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Date : 20150320


Dossier : T-422-14

Référence : 2015 CF 355

Montréal (Québec), le 20 mars 2015

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

demandeur

et

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

MONSIEUR ALAIN RHAINDS

MADAME DOMINIQUE ALLARD

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le Syndicat) cherche à faire déclarer les défendeurs, coupables d’outrage au tribunal en vertu des règles 466 à 472 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] au motif qu’ils auraient délibérément contrevenu à la sentence arbitrale rendue le 20 septembre 2013 par l’arbitre Huguette Gagnon. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.                   Contexte et historique des procédures

[2]               Le Syndicat est composé d’un groupe d’employés de la Société canadienne des postes (la Société) qui comprend notamment les facteurs et les factrices. Les parties sont liées par une convention collective qui régit notamment les heures de travail, l’organisation de la prestation de travail et les heures de pauses et de repas des employés. L’arbitre Gagnon était saisie de huit griefs dans le cadre desquels le Syndicat prétendait que la Société ne respectait pas certaines dispositions de la convention collective concernant la prestation de travail quotidienne et les paramètres relatifs à la prise de la pause-repas des facteurs et des factrices du bureau de Roberval.

[3]               Le 20 septembre 2013, l’arbitre a accueilli les griefs. Il est rapidement devenu évident que les parties ne s’entendaient pas sur la portée et l’interprétation de la sentence arbitrale et sur ce que la Société était tenue de faire pour s’y conformer.

[4]               Le 17 février 2014, le Syndicat a déposé à la Cour un avis visant l’enregistrement de la sentence arbitrale auprès de la Cour conformément au paragraphe 66(1) du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [le Code]. Le paragraphe 66(2) du Code confère à la sentence arbitrale enregistrée à la Cour, la même valeur qu’un jugement rendu par la Cour. L’avis de dépôt, le certificat de dépôt et la copie de la sentence qui y était jointe ont été signifiés aux services des affaires juridiques de la Société le 19 février 2014.

[5]               Le 5 juin 2014, le Syndicat a déposé auprès de la Cour une requête ex parte afin d’obtenir une ordonnance sommant les défendeurs de comparaître devant la Cour pour répondre à une accusation d’outrage au tribunal. Cette requête a été accueillie le 4 juillet 2014 par le juge Simon Noël.

[6]               Il a été convenu au début de l’audition que le débat serait scindé et que la preuve et les représentations des parties porteraient, dans un premier temps, sur la question de la culpabilité des défendeurs à un outrage au tribunal et qu’une audition portant sur la sanction serait ensuite fixée au besoin.

II.                Les principes de droit applicables à une procédure d’outrage au tribunal

[7]               Les principes généraux qui gouvernent une procédure d’outrage au tribunal ne font pas l’objet d’une véritable mésentente entre les parties. L’outrage au tribunal est régi par les règles 466 à 472 des Règles et les principes généraux qui s’appliquent à l’outrage au tribunal sont bien arrêtés par la jurisprudence.

[8]               D’abord, il est reconnu que l’outrage au tribunal en matière civile a un caractère quasi criminel (Bhatnager c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 RCS 217 à la page 224, 71 DLR (4th) 84; Pro Swing Inc c Elta Golf Inc, 2006 CSC 52 au para 35, [2006] 2 RCS 612; Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c Société canadienne des postes, 2011 CF 232 au para 25, [2011] ACF no 267 [Société canadienne des postes]; Rameau c Canada (Procureur général), 2012 CF 1286 au para 1, [2012] ACF no 1641 [Rameau]).

[9]               Le fardeau de la preuve appartient à la partie qui recherche une déclaration de culpabilité d’outrage (Canada (Ministre du Revenu national) c Marangoni, 2013 CF 1154 au para 22, [2013] ACF no 1272), en l’espèce le Syndicat, et une déclaration d’outrage au tribunal doit être fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable (règle 469 des Règles).

[10]           Le Syndicat doit établir, au moyen d’une preuve hors de tout doute raisonnable, les trois éléments constitutifs de l’outrage soit : (1) l’existence de l’ordonnance, (2) la connaissance de cette ordonnance par les défendeurs et (3) le défaut délibéré des défendeurs de se conformer à l’ordonnance (Société canadienne des postes, para 25; Rameau, para 13, Orr c Première Nation de Fort McKay, 2012 CF 1436 au para 15, [2012] ACF no 1650; Canada (Ministre du Revenu national) c Vallelonga, 2013 CF 1155 aux para 18-19, [2013] ACF no 1273). Les parties s’entendent sur les trois éléments constitutifs de l’outrage, mais elles ont présenté des positions nuancées relativement à l’élément d’intention requis pour établir le défaut délibéré de se conformer à l’ordonnance. J’estime toutefois qu’il n’est pas nécessaire que je traite des nuances soumises par chacune des parties parce qu’elles n’ont aucune incidence sur ma décision.

[11]           La jurisprudence exige également que l’ordonnance dont une partie invoque le non-respect soit exécutoire, claire et non ambiguë et que la conduite dictée par l’ordonnance y soit clairement énoncée. Dans Telus Mobilité c Syndicat des travailleurs des télécommunications, 2004 CAF 59 au para 4, [2004] ACF no 273, la Cour d’appel fédérale s’est prononcée comme suit à cet égard :

4     […] Un constat d'outrage au tribunal ne peut s'appuyer sur une ordonnance judiciaire qui est ambiguë, ou sur une ordonnance qui est simplement déclaratoire. La conduite dictée doit être énoncée clairement dans l'ordonnance. Nombreux sont les exemples où des procédures d'outrage ont échoué parce que l'ordonnance était obscure ou imprécise : voir par exemple les espèces suivantes : United Steelworkers of America, Local 663 v. Anaconda Co. (Canada) Ltd. (1969), 3 D.L.R. (3d) 577 (C.S. C.-B.), et Syndicat des postiers du Canada c. Société canadienne des postes , [1987] A.C.F. no 1021, (1987) 16 F.T.R. 4 (1re inst.).

[12]           Le Syndicat a aussi invoqué que le dispositif de l’ordonnance doit être analysé à la lumière des motifs contenus dans l’ordonnance. Dans Warman c Tremaine, 2011 CAF 297 au para 57, [2011] ACF no 1502, la Cour d’appel fédérale a effectivement énoncé « que l'ordonnance elle-même du Tribunal ne peut être dissociée des motifs exposés pour la justifier ». Les motifs d’une ordonnance peuvent servir d’appui à son dispositif, sans pour autant pouvoir modifier ce dispositif ou en tenir lieu (Société canadienne des postes, para 33).

[13]           La Société a invoqué que la procédure d’outrage au tribunal ne pouvait pas viser les défendeurs Alain Rhainds et Dominique Allard parce que le Syndicat n’avait pas établi que ces derniers avaient eu connaissance de l’avis de dépôt de la sentence arbitrale auprès de la Cour. Je considère qu’il n’est pas nécessaire que je traite de cette question puisque la sentence arbitrale en cause n’est pas suffisamment claire et précise pour pouvoir donner lieu à une déclaration d’outrage au tribunal.

III.             Les dispositions de la convention collective, les griefs et la sentence arbitrale

A.                Les dispositions de la convention collective et la nature de la mésentente ayant mené au dépôt des griefs

[14]           Il est utile de reproduire certaines dispositions de la convention collective pour comprendre la nature du litige qui a mené au dépôt des griefs, de même que la sentence arbitrale rendue par l’arbitre et l’interprétation qu’en font les parties.

[15]           La preuve a démontré que l’horaire régulier de travail des employés qui travaillent à temps plein débute à 7 h et se termine à 15 h. Les employés sont rémunérés 8 heures par jour, et ce, peu importe le temps réel requis pour la livraison quotidienne de leur courrier. La journée de travail des employés est composée d’un itinéraire de livraison de courrier qui comprend une partie le matin et une partie l’après-midi avec une pause-repas de 30 minutes. Au bureau de Roberval, la pause-repas est fixée de 12 h à 12 h 30.

[16]           L’interprétation des dispositions de la convention collective qui énoncent les principes généraux qui régissent l’organisation de la journée de travail ne pose pas de véritables problèmes entre les parties. Il est toutefois utile de les exposer pour comprendre le litige qui a mené au dépôt des griefs qui lui, découle de l’application d’une annexe de la convention collective (l’annexe BB), qui prévoit des dérogations à certains des paramètres qui régissent l’organisation de la prestation de travail.

[17]           Je vais donc débuter en exposant les principes généraux.

[18]           L’article 14.05 de la convention collective énonce les paramètres applicables aux pauses-repas et aux pauses des employés à temps plein. Il se lit comme suit :


14.05 Pause-repas et pause-repos – employées et employés à plein temps

a) Les pause-repas des employées et employés à plein temps est placée aussi près que possible du milieu du quart et sa durée minimale doit être d’au moins une demi-heure (1/2 h). Les dispositions de cet alinéa ne s’appliquent pas aux employées et employés du groupe 4.

b) La pause-repas des factrices et facteurs à pied, des passagers des courriers motorisés et des passagers des factrices et facteurs motorisés commence entre quatre (4) heures et cinq (5) heures après le début officiel de l’itinéraire.

[19]           La distribution du travail aux fins des itinéraires des employés est régie par l’article 48.03 de la convention collective qui prévoit notamment la répartition du travail entre deux parties, une le matin, et une autre l’après-midi :

48.03 Distribution du travail aux fins des itinéraires de factrices et facteurs

a) Les itinéraires de factrices et facteurs doivent être conçus de façon qu’il y ait une partie le matin et une partie l’après-midi et établis en fonction des renseignements tirés de l’évaluation de la mesure des itinéraires de factrices et facteurs.

b) Les itinéraires des factrices et facteurs doivent être établis de manière que les pauses-repas tombent le plus près possible du milieu du quart et ces pauses sont d’au moins une demi-heure (1/2 h). Par conséquent, une factrice ou un facteur ne peut commencer la partie de l’après-midi de son quart avant la fin du délai de trente (30) minutes qui suit la fin de l’heure fixée de la partie du matin de son quart.

[20]           La convention collective prévoit également que les employés doivent préparer le courrier de la totalité de la journée le matin, mais qu’à leur départ pour la partie du matin, ils doivent laisser au bureau le courrier qu’ils devront livrer durant la partie de l’après-midi. C’est l’article 48.05 qui encadre cette obligation :

48.05 Traitement du courrier

a) Les factrices et facteurs qui desservent des itinéraires résidentiels doivent normalement préparer le matin le courrier pour la totalité de l’itinéraire. Ils doivent laisser au bureau le courrier à livrer pendant la partie de l’après-midi et le ramasser après la pause-repas.

b) Le courrier devant être traité le midi pour livraison dans la partie de l’après-midi de l’itinéraire doit être livré le même jour.

[21]           Les employés doivent aussi revenir à leur installation de départ après avoir terminé la livraison du courrier de la partie du matin, et ils ne peuvent débuter leur partie de l’après-midi avant l’heure de début fixée pour l’après-midi. Ces obligations sont prévues à l’article 48.08 de la convention collective :

48.08 Heure de fin du travail de la partie du matin

a) Les factrices et facteurs doivent revenir à leur installation de départ le midi, immédiatement après avoir terminé la livraison de la partie du matin afin de se laver et d’inscrire leur heure de fin du travail.

b) Les factrices et facteurs doivent inscrire leur heure d’arrivée à l’installation postale mais elles ou ils ne se rendent pas à leur poste de travail pour commencer leur partie de l’après-midi avant l’heure de début du travail fixée pour l’après-midi.

[22]           Il ressort de la preuve présentée que ces dispositions se traduisent comme suit sur le terrain. Les employés débutent leur quart de travail à 7 h et, à leur arrivée, ils préparent le courrier qui devra être livré durant leur itinéraire complet. Ils conservent avec eux le premier sac de courrier de la partie du matin de leur itinéraire ainsi que le premier sac de la partie de l’après-midi de leur itinéraire. Les autres sacs sont ramassés à la succursale vers 8 h par le Service urbain fusionné qui les distribue dans diverses boîtes de relais situées sur l’itinéraire des factrices et facteurs qui les ramasseront au cours de leur itinéraire. Les clés des boîtes de relais sont remises aux employés chaque matin par madame Dominique Allard qui est la chef de zone locale du bureau de Roberval.

[23]           Les employés ne peuvent pas quitter la succursale avant 8 h 30 pour débuter la livraison du courrier de la partie du matin. Lorsqu’ils quittent pour faire la partie du matin de leur itinéraire, ils apportent avec eux le premier sac de la partie du matin et laissent à leur bureau le premier sac de la partie de l’après-midi.

[24]           Lorsqu’ils ont terminé la livraison du courrier attitré à la partie du matin de leur itinéraire, les employés reviennent à la succursale. Les employés ont généralement terminé la livraison de la partie du matin avant midi. L’heure de la pause-repas est toutefois fixée de 12 h à 12 h 30 et ils ne peuvent pas débuter la livraison du courrier de la partie de l’après-midi avant 12 h 30. De plus, bien qu’ils n’aient pas l’obligation de manger à la succursale, les employés doivent y repasser à la fin de la pause-repas pour ramasser le premier sac de leur courrier de l’après-midi et ils ne peuvent débuter la livraison du courrier de l’après-midi avant la fin de la pause-repas qui se termine à 12 h 30. Lorsque les employés ont terminé la livraison du courrier de l’après-midi, ils doivent revenir à la succursale et avant de quitter pour la journée, ils doivent déposer les clés des boîtes de relais qui leur ont été remises le matin dans une boîte prévue à cette fin.

[25]           L’annexe BB de la convention collective prévoit des dérogations à l’article 48 de la convention collective. C’est l’interprétation et la portée de cette annexe qui fait l’objet d’une mésentente entre les parties et qui a mené au dépôt des griefs. Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

ANNEXE « BB »

LA PÉRIODE DE REPAS FLEXIBLE

Les parties reconnaissent qu’il est important que les factrices et facteurs prennent la pause-repas prévue à leur horaire, conformément à la convention collective.

Cependant, les parties reconnaissent qu’une factrice ou un facteur peut, pour des circonstances personnelles, choisir de ne pas revenir à l’installation pour la pause-repas.

En outre, les parties conviennent qu’une adhésion volontaire est, en ces matières, préférable.

Par conséquent, les parties conviennent de ce qui suit :

1.    Sous réserve des dispositions énoncées ci-dessous et par dérogation à l’article 48, une factrice ou un facteur dont l’itinéraire prévoit un retour à l’installation postale pour la pause-repas peut choisir de ne pas y revenir et d’aller ailleurs pour sa pause-repas.

[…]

6.    La Société peut, en tout temps, demander qu’une employée ou un employé suive les règles de travail définies aux articles 14 et 48. En prenant une telle décision, la Société ne doit pas agir de manière arbitraire, sans motif valable ou injuste.

7.    Le présent protocole remplace toutes les décisions arbitrales et tous les précédents accords entre les parties concernant la livraison continue.

[26]           Madame Allard a témoigné pour les défendeurs. La preuve démontre qu’avant le prononcé de la sentence arbitrale, la Société permettait aux employés qui le désiraient de se prévaloir de l’annexe BB sans devoir invoquer de façon expresse des circonstances personnelles. La Société présumait plutôt que les employés qui choisissaient de ne pas revenir à l’installation postale le midi, faisaient ce choix pour des circonstances personnelles. La Société n’exigeait donc pas que les employés fassent une demande ou divulguent les raisons spécifiques pour lesquelles ils choisissaient de se prévaloir de l’annexe BB.

[27]           De plus, la Société ne vérifiait pas systématiquement si l’employé qui décidait de ne pas revenir à l’installation postale le midi prenait véritablement sa pause-repas ni à quelle heure il la prenait. Cette interprétation de l’annexe BB permettait donc aux employés qui décidaient de ne pas revenir à l’installation postale pour la pause-repas de quitter le matin avec leur courrier de l’avant-midi et de l’après-midi. Les employés pouvaient également prendre leur pause-repas immédiatement après avoir terminé leur livraison de l’avant-midi. Par conséquent, il était possible qu’une partie ou la totalité du courrier de la partie de l’après-midi d’un employé soit livrée le matin. Bref, pour la Société, les employés pouvaient se prévaloir de l’annexe BB sans avoir à invoquer de façon expresse des circonstances personnelles et lorsqu’ils s’en prévalaient, ils bénéficiaient d’une flexibilité à deux volets : (1) ils pouvaient prendre leur pause-repas à l’endroit de leur choix et ils n’avaient donc pas l’obligation de revenir à l’installation postale pour leur pause-repas, et (2) ils pouvaient prendre leur pause-repas au moment où ils le souhaitaient et donc, pas nécessairement de 12 h à 12 h 30.

[28]           Le Syndicat ne partageait pas l’interprétation de l’annexe BB adoptée par la Société. La preuve à cet égard a été composée des témoignages de monsieur Éric Girard qui est vice-président de la section locale 277 Haut-du-Lac et de madame Manon Gagné qui en est la présidente. La preuve révèle que pour le Syndicat, l’annexe BB permet à l’employé qui invoque des circonstances personnelles de ne pas revenir à l’installation postale pour la pause-repas et de manger à l’endroit de son choix, mais ce dernier doit respecter l’horaire de la pause-repas qui est de 12 h à 12 h 30. Le Syndicat prétend que l’application de l’annexe BB ne permet donc pas à un employé de devancer sa pause-repas ni de commencer la livraison du courrier attitré à la partie de l’après-midi de son itinéraire avant 12 h 30. C’est cette mésentente qui a mené aux griefs.

B.                 La sentence arbitrale

[29]           L’arbitre a résumé, au paragraphe 1 de sa sentence, la nature du litige qui opposait le Syndicat et la Société. Ce paragraphe se lit comme suit :

[1] Par les présents griefs, le syndicat allègue que l’employeur a négligé, à plusieurs reprises de respecter la convention collective aux bureaux de Roberval et de Mistassini, en permettant aux employées et employés de commencer la partie de l’après-midi de leur itinéraire avant l’heure de début du travail fixée pour l’après-midi. Les articles 14, 48, l’annexe BB de la convention collective n’auraient alors pas été respectés par l’employeur, ce qui léserait les employées et employés ainsi que le syndicat.

[Souligné dans la sentence arbitrale]

[30]           L’arbitre a résumé la preuve aux paragraphes 4 à 10 de la sentence. Elle a notamment noté qu’un des témoins du Syndicat, le facteur Pierre-Marc Bouchard, avait indiqué que les facteurs faisaient la livraison de la partie de l’après-midi de leur itinéraire durant l’avant-midi et durant la pause-repas. L’arbitre a aussi noté que madame Allard, qui avait témoigné pour la Société, avait indiqué que les facteurs avaient fait un choix personnel de ne pas revenir à l’installation postale pour la pause-repas. Elle a ajouté que madame Allard avait aussi déclaré que si elle avait obligé les employés à revenir à l’installation postale pour la pause-repas, ils auraient eu une pause de deux heures avant la pause-repas parce qu’ils terminent leur livraison de l’avant-midi entre 10 h et 10 h 30. Madame Allard a également indiqué que les factrices et les facteurs sont payés 8 heures par jour, et ce, peu importe le temps requis pour faire leur travail.

[31]           L’arbitre a ensuite exposé les dispositions pertinentes des articles 14 et 48 de la convention collective. Au paragraphe 11 de sa sentence, elle a résumé comme suit la position respective des parties :

[11] Le procureur syndical prétend que l’employeur viole la convention collective en permettant aux employées de livrer en avant-midi la partie de leur itinéraire de l’après-midi. Quant à la procureure patronale, elle pose la question suivante : « pourquoi demander aux facteurs de rester 2 heures au bureau sans rien faire? » Elle réfère à la preuve qui démontre que les facteurs finissent la livraison de l’avant-midi entre 10 et 10h½. Ceux-ci seraient donc 2 heures sans rien faire si l’employeur les obligeait à revenir au bureau pour le diner qui est fixé de midi à midi 30. Or, les facteurs se sont prévalus de l’annexe BB de la convention collective pour choisir de ne pas revenir au bureau pour la pause-repas. Selon la procureure de l’employeur, ladite annexe permet de déroger à toutes les règles des articles 14 et 48 de la convention.

[32]           Après avoir passé en revue les diverses dispositions des articles 14 et 48, l’arbitre a énoncé comme suit sa compréhension de ces dispositions :

[15] De toutes les clauses précitées, il ressort clairement que les factrices et facteurs à pied doivent revenir à leur installation de départ le midi, immédiatement après avoir terminé la livraison de la partie du matin (clause 48.08a), et qu’ils ne peuvent livrer dans l’avant-midi la partie de l’après-midi de leur itinéraire. Le plus tôt qu’ils peuvent commencer à livrer cette partie, c’est 30 minutes après la fin de l’heure fixée pour la partie du matin (clause 48.03b)).

[33]           L’arbitre a ensuite traité de l’annexe BB de la convention collective et indiqué, au paragraphe 16 de la sentence, que cette annexe prévoit une dérogation à l’article 48 « lorsque, pour des circonstances personnelles, une factrice ou un facteur choisit de ne pas revenir à l’installation postale pour la pause-repas ».

[34]           L’arbitre s’est ensuite attardée à définir l’expression « circonstances personnelles » et elle a conclu que cette expression référait à un fait propre à une personne. Elle a noté que « [p]our qu’une factrice ou un facteur puisse choisir de ne pas revenir à l’installation postale pour la pause-repas, il doit donc y avoir un fait qui lui appartient en propre » (paragraphe 19 de la sentence).

[35]           L’arbitre a ensuite conclu que la Société ne vérifiait pas si les employés avaient des circonstances personnelles, ce qui contrevenait à l’annexe BB qui exige qu’un employé ait des circonstances personnelles pour qu’il puisse s’en prévaloir. Elle a jugé qu’aucune circonstance propre aux employés n’avait été mise en preuve et que la preuve démontrait plutôt que le choix des employés était lié à la durée de la livraison de la partie de l’avant-midi de leur l’itinéraire, ce qui constitue un fait qui n’a rien de personnel. Elle a jugé que le fait de terminer tôt la livraison de l’avant-midi ne constituait pas une circonstance qui appartient en propre aux employés.

[36]           L’arbitre a donc conclu que la Société avait enfreint la convention collective en permettant aux employés de ne pas revenir à l’installation postale pour la pause-repas alors que ceux-ci ne répondaient pas aux exigences prévues à l’annexe BB pour faire ce choix, soit d’avoir des circonstances personnelles. Elle a ajouté qu’en raison de cette permission accordée par la Société en violation de la convention collective, les employés avaient fait la livraison de la partie de l’après-midi de leur itinéraire avant l’heure de début du travail fixée pour l’après-midi. Le raisonnement de l’arbitre se retrouve aux paragraphes 22 et 23 de la sentence :

[22] Je conclus que l’employeur a enfreint la convention collective en permettant à des factrices et facteurs de ne pas revenir à l’installation postale pour la pause-repas alors que ceux-ci ne répondaient pas à l’exigence prévue à l’annexe BB pour faire ce choix, soit des circonstances personnelles.

[23] En raison de la permission accordée par l’employeur en violation de l’annexe BB de la convention collective, les factrices et facteurs ont fait la livraison de la partie de l’après-midi de leur itinéraire avant l’heure de début fixée pour l’après-midi (clause 48.08b)) ou avant la fin du délai de 30 minutes qui suit la fin de l’heure fixée pour la partie du matin du quart de travail (clause 48.03b)), et ce, à la connaissance de l’employeur dans que celui-ci intervienne pour faire respecter la convention collective.

[37]           Le dispositif de la sentence arbitrale se lit comme suit :

POUR TOUS LES MOTIFS EXPRIMÉS PRÉCÉDEMMENT:

[25] J’ACCUEILLE les griefs 277-10-00013, 00016, 00019, 277-12-00001, les parties ayant convenu d’appliquer ma décision aux griefs 277-10-00012, 00017, 00020, 277-12-00002;

[26] JE DÉCLARE que l’employeur a violé l’annexe BB de la convention collective en permettant aux factrices et facteurs de faire le choix de ne pas revenir à l’installation postale pour leur pause-repas alors que ceux-ci n’avaient pas de circonstances personnelles leur permettant de faire ce choix;

[27] JE DÉCLARE que, en raison de cette violation de l’annexe BB de la convention collective par l’employeur, les facteurs et factrices ont commencé la livraison de la partie de l’après-midi de leur itinéraire avant l’heure de début du travail fixée pour l’après-midi ou, avant la fin du délai de 30 minutes qui suit la fin de l’heure fixée de la partie du matin du quart de travail, et ce, à la connaissance de l’employeur qui a permis la violation des clauses 48.08b) et 48.03b) de la convention collective;

[28] J’ORDONNE à l’employeur de cesser cette pratique qui va à l’encontre de la convention collective;

[20] JE RESTE SAISIE de tous les griefs afin de régler les mésententes qui pourraient survenir dans l’application de ma décision et pour déterminer le quantum, s’il y a lieu.

IV.             Interprétation de la sentence arbitrale par les parties

[38]           La preuve démontre clairement que les parties ne font pas la même lecture de la sentence arbitrale et rien dans la preuve ne m’incite pas à penser que l’une ou l’autre des parties a agi avec mauvaise foi.

[39]           La Société a compris de la sentence arbitrale qu’elle violait la convention collective parce qu’elle permettait aux employés de se prévaloir de l’annexe BB sans avoir invoqué des circonstances personnelles. La Société a donc cessé de présumer que les employés qui décidaient de ne pas revenir à l’installation postale pour la pause-repas avaient fait ce choix en raison de circonstances personnelles, et elle a accepté d’appliquer l’annexe BB aux seuls employés qui en faisaient la demande en invoquant des circonstances personnelles. Madame Allard a indiqué lors de son témoignage que les paramètres prévus aux articles 14 et 48 s’appliquaient dorénavant à tous les employés à l’exception de ceux qui avaient demandé de bénéficier de l’annexe BB et avaient invoqué des circonstances personnelles. Madame Allard a aussi indiqué qu’elle effectuait des vérifications pour s’assurer que l’horaire était respecté par les employés qui ne bénéficiaient pas de l’annexe BB.

[40]           La preuve a démontré que certains employés ont effectivement demandé à la Société de se prévaloir de l’annexe BB pour des circonstances personnelles. Le syndicat s’est opposé au dépôt des demandes écrites formulées par les employés au motif qu’en l’absence du témoignage des auteurs de ces demandes, il s’agissait de ouï-dire. Cette objection est rejetée. Les demandes écrites des employés ne font pas preuve de leur contenu (par exemple, le fait que dans sa demande écrite madame X invoque une circonstance donnée n’établit pas la véracité de la circonstance invoquée par madame X) mais elles sont admissibles pour établir que madame Allard a reçu des demandes de la part des employés en cause, que les demandes faisaient état de circonstances personnelles et que la Société a jugé que les circonstances invoquées constituaient des circonstances personnelles au sens où l’a entendu l’arbitre Gagnon.

[41]           La Société a par ailleurs continué d’interpréter l’annexe BB comme permettant aux employés qui en bénéficiaient pour des circonstances personnelles de prendre leur pause-repas à l’endroit de leur choix et à l’heure de leur choix. Du point de vue de la Société, les privilèges découlant de l’application de l’annexe BB n’ont pas été changés par la sentence arbitrale. La Société interprétait l’annexe BB avant la sentence arbitrale, et continue de l’interpréter depuis la sentence arbitrale, comme permettant une dérogation complète aux articles 14 et 48 de la convention collective. Ainsi, pour la Société, l’employé à qui s’applique l’annexe BB peut quitter l’installation postale le matin avec son courrier pour la partie du matin et la partie de l’après-midi de son itinéraire. L’employé doit faire sa livraison de l’avant-midi et il peut, dès qu’il a terminé, prendre sa pause-repas de trente minutes, et ce, peu importe l’heure à laquelle il termine sa livraison de l’avant-midi. L’employé peut ensuite débuter sa livraison de l’après-midi, et ce, quelle que soit l’heure à laquelle il termine sa pause-repas.

[42]           Les défendeurs ont donc soumis qu’ils s’étaient conformés à la sentence arbitrale, puisque tous les employés qui auraient, selon le Syndicat, contrevenu à l’horaire prévu à la convention collective avaient fait des demandes dans lesquelles ils invoquaient des circonstances personnelles, et n’étaient donc pas obligés d’attendre jusqu’à 12h30 pour commencer leur itinéraire de l’après-midi.

[43]           Le Syndicat fait une lecture différente de la sentence arbitrale. Dans un premier temps, le Syndicat comprend de la sentence arbitrale que la Société ne pouvait pas présumer que les employés avaient des circonstances personnelles sans qu’ils aient formellement invoqué des circonstances personnelles. Ce volet concorde avec l’interprétation de la Société.

[44]           Le Syndicat estime par ailleurs que la sentence arbitrale a aussi eu pour effet de confirmer que lorsque l’annexe BB s’applique à un employé, elle permet à cet employé de prendre sa pause-repas à l’endroit de son choix, mais ce, tout en respectant la période de la pause-repas qui doit être de 12 h à 12 h 30. Pour le Syndicat, le seul privilège qui découle de l’application de l’annexe BB est celui de ne pas avoir l’obligation de revenir à l’installation postale pour la pause-repas. Ainsi, un employé qui bénéficie de l’annexe BB en raison de l’existence de circonstances personnelles peut quitter l’installation le matin avec son courrier de l’après-midi, mais il ne peut pas débuter la livraison de son courrier attitré à la partie de l’après-midi de son itinéraire avant 12 h 30.

[45]           Le Syndicat soutient que dans la sentence arbitrale, l’arbitre a implicitement entériné son interprétation de l’annexe BB. Il soutient qu’il ressort clairement de la sentence que l’arbitre a saisi que le nœud du litige résidait dans le fait que la Société permettait à des employés de débuter en avant-midi la livraison du courrier attitré à la partie de l’après-midi de leur itinéraire. Le Syndicat soumet qu’il ressort également clairement de l’annexe BB que la seule dérogation permise réside dans le lieu de la prise de la pause-repas et qu’il est évident que l’annexe ne permet pas de devancer l’heure du début de la livraison du courrier de l’après-midi.

[46]           Les défendeurs soutiennent pour leur part que la portée de la sentence arbitrale n’est pas aussi claire que le Syndicat le laisse entendre et que l’interprétation qu’ils en font est raisonnable. Ils soumettent que dans un tel contexte, ils ne peuvent être déclarés coupables d’outrage au tribunal.

[47]           Il ressort de la preuve que certains employés ne laissaient pas leur courrier de l’après-midi au bureau, et n’attendaient pas jusqu’à 12 h 30 pour commencer leur itinéraire de l’après-midi. Il ressort également de la preuve que tous ces employés avaient fait des demandes à la Société en invoquant des circonstances personnelles. Ainsi, si l’on retient l’interprétation de la Société, les défendeurs n’ont pas contrevenu à la sentence arbitrale puisque tous les employés qui ont dérogé à l’horaire prévu à la convention collective avaient invoqué des circonstances personnelles au sens de l’annexe BB. En revanche, si l’on retient l’interprétation du Syndicat, les défendeurs auraient contrevenu à la sentence arbitrale puisque la Société a permis à des employés de commencer leur itinéraire de l’après-midi avant 12 h 30 alors que l’annexe BB ne permet pas de déroger à cette règle. Il est donc nécessaire de déterminer si la sentence a clairement tranché en faveur d’une interprétation plutôt qu’une autre.


V.                Analyse

[48]           J’estime que la sentence arbitrale n’est pas suffisamment précise quant à la portée et à l’interprétation de l’annexe BB et surtout quant à la conduite que la Société et les deux défendeurs devaient adopter relativement à l’étendue des privilèges accordés aux employés qui bénéficient de l’annexe BB.

[49]           Je conviens qu’une partie de la sentence est claire. Il est évident que l’arbitre a jugé que la Société avait enfreint la convention collective parce qu’elle permettait à l’ensemble des employés de se prévaloir des avantages découlant de l’annexe BB, et ce, sans vérifier si les employés avaient invoqué des circonstances personnelles justifiant qu’ils se prévalent des dispositions dérogatoires de l’annexe. Il ressort clairement de la sentence arbitrale que l’arbitre a jugé que la pratique de la Société qui consistait à présumer que les employés qui ne revenaient pas à l’installation postale pour la pause-repas faisaient ce choix en raison de circonstances personnelles n’était pas conforme à l’annexe BB. L’arbitre a indiqué que la preuve ne démontrait pas que les employés avaient invoqué des circonstances personnelles et que le fait de terminer tôt la livraison du courrier de l’avant-midi ne constituait pas une circonstance personnelle.

[50]           La preuve démontre que la Société a cessé cette pratique et que les seuls employés qui peuvent maintenant bénéficier des dispositions de l’annexe BB sont ceux qui en ont fait la demande et qui ont invoqué des circonstances personnelles. Il ressort également de la preuve que la Société traite les demandes des employés en appliquant la définition de l’expression « circonstances personnelles » énoncée dans la sentence arbitrale.

[51]           Je conviens avec le Syndicat que le volet relié à l’existence ou la non-existence de circonstances personnelles ne réglait pas l’ensemble du litige soulevé dans les griefs parce que le nœud de la problématique résidait dans l’interprétation des avantages qui découlent de l’application de l’annexe BB. Le litige incluait la question relative à la portée des dérogations permises par les dispositions de l’annexe BB. De façon concrète, outre la question relative à l’existence de circonstances personnelles, le litige soulevait la question de savoir si l’annexe BB se limite à permettre à l’employé qui en bénéficie de prendre sa pause-repas à l’endroit de son choix ou si elle lui permet également de choisir l’heure à laquelle il peut prendre sa pause-repas.

[52]           Le Syndicat soutient qu’il ressort implicitement de la sentence arbitrale, que l’arbitre a entériné son interprétation de l’annexe BB. Avec égards, je ne suis pas de cet avis.

[53]           Je reconnais que l’arbitre a correctement énoncé le litige qui opposait les parties de même que les positions respectives des parties, mais ces références dans la sentence arbitrale ne suffisent pas pour conclure que l’arbitre a interprété l’étendue des dérogations permises par l’annexe BB et qu’elle a entériné l’interprétation proposée par le Syndicat.

[54]           De plus, l’arbitre ne s’est pas prononcée de façon expresse sur la portée des dérogations aux articles 14 et 48 de la convention collective prévue à l’annexe BB. Les motifs et le dispositif de la sentence arbitrale énoncent clairement que l’annexe BB ne peut s’appliquer que lorsqu’un employé a des circonstances personnelles. L’arbitre ne s’est toutefois pas prononcée de façon expresse sur l’étendue de la latitude dont bénéficie l’employé à qui s’applique de façon légitime l’annexe BB. L’arbitre n’a pas précisé si l’application de l’annexe BB entraînait une dérogation complète aux articles 14 et 48 ou si le seul avantage qui en découlait avait trait au lieu de la prise de la pause-repas.

[55]           Il est possible que l’arbitre ait jugé qu’il n’était pas nécessaire qu’elle se penche sur l’interprétation des dérogations permises par l’annexe BB parce qu’elle avait déjà déterminé que la Société avait contrevenu à la convention collective en appliquant l’annexe BB dans des circonstances qui ne permettaient pas son application. Ainsi, à partir du moment où l’arbitre a déterminé que la Société avait erré en appliquant l’annexe BB, il n’était pas nécessaire, pour trancher les griefs, qu’elle se prononce sur les avantages qui auraient découlé de l’application de l’annexe BB si elle avait été appliquée à l’égard d’employés qui rencontraient les exigences pour s’en prévaloir. Une telle hypothèse expliquerait pourquoi l’arbitre n’a pas traité expressément de l’étendue des avantages découlant de l’annexe BB.

[56]           Il n’est pas impossible non plus que l’arbitre ait voulu se prononcer implicitement sur la portée des avantages découlant de l’application de l’annexe BB mais si c’est le cas, la sentence arbitrale est clairement trop imprécise pour conclure qu’elle a voulu entériner l’interprétation proposée par le Syndicat. Le Syndicat soutient qu’il est évident que l’annexe BB permet seulement aux employés qui en bénéficient de ne pas à se rendre à l’installation postale pour prendre leur pause-repas, et que même monsieur Rhainds a reconnu que l’annexe BB ne devait pas être utilisé pour terminer tôt.

[57]           Avec égards, ce n’est pas ce que la preuve a démontré. Madame Allard a affirmé que monsieur Rhainds avait indiqué que le bénéfice de l’annexe BB ne devait pas être utilisé par les employés uniquement pour terminer tôt et que les employés devaient faire valoir des circonstances personnelles qui leur étaient propres. Le Syndicat s’est d’ailleurs opposé à l’admissibilité des déclarations faites par monsieur Rhainds parce qu’il n’avait pas témoigné et que ces propos étaient rapportés par madame Allard. Le témoignage de madame Allard sur les propos tenus par monsieur Rhainds était admissible pour établir ce qu’elle avait compris des propos de monsieur Rhainds et son témoignage ne permet pas de conclure que monsieur Rhainds a compris de la sentence arbitrale que l’arbitre avait adopté l’interprétation de l’annexe BB proposée par le Syndicat.

[58]           Dans la sentence arbitrale, l’arbitre a indiqué que le fait de terminer tôt la livraison du courrier de l’avant-midi ne constituait pas une circonstance propre à l’employé. Le fait qu’un employé doive avoir des circonstances personnelles pour pouvoir bénéficier de l’annexe BB n’empêche toutefois pas que l’application des dispositions de l’annexe BB ait comme conséquence qu’il terminera sa journée de travail avant 15 h.

[59]           De plus, le Syndicat ne m’a pas convaincue que l’interprétation adoptée par la Société suivant laquelle l’annexe BB entraîne une dérogation à l’ensemble des articles 14 et 48 de la convention collective est déraisonnable. Je ne suis pas non plus d’avis que l’interprétation adoptée par le Syndicat est déraisonnable.

[60]           À tout événement, il n’appartient pas à la Cour d’usurper le rôle de l’arbitre et d’interpréter les dispositions de la convention collective et de se prononcer sur la portée des dérogations permises par l’annexe BB. Il ressort toutefois qu’un désaccord quant à la portée de la sentence arbitrale est survenu entre les parties dès que la sentence a été rendue et j’estime qu’à priori, aucune des deux interprétations n’est déraisonnable.

[61]           Je considère que la sentence arbitrale ne permet pas de comprendre si et comment l’arbitre a interprété l’étendue des dérogations permises par l’annexe BB et qu’elle ne dicte pas clairement comment les défendeurs devaient interpréter l’annexe BB lorsqu’ils l’appliquaient aux employés qui avaient véritablement invoqué des circonstances personnelles. En l’absence de référence expresse, tant dans les motifs que dans le dispositif de la sentence arbitrale, je considère que la sentence arbitrale n’est pas suffisamment claire et précise pour pouvoir donner lieu à une condamnation d’outrage au tribunal. Il subsiste une ambiguïté quant à savoir si l’arbitre a, ou non, traité de l’étendue des dérogations permises lorsque l’annexe BB s’applique. De plus, si l’arbitre en a traité de façon implicite, je considère que sa sentence n’est pas suffisamment précise à cet égard pour donner lieu à une déclaration d’outrage au tribunal.

[62]           J’estime, tout comme je l’avais estimé dans Société canadienne des postes, au para 38, que les propos du juge Cattanach dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 529 c Central Broadcasting Co, [1997] 2 CF 78 aux para 58, 82 s’appliquent en l’espèce :

58   […] Le fait de déposer et d'enregistrer devant cette Cour une ordonnance du Conseil vise à en assurer l'exécution par les brefs de cette Cour. Si on examine la question de façon réaliste, l'ordonnance, même après son dépôt devant cette Cour, reste l'ordonnance du Conseil. Or, l'ordonnance du Conseil est définitive et ne peut pas être mise en question ni révisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale; il n'entre donc pas dans les attributions d'un juge de la Division de première instance de la modifier pour la rendre exécutable. L'ordonnance du Conseil, même lorsqu'elle est déposée et enregistrée aux termes de l'article 123, reste intacte. Telle a été, à mon sens, sans aucun doute l'intention du Parlement lorsqu'il a rédigé l'article 122 du Code canadien du travail. Le tribunal compétent pour modifier une ordonnance du Conseil, c'est le Conseil lui-même. J'ai exprimé ce point de vue (auquel j'adhère toujours) à l'avocat de la requérante, à plusieurs reprises au cours de l'audition de la requête. Il n'appartient pas à la Division de première instance de deviner ce qui se cache sous le libellé de l'ordonnance, et de la modifier de façon à dire ce que le Conseil voulait dire, mais n'a pas dit. Un tel procédé équivaudrait à usurper les fonctions du Conseil.

[…]

82   Si cette Cour doit punir une personne pour ne pas avoir exécuté une ordonnance du Conseil qui, en vertu de l'article 123 du Code canadien du travail est devenue, après son dépôt et son enregistrement, une ordonnance de cette Cour aux fins d'exécution, cette ordonnance doit prescrire les actes à accomplir en termes clairs et non ambigus, ce que, pour les raisons que j'ai données, le Conseil a négligé de faire.

[Je souligne]

[63]           Je reconnais que malgré la sentence arbitrale, les parties demeurent dans une impasse au niveau de l’étendue des bénéfices qui découlent de l’annexe BB et des dérogations qu’elle permet aux dispositions des articles 14 et 48 de la convention collective, mais je suis d’avis que cette impasse ne peut se résoudre par le biais de la présente procédure en outrage au tribunal.

[64]           Pour tous ces motifs, la demande est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la procédure en outrage au tribunal soit rejetée avec dépens en faveur des défendeurs.

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-422-14

 

INTITULÉ :

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES c SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 16 et 17 mars 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 mars 2015

 

COMPARUTIONS :

Céline Allaire

 

Pour le demandeur

 

Michel Carle

Anaïs Lacroix

 

Pour lES défendeUrs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Philion Leblanc Beaudry

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Norton Rose Fulbright Canada Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour lES DÉFENDEURS

 

 

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