédure soit entendue. Je note aussi que la partie défenderesse ne propose pas qu’elle subirait un préjudice important si le dossier devait procéder.

[22]           Il me semble que dans de telles circonstances, le demandeur ne devrait pas subir les conséquences fatales que l’interruption d’un recours enclenche. Lors de l’audition, le procureur du demandeur s’expliqua en plaidoirie et accepta l’entière responsabilité de la situation créée par lui. La présente décision n’est pas une façon pour le soussigné d’excuser les erreurs commises par le procureur du demandeur, mais il apparaît que l’intérêt de la justice m’oblige à constater que les critères de l’arrêt Baroud, précité, ont été rencontrés, bien que dans le tard et qu’en conséquence l’appel doit être accordé et un échéancier fera partie du jugement.

[23]           Quant aux frais, ils suivront le sort du dossier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La décision du protonotaire est annulée;

2.         La présente action est poursuivie à titre d’instance à gestion spéciale;

3.         Le demandeur déposera son dossier le 15 mai 2015 et le défendeur le sien le 26 juin 2015;

4.         Frais à suivre.

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

 

t-1170-14

INTITULÉ :

PHILIPPE BEAUREGARD c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MontrÉaL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MARS 2015

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 avril 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Jean-François P. Raymond

 

pour le demandeur

 

Me Sarom Bahk

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Jean-François P. Raymond

Avocat

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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