Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150324


Dossier : T‑1267‑10

Référence : 2015 CF 367

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 24 mars 2015

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

ALLERGAN, INC. ET ALLERGAN SALES, LLC. ET ALLERGAN USA, INC. ET KYORIN PHARMACEUTICAL CO., LTD.

demanderesses

et

APOTEX INC. ET APOTEX PHARMACHEM INC.

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Les demanderesses ont présenté une requête pour que soit délivrée une ordonnance faisant appliquer ce qu’elles disent être les conditions d’un règlement de la présente action intervenu entre les parties. Les défenderesses nient qu’un règlement ait été conclu. 

[2]               Dans cette action engagée par les demanderesses, il est allégué que les défenderesses ont contrefait le brevet canadien no 1,340,316 (ci‑après appelé le « brevet ‘316 »). Ce brevet revendique certains composés chimiques, dont la gatifloxacine, qui présente un intérêt commercial parce qu’elle est utilisée à titre d’ingrédient actif dans des solutions ophtalmiques. La date d’expiration du brevet ‘316 est le 12 janvier 2016.

[3]               Selon la déclaration de la présente action, qui a été déposée le 5 août 2010, les défenderesses contrefaisaient le brevet ‘316 en fabriquant ou en faisant fabriquer, en construisant, en important, en exportant et en utilisant de la gatifloxacine et des solutions ophtalmiques à base de gatifloxacine. Le 2 mai 2011, les défenderesses ont déposé une défense dans laquelle ils niaient la contrefaçon et déclaraient que toute fabrication ou utilisation de gatifloxacine était à des fins expérimentales légitimes, conformément à des exemptions prévues par la loi dans les paragraphes 55.2(1) et (6) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, ch P‑4.

[4]               On en est arrivé dans l’action aux étapes initiales de la communication préalable.

I.                   LA PREUVE

[5]               La preuve produite est constituée de l’affidavit d’un auxiliaire juridique du cabinet d’avocats représentant les demanderesses et de l’affidavit d’un avocat du cabinet représentant les défenderesses, de nombreux documents étant joints comme pièces à chacun des affidavits. Il n’y a eu contre‑interrogatoire à l’égard ni de l’un ni de l’autre affidavit. Un résumé suit de la correspondance pertinente échangée entre les parties.  

[6]               Le 9 avril 2012, les avocats des défenderesses ont envoyé aux avocats des demanderesses, sous réserve de tout droit, une lettre où était présentée une offre de règlement et précisant ce qui suit :

[traduction]

Nous vous écrivons pour présenter l’offre de règlement qui suit.

Comme vous le savez, nos clientes n’ont procédé à aucune production commerciale de gatifloxacine au Canada, effectuant seulement des travaux de développement qui ne constituent pas de la contrefaçon. Nos clientes offrent ainsi que l’action mentionnée en rubrique soit réglée comme suit :

1.   L’offre demeure ouverte jusqu’à la première minute suivant le début du procès ou jusqu’à ce que, auparavant, elle ait été retirée par écrit.

2.     Les demanderesses se désisteront de l’action, sans frais.

3.     Les défenderesses prendront les engagements suivants :

a.   aucune préparation contenant de la gatifloxacine destinée à la vente commerciale ne sera fabriquée par les défenderesses avant l’expiration du brevet canadien no 1,340,316 (le « brevet ‘316 »);

b.   toute utilisation faite par les demanderesses de la gatifloxacine à titre d’ingrédient pharmaceutique actif au Canada avant l’expiration du brevet ‘316 sera uniquement à des fins réglementaires et/ou expérimentales;

c.   aucune préparation contenant de la gatifloxacine fabriquée par les défenderesses à des fins réglementaires ou expérimentales avant l’expiration du brevet ‘316 ne sera vendue dans le commerce;

d.   toute gatifloxacine considérée comme un ingrédient pharmaceutique actif qui n’est pas utilisée à des fins réglementaires et/ou expérimentales avant l’expiration du brevet ‘316 sera détruite à l’expiration du brevet ‘316.

Nous espérons avoir bientôt de vos nouvelles.

[7]               Dans une lettre du 20 avril 2012, les avocats des demanderesses ont répondu en demandant des précisions sur deux points; ils demandaient premièrement si on allait procéder à des exportations hors du Canada et, deuxièmement, si la portée de l’engagement devait s’étendre à toute entreprise contrôlée par les des défenderesses ou affiliée à celles‑ci.

[8]               Par lettre du 29 avril 2012, les avocats des défenderesses ont répondu que la portée de l’engagement s’étendait à la fabrication en vue de la vente commerciale partout dans le monde, ainsi qu’à toute entreprise qui est dirigée ou contrôlée par les défenderesses ou affiliée à celles‑ci.

[9]               Le 27 avril 2012, les avocats des demanderesses ont envoyé aux avocats des défenderesses un courriel dans lequel ils disaient : [traduction] « nos discussions en vue d’un règlement semblent bien progresser […] ». Ils proposaient également que soit ajournée une requête dont la Cour était alors saisie.

[10]           Le 6 juin 2012, les avocats des demanderesses ont écrit dans un courriel destiné aux avocats des défenderesses que,  [traduction] « pour faire avancer les choses », ils avaient rédigé l’ébauche d’un procès‑verbal de règlement, qu’ils joignaient au courriel.

[11]           Le 12 juin 2012, les avocats des défenderesses ont envoyé aux avocats des demanderesses un courriel auquel était jointe l’ébauche révisée du procès‑verbal de règlement, en demandant que les demanderesses leur communiquent leurs instructions. Par courriel du 27 juin 2012, les avocats des demanderesses ont répondu que l’ébauche leur semblait acceptable, hormis une virgule manquante, et qu’ils allaient transmettre le document à leurs clientes pour instructions. 

[12]           Le 30 juillet 2012, les avocats des demanderesses ont envoyé un courriel aux avocats des défenderesses, en y joignant une ébauche modifiée du procès‑verbal de règlement et en déclarant que celle‑ci avait été rédigée [traduction] « tel qu’on en a discuté vendredi ».

[13]           Dans le courriel du 14 août 2012 envoyé en réponse, les avocats des défenderesses ont formulé des commentaires sur les révisions, consentant à certaines d’entre elles mais pas à d’autres, et ont terminé en disant : [traduction] « Veuillez nous faire savoir si votre cliente est toujours intéressée à un règlement […] ». Les avocats des demanderesses ont répondu par courriel le même jour que leurs clientes étaient  [traduction] « […] toujours intéressées au règlement de l’affaire ».

[14]           Le 15 novembre 2012, les avocats des demanderesses ont joint à un courriel transmis aux avocats des défenderesses des copies finale et corrigée de la plus récente ébauche de procès‑verbal de règlement, ainsi qu’une ébauche de lettre dont l’envoi était proposé à la Cour. Les avocats des demanderesses ont envoyé une telle lettre le 16 novembre 2012, apparemment pour donner suite à une demande d’état, où ils déclaraient ce qui suit : [traduction] « Les parties en sont à un stade avancé et elles espèrent en arriver à une entente d’ici deux ou trois  semaines ».

[15]           Le 11 décembre 2012, les avocats des défenderesses ont transmis par courriel un document révisé aux avocats des demanderesses.

[16]           Le 21 janvier 2013, les avocats des demanderesses ont envoyé un courriel aux avocats des défenderesses, en y joignant une nouvelle ébauche du procès‑verbal de règlement où ils avaient ajoutés des mots [traduction] « omis par mégarde dans les ébauches précédentes ».

[17]           Le 28 janvier 2013, les avocats des demanderesses ont déclaré par écrit à la Cour : [traduction] « Les parties [] continuent de négocier les conditions du règlement ».

[18]           Depuis lors jusqu’au 17 juin 2013, les avocats des demanderesses ont adressé divers rappels aux avocats des défenderesses, qui leur ont répondu qu’il leur fallait plus de temps.

[19]           Le 17 juin 2013, les avocats des défenderesses ont transmis par courriel aux avocats des demanderesses une ébauche révisée du procès‑verbal de règlement. Les avocats des demanderesses ont proposé en réponse,  par courriel du 16 août 2013, la tenue d’une conférence de médiation en présence de la Cour. 

[20]           Le 18 septembre 2013, les avocats des demanderesses ont transmis par écrit à la Cour une mise à jour de l’état où ils affirmaient : [traduction] « […] des progrès sont réalisés quant aux conditions du règlement […] un petit nombre de points restent à régler ».

[21]           Le 13 décembre 2013, les avocats des défenderesses ont informé les avocats des demanderesses par courriel de ce qui suit : [traduction] « Nous sommes prêts à recommander à notre cliente l’acceptation des modifications que vous avez proposées sauf en ce qui concerne (quelques changements d’ordre grammatical) ».  

[22]           Le 13 janvier 2014, les avocats des demanderesses ont envoyé un courriel aux avocats des défenderesses, en y joignant une ébauche et en déclarant ce qui suit : 

[traduction]

Nous avons recommandé à notre cliente d’accepter les révisions figurant ci‑dessous et intégrées dans le document joint, et notre cliente est encline à donner son approbation, sous réserve de l’achèvement d’une mesure additionnelle. Pourriez‑vous nous confirmer que votre cliente juge le document joint acceptable.

[23]           Le 14 janvier 2014, les avocats des demanderesses ont transmis par courriel une mise à jour de l’état à la Cour, qu’ils informaient du fait que les demanderesses avaient approuvé l’ébauche la plus récente, sous réserve de confirmation par un certain groupe, et invitaient les avocats des défenderesses à donner leur confirmation.

[24]           Le 24 février 2014, les avocats des demanderesses ont déclaré ce qui suit par courriel aux avocats des défenderesses : 

[traduction]

Pour donner suite à nos discussions de ce matin, nous vous informons que nos clientes ont approuvé les conditions que vous avez proposées dans votre courriel du 14 décembre 2013 et qui ont été intégrées dans l’ébauche distribuée le 13 janvier 2014. 

[25]           Le 17 mars 2014, les avocats des demanderesses ont rédigé une lettre de mise à jour de l’état dans laquelle ils affirmaient à la Cour : [traduction] « Les demanderesses estiment qu’une entente a été conclue […] ». Le même jour, les avocats des défenderesses ont déclaré par écrit à la Cour : [traduction] « […] nous n’estimons pas pour notre part qu’un règlement est intervenu ».

[26]           Le 18 mars 2014, les avocats des demanderesses ont affirmé ce qui suit dans un courriel envoyé aux avocats des défenderesses :

[traduction]

Vous trouverez ci‑joint d’autres renseignements démontrant qu’il y a eu offre de la part d’Apotex et acceptation par les demanderesses. Une entente a manifestement été conclue entre les parties. De plus, cette offre et cette acceptation sont consignées dans la dernière version du procès‑verbal de règlement, proposée par vous le 13 décembre 2013. Il incombe donc aux parties de signer ce procès‑verbal. Nous estimons ainsi que c’est vous qui devez revenir sur vos déclarations à la Cour, particulièrement lorsque vous avez affirmé : « nous n’estimons pas qu’un règlement est intervenu ».

Si cela était utile, nous pourrions communiquer les présentes lettres à la Cour, ainsi que la dernière version du procès‑verbal de règlement, et lui demander qu’elle nous aide résoudre la question. Quoi qu’il en soit, nous vous prions de nous faire connaître les dates qui vous conviennent au cours des deux prochaines semaines pour la tenue d’un appel de gestion d’instance.

[27]           Le 18 mars, les avocats des demanderesses ont à nouveau envoyé un courriel aux avocats des défenderesses pour leur demander de se rétracter auprès de la Cour quant à leur prétention d’absence de règlement. 

[28]           Le 19 mars 2014, les avocats des défenderesses ont répondu ce qui suit dans un courriel adressé aux avocats des demanderesses :

[traduction]

Votre courriel ci‑dessous ne me semble être rien de plus qu’une tentative déguisée de justification de votre position précédente erronée. Plutôt que de prétendre comme auparavant qu’il y a eu règlement en février 2014, vous soutenez cette fois qu’un règlement est intervenu en avril 2012. Ni l’une ni l’autre assertion n’est exacte. Toutes les communications entre les parties peuvent uniquement s’expliquer par l’absence à ce jour d’un accord des volontés sur les conditions d’un quelconque règlement. Nous n’écrirons donc pas à la Cour tel que vous l’avez demandé.

Pour éviter toute confusion, l’offre de règlement datée du 9 avril 2012 est par la présente retirée.

[29]           Le 19 mars 2014, les avocats des demanderesses ont demandé par lettre à la Cour qu’un rendez‑vous soit fixé pour un entretien avec le protonotaire chargé de la gestion de l’instance.

[30]           Le 29 octobre 2014, les demanderesses ont déposé la présente requête pour faire appliquer ce qu’elles disent être l’entente de règlement.

II.                QUESTION EN LITIGE

[31]           La question à trancher par la Cour est de savoir si un règlement de la présente action est intervenu et, dans l’affirmative, quelle ordonnance il convient de délivrer.

III.             COMPÉTENCE

[32]           Aucune partie n’a contesté que la Cour avait compétence pour statuer s’il y avait eu ou non règlement de l’action. L’objet de l’action, la contrefaçon de brevet, relève aussi clairement de la compétence de la Cour (Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7, article 20; Loi sur les brevets, LRC, 1985, c P‑4, paragraphe 54(2)).

[33]           On a reconnu, dans des jugements comme Kellogg Co. c Kellogg, [1941] RCS 242 et Flexi-Coil Ltd. c Smith-Roles Ltd. (1980), 50 CPR (2d) 29 (CF), Bandag Inc. c Vulcan Equipment Co. (1977), 32 CPR (2d) 1 (CF), ainsi que Bauer Nike Hockey Inc. c Tour Hockey (2003), 25 CPR (4th) 336, la compétence de la Cour pour décider si un règlement était intervenu dans des actions telles que la nôtre.

IV.             PRINCIPES JURIDIQUES RELATIFS À LA CONCLUSION D’UN CONTRAT

[34]           Le professeur S.M. Waddams a exposé succinctement comme suit, dans la 6e édition de son ouvrage The Law of Contracts (Canada Law Book, Toronto, 2010), au paragraphe 52,  les questions essentielles qui se posent en vue d’établir si un contrat a ou non été conclu dans une situation comme la nôtre :

[traduction]

On peut procéder à une analyse semblable lorsqu’aux fins d’une entente, l’existence d’un document additionnel tel qu’un contrat formel est prévue. La signature du contrat formel est‑elle une étape dans l’accomplissement d’une entente déjà exécutoire, comme le transfert dans le cadre d’un engagement d’achat d’un bien‑fonds, ou s’agit‑il plutôt d’une condition préalable à l’existence même d’une entente exécutoire? Encore une fois, le critère doit être le caractère raisonnable des attentes des parties. Le promettant a‑t‑il pris un engagement ferme, ou s’est‑il réservé le pouvoir de signer ou non l’entente formelle? Dans le premier cas il y a une entente exécutoire. Dans le second, il n’y en a pas. Si les attentes du destinataire de la promesse quant à l’existence d’un engagement ferme sont raisonnables, elles seront protégées même si le document formel n’est en fait jamais signé. Encore une fois, les cours semblent particulièrement disposées à protéger de telles attentes lorsqu’elles se traduisent par des actes posés en se fiant sur l’existence de l’entente.  

[35]           C’est là l’approche que la Cour suprême a suivie dans l’arrêt Calvan Consolidated Oil and Gas Co. Ltd. v Manning, [1959] SCR 253, où le juge Judson a déclaré ce qui suit au nom de la Cour (à la page 261) :

[traduction]

[] La question de savoir si les parties entendent être liées jusqu’à la signature du contrat formel en est une d’interprétation, et je n’ai aucun doute sur le sujet en l’espèce. Le juge Parker a bien exprimé le principe, comme suit, dans Hatzfeldt-Wildenburg c. Alexander :

Il semble de droit constant que si les documents ou les lettres dont on dit qu'ils constituent un contrat prévoient la signature d'un contrat subséquent entre les parties, la question de savoir si la signature du contrat subséquent est une condition ou une modalité de l'entente ou si elle est une simple expression de la volonté des parties quant à la manière dont l'opération dont il a déjà été convenu se produira effectivement, est une question d'interprétation. Dans le premier cas, il n'existe aucun contrat exécutoire parce que la condition n'est pas respectée ou parce que la loi ne reconnaît pas le contrat visant à conclure un contrat. Dans le deuxième cas, il existe un contrat obligatoire et le renvoi au document plus officiel peut ne pas être pris en considération.

[36]           La Cour suprême de l’Ontario a adopté une approche similaire dans Bryant v Bryant Estate, 2015 ONSC 161, où la juge Gauthier s’est exprimée ainsi, aux paragraphes 96 à 98 :

[traduction]

96        Lorsque les parties ont toutes deux l’intention de créer une entente juridiquement contraignante et se sont entendues sur toutes les conditions essentielles de l’entente, elles créent un contrat. Bawitko Investments Ltd. v. Kernels Popcorn Ltd. (1991), 79 D.L.R. (4th) 97 (C.A. Ont.).

97        Une entente de règlement est un contrat. Olivieri v. Sherman, 2007 ONCA 491.

98        À cet égard, il a été déclaré dans Rawlins v. Rawlins, 2014 ONSC 5649, au paragraphe 44 : On n’établit pas si un contrat a ou non été conclu en fonction d’une enquête sur l’état d’esprit véritable d’une des parties, ni d’un témoignage oral quant à l’intention subjective d’une partie.

[37]           Les demanderesses font particulièrement valoir deux arrêts où des cours d’appel canadiennes ont statué que les parties avaient conclu une entente même s’il avait été prévu que des documents additionnels devaient être établis et signés. Dans l’un de ces arrêts, Fieguth v Acklands Ltd. (1989), 59 D.L.R. (4th) 114, de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, le juge en chef McEachern a écrit ce qui suit (aux pages 122 et 123) :

[traduction]

Il ne faudrait pas croire que tout désaccord sur des documents donnant suite à un règlement, même si l’importance en est soulignée, s’assimile à la répudiation du règlement. Nombre de tels règlements, comme les règlements structurés, sont fort complexes, et l’entente est habituellement conclue avant que tous les documents pertinents n’aient été remplis. Dans ces cas, le règlement aura force obligatoire si l’on s’est entendu sur les conditions essentielles. Lorsque des différends surviennent à ce sujet, la répudiation sera rarement en cause puisque le critère susmentionné est bien strict. Il s’agira plutôt de savoir si une entente finale a été conclue, que les parties entendaient consigner dans des documents en bonne et due forme, ou si les parties sont simplement parvenues à une entente de principe, ne devant les lier qu’une fois remplis les documents requis. De manière générale, le litige est résolu dans le premier cas et non dans le second, et il convient habituellement de contraindre les parties parvenant à un règlement à respecter leurs engagements. Il convient de régler les différends subséquents en en saisissant le tribunal, ou en usant de bon sens tout en respectant le cadre du règlement auquel les parties sont parvenues, et en se conformant aux pratiques courantes parmi les membres du barreau. Rarement, des actes postérieurs à une entente de règlement équivaudront à une répudiation.

[38]           L’autre arrêt invoqué est Bawitko Investments Ltd. v Kernels Popcorn Ltd. (1991), 79 D.L.R. (4th) 97, où le juge Robins s’est exprimé comme suit au nom de la Cour d’appel de l’Ontario (aux pages 103 et 104) :

[traduction]

Dans le cours normal des affaires, des parties qui prévoient exprimer leur entente dans un document écrit officiel discutent et négocient nécessairement les conditions proposées de l'entente avant de conclure celle‑ci. Souvent, elles conviennent de l'ensemble des conditions à inclure dans le document écrit projeté avant de rédiger celui-ci. Leur entente peut être exprimée oralement ou dans un document ou au moyen d'un échange de lettres ou d'autres documents non officiels. Les parties peuvent « s'engager à conclure un contrat »; en d'autres termes, elles peuvent s'engager à signer à une date ultérieure un contrat écrit formel contenant certaines conditions. Lorsqu'elles s'entendent sur les dispositions essentielles à inclure dans un document officiel et qu'elles ont l'intention d'être liées par le contrat, elles satisfont à toutes les conditions nécessaires à la formation d'un contrat. Le fait qu'un document écrit officiel à cet effet doit être rédigé et signé par la suite ne met pas en péril la validité exécutoire du contrat initial.

Cependant, lorsque le contrat initial est incomplet parce que les parties ne se sont pas mises d'accord sur des dispositions essentielles qui doivent régir leur relation contractuelle, ou lorsque le contrat est trop général ou trop vague pour être valable en soi et qu'il est subordonné à la conclusion d'un contrat officiel, ou que les parties veulent ou souhaitent que leurs obligations légales soient reportées jusqu'à ce qu'un contrat officiel soit approuvé et signé même si les conditions de leur entente sont arrêtées, le contrat initial ou préliminaire ne peut constituer un contrat ayant force exécutoire. En d'autres termes, dans de telles circonstances, l' « engagement de conclure un contrat » n'est pas du tout un contrat. La signature du document officiel envisagé n'est pas destinée uniquement à sceller un contrat déjà complet et obligatoire; elle est essentielle à la formation du contrat lui-même.

[39]           Les défenderesses soutiennent qu’aucun contrat n’a été formé. Elles font particulièrement valoir qu’il n’y a jamais eu d’accord des volontés; à aucune offre n’a correspondu une acceptation aux mêmes conditions. Elles citent le passage suivant de l’ouvrage du professeur McCamus, The Law of Contracts, 2e éd., Irwin Law (chapitre  2, à la page 31) :

[traduction]

Pour qu’il y ait offre et acceptation, il faut que les communications entre les parties aient créé une « offre » qui exprime la volonté de l’offrant de conclure une entente selon certaines conditions; à cela répond ensuite une entente ou « acceptation » correspondante provenant de l’autre partie, le destinataire de l’offre, qui exprime également la volonté de conclure une entente aux conditions proposées. L’acceptation doit correspondre précisément aux conditions de l’offre, ce que l’on désigne souvent la « règle de l’image inversée ». Une prétendue acceptation faisant état de conditions différentes ne peut faire naître le consensus requis. Selon l’analyse classique, le destinataire de l’offre doit avoir l’intention d’accepter l’offre.      

[40]           Les défenderesses citent, comme commentaires types sur le caractère absolu et non équivoque de l’offre et de l’acceptation, le passage suivant de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Harvey c Perry, [1953] 1 SCR 233, où le juge Estey (alors juge de la Cour suprême) s’est exprimé ainsi au nom de la Cour (à la page 237) :

[traduction]

Avec le plus grand respect pour les savants juges d’opinion contraire, il ne semble pas se dégager en l’espèce, que ce soit de la lettre du 24 août ou du comportement de l’appelant, l’acceptation des conditions à caractère absolu et non équivoque exigée par la jurisprudence pour qu’il y ait conclusion d’un contrat. McIntyre c. Hood [(1884) 9 Can. S.C.R. 556.]; District of North Vancouver c. Tracy [(1903) 34 Can. S.C.R. 132.]; Harvey c. Facey [[1893] A.C. 552.]; Fulton Bros. c. Upper Canada Furniture Company [(1883) 9 O.A.R. 211.]. En outre, lorsqu’on prend en compte l’ensemble des lettres et des conversations échangées, il est manifeste que les parties ne s’étaient pas entendues sur les conditions d’un contrat.

[41]           Je dégage de cette jurisprudence les principes suivants :

                pour qu’il y ait contrat obligatoire, il faut une offre et une acceptation et que les conditions de l’acceptation correspondent aux conditions de l’offre;

                l’acceptation doit être sans équivoque;

                il peut y avoir une offre et une acceptation donnant naissance à un contrat obligatoire même lorsque les parties ont prévu la signature d’un contrat plus formel;

                il ne faut pas nécessairement déduire de négociations concernant le contrat plus formel qu’une offre ou une acceptation a été répudiée.

[42]           La Cour doit recourir à une norme subjective, et non objective, pour établir si un contrat obligatoire a été conclu. La conclusion à tirer est tributaire des faits, et il convient d’en décider au cas par cas.

V.                APPLICATION DES PRINCIPES À L’AFFAIRE

[43]           La présente affaire illustre combien les avocats, en faisant des histoires et en jouant avec les mots, peuvent semer la pagaille dans les situations les plus claires.  

[44]           La lettre du 9 avril 2012 présentant une offre de règlement était claire et sans équivoque, compte tenu particulièrement des précisions apportées dans une nouvelle lettre, du 24 avril 2012. L’affaire aurait été close si on avait simplement répondu dans une lettre : [traduction] « Nous acceptons votre offre ». L’action aurait été abandonnée sans frais et, advenant la violation des conditions de l’offre par Apotex, celle‑ci aurait pu être poursuivie pour rupture de contrat.

[45]           La réponse donnée a été plutôt que, « pour faire avancer les choses », on transmettait une ébauche de procès‑verbal de règlement (courriel du 6 juin 2012). Les conditions de l’offre de règlement, tel que précisées, étaient clairement intégrées dans cette ébauche et toute autre qui a suivi. Les différences existant entre le procès‑verbal et l’ordonnance précisée consistent simplement en l’ajout d’un préambule et de mots indiquant, par exemple, que l’entente lie les héritiers et les ayants droit. Autrement dit, les avocats font des histoires et jouent avec les mots. Les conditions essentielles sont les mêmes.

[46]           Les échanges concernant l’ébauche de procès‑verbal portent principalement sur des futilités, comme une virgule mal placée ou l’emploi de mots tels que [traduction] « pour ou », « par ou pour » ou « ou pour ». Dans ce va‑et‑vient, les avocats ont pris soin de protéger leurs arrières en recourant à des expressions comme  [traduction] « sous réserve d’éventuelles instructions de ma cliente » ou « Je demanderai des instructions ».

[47]           La présente action a fait l’objet d’une gestion d’instance et la Cour a demandé qu’on lui fasse parvenir des mises à jour périodiques de l’état. On déclarait de manière vague dans ces mises à jour, par exemple, que les choses progressaient en vue d’un règlement.

[48]           Autrement dit, les parties semblent s’être satisfaites, du moins jusqu’à février 2014, de laisser les choses suivre leur cours. Quelque chose a dû se produire à cette époque pour inspirer un sentiment d’urgence. Le 14 février 2014, les avocats des défenderesses ont communiqué ce qui suit par courriel aux avocats des demanderesses :

[traduction]

Nous avons maintenant eu l’occasion de passer en revue les modifications que vous avez apportées au document. Nous n’estimons pas ces modifications opportunes. Nous sommes disposés, toutefois, à recommander à nos clientes d’accepter votre ébauche précédente, distribuée le 13 janvier 2014.  Veuillez nous faire savoir si vous voulez que nous leur demandions leurs instructions à ce sujet.

[49]           Les avocats des demanderesses ont répondu ce qui suit dans un courriel du 24 février 2014 :

[traduction]

Pour donner suite à nos discussions de ce matin, nous vous informons que nos clientes ont approuvé les conditions que vous avez proposées dans votre courriel du 14 décembre 2013 et qui ont été intégrées dans l’ébauche distribuée le 13 janvier 2014.

[50]           Après l’envoi de ces courriels, les avocats des parties ont communiqué entre eux, et des courriels ont été échangés avec la Cour, quant à savoir si un règlement avait été conclu. Je tire les conclusions suivantes :

                en date du 24 février 2014, l’offre de règlement des défenderesses n’avait pas été retirée;

                en date du 24 février 2014, l’offre de règlement n’avait pas été modifiée pour l’essentiel; on a simplement fait des histoires autour du libellé du procès‑verbal de règlement; 

                le courriel du 24 février 2014 des avocats des demanderesses a constitué non seulement l’acceptation – implicite tout du long selon moi – des conditions de l’offre de règlement,  mais aussi l’acceptation quant à la forme du procès‑verbal de règlement.

[51]           Je conclus, par conséquent, qu’il y a eu offre et acceptation de l’offre de règlement précisée, et que les demanderesses ont droit à une ordonnance libellée tel qu’il est prévu dans le dossier de requête. 


ORDONNANCE

VU la requête présentée par les demanderesses pour que soit délivrée une ordonnance faisant appliquer les conditions de l’entente de règlement offerte par les défenderesses;

ET VU que l’offre de règlement formulée par les défenderesses dans ses lettres du 9 avril 2012 et du 24 avril 2012 a été acceptée par les demanderessses;        

LA COUR ORDONNE POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS que :

1.              La présente action est abandonnée sans frais.

2.              Aucune préparation contenant de la gatifloxacine destinée à la vente commerciale, où que ce soit dans le monde, ne sera fabriquée par les défenderesses, ni par aucune entreprise qui est dirigée ou contrôlée par les défenderesses ou affiliée à celles‑ci, avant l’expiration du brevet canadien no 1,340,316 (le « brevet ‘316 »).

3.              Toute utilisation faite par les défenderesses, ou par une entreprise qui est dirigée ou contrôlée par les défenderesses ou affiliée à celles‑ci, de la gatifloxacine à titre d’ingrédient pharmaceutique actif au Canada avant l’expiration du brevet ‘316 sera uniquement à des fins réglementaires et/ou expérimentales.

4.              Aucune préparation contenant de la gatifloxacine fabriquée par les défenderesses, ou par une entreprise qui est dirigée ou contrôlée par les défenderesses ou affiliée à celles‑ci, à des fins réglementaires et/ou expérimentales avant l’expiration du brevet ‘316 ne sera vendue dans le commerce.

5.              Toute gatifloxacine considérée comme un ingrédient pharmaceutique actif qui n’est pas utilisée à des fins réglementaires et/ou expérimentales avant l’expiration du brevet ‘316 sera détruite à l’expiration du brevet ‘316.

« Roger T. Hughes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1267-10

INTITULÉ :

ALLERGAN, INC. ET ALLERGAN SALES, LLC. ET ALLERGAN USA, INC. ET KYORIN PHARMACEUTICAL CO., LTD. c APOTEX INC. ET APOTEX PHARMACHEM INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 MARS 2015

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE HUGHES

DATE :

LE 24 MARS 2015

COMPARUTIONS :

Jay Zakaib

Adam Heckman

POUR LES DEMANDERESSES

Andrew Brodkin

POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.