Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150413


Dossiers : T-313-14

T-314-14

T-315-14

T-316-14

Référence : 2015 CF 453

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2015

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ECLECTIC EDGE INC

demanderesse

et

VICTORIA’S SECRET STORES BRAND MANAGEMENT, INC

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

TABLE DES MATIÈRES

I.     Le contexte. 2

II.    Les questions en litige. 6

III.      Analyse. 6

A.    La norme de contrôle applicable. 7

B.    Les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse. 7

1)    Sandro Romeo. 7

a)    Le contre‑interrogatoire. 10

2)    Caroline D’Amours. 11

a)    Le contre‑interrogatoire. 12

3)    Judith Lee. 13

a)    Le contre‑interrogatoire. 14

C.    Les nouveaux éléments de preuve de la défenderesse. 15

1)    Sarah Crispi 15

a)    Le contre‑interrogatoire. 16

2)    Dori Ludwig Walton. 16

D.    L’importance des nouveaux éléments de preuve. 17

1)    L’affidavit de Mme Walton. 18

E.    Les marques de commerce de la demanderesse créent‑elles de la confusion avec les marques de commerce VS de la défenderesse?. 18

1)    Carol Matorin. 18

a)    Le contre‑interrogatoire. 21

2)    Brian Kuchar 22

a)    Le contre‑interrogatoire. 23

3)    Kaitlin MacDonald. 24

a)    Le contre‑interrogatoire. 25

F.    Le fardeau de la preuve et les dates pertinentes. 26

1)    La probabilité de confusion – le mot servant de marque, le dessin‑marque et la marque Lingerie de la demanderesse. 27

2)    La probabilité de confusion - La marque VS de la demanderesse. 31

3)    Le caractère distinctif. 32

I.                   Le contexte

[1]               La Cour est saisie de quatre demandes présentées en vertu de l’article 56 par la demanderesse, Eclectic Edge Inc [Eclectic Edge], relativement à quatre décisions par lesquelles le registraire a repoussé chacune des demandes d’enregistrement de marque de commerce de la demanderesse, qui étaient fondées soit sur un enregistrement et un emploi, soit sur une demande et un emploi à Singapour, ainsi que sur un emploi projeté au Canada, et qui avaient été déposées le 1er août 2008, relativement aux marques de commerce suivantes :

VALENTINE SECRET (demande no 1405838) [le mot servant de marque de la demanderesse];

  1. VALENTINE SECRET et DESSIN (demande no 1405840) [le dessin‑marque de la demanderesse];

  1. VS A SECRET THAT WOMEN LOVE et DESSIN (demande no 1405835) [la marque Vs de la demanderesse];

 

  1. VALENTINE SECRET LINGERIE et DESSIN (demande no 1405839) [le dessin‑marque de la demanderesse];

 

Chacune de ces marques est destinée à être employée en liaison avec, notamment, des vêtements pour femmes, notamment des maillots de bain, des sous‑vêtements, des vêtements de gymnastique, des dessous, des camisoles et de la lingerie. Les demandes ont été repoussées sur le fondement d’oppositions produites avec succès par la défenderesse, Victoria’s Secret Stores Brand Management Inc. [Victoria’s Secret ou VS].

[2]               Victoria’s Secret a fondé chaque opposition sur quatre motifs :

a.       les demandes n’étaient pas conformes à l’alinéa 30i) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi], dans sa version modifiée;

b.      les marques de la demanderesse n’étaient pas enregistrables du fait de l’alinéa 12(1)d) de la Loi;

c.       la demanderesse n’avait pas droit à l’enregistrement de ses marques du fait de l’alinéa 16(3)a) de la Loi;

d.      les marques de la demanderesse n’étaient pas distinctives, au sens de l’article 2 de la Loi.

[3]               Tout d’abord, l’agente d’audience a conclu que les preuves de l’état du registre présentées en tant que pièces dans le cadre du contre‑interrogatoire de Mme Carol Matorin pour le compte de la défenderesse, de même que les preuves additionnelles de l’état du registre mentionnées dans les observations de la demanderesse, avaient été déposées de manière irrégulière. Elle a conclu qu’elle ne pouvait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour prendre connaissance de l’état des dossiers du registraire, sauf pour vérifier si les enregistrements ou les demandes d’enregistrement de marque de commerce invoqués par l’opposante étaient en règle. Elle a conclu par ailleurs qu’il était irrégulier d’introduire en preuve des enregistrements lors d’un contre‑interrogatoire et, de ce fait, elle a fait abstraction de ces éléments.

[4]               Le registraire a également rejeté le motif d’opposition relatif à la mauvaise foi qui était fondé sur l’alinéa 30i), mais il a tranché en faveur de Victoria’s Secret pour les motifs relatifs à la probabilité de confusion (alinéas 12(1)d) et 16(3)a) de la Loi) et à l’absence de caractère distinctif (article 2 de la Loi). Il s’est appuyé sur les marques de commerce enregistrées de la défenderesse, faisant en particulier référence à ses marques VICTORIA’S SECRET (et aux enregistrements LMC313969, LMC432093 et LMC538755) et VS SPORT et DESSIN (et à l’enregistrement LMC521341) [les marques de VS]. En examinant les facteurs énoncés à l’article 6 de la Loi qui sont pertinents pour établir une probabilité de confusion, le registraire a conclu que les cinq facteurs énumérés favorisaient la défenderesse :

a.       le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a) – le caractère distinctif des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues. La Commission des oppositions des marques de commerce (COMC) a conclu que ce facteur favorisait VS. Il a été conclu que les marques de commerce de cette dernière avaient un caractère distinctif inhérent. La COMC a passé en revue les nombreuses preuves relatives à l’emploi et la réputation des marques de commerce de VS au Canada, y compris : i) les dépenses engagées pour faire la promotion des produits de VS; ii) les divers réseaux de vente dans lesquels les produits de VS sont vendus et offerts en vente; iii) le nombre de catalogues postés à des Canadiens; iv) les chiffres relatifs aux ventes de produits de VS à des consommateurs par ses activités de vente par correspondance; v) l’ouverture de points de vente au détail VICTORIA’S SECRET;

b.      le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)b) – la période pendant laquelle chaque marque de commerce a été en usage. Comme il n’y avait aucune preuve que les marques de commerce de la demanderesse avaient été en usage au Canada, la COMC a conclu que ce facteur favorisait VS;

c.       le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)c) – le genre de produits, services ou entreprises. La COMC a conclu que la grande majorité des produits d’Eclectic Wares étaient étroitement apparentés aux produits de VS ou les recoupaient. En conséquence, ce facteur favorisait VS;

d.      le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)d) – la nature du commerce. En l’absence de preuves à l’effet contraire, la COMC a tenu pour acquis que les voies de commercialisation des parties se recouperaient. Ce facteur favorisait VS;

e.       le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)e) – le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. La COMC a conclu qu’il y avait un degré de ressemblance important ou élevé entre la marque de commerce VICTORIA’S SECRET et le mot servant de marque, le dessin‑marque et la marque Lingerie de la demanderesse. La COMC a conclu qu’il y avait une certaine ressemblance dans le son et que les marques de commerce respectives des parties suggéraient une idée semblable (c’est‑à‑dire, quelque chose de secret ou de caché, pour la St‑Valentin, ou une femme anonyme du nom de Victoria).

[5]               Les parties ne contestent pas les conclusions de fait de la COMC au sujet du motif d’opposition relatif à la mauvaise foi qui est fondé sur l’alinéa 30i), ou au sujet des facteurs énoncés aux alinéas 6(5)a) à 6(5)d) de la Loi. Ce qui est contesté est le degré de ressemblance et la probabilité de confusion, lesquels ont été déterminés selon le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)e) de la Loi et appliqués aux questions de confusion et d’absence de caractère distinctif.

[6]               Les deux parties ont produit de nouveaux éléments de preuve en appel.

II.                Les questions en litige

[7]               Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

A.    Quelle est la norme de contrôle qui s’applique au présent appel?

B.     Les attaques contre l’affidavit de Dori Ludwig Walton sont‑elles non fondées?

C.     Les marques de commerce de la demanderesse créent‑elles de la confusion avec celles de la défenderesse?

D.    Les marques de commerce de la demanderesse sont‑elles distinctives?

III.             Analyse

[8]               Pour les raisons qui suivent, je conclus que :

  1. la norme de contrôle est la décision correcte; cependant, même si la norme appropriée était celle de la décision raisonnable, j’arriverais à la même décision;
  2. les parties conviennent que les attaques contre l’affidavit de Walton n’ont pas d’incidence sur la décision de la Cour, étant donné que les éléments de preuve que comporte cet affidavit figurent ailleurs dans les preuves qui ont été soumises à la Cour; il est toutefois déconseillé de se fier, dans le cadre d’une instance, aux preuves par affidavit que produisent les avocats d’une partie ou les membres du cabinet de ces derniers, surtout quand ces preuves se rapportent au bien‑fondé de l’instance, et je n’accorde à l’affidavit aucun poids;
  3. le mot servant de marque, le dessin‑marque et la marque Lingerie de la demanderesse ne sont pas susceptibles de créer de la confusion avec les marques de commerce de la défenderesse;
  4. la marque Vs de la demanderesse est susceptible de créer de la confusion avec la marque VS et les marques Victoria’s Secret de la défenderesse;
  5. le mot servant de marque, le dessin‑marque et la marque Lingerie de la demanderesse sont distinctifs. Sa marque Vs ne l’est pas.

A.                La norme de contrôle applicable

[9]               Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable, sauf si, en appel, de nouveaux éléments de preuve ont été produits en vertu de l’article 56 de la Loi et qu’ils auraient eu une incidence importante sur la décision du registraire (Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] ACF no 159 (CAF), aux paragraphes 48 à 51 [arrêt Molson]), auquel cas la norme à appliquer est la décision correcte.

[10]           En appel, un contrôle de novo n’a lieu que si les nouveaux éléments de preuve sont importants, en ce sens qu’ils sont suffisamment probants et significatifs pour avoir une incidence importante sur les conclusions de fait du décideur. L’importance est considérée sous un angle qualitatif, et non quantitatif (Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707, au paragraphe 27).

[11]           Les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse concernent l’état du registre et l’état du marché (affidavits de Sandro Romeo, Caroline D’Amours et Judith Lee). La défenderesse a produit de nouveaux éléments de preuve dans les affidavits de Sarah Crispi et de Dori Ludwig Walton, et l’affidavit de Sarah Crispi a trait au contrôle en matière de licences des marques de commerce VS de la défenderesse au Canada.

B.                 Les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse

1)                  Sandro Romeo

[12]           M. Romeo travaille pour Thomson CompuMark, à titre d’analyste en recherches de marques de commerce. Son emploi, qu’il exerce depuis 17 ans environ, consiste à effectuer des recherches de marques de commerce et à communiquer avec la clientèle.

[13]           Le 6 mars 2014, M. Romeo a effectué les deux volets d’un travail de recherche de dilution complète : base de données sur les marques de commerce canadiennes et registres des noms de domaine Internet, aussi appelé « recherche du nombre d’occurrences », pour le mot « secret » de pair avec les catégories des vêtements et des sous‑vêtements pour femmes, des produits de beauté, des services de vente au détail liés aux produits susmentionnés, ainsi que les catégories 3, 25 et 35. Cette recherche est conçue pour informer un client du nombre d’occurrences d’un mot d’une marque de commerce dans une industrie précise.

[14]           M. Romeo a fait une recherche dans la base de données du registre des marques de commerce de Thomson CompuMark; cette base est établie en consignant périodiquement les enregistrements de marque de commerce qui figurent dans le registre des marques de commerce canadiennes de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada [OPIC]. La mise à jour la plus récente de cette base de données, avant la recherche du 6 mars 2014, avait eu lieu le 5 mars 2014 et comprenait les dossiers enregistrés auprès de l’OPIC avant le 24 février 2014. M. Romeo a cherché les occurrences du mot « secret » dans des marques de commerce ayant fait l’objet d’une demande d’enregistrement ou enregistrées en vue de leur emploi en liaison avec les produits et les services susmentionnés.

[15]           La recherche de M. Romeo a révélé un nombre élevé d’enregistrements et de demandes en instance pour des marques de commerce comprenant le mot « secret ». Voici ce qu’il a notamment découvert :

  1. 315 enregistrements et demandes en instance pour des marques de commerce comportant le mot « secret » en vue de leur emploi en liaison avec des vêtements, des produits de beauté ou des ventes au détail de vêtements ou de produits de beauté;
  2. 99 entités détiennent des enregistrements de marque de commerce ou des demandes en instance pour l’enregistrement de marques de commerce comprenant le mot « secret » en vue de leur emploi en liaison avec des vêtements, des produits de beauté ou des ventes au détail de vêtements ou de produits de beauté;
  3. Les 315 enregistrements et demandes en instance susmentionnés comprennent ceci :
    1. SECRET est enregistrée pour emploi en liaison avec des sous‑vêtements, des dessous et de la lingerie par Doris Inc. (LMC521832);
    2. SECRET TREASURES est enregistrée pour emploi en liaison avec des vêtements de nuit et de la lingerie par Wal‑Mart Stores, Inc. (LMC567762);
    3. SECRETS FROM YOUR SISTER est enregistrée pour emploi en liaison avec des services de magasins de vente au détail comportant de la lingerie féminine par Secrets From Your Sister Inc. (LMC715948);
    4. LADY’S SECRET & Design est enregistrée pour emploi en liaison avec des articles pour chaussures pour femmes par le Groupe JLF (numéro de demande 1634040);
    5. EUROPEAN SECRET est enregistrée pour emploi en liaison avec des coiffes réalisées par Henchy Monheit, faisant affaires sous le nom de Design Par Anne Monette (numéro de demande 1657973);
    6. une demande d’enregistrement de SUZY’S SECRET en liaison avec des vêtements pour femmes, déposée par Suzy’s Inc., en instance (numéro de demande 1657641).

[16]           Pour effectuer la recherche de noms de domaine, M. Romeo s’est servi de la base de données de Thomson CompuMark, qui met à jour les données relatives aux noms de domaine émanant de tous les registraires de noms de domaine agréés par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, en vue d’inclure les noms de domaine enregistrés comportant les suffixes suivants : aero,.biz,.ca,.cat,.com,.coop,.edu,.gov,.info,.mobi,.name,.net,.org,.pro,.travel. La base de données est mise à jour trois fois par semaine, et elle l’a aussi été le 5 mars 2015. M. Romeo a cherché des noms de domaine incluant le préfixe « secret » et les mots suivants : clothing (vêtements), apparel (habillement), undergarment (dessous), underwear (sous‑vêtements), cosmetic (produits de beauté), makeup (maquillage), et retail (vente au détail).

[17]           L’affidavit de M. Romeo présente aussi les résultats d’une recherche de noms de domaine enregistrés comportant le mot « secret ». La recherche a produit 67 noms de domaine enregistrés qui comportaient ce mot. Le nom de domaine secret.ca appartient à Doris Hosiery Mills Ltd., qui semble être liée à l’entité Doris Inc., laquelle détient l’enregistrement de la marque de commerce SECRET (LMC521832) en liaison avec des sous‑vêtements, des dessous et de la lingerie.

a)                  Le contre‑interrogatoire

[18]           La recherche de M. Romeo relative au nombre d’occurrences a donné 457 résultats pour lesquels il a reçu instruction d’éliminer les marques de commerce inactives et celles qui ne se rapportaient pas aux biens et aux services précisés. Les résultats n’ont pas été filtrés pour les demandes qui n’avaient pas encore été annoncées, ou qui étaient fondées uniquement sur un emploi au Canada. Il n’a pas tenté de vérifier si les propriétaires des marques offraient au Canada les produits et les services énumérés, ou si les marques étaient employées au Canada.

[19]           Il a admis que sa recherche n’avait permis d’obtenir que des marques comportant le mot « secret » précédé d’un mot commençant par la lettre « v » qui appartient aux parties au présent litige.

[20]           Pour ce qui est de la recherche de noms de domaine, M. Romeo a précisé que le « préfixe » est la partie du nom de domaine qui figure avant le point. Sa recherche a porté sur le mot « secret » en liaison avec les mots énumérés dans son rapport. Il n’a pas limité cette recherche aux sites Web hébergés au Canada et, au meilleur de ses connaissances, les résultats n’indiquent pas combien de personnes au Canada ont pu avoir consulté les sites énumérés. Il n’a pas fait de recherches sur le contenu des pages Web énumérées.

2)                  Caroline D’Amours

[21]           Mme D’Amours est au service de Thomson CompuMark depuis 15 ans à titre d’analyste en recherche de marques de commerce, et elle s’occupe principalement de recherches de marques de commerce.

[22]           Le 6 mars 2014, Mme D’Amours s’est occupée des deux volets : sources de common law canadienne et registres des noms officiels d’entreprises au Canada de la recherche du nombre d’occurrences commandée par l’avocat de la demanderesse. Les sources de common law canadienne contiennent les marques de commerce, les noms commerciaux et les noms d’entreprise trouvés et publiés dans des répertoires d’entreprise, des revues commerciales, des bases de données électroniques et d’autres sources du marché. Pour ce qui est de la recherche de noms officiels d’entreprises au Canada, elle a spécifiquement consulté la base de données du système NUANS, qui inclut les noms de société en vigueur et les noms d’entreprise enregistrés des sociétés enregistrées à l’échelon fédéral, et ce, pour toutes les provinces sauf le Québec. D’autres bases de données ont servi à chercher les sociétés et les noms d’entreprise enregistrés au Québec.

[23]           Elle a consulté les sources de common law canadiennes et les registres de noms officiels d’entreprises au Canada de Thomson CompuMark en vue de relever les fois où le mot « secret » était employé dans une marque de commerce ou un nom d’entreprise. Dans la mesure du possible, elle a restreint sa recherche aux résultats liés aux vêtements et aux sous‑vêtements pour femmes, aux produits de beauté et aux services de vente au détail liés aux marchandises susmentionnées. Les résultats obtenus ont été les suivants :

  1. 170 sociétés ou noms d’entreprise enregistrés comprenant le mot « secret » dans leur dénomination au sein de la base de données du système NUANS, qui couvre l’ensemble du Canada à l’exception du Québec;
  2. 10 entités situées au Québec qui semblent : a) avoir un nom comprenant le mot « secret », b) qui emploient la marque de commerce SECRET, ou c) qui distribuent des produits portant la marque de commerce SECRET;
  3. 49 entités dans la base de données tenue par Dun & Bradstreet, pour des entités comportant le mot « secret » dans leur dénomination; 19 de ces entités semblent être actives dans le domaine des vêtements;
  4. 12 entreprises comportant le mot « secret » dans leur dénomination et un numéro « CA » attribué par le gouvernement du Canada dans le but d’identifier les fabricants de vêtements.

a)                  Le contre‑interrogatoire

[24]           Mme D’Amours a expliqué la différence entre sa participation à une recherche du nombre d’occurrences et une recherche détaillée de marques de commerce en disant que, dans le cas du premier type de recherche, elle imprime tous les résultats pour un client plutôt que de mentionner simplement quelques marques relevées.

[25]           Pour la recherche dont il est question en l’espèce, Mme D’Amours a reçu des directives au moyen d’un bon de travail. On ne lui a pas fourni de contexte sur la raison pour laquelle la recherche était menée.

[26]           Mme D’Amours n’a pas passé en revue ses résultats et ne les a pas non plus analysés après avoir effectué sa recherche. Elle n’a rendu visite à aucune des entreprises énumérées, ni ne leur a téléphoné. Elle n’a pas cherché à savoir s’il s’agissait d’entreprises en vigueur ou si elles offraient des produits ou des services au Canada ou à des consommateurs canadiens. Elle a admis que les résultats de la recherche semblaient inclure un certain nombre d’entreprises radiées ou dissoutes.

3)                  Judith Lee

[27]           Mme Lee est elle aussi au service de Thomson CompuMark, et ce, depuis 10 ans environ. Son travail consiste principalement à mener des recherches de marques de commerce sur le Web et à communiquer avec la clientèle.

[28]           Le 7 mars 2015, Mme Lee a effectué le volet recherche (étendue) de la common law sur le Web de la recherche du nombre d’occurrences commandée par l’avocat de la demanderesse. Comme elle le dit, ce type de travail est [traduction] « conçu pour fournir des informations sur le nombre d’occurrences d’un mot ou d’une combinaison de mots qui sont employés sur Internet à titre de marques de commerce, de noms commerciaux ou de noms d’entreprise dans un secteur industriel précis ». Elle cherche les occurrences des mots précisés séparément ou en combinaison en liaison avec des produits et des services particuliers qui sont indiqués dans la recherche.

[29]           La recherche sur le Web de Mme Lee a été réalisée au moyen de l’application de recherche interne de Thomson CompuMark, laquelle regroupe des informations tirées des moteurs de recherche Bing, Google et Yahoo. Divers termes ont fait l’objet de recherches en vue de trouver des sites Web axés sur les vêtements et les sous‑vêtements pour femmes, les produits de beauté et les services de vente au détail liés aux marchandises susmentionnées, et dans lesquels le mot « secret » occupe une place importante. À l’instar des recherches de M. Romeo et de Mme D’Amours, celle de Mme Lee a permis de relever un nombre important d’entités commerciales qui utilisaient censément le mot « secret » comme partie d’une marque de commerce employée en liaison avec des vêtements et d’autres produits connexes. Les résultats de sa recherche sont les suivants :

  1. 29 sites Web d’entreprises qui semblent opérationnelles dans le secteur des vêtements pour femmes, ou des services de vente au détail liés à ces vêtements, y compris THE CLOTHES SECRET, SECRET LOCATION, SECRET BRA, SECRETFASHION.COM, THE SECRET BOUTIQUE et MY SECRET LINGERIE STORE;
    1. 21 entreprises semblent être des détaillants de vêtements pour femmes;
    2. 7 entreprises semblent être des fabricants de vêtements pour femmes vendus en liaison avec une marque de commerce contenant le mot « secret »;
    3. 12 entreprises semblent être soit des détaillants, soit des fabricants de lingerie ou de sous‑vêtements pour femmes.

a)                  Le contre‑interrogatoire

[30]           Lors de ses deuxième et troisième séances de recherche, Mme Lee a exclu les mots « Victoria’s », « Victorias » et « Victoria », car elle était tombée sur un nombre élevé de résultats qui les contenaient. C’est de son propre chef qu’elle a décidé d’exclure ces mots, car elle ne voulait pas dédoubler les informations dans son rapport après avoir constaté un taux élevé d’emploi du mot « secret » de pair avec les variations susmentionnées du mot « Victoria ».

[31]           Mme Lee n’a pas consulté personnellement chacun des sites Web qui sont énumérés dans son rapport de recherche, mais son système informatique a produit des captures d’écran pour chaque page Web.

[32]           Pour cette recherche, Mme Lee se trouvait aux États‑Unis, et elle n’est pas sûre si les sites Web énumérés étaient accessibles à partir du Canada. De plus, elle n’a pas restreint ses recherches à des sites Web hébergés au Canada, ou à des sites offrants des services pour des achats faits par des résidents du Canada. Ses résultats n’indiquaient pas combien de personnes résidant au Canada avaient consulté les sites énumérés.

C.                 Les nouveaux éléments de preuve de la défenderesse

1)                  Sarah Crispi

[33]           Mme Crispi est au service de L Brands Inc. (autrefois Limited Brands Inc.) à titre d’avocate principale depuis février 2012. Elle supervise et gère les activités de poursuites judiciaires et d’exécution de la loi en matière de marques de commerce pour le compte de Victoria’s Secret Stores Brand Management Inc. [VSSBM], une entreprise qui appartient à L Brands Inc.

[34]           Mme Crispi a confirmé que l’accord de licence dont parle Mme Matorin dans ses affidavits au sujet de l’emploi des marques de commerce de VSSBM par Victoria’s Secret Canada a été consigné par écrit, et elle en a inclus quelques extraits en tant que pièces jointes à son affidavit.

[35]           Elle a de plus déclaré que tous les produits associés à la marque de commerce Victoria’s Secret, parmi les autres appartenant à VSSBM et offerts au Canada, émanent des mêmes sources ou répondent à des normes correspondantes en matière de caractéristiques et de qualité.

a)                  Le contre‑interrogatoire

[36]           Mme Crispi a confirmé que la vente de produits de Victoria’s Secret au Canada se fait par l’entremise d’entités commerciales distinctes; l’une exploite les boutiques traditionnelles, et une autre s’occupe des ventes en ligne et par catalogue.

[37]           Les produits que vendent ces entreprises proviennent d’un bassin commun d’usines et de centres de distribution, qui fournissent les produits à vendre. D’après Mme Crispi, leurs accords de licence leur permettent de faire des achats directement auprès de fabricants, si ces derniers respectent des normes de qualité particulières, mais ce n’est pas de cette façon que ces entreprises mènent leurs activités dans la réalité. Elle a confirmé que VSSBM et Victoria’s Secret International ont conclu un accord de licence selon lequel cette dernière entreprise est autorisée à concéder en sous‑licence l’emploi des marques de commerce de Victoria’s Secret. Il contient une liste de toutes les marques visées par l’accord, et aucune n’inclut le mot « Valentine ». À ce qu’elle sache, tous les produits Victoria’s Secret qui sont vendus au Canada portent quelque part sur eux la marque de commerce Victoria’s Secret.

2)                  Dori Ludwig Walton

[38]           Mme Ludwig Walton est au service de Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L/s.r.l. à titre de technicienne juridique. Lorsqu’elle a rédigé son affidavit, elle a examiné ceux de Mme Matorin et de Mme Crispi. Elle a inclus un certain nombre de pages photocopiées de chacun de ces deux affidavits en tant que pièces jointes à son propre affidavit.

[39]           Comme je l’ai mentionné plus tôt, je n’accorde aucun poids à cette preuve, car la déposante est une employée des avocats de la défenderesse et son témoignage est axé sur la similitude visuelle perçue entre l’emploi des marques de commerce de la défenderesse au Canada et l’emploi de ces marques de commerce en Indonésie. Quoi qu’il en soit, cette preuve n’a aucune incidence sur ma décision.

D.                L’importance des nouveaux éléments de preuve

[40]           Les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse sont importants pour le fondement factuel de l’examen de l’usage commun du mot « secret » dans des marques de commerce ainsi que sur le marché par des tierces parties au Canada pour de la lingerie, des vêtements pour femmes et des produits connexes, dont la Commission d’opposition n’a pas tenu compte. Ces nouveaux éléments de preuve vont au cœur même de la décision de la Cour au sujet de la probabilité de confusion, et je considère donc la présente instance comme un contrôle de novo. Bien que le poids à accorder à ces éléments de preuve soit analysé ci-après et présente quelques problèmes, je considère néanmoins qu’ils sont importants.

[41]           De plus, les nouveaux éléments que Sarah Crispi a produits pour le compte de la défenderesse sont importants pour le contrôle sous licence approprié des marques de commerce de la défenderesse au Canada, de même que pour l’analyse de la Cour concernant les faits relatifs à la question de la portée de la protection des marques de commerce de la défenderesse au Canada.

[42]           La norme de contrôle adéquate est la décision correcte.

1)                  L’affidavit de Mme Walton

[43]           Comme il a été mentionné ci-dessus, bien que les parties conviennent que les faits mentionnés dans l’affidavit de Mme Walton figurent ailleurs dans les éléments de preuve et n’ont pas ou peu d’incidence dans la présente affaire, sinon peu, je conclus également que la Cour n’a pas à prendre en considération les preuves que produit le cabinet d’un avocat inscrit au dossier à propos du bien‑fondé d’une question en litige dans l’instance et, pour ce seul motif, je n’accorde aucun poids à cet affidavit.

E.                 Les marques de commerce de la demanderesse créent‑elles de la confusion avec les marques de commerce VS de la défenderesse?

[44]           Outre les nouveaux éléments de preuve déposés, lors de la procédure d’opposition, la demanderesse n’a produit aucune preuve, tandis que la défenderesse s’est appuyée sur les affidavits de Carol Matorin, Brian Kuchar et Kaitlin MacDonald.

1)                  Carol Matorin

[45]           Mme Matorin occupe le poste de vice‑présidente principale et avocate principale auprès de VSSBM, et ce, depuis 2001.

[46]           VSSBM est propriétaire, au Canada et à l’étranger, de la marque de commerce « Victoria’s Secret », entre autres marques comprenant les mots « Victoria’s Secret » [les marques de commerce Victoria’s Secret]. Victoria’s Secret est également propriétaire des enregistrements de marques de commerce et des demandes d’enregistrement en instance au Canada concernant plusieurs marques de commerce Victoria’s Secret visant divers produits et services, notamment, de la lingerie, des sous‑vêtements, des sorties de bain, des pantoufles, des dessous, des vêtements de nuit, des pantalons en molleton, des débardeurs, des t‑shirts, des soutiens-gorge de sport, des vêtements et des tenues d’exercice, de même que des produits et des services connexes. Est incluse, en tant que pièce A à son affidavit, un tableau énumérant les marques de commerce Victoria’s Secret ainsi que le numéro et la date d’enregistrement de chacune au Canada : VICTORIA’S SECRET, LMC313969, VICTORIA’S SECRET, LMC432093, VICTORIA’S SECRET, LMC538755, et VS SPORT, LMC521341.

[47]           Victoria’s Secret accorde des licences en vue de l’emploi de ses marques de commerce, et cela inclut les marques de commerce Victoria’s Secret, à diverses entreprises affiliées qui vendent et offrent des produits et des services en liaison avec ces marques de commerce au Canada et à l’étranger.

[48]           La marque de commerce Victoria’s Secret a été employée pour la première fois aux États‑Unis dès 1977, par les prédécesseurs titulaires des mêmes droits de Victoria’s Secret. De nombreux produits sont vendus en liaison avec ces marques de commerce, dont des vêtements et des accessoires. Leur emploi est accordé sous licence à l’extérieur des États‑Unis à son entreprise apparentée Victoria’s Secret International S.a.r.l [VS International], aux termes d’un accord de licence‑cadre. VS International octroie ensuite en sous‑licence à Victoria’s Secret Direct Brand Management les marques de commerce Victoria’s Secret en vue de la mise en marché et de la vente des produits offerts dans le catalogue et sur Internet, ainsi que de l’exécution des commandes en provenance et à destination d’endroits situés à l’extérieur des États‑Unis. Victoria’s Secret conserve le droit de contrôler les caractéristiques et la qualité des produits vendus, ainsi que celles des services fournis en liaison avec les marques de commerce Victoria’s Secret dans le cadre de son accord de licence‑cadre, ainsi que de dispositions parallèles figurant dans des accords de sous‑licence.

[49]           Au moment de l’ouverture des magasins de vente au détail Victoria’s Secret et Pink de Victoria’s Secret au Canada, VS International était en voie de consigner par écrit l’accord de sous‑licence verbal qui existait avec Victoria’s Secret (Canada) Corp. [VS Canada] en vue de l’exploitation de ces magasins. Cet accord verbal contient des clauses relatives au droit de Victoria’s Secret de contrôler les caractéristiques et la qualité des produits vendus ainsi que celles des services fournis en liaison avec les marques de commerce Victoria’s Secret.

[50]           D’importantes sommes d’argent ont été affectées à la mise en marché et à la promotion des produits de VS à l’échelle internationale (annuellement, de 2004 à 2009). Par l’entremise des activités de commandes postales, des produits sont régulièrement vendus et envoyés à de nombreuses adresses au Canada. À l’échelle mondiale, entre 7 802 104 et 5 476 444 catalogues ont été mis à la poste chaque année au cours de la période de 2002 à 2008. Mme Matorin a inclus,  en tant que pièce E jointe à son affidavit, quelques exemples de documents promotionnels et d’extraits de catalogue datant d’entre 1998 et 2010 qui ont été distribués partout dans le monde, y compris au Canada.

[51]           Pour ce qui est des ventes postales de produits Victoria’s Secret, les ventes au Canada entre les années 2003 à 2008 ont varié, mais elles ont été importantes chaque année, et font état d’une progression constante.

[52]           En 2007, la société mère de Victoria’s Secret, Limited Brands Inc, a fait l’acquisition de La Senza Corporation au Canada, qui, à l’époque, exploitait 318 magasins. Entre 2007 et 2010 certains produits de beauté Victoria’s Secret étaient vendus dans des magasins La Senza, dans tout le Canada. En 2009, certains produits VS ont été offerts dans six magasins de vente au détail Pink de Victoria’s Secret en Ontario. En août 2010, le premier magasin Victoria’s Secret canadien a ouvert ses portes à Edmonton, et d’autres boutiques ont ouvert par la suite dans certaines des grandes villes du pays. Des produits sont également en vente au Canada par l’entremise du site Web Victoria’s Secret, qui, depuis 2004 au moins, affiche systématiquement la marque de commerce Victoria’s Secret.

a)                  Le contre‑interrogatoire

[53]           Mme Matorin a admis qu’elle ne connaît pas particulièrement bien le marché canadien des vêtements pour femmes, y compris la lingerie. À son avis, Victoria’s Secret est une marque qui est reconnaissable au Canada depuis aussi loin que 1995. Cette opinion repose sur les chiffres de vente élevés de l’entreprise au Canada au fil des ans, ainsi que sur l’intérêt suscité au Canada par la télédiffusion du défilé de mode de Victoria’s Secret.

[54]           Mme Matorin a précisé que la nature parallèle des clauses en matière de contrôle de la qualité que comportent la sous‑licence et l’accord de licence‑cadre en matière de marques de commerce dont il est question dans son affidavit repose sur l’inclusion de normes de qualité et de normes contrôle de la qualité que fixe le concédant de licence et qui doivent être respectées. Depuis le moment où elle a rédigé ses affidavits, l’accord de sous‑licence verbal conclu avec Victoria’s Secret Canada Corp qui a été mentionné plus tôt fut consigné par écrit.

[55]           Il a été confirmé qu’il existe aujourd’hui pour Victoria’s Secret un seul catalogue de commandes postales qui est distribué à l’échelon international. Les Canadiens font leurs commandes à partir de ce catalogue, et les prix indiqués sont en dollars américains.

[56]           Les chiffres inclus dans les affidavits de Mme Matorin à propos des fonds consacrés à la mise en marché ne font état que des dépenses dites « internationales ». Elle a précisé que les chiffres qu’elle avait inclus pour les ventes annuelles au Canada n’englobent pas les produits de La Senza et ne se rapportent qu’aux produits de Victoria’s Secret.

[57]           Bien que la fiabilité de son affidavit ait été contestée, je souscris à l’avis de la COMC que l’expérience de Mme Matorin et les fonctions qu’elle exerce auprès de la défenderesse lui permettent d’avoir une connaissance personnelle et fiable des faits dont elle témoigne, même s’il est ressorti de son contre‑interrogatoire qu’elle manquait de connaissances sur certains faits. De plus, le témoignage corroborant de Mme Crispi, fourni en tant que nouvel élément de preuve, étaye une telle conclusion.

2)                  Brian Kuchar

[58]           M. Kuchar était un stagiaire en droit au cabinet Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L/s.r.l. Il a effectué des recherches sur Google aux mois d’août, de septembre et d’octobre 2010 au sujet de l’expression « Victoria’s Secret » de pair avec les noms « Toronto » et « Mississauga », en utilisant l’outil de recherche de nouvelles du moteur de recherche.

[59]           Aux mois d’août, de septembre et d’octobre 2010, M. Kuchar a relevé dans divers journaux des informations relatives à l’ouverture des magasins de vente au détail Victoria’s Secret dans la région du Grand Toronto.

[60]           Le 28 septembre 2010, il s’est présenté à un magasin de vente au détail Victoria’s Secret au centre commercial Yorkdale de Toronto et a vu en vente divers articles qui affichaient la marque de commerce VICTORIA’S SECRET sur leurs étiquettes et produits. Il a également vu quelques produits qui affichaient la marque de commerce VICTORIA’S SECRET sur leur emballage. Lors de cette visite, il a acheté une paire de sous‑vêtements, un débardeur et un haut de pyjama.

[61]           Le 6 décembre 2010, M. Kuchar s’est présenté au magasin Victoria’s Secret du Centre Eaton et a pris des photographies numériques de l’affichage extérieur du magasin.

a)                  Le contre‑interrogatoire

[62]           La conception personnelle qu’a M. Kuchar de la fonction de recherche de nouvelles de Google est que cette dernière [traduction] « regroupe du contenu disponible dans des journaux et des périodiques accessibles dans l’ensemble » de l’Internet. Il ne sait rien de la façon dont les résultats sont regroupés et conservés, ni de celle dont les informations sont recueillies. Il n’a pas pu se rappeler si le mot « Canada » était apparu sous « Google Actualités » sur le site Web, ce qui aurait indiqué que ses recherches se limitaient au contenu canadien, mais il s’est souvenu qu’il n’avait pas utilisé la fonction « recherche avancée ». Il ignorait le nombre de Canadiens qui avaient vu les articles qu’il a inclus dans son affidavit.

[63]           Quand il a été interrogé sur sa recherche dans la base de données LexisNexis, il a admis ne pas avoir vérifié combien de publications incluses dans la base de données existaient toujours, de quelle façon elles étaient distribuées ou quelle était leur diffusion au Canada. Il a reconnu ne pas avoir donné suite à un grand nombre des « correspondances » obtenues lors de ses recherches afin de vérifier si elles concernaient principalement Victoria’s Secret, ou si l’entreprise n’était mentionnée que de façon aléatoire.

3)                  Kaitlin MacDonald

[64]           Mme MacDonald travaillait comme étudiante d’été au cabinet Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L/s.r.l. Le 30 juillet 2010, elle a procédé par l’entremise de LexisNexis à une recherche dans la base de données CANPUB pour y relever des articles de fond publiés entre le 30 juillet 2005 et le 30 juillet 2010 et contenant les mots « Victoria’s Secret ». Ces recherches ont permis de relever 2 858 articles correspondants à sa requête.

[65]           En août 2010, Mme MacDonald a fait des recherches dans Google en employant les termes « Victoria’ s secrète » et « VS », ainsi que l’expression « Victoria’ s secrète » de pair avec le nom « Edmonton ». La première recherche a produit 13 100 000 correspondances et la deuxième 1 050 000, et les recherches suivantes ont mis au jour de multiples articles de journaux portant sur l’ouverture du magasin Victoria’s Secret à Edmonton.

[66]           Au début du mois d’août 2010, Mme Macdonald s’est présentée à deux magasins vendant des produits Victoria’s Secret (le magasin Pink au Centre commercial Yorkdale, et le magasin La Senza à la tour de la Banque TD) et elle a confirmé que de nombreux vêtements et sous‑vêtements portent la marque VICTORIA’S SECRET dans leur dessin et leur étiquetage. Elle a également vu des accessoires et des produits de beauté portant cette marque sur leur emballage et leur dessin. Elle a acheté une gamme d’articles illustrant cet emploi de la marque.

[67]           Mme MacDonald a vu à Toronto des panneaux d’affichage annonçant l’ouverture de magasins Victoria’s Secret.

[68]           Le 12 août 2010, elle a aussi relevé un bulletin de nouvelles diffusé dans le cadre de l’émission « The National » sur l’ouverture du magasin Victoria’s Secret à Edmonton. Elle a consulté le lendemain le site Web de la SRC en vue de regarder un reportage intitulé « Sexy Canadian Retail Debut », qui contenait de nombreuses références à Victoria’s Secret.

a)                  Le contre‑interrogatoire

[69]           En contre‑interrogatoire, Mme MacDonald a confirmé qu’à part les marques de commerce et les numéros de demande d’enregistrement précis qui sont mentionnés dans ses affidavits du 16 et du 19 août 2010, les documents sont identiques.

[70]           Pour ce qui était des recherches qu’elle avait faites dans la base de données CANPUB par l’entremise de LexisNexis, Mme MacDonald a confirmé qu’elle n’avait reçu du cabinet d’avocats qu’une formation de base sur la manière d’utiliser la base de données, et qu’elle n’avait pas cherché à savoir combien de publications énumérées existaient toujours, si elles étaient disponibles en ligne ou en version papier et si elles étaient diffusées au Canada.

[71]           En discutant des résultats des recherches qu’elle avait faites dans Google, Mme MacDonald a admis qu’elle sait fort peu de choses sur le moteur de recherche de Google, et qu’elle ignore comment ce dernier répond aux requêtes ou recueille des informations, ou de quelle façon il est tenu. Elle n’a pas passé en revue les 13 100 000 correspondances en vue d’en déterminer la pertinence, pas plus qu’elle ne sait combien de Canadiens y ont eu accès ou les ont consultées. Lorsqu’elle a discuté du reportage dans le « National », Mme MacDonald a reconnu qu’elle ignorait également quel était le nombre de téléspectateurs au Canada.

F.                  Le fardeau de la preuve et les dates pertinentes

[72]           Il incombe à la demanderesse d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Cependant, l’opposante doit s’acquitter du fardeau de preuve initial en présentant une preuve admissible suffisante sur la foi de laquelle on peut raisonnablement conclure que les faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition existent (arrêt Molson, précité, au paragraphe 298; Christian Dior, SA c Dion Neckwear Ltd, 2002 CAF 29).

[73]           Les dates pertinentes qui s’appliquent aux motifs d’opposition sont les suivantes :

  • alinéa 38(2)a)/article 30 – la date de dépôt de la demande;
  • alinéa 38(2)b)/alinéa 16(3)a) – la date de dépôt de la demande;
  • alinéa 38(2)b)/alinéa 12(1)d) – la date de la décision de la COMC;
  • alinéa 38(2)d)/l’absence de caractère distinctif – la date de dépôt de l’opposition.

[74]           Les parties ont admis lors des plaidoiries que les conclusions de la COMC sur le motif de non‑conformité fondé sur l’alinéa 30i) et le motif de non‑admissibilité fondé sur l’alinéa 16(3)a) ne sont pas en jeu dans le présent appel.

[75]           La seule véritable question en litige que la Cour doit trancher consiste à savoir si les marques de commerce pour lesquelles la demanderesse a présenté la demande d’enregistrement sont susceptibles de créer de la confusion avec les marques VS revendiquées de la défenderesse et que, de ce fait, elles ne sont pas enregistrables en vertu des alinéas 38(2)b) et 12(1)d) de la Loi et n’ont pas un caractère distinctif, ce qui est contraire à l’article 2 de la Loi. Même si les dates pertinentes qui s’appliquent à chaque motif sont différentes, le critère de la probabilité de confusion est essentiellement le même.

1)                  La probabilité de confusion – le mot servant de marque, le dessin‑marque et la marque Lingerie de la demanderesse

[76]           Il n’est guère surprenant que la défenderesse souscrive à la conclusion de la COMC selon laquelle il existe un degré important ou très élevé de ressemblance entre la marque de commerce VICTORIA’S SECRET et le mot servant de marque, le dessin‑marque et la marque Lingerie de la demanderesse.

[77]           De plus, en examinant les « circonstances de l’espèce », dont le fait que les dessins de cœur employés en liaison avec les marques de commerce Vs évoquent des idées de romance, de beauté et de sensualité, ainsi que les idées que suggèrent les marques de commerce des deux parties, la COMC a conclu que les marques créent une probabilité de confusion (Philip Morris Products SA c Marlboro Canada Limitée, 2012 CAF 201, aux paragraphes 72 à 77).

[78]           Par ailleurs, la défenderesse soutient que :

  1. dans deux des marques de commerce des parties qui sont en litige, le mot SECRET est précédé d’un mot à plusieurs syllabes commençant par la lettre « V »;
  2. tant VICTORIA’S SECRET que VALENTINE SECRET sont abrégés en « VS », « V SECRET »  et d’autres combinaisons semblables;
  3. compte tenu de la célébrité des marques de commerce VS et de VICTORIA’S SECRET en particulier, une marque de commerce qui consiste en un mot débutant par V suivi du mot SECRET sera associée à VS;
  4. l’emploi à l’étranger des marques de commerce de la demanderesse est une circonstance de l’espèce pertinente.

[79]           Les parties conviennent que le critère de la probabilité de confusion est celui de savoir si, dans l’esprit d’une personne ordinaire ayant un souvenir imparfait de cette autre marque, le fait d’employer les deux marques dans la même région est susceptible d’amener à inférer que les produits ou les services associés à ces marques sont offerts ou fournis par la même personne – ce qui inclut toute inférence selon laquelle les produits ou les services de la demanderesse sont approuvés ou parrainés par l’opposante ou ont fait l’objet d’une licence octroyée par cette dernière (Miss Universe, Inc c Bohna, [1995] 1 CF 614, à la page 6 (CAF)).

[80]           Le problème que présente la position de la défenderesse, et celle du Bureau des marques de commerce [BMCO], sur la probabilité de confusion est que tous deux font abstraction d’un certain nombre de questions juridiques et factuelles fondamentales qui ont été présentées en l’espèce. Il est indubitable que les marques VICTORIA’S SECRET et VS de la défenderesse sont notoires, sinon célèbres, au Canada, mais j’admets que, au vu de la preuve, la défenderesse exerce un contrôle sous licence approprié sur l’emploi de ces marques. Néanmoins :

a.     la défenderesse invite la Cour à décortiquer les marques de commerce respectives des parties qui sont en litige, en examinant des mots « à plusieurs syllabes » et « précédés de la lettre V ». Cela n’est pas la bonne manière de procéder. La Cour doit examiner les marques de commerce sans les décortiquer en leurs éléments constitutifs, sur la base d’une première impression auprès du public visé– VICTORIA’S SECRET, comparativement à VALENTINE SECRET, VALENTINE Secret et Dessin, et Valentine Secret Lingerie et Dessin;

b.      il ressort des nouveaux éléments de preuve que le mot SECRET est employé de manière relativement fréquente au Canada par des tierces parties en liaison avec de la lingerie, ainsi que des vêtements et des sous‑vêtements pour femmes. Bien que le témoignage de M. Romeo, de Mme D’Amours et de Mme Lee, de Thomson CompuMark, soit quelque peu miné par le fait qu’ils ne confirment pas l’emploi fait par les entités relevées dans les résultats de recherche au Canada, le nombre élevé d’enregistrements de marque de commerce et de sociétés indiqués dans les recherches faites au Canada est suffisant pour démontrer le caractère commun de l’emploi que font du mot SECRET, en liaison avec de la lingerie et des vêtements pour femmes, un certain nombre de tierces parties au pays. Sont particulièrement notables les marques de commerce SECRET que possède et emploie Doris Hosiery Mills Ltd (LMC151062 et LMC279703).

[81]           Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kellogg Salada Canada Inc c Canada (Registraire des marques de commerce), [1992] ACF no 562, aux pages 358 à 360 (CAF) (Kellogg) :

On a jugé que la présence d’un élément commun dans les marques de commerce a une grande incidence sur la question de la confusion, comme l’a exprimé le Contrôleur dans l’affaire Re Harrods Ltds. Appl’n, précité, à la page 70 :

[traduction] C’est maintenant un principe reconnu, dont il faut tenir compte pour déterminer la possibilité de confusion entre deux marques de commerce seulement, que lorsque ces deux marques de commerce comportent un élément commun qui est également compris dans un certain nombre d’autres marques de commerce employées dans le même marché, cet emploi commun dans le marché incite les acheteurs à porter une plus grande attention aux autres traits des marques de commerce respectives et à les distinguer les unes des autres au moyen de ces autres traits.

Dans l’ouvrage de Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, (3e ed.), Toronto, 1972, à la page 351, les auteurs affirment :

[traduction] Il arrive rarement qu’on emploie uniquement les parties communes au commerce sans leur ajouter d’autres traits, qui peuvent être distinctifs. On prend habituellement une partie d’une marque de commerce, comme le préfixe ou le suffixe d’un mot, ou, dans d’autres cas, seulement l’un des mots d’une marque de commerce comportant plusieurs mots. Pour déterminer la possibilité de confusion entre deux marques de commerce données, c’est un principe reconnu que, lorsque ces deux marques comportent un élément commun qui est également compris dans un certain nombre d’autres marques employées dans le même marché, cet emploi commun dans le marché incite les acheteurs à porter une plus grande attention aux traits additionnels ou non communs des marques respectives et à les distinguer les unes des autres au moyen de ces autres traits. Ce principe exige toutefois que les marques qui comprennent les éléments communs fassent l’objet d’un emploi assez répandu dans le marché à l’intérieur duquel les marques examinées sont ou seront utilisées [186].

La preuve montre bien que le mot « Nutri », comme préfixe ou autrement, est généralement adopté et employé dans le secteur de l’alimentation au Canada. À la date de production de la demande, la preuve fait état d’au moins quarante‑sept enregistrements de marques de commerce et de quarante‑trois noms commerciaux; à la date de l’opposition modifiée, il y avait trois noms commerciaux de plus; depuis cette date, il y a eu au moins dix‑huit nouveaux enregistrements et demandes d’enregistrement de marques de commerce. Je suis d’accord avec la prétention de l’avocat selon laquelle il est raisonnable de conclure, à partir de toute cette preuve, que le mot « Nutri » est généralement adopté dans le secteur de l’alimentation pour suggérer une qualité désirable des produits alimentaires, en particulier des produits alimentaires diététiques. Je pense qu’on peut déduire que les consommateurs de ces produits sont habitués à établir de fines distinctions entre les diverses marques de commerce « Nutri » dans le marché, en portant une plus grande attention aux moindres petites différences entre les marques. J’accueille la prétention de l’appelante selon laquelle les marques de l’intimée sont faibles parce qu’elles incorporent un mot qui est employé généralement dans le commerce. Le suffixe « Vite » employé dans la marque de l’appelante et les suffixes « Max » et « Fibre » employé dans les marques de l’intimée sont totalement différents et ont une apparence qui suffit à les distinguer. »

[82]           Quand deux marques de commerce contiennent un élément commun qui figure par ailleurs dans un certain nombre d’autres marques de commerce, la nature commune de l’élément sur le marché amène les consommateurs à accorder davantage d’attention aux autres caractéristiques non communes des marques et à faire une distinction entre les deux marques en litige en se fondant sur les autres caractéristiques, ce qui amoindrit de ce fait la probabilité de confusion (arrêt Kellogg, précité, aux pages 358 à 360).

[83]           Compte tenu des différences dans l’apparence et le son entre la marque VICTORIA’S SECRET et le mot servant de marque, le dessin‑marque et la marque Lingerie VALENTINE SECRET de la défenderesse, et indépendamment des idées qu’évoquent les marques en litige, lesquelles favorisent quelque peu la défenderesse, je conclus qu’il n’existe pas de probabilité de confusion.

2)                  La probabilité de confusion - La marque VS de la demanderesse

[84]           Les preuves détaillées d’emploi des marques de commerce VS de la défenderesse, la reconnaissance du fait que les facteurs énoncés aux alinéas 6(5)a) à 6(5)d) de la Loi favorisent la défenderesse et que, bien que la marque Vs de la demanderesse emploie aussi l’expression « A secret that women love », tandis que les marques enregistrées de la défenderesse sont VS SPORT et VS PRO, il ne fait aucun doute que les lettres VS, employées seules ou en tant qu’élément des marques de commerce déposées de la défenderesse, sont utilisées de manière évidente et importante par la défenderesse, et sont très bien connues comme étant l’abréviation des marques VICTORIA’S SECRET. Je conclus que, contrairement aux autres marques de la défenderesse qui sont en litige ici, l’emploi proposé de la marque Vs de la demanderesse crée une probabilité de confusion, vu la célébrité et la notoriété des marques de commerce VS de la défenderesse.

3)                  Le caractère distinctif

[85]           Pour les mêmes motifs que ceux que j’ai donnés ci-dessus au sujet de la probabilité de confusion, je conclus qu’à la date de dépôt de la déclaration d’opposition, le mot servant de marque, le dessin‑marque et la marque Lingerie de la demanderesse étaient distinctifs de la demanderesse, mais pas la marque Vs de cette dernière.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  L’appel de la demanderesse est accueilli en partie. Les décisions du registraire concernant les demandes de marque de commerce 1405838, 1405840 et 1405839 sont annulées et ces marques sont confirmées;

2.                  L’appel de la demanderesse concernant la demande de marque de commerce 1405835 est rejeté, et j’ordonne au registraire des marques de commerce de repousser cette demande;

3.                  Compte tenu du succès partagé, j’accorde à la demanderesse les dépens situés à l’extrémité inférieure de la colonne III du tarif B.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIERS :

T-313-14, t-314-14, t-315-14, t-316-14

 

INTITULÉ :

ECLECTIC EDGE INC c VICTORIA’S SECRET STORES BRAND MANAGEMENT, INC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 marS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 13 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Jaimie Bordman

 

POUR LA DEMANDERESSE,

ECLECTIC EDGE INC

Sarah O’Grady

Antonio Turco

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

VICTORIA’S SECRET STORES BRAND MANAGEMENT, INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ridout & Maybee LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE,

ECLECTIC EDGE INC

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L/s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE,

VICTORIA’S SECRET STORES BRAND MANAGEMENT, INC

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.