Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150415


Dossier : IMM-286-14

Référence : 2015 CF 463

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2015

En présence de monsieur le juge Barnes

Entre :

ERSI ZHANG

demanderesse

et

Le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

défendeur

Jugement et motifs du jugement

[1]               La demanderesse, Ersi Zhang, conteste la décision d’une agente des visas [l’agente], rendue le 13 décembre 2013, la déclarant interdite de territoire en raison d’une fausse déclaration concernant ses antécédents professionnels. Les motifs suivants étayaient la décision contestée :

[traduction]

Le 18 janvier 2009, vous avez fait une présentation erronée sur les faits importants suivants :

1.         La requérante soutient avoir de l’expérience professionnelle en qualité de surveillante des services alimentaires au North‑Chinese Restaurant.

J’en suis arrivée à cette conclusion parce que selon la prépondérance des probabilités je suis convaincue que la requérante a fait une présentation erronée sur des faits relatifs à son emploi au Canada. Nous avons été en mesure de confirmer ce renseignement à la suite d’une visite sur les lieux de l’employeur allégué en août 2009 et nous avons parlé à la propriétaire du restaurant. La propriétaire a déclaré qu’elle n’avait jamais vu Mme Zhang et a de plus indiqué qu’Elaine Gong n’était pas liée à son entreprise. Vous avez été informée de nos préoccupations dans une lettre datée du 9 septembre 2013 et vous avez eu la possibilité d’y répondre. Toutefois, aucun renseignement supplémentaire n’a été réfutant ces préoccupations n’a été fourni.

[2]               Mme Zhang conteste cette décision en invoquant un manquement à l’équité procédurale. En conséquence, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à cette question est la norme de la décision correcte. 

[3]               Mme Zhang soutient que l’agente avait l’obligation de l’informer des détails complets de la visite effectuée au lieu de son ancien emploi. Si elle avait connu l’ensemble des éléments de preuve concernant cette visite, elle aurait pris des mesures supplémentaires pour expliquer les contradictions en ce qui a trait à la preuve. Mais elle a plutôt demandé le retrait de sa demande de visa. L’agente a refusé d’acquiescer à la demande et a conclu qu’il y avait eu fausse déclaration. 

[4]               Je ne suis pas convaincu qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. L’agente a envoyé une lettre d’équité à Mme Zhang qui mentionnait ceci : [traduction] « Il semble que la lettre d’emploi que vous avez fournie avec votre demande n’est pas authentique. » Mme Zhang disposait de 60 jours pour fournir des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de l’emploi qu’elle avait déclaré et elle a été avisée de la possibilité qu’il soit conclu qu’il y a eu fausse déclaration et des conséquences que cela comporterait. Mme Zhang n’avait aucune illusion à propos du problème auquel elle était confrontée. Cela ressort clairement de sa lettre de réponse dans laquelle elle déclare ce qui suit :

[traduction]

Je comprends que j’ai le fardeau de prouver l’authenticité de la lettre d’emploi. J’ai été réellement employée par le North East International Group en qualité de surveillante de services alimentaires du 30 mai 2007 au 20 mars 2009. J’ai présenté ma demande en janvier 2009. Il s’est toutefois écoulé beaucoup de temps entre le moment de la présentation de ma demande et le moment où j’ai reçu la lettre et je ne suis pas demeurée en communication avec mes collègues de travail d’alors, de sorte que je ne suis pas en mesure de demander à l’un d’entre eux de servir de référence à ce sujet. De plus, en raison du différend houleux que j’ai eu avec mon ancien employeur concernant une période de vacances, il refuse maintenant de me fournir des références à mon sujet malgré son obligation de le faire et mes demandes répétées. Dans la présente situation, je n’ai d’autre choix que de retirer ma demande d’immigration dans la catégorie de l’expérience canadienne (CEC) à compter de la date de la présente.

[5]               Les circonstances propres au cas de Mme Zhang sont les mêmes que celles que le juge Yves de Montigny décrit dans Nadarasa c Canada, 2009 CF 1112, au paragraphe 25, [2009] ACF no 1350 :

[25]      Mais contrairement à ce qu’affirme le demandeur, il ne ressort pas de la jurisprudence de notre Cour que le demandeur doit effectivement recevoir le document sur lequel l’auteur de la décision s’est fondé, mais bien que les renseignements contenus dans ce document doivent être communiqués au demandeur pour lui donner l’occasion de prendre connaissance des renseignements qui lui sont défavorables et de donner sa version des faits. L’extrait suivant des motifs du juge Rothstein (alors juge à notre Cour) dans le jugement Dasent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 720, au paragraphe 23, illustre ce principe :

À mon sens, la question qu’il faut se poser est celle de savoir si la requérante a eu connaissance des renseignements de façon à pouvoir corriger les malentendus ou les déclarations inexactes susceptibles de nuire à sa cause. La source des renseignements ne constitue pas un élément distinctif en soi, pour autant que les renseignements ne sont pas connus de la partie requérante. Ce qu’il faut savoir, c’est si celle-ci a eu la possibilité de répondre à la preuve. C’est ce que les règles d’équité sur le plan de la procédure exigent, selon une jurisprudence établie depuis longtemps. Pour reprendre les commentaires bien connus que lord Loreburn L.C. a formulés dans l’affaire Board of Education c. Rice, [1911] A.C. 179 (H.L.), à la page 182 :

[TRADUCTION] Ils peuvent obtenir des renseignements de la façon qu’ils jugent la meilleure, en accordant toujours à ceux qui sont parties au différend la possibilité raisonnable de corriger ou de contredire toute affirmation pertinente qui est préjudiciable à leur opinion.

Voir aussi Khoshnavaz c Canada, 2013 CF 1134, au paragraphe 30, 235 ACWS (3d) 1068.

[6]               Mme Zhang savait que l’authenticité de la lettre d’attestation d’emploi était mise en doute et qu’elle devait présenter une preuve fiable pour confirmer son emploi. Sa lettre de réponse faisait mention d’un différend avec son employeur l’empêchant d’avoir accès à ses relevés d’emploi et a évoqué des problèmes de communication avec d’autres personnes qui pouvaient confirmer l’authenticité de son emploi. Les quelques détails factuels supplémentaires dont elle dit maintenant avoir eu besoin n’éliminent pas la connaissance qu’elle avait ni les mesures qu’elle savait devoir prendre pour contrer l’allégation de fausse déclaration.   

[7]               Je conviens avec l’avocate du ministre qu’il ne serait pas dans l’intérêt public de permettre systématiquement le retrait de demandes de visa lorsqu’il est possible qu’il y a eu fausse déclaration. Une telle approche inciterait les requérants à soumettre des renseignements importants de manière erronée en prévoyant tout simplement retirer la demande de visa si la tromperie était ultérieurement découverte. En l’espèce, Mme Zhang ne pouvait légitimement s’attendre à ce que sa demande de retrait soit acceptée. En l’absence d’une explication disculpatoire valable, elle aurait  dû comprendre qu’une conclusion de fausse déclaration pouvait être tirée. 

[8]               L’absence d’un manquement à l’équité procédurale ne fait cependant pas disparaître ma préoccupation concernant la conclusion de fausse déclaration tirée par l’agente. L’avocat de Mme Zhang a raison d’affirmer qu’une conclusion de fausse déclaration est très grave et ne devrait être tirée que sur la foi d’une preuve claire et convaincante (voir Xu c Canada, 2011 CF 784, au paragraphe 16).

[9]               La présente affaire est particulièrement troublante parce que quelqu’un ment manifestement. Soit Mme Zhang ment à propos de ses antécédents professionnels, soit son employeur apparent a menti en déclarant à l’Agence des services frontaliers du Canada ne pas connaître Mme Zhang. L’affaire se complique encore plus en raison du fait que le dossier certifié du tribunal [DCT] est incomplet et, sur un point particulier, irrégulier. Déjà, un document qui avait été omis a été ajouté tardivement au  DCT. Le DCT demeure néanmoins incomplet parce qu’il n’inclut pas une lettre importante de Mme Zhang et ni les documents fiscaux apparemment envoyés par Mme Zhang au ministère. Il est également préoccupant que le DCT contienne un état de la rémunération T‑4 qui vise une autre personne que Mme Zhang ayant travaillé pour l’employeur allégué. Aucune partie n’a été à mesure d’expliquer comment ce document s’est retrouvé dans le DCT. La Cour s’appuie fortement sur la fiabilité et l’intégralité des DCT qu’elle reçoit des décideurs. L’omission du ministère de s’acquitter de cette obligation dans le présent dossier est à elle seule suffisante pour annuler la décision.

[10]           L’omission de l’agente d’inclure dans le DCT la lettre de Mme Zhang en réponse à sa lettre d’équité soulève une préoccupation particulière. Les notes inscrites dans lesystème informatisé du ministère confirment la réception de la lettre de Mme Zhang. Toutefois, ces notes mentionnent erronément et inexplicablement que [traduction] « [a]ucun renseignement supplémentaire dissipant [les] doutes [de l’agente] n’a été fourni ». Si Mme Zhang n’avait pas conservé une copie de sa lettre, cette déclaration n’aurait pas pu être contestée. 

[11]           Le défendeur ne conteste pas que la lettre figurant dans le dossier de la demande est la même lettre à laquelle renvoient les notes du système informatisé du ministère et j’accepte que ce soit le cas. Le problème qui demeure est que la qualification de la lettre de Mme  Zhang par l’agente était trompeuse. Mme Zhang a informé l’agente qu’elle avait eu un « différend houleux » avec son ancien employeur et qu’elle n’était pas en mesure de confirmer son emploi auprès de cette source. Ces renseignements étaient hautement pertinents et, s’ils étaient acceptés, ils pouvaient expliquer pourquoi l’employeur n’avait pas reconnu que Mme Zhang avait travaillé pour lui. Avant de déclarer qu’il y avait fausse déclaration, il incombait à l’agente de prendre cette explication en compte et de ne pas déclarer qu’il y avait fausse déclaration au motif que [traduction] « [a]ucun renseignement supplémentaire n’[avait] été fourni ». Parallèlement, il serait également raisonnable de s’attendre à ce que les documents fiscaux que Mme Zhang avait soumis soient examinés. Ces documents ne sont mentionnés nulle part dans la décision. 

[12]           Je suis convaincu que la conclusion de fausse déclaration tirée par l’agente était déraisonnable compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait et des motifs qu’elle a invoqués. En conséquence, la décision est annulée. S’il le désire, il sera loisible au défendeur de faire examiner l’affaire de nouveau par un autre agent des visas. Dans un tel cas, Mme Zhang aura le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve au sujet de son emploi. Si Mme Zhang choisit de ne pas le faire, il sera loisible au ministère d’examiner l’affaire à nouveau en se fondant sur le présent dossier. 

[13]           Aucune partie n’a proposé de question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.


JUGEMENT

la cour statue que la présente demande est accueillie et que la conclusion de fausse déclaration est annulée. Au choix du défendeur, l’affaire peut être tranchée de nouveau au fond par un décideur différent. Dans un tel cas, la demanderesse aura le droit de présenter des éléments de preuve supplémentaires concernant ses antécédents professionnels allégués.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


cour fédérale

avocats inscrits au dossier

dossier :

IMM-286-14

Intitulé :

ERSI ZHANG c le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

Lieu de l’audience :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 MARS 2015

Motifs du jugement

et jugement :

Le juge BARNES

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 15 AVRIL 2015

Comparutions :

Max Chaudhary

 

Pour la demanderesse

 

Monmi Goswami

Pour le défendeur

 

Avocats inscrits au dossier :

Max Chaudhary

North York (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.