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Date : 20150317


Dossier : IMM-5302-14

Référence : 2015 CF 329

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2015

En présence de monsieur le juge S. Noël

ENTRE :

OBAILDULLAH SIDDIQUI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]      Obaildullah Siddiqui (le demandeur) demande l’autorisation d’introduire une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision de Michal Mivasair de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), datée du 20 juin 2014, qui a accueilli la demande du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile au titre de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. La demande d’asile du demandeur a été réputée rejetée.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur est un homme âgé de 43 ans, originaire d’Afghanistan.

[3]               Il a fui l’Afghanistan en 1987 pour vivre au Pakistan.

[4]               Le demandeur a déposé une demande d’asile en juin 2007, dans laquelle il disait craindre avec raison d’être persécuté en Afghanistan. En 2010, sa réinstallation au Canada a été acceptée par le gouvernement canadien en tant que membre d’une catégorie de personnes de pays source. Il est venu au Canada avec sa femme et trois enfants en qualité de personnes réinstallées, parrainées par un « groupe de cinq personnes » du secteur privé.

[5]               Le demandeur est devenu résident permanent le 25 janvier 2011.

[6]               Un passeport afghan lui a été délivré le 19 octobre 2011.

[7]               Par la suite, le demandeur s’est rendu à trois reprises en Afghanistan : 1) du 14 juillet 2012 au 4 septembre 2012, le demandeur a voyagé avec ses deux fils (pendant six semaines); 2) du 11 avril 2013 au 25 juin 2013, il a voyagé seul (pendant neuf semaines) et 3) du 24 juillet 2013 au 20 janvier 2014, il a voyagé avec l’un de ses fils (pendant six mois).

[8]               Le demandeur a ensuite utilisé son passeport afghan pour effectuer des déplacements d’affaires en Chine et se faire identifier lorsqu’il descendait dans les hôtels dans ce pays, ainsi que pour obtenir des visas pour voyager en Inde.

[9]               Le 6 novembre 2013, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) ont déposé une demande d’ordonnance visant à faire constater que le demandeur avait perdu la qualité de réfugié et à rejeter sa demande d’asile conformément à l’alinéa 108(1)a) et au paragraphe 108(2) de la LIPR. Le ministre soutenait que le demandeur s’était à nouveau réclamé de la protection du pays dont il avait la nationalité.

III.             La décision contestée

[10]           Le SPR a déclaré que l’article 108 de la LIPR imposait au ministre le fardeau de prouver qu’une personne qui a été qualifiée de réfugié au sens de la Convention au titre de la LIPR a perdu la qualité de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur doit ensuite réfuter les allégations du ministre, dès qu’une preuve a été établie de prime abord. Dans le cas présent, le ministre s’est acquitté de son fardeau de preuve. Par conséquent, aux termes de l’alinéa 108(1)a), le demandeur s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection de l’Afghanistan. Le demandeur n’a pas été en mesure de réfuter ces allégations portées contre lui selon la prépondérance des probabilités.

[11]           La SPR s’est fondée sur Nsende c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 531 (Nsende), pour établir si le demandeur s’était réclamé à nouveau de la protection de l’Afghanistan. S’appuyant sur Chandrakumar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1997] ACF no 615, la SPR a précisé qu’il convenait aussi de tenir compte de la raison pour laquelle le réfugié avait présenté une demande de passeport.

[12]           La SPR a expliqué en premier lieu que, dans le cas du demandeur, celui‑ci avait tout d’abord obtenu volontairement un passeport afghan alors qu’il aurait pu recevoir un document de voyage du Canada pour lui permettre d’effectuer ses voyages. En deuxième lieu, le demandeur avait l’intention requise pour se réclamer à nouveau de son pays d’origine, puisqu’il savait ce qu’il faisait. Enfin, le demandeur avait effectivement obtenu la protection de l’Afghanistan, puisqu’il a présenté une demande de passeport afghan, qu’il a obtenu un tel passeport et qu’il a également présenté des demandes de visas pour la Chine et l’Inde au moyen de ce passeport. Le demandeur a créé l’attente dans tous les pays dans lesquels il a voyagé selon laquelle il était un citoyen afghan.

[13]           La demande du ministre, fondée sur l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, a été par conséquent accueillie, la demande d’asile du demandeur a été réputée rejetée, et celui‑ci a donc perdu la qualité de réfugié au sens de la Convention.

IV.             Les observations des parties

[14]           Le demandeur soutient en premier lieu que le paragraphe 108(1) de la LIPR ne s’applique qu’aux réfugiés au sens de la Convention et aux personnes ayant besoin d’une protection. Or le demandeur ne tombe dans aucune de ces catégories, puisqu’il a été autorisé à venir au Canada en qualité de membre de la catégorie de personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières.

[15]           Le défendeur répond que le demandeur ne conteste pas la conclusion de la SPR selon laquelle il s’est à nouveau réclamé de la protection de l’Afghanistan après avoir reçu l’asile du Canada, mais il sollicite plutôt un contrôle judiciaire de questions qui n’ont pas été soulevées devant la SPR. La Cour devrait donc refuser d’examiner les questions qui n’ont pas été soulevées par le demandeur devant la SPR dans le cadre de son contrôle judiciaire. Si, cependant, la Cour devait choisir d’entendre ce moyen, le défendeur soutient que l’article 108 de la LIPR s’applique au demandeur, puisque son application n’est pas limitée aux réfugiés au sens de la Convention. Le paragraphe 108(2) de la LIPR autorise le ministre à demander à la SPR de constater que l’asile conféré au titre de l’article 95 de la LIPR a été perdu.

[16]           Subsidiairement, le demandeur soutient que, si les clauses relatives à la perte du statut ont une incidence sur sa qualité de réfugié, la SPR a commis une erreur en appliquant à la situation personnelle du demandeur une clause relative à la perte du statut qui découle de la qualité de réfugié au sens de la Convention ou y est liée. Le défendeur répond que les termes employés par la SPR quand elle écrit que le demandeur a été déclaré être un réfugié au sens de la Convention ne changent pas la nature ni l’analyse du présent dossier. L’asile a été accordé au demandeur au titre de l’alinéa 95(1)a) de la LIPR, et il est devenu une personne protégée au titre du paragraphe 95(2) de la LIPR. Lorsqu’une personne se voit conférer la qualité de réfugié en vertu du paragraphe 95(2) de la LIPR, la clause relative à la perte de ce statut au titre du paragraphe 108(2) de la LIPR peut s’appliquer.

[17]           Le demandeur soutient en outre que, si les clauses relatives à la perte du statut sont applicables à son cas personnel, les faits de cette affaire soulèvent la question de savoir si l’alinéa 108(1)e) de la LIPR peut être appliqué. Le demandeur soutient que, si la SPR avait fondé son argumentation sur l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, elle aurait alors pu conclure que le demandeur n’avait plus besoin de l’asile au titre de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR et elle n’aurait pas été obligée d’aller plus loin comme le prévoit le paragraphe 108(2) de la LIPR. Le statut de résident permanent du demandeur serait ainsi demeuré intact parce que cette clause relative à la perte du statut est la seule qui n’entraîne pas automatiquement la perte du statut de résident permanent. Sur cette question, le défendeur déclare que, durant l’audience devant la SPR, cette dernière avait bien précisé que seul l’alinéa 108(1)a) serait considéré.

[18]           Enfin, compte tenu de l’article 98 de la LIPR, le demandeur soutient qu’il est exclu de la procédure visant la perte du statut parce qu’en qualité de résident permanent, il jouit de tous les droits et de toutes les obligations qui se rattachent à la citoyenneté canadienne. Le défendeur répond toutefois que l’article 108 de la LIPR s’applique aux résidents permanents lorsqu’il est lu en parallèle avec l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR.

V.                Les questions en litige

[19]           Le demandeur propose que les questions suivantes soient examinées :

  1. La clause relative à la perte du statut visée à l’alinéa 108(1)a) de la LIPR est-elle applicable à une personne qui n’a pas été déclarée être un réfugié au sens de la Convention?
  2. La SPR a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d’examiner l’applicabilité de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR aux faits de la présente affaire?
  3. Le demandeur est-il exclu, en raison de sa qualité de résident permanent, de la procédure visant la perte de la qualité de réfugié?

[20]           Le défendeur soulève les questions suivantes :

  1. Dans le cadre de son contrôle judiciaire, la Cour devrait-elle examiner des questions qui n’ont pas été soulevées devant la SPR?
  2. L’article 108 de la LIPR s’applique‑t‑il au demandeur?
  3. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en omettant de se demander si le demandeur avait perdu l’asile aux termes de l’alinéa 108(1)e), en raison des changements survenus à la situation en Afghanistan?

[21]           J’ai examiné les dossiers des parties et leurs arguments respectifs, et j’ai conclu que deux questions devaient être examinées en l’instance :

  1. La Cour devrait-elle examiner des questions qui n’ont pas été soulevées devant la SPR?
  2. La décision de la SPR d’autoriser la demande de perte de la qualité de réfugié visant le demandeur, fondée sur l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, est‑elle raisonnable?

VI.             La norme de contrôle

[22]           La décision de la SPR d’autoriser la demande de perte de la qualité de réfugié conférée au demandeur au titre de l’article 108 de la LIPR est une question mixte de fait et de droit qui doit donc être tranchée selon la norme de la décision raisonnable (Cabrera Cadena c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 67, au paragraphe 12; Nsende, précitée, aux paragraphes 6 à 9). La Cour ne doit intervenir que si elle conclut que la décision est déraisonnable et n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VII.          Analyse

A.                La Cour devrait-elle examiner des questions qui n’ont pas été soulevées devant la SPR?

[23]           À titre préliminaire, je dois préciser que cette question a été traitée au début de l’audience. J’ai alors indiqué aux avocats que je ne traiterais pas d’une question n’ayant pas d’abord été soulevée devant la SPR, sous réserve de ce qui suit. Voici mes motifs.

[24]           Tout d’abord, les deux parties n’ont invoqué que l’alinéa 108(1)a) de la LIPR devant la SPR (dossier du demandeur (DD), page 86, aux lignes 4 et 5) et n’ont discuté que de ce cet alinéa. Le demandeur aurait pu soulever devant la SPR la question du caractère applicable de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, mais il ne l’a pas fait. En fait, l’avocat du demandeur s’est opposé à tout renvoi à l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, ce qui a amené la SPR à indiquer qu’elle ne traiterait que du paragraphe 180(1) de la LIPR (voir la transcription de l'audience, aux pages 256 et 257 du dossier du tribunal). Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, la Cour suprême du Canada explique qu’une cour de justice « peut également, à son gré, ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire lorsqu’il lui paraît inopportun de le faire » (au paragraphe 22). Elle doit laisser au « tribunal administratif comme décideur de première instance […] la possibilité de se pencher le premier sur la question et de faire connaître son avis » (Ibid., au paragraphe 24). La Cour suprême explique aussi que ce point est particulièrement important lorsque la question soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire a trait au domaine d’expertise du tribunal administratif et à ses attributions spécialisées (Ibid, au paragraphe 25), ce qui est le cas de la présente instance. La SPR était l’autorité compétente pour entendre les questions soulevées par le demandeur dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, car elle est un tribunal spécialisé. Le fait de soumettre pour la première fois une question lors du contrôle judiciaire peut porter indûment préjudice à la partie adverse, le défendeur en l’instance, et priver la cour de justice des éléments de preuve nécessaires pour trancher la question (Ibid. au paragraphe 26). Par conséquent, la Cour ne traitera pas de questions qui n’ont pas été soulevées devant la SPR, à l’exception des questions devant être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

[25]           Quoi qu’il en soit, je vais trancher la question de savoir si la décision de la SPR est raisonnable. À cet égard, je ne vais pas aborder la question du champ d’application de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, puisque la SPR, dans sa décision, a qualifié deux fois le demandeur de réfugié au sens de la Convention plutôt que de membre de la catégorie de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières (ce qui inclut la catégorie de personnes de pays d'accueil), ce qu’il est.

B.                 La décision de la SPR d’autoriser la demande de perte de la qualité de réfugié visant le demandeur, fondée sur l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, est‑elle raisonnable?

[26]           Pour commencer, l’argument du demandeur, selon lequel les clauses relatives à la perte du statut ne s’appliquent pas à lui, car il n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne ayant besoin de protection, mais il a plutôt été autorisé à venir au Canada comme membre de la catégorie de personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières, ce qui inclut la catégorie de personnes de pays d'accueil, n’est pas fondé. Il est possible de le comprendre en lisant les dispositions de la LIPR dans leur ensemble. En effet : « [a]ujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21; Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42, au paragraphe 26). Ce principe d’interprétation des lois a été rappelé dans le contexte de l’immigration et des demandes d’asile par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Toussaint c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 146, [2013] 1 RCF 3, au paragraphe 30. En effet, par l’application de l’alinéa 95(1)a), du paragraphe 95(2), du paragraphe 108(2) et de l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR, tout résident permanent qui s’est vu conférer la qualité de réfugié peut se voir retirer l’asile et ainsi perdre sa qualité de résident permanent par l’application de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Les clauses relatives à la perte du statut s’appliquent donc au demandeur.

[27]           De plus, l’argument avancé par le demandeur selon lequel seuls les réfugiés au sens de la Convention, et non les membres de la catégorie de risques à laquelle il appartient, en l’occurrence la catégorie de personnes de pays d’accueil, peuvent perdre la qualité de réfugiés, n’est pas non plus fondé. Le guide OP 5  Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières  en vigueur à l’époque de l’évaluation du dossier du demandeur définit les différentes catégories de réfugiés. La définition de réfugié au sens de la Convention diffère de celle de réfugié relevant de la catégorie de personnes de pays d’accueil. Cependant, en lisant la LIPR dans son ensemble, je conclus qu’une personne qui relève de la catégorie de personnes de pays d’accueil est une « personne en situation semblable » en tant que réfugié au sens de la Convention, selon la définition donnée à ces termes dans le paragraphe 12(3) et l’alinéa 95(1)a) de la LIPR. De plus, le demandeur a lui‑même déclaré qu’il était une « personne en situation semblable » au sens du paragraphe 95(1) de la LIPR (mémoire des arguments supplémentaire du demandeur, page 6, au paragraphe 12). Il a obtenu un visa de résident permanent en octobre 2010 et il est devenu résident permanent en janvier 2011 (DD, à la page 28). Le paragraphe 108(2) de la LIPR, soit la clause relative à la perte du statut, renvoie précisément au paragraphe 95(1) de la LIPR. Par conséquent, là encore, les clauses relatives à la perte du statut sont applicables au demandeur. En outre, le fait que la SPR qualifie le demandeur de réfugié au sens de la Convention à deux reprises dans sa décision (DD, page 5, à la ligne 7; page 10, à la ligne 14) ne change pas l’approche à suivre dans un tel cas ni l’analyse à mener. Je relève également que la SPR qualifie le demandeur de personne protégée à deux reprises dans ses motifs (DD, page 7, à la ligne 4; page 8, à la ligne 24). Il ressort clairement de la décision de la SPR que celle‑ci avait en tête la qualité de réfugié du demandeur.

[28]           L’alinéa 108(1)a) de la LIPR dispose qu’« [e]st rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger » s’il « se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité ». L’alinéa 108(1)a) de la LIPR prend sa source dans le paragraphe 1C(1) de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 (la Convention), qui énonce que « [c]ette Convention cessera, dans les cas ci‑après, d'être applicable à toute personne visée par les dispositions de l’article A […] 1) Si elle s'est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité ». Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le guide du HCNUR) renferme des directives quant à l’interprétation de l’expression « se réclamer de nouveau de la protection du pays » (Nsende, précitée, au paragraphe 12). L’article 119 du guide du HCNUR précise les trois conditions à remplir pour pouvoir conclure qu’une personne s’est de nouveau réclamée de la protection du pays au titre de la Convention : a) la volonté : le réfugié doit avoir agi volontairement; b) l'intention : le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l'acte par lequel il s'est réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; c) le succès de l'action : le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection (Ibid, au paragraphe 13).

[29]           De plus, l’article 121 du guide du HCNUR établit une distinction entre « le fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays considéré et des rapports occasionnels et fortuits avec les autorités de ce pays » : « Si un réfugié demande et obtient un passeport national ou le renouvellement de ce passeport, il sera présumé, en l'absence de preuves contraires, avoir voulu se réclamer à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité. » Ce passage donne à penser que, bien qu’une demande de passeport crée une présomption d’intention de se réclamer à nouveau de la protection du pays, une preuve contraire peut permettre de réfuter cette présomption (Ibid, au paragraphe 15).

[30]           Dans le cas présent, la SPR a mené l’analyse qui convenait, soit de décider si l’asile avait été perdu aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Si l’on applique les trois conditions susmentionnées, le demandeur a d’abord obtenu un passeport afghan volontairement. Il aurait pu utiliser un document de voyage délivré par le Canada pour effectuer ses déplacements, mais il a plutôt décidé de son plein gré d’obtenir un passeport afghan parce que c’était plus rapide (DD, page 90, aux lignes 18 à 20). Le demandeur a par la suite utilisé ce passeport pour voyager en Afghanistan (DD, aux pages 93 à 111) et en Chine (DD, aux pages 91 à 93, et 100).

[31]        Ensuite, le demandeur avait l’intention de se réclamer à nouveau de la protection de l’Afghanistan. Les dispositions qu’il a prises, comme celle d’utiliser son passeport afghan pour voyager en Chine et en Afghanistan, et celle de voyager en Afghanistan pour affaires et d’inscrire l’un de ses fils à l’école durant son dernier voyage en Afghanistan, démontrent son intention de se réclamer à nouveau de la protection du pays. Le guide du HCNUR explique à cet égard que « le fait de rendre visite à un parent âgé ou souffrant n'a pas la même portée du point de vue des rapports du réfugié avec son pays d'origine que le fait de se rendre régulièrement dans ce pays pour y passer des vacances ou pour y établir des relations d'affaires » (guide du HCNUR, au paragraphe 125). Dans le cas présent, le demandeur est d’abord retourné en Afghanistan pour rendre visite à son père qui était malade. Ce motif n’est pas à lui seul suffisant pour établir qu’il s’est réclamé à nouveau du pays. Cependant, le demandeur est aussi retourné en Afghanistan pour affaires, notamment pour exporter des voitures d’occasion du Canada vers l’Afghanistan (DD, à la page 103). De plus, bien que le demandeur ait dit craindre de se trouver en Afghanistan, il est retourné une seconde fois simplement pour démontrer à sa mère qu’il n’était pas malade contrairement à ce que des relations lui avaient affirmé (DD, aux pages 106 à 107). En ce qui concerne ce dernier voyage en Afghanistan, le demandeur a expliqué qu’il y était retourné avec son fils pour tenter de lui faire apprécier à sa juste valeur la vie qu’il menait au Canada et il a essayé de l’inscrire à une école publique en Afghanistan (DD, à la page 109). Toutes ces mesures prises par le demandeur montrent qu’il avait l’intention de se réclamer à nouveau de la protection de l’Afghanistan.

[32]           Enfin, le demandeur a obtenu la protection de son pays de nationalité, puisqu’il a utilisé son passeport non seulement pour obtenir des visas pour se rendre en Chine et en Inde, mais aussi pour se faire identifier dans les hôtels en Chine. Comme l’a expliqué la SPR dans sa décision, le fait que le demandeur a utilisé son passeport non seulement pour se rendre dans son pays d’origine, mais aussi en Chine, crée l’attente selon laquelle il voyage en qualité de citoyen afghan, et non en tant que résident permanent du Canada.

[33]           Le fait pour le demandeur d’obtenir un passeport afghan crée la présomption qu’il avait l’intention de se réclamer de la protection de son pays de nationalité. Comme il n’a pas réfuté cette présomption, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

VIII.       Conclusions

[34]           Les conditions posées par l’alinéa 108(1)a) de la LIPR pour établir que le demandeur s’est réclamé à nouveau de la protection de l’Afghanistan sont remplies. La décision de la SPR est donc raisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[35]           Le demandeur propose la question suivante en vue de la certification :

[traduction]

Dans le cadre d’une demande de constat de perte d’asile fondée sur l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, peut-on appliquer les mêmes, ou presque les mêmes, considérations et précédents ainsi que la même analyse sur le plan juridique tant aux personnes qualifiées de réfugiés au sens de la Convention qu’aux personnes déclarées comme ayant besoin d’une protection à titre de membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil?

[36]           Les deux parties ont essentiellement soumis des arguments en faveur de la certification de cette question et contre celle‑ci, semblables à ceux qui avaient été présentés pour les besoins du présent contrôle judiciaire. Quoi qu’il en soit, la SPR n’a pas traité cette question juridique, car elle n’avait pas été soulevée par l’avocat du demandeur. Le demandeur propose cette question en vue d’une certification au motif que la SPR l’aurait erronément qualifié de réfugié au sens de la Convention plutôt que de membre de la catégorie de personnes de pays d’accueil. Selon le demandeur, ce faisant, la SPR ne pouvait pas appliquer à sa situation particulière l’analyse qui convenait sur le caractère applicable de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Le défendeur s’oppose à la certification au motif que cette question n’est pas déterminante pour trancher le présent contrôle judiciaire, dans la mesure où elle est fondée sur un argument qui n’a pas été soulevé devant la SPR.

[37]           Les principes régissant la certification d’une question conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR ont été établis par la Cour d’appel fédérale. Le juge doit être d’avis que la question « transcende les intérêts des parties au litige, qu'elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF no 1637, 176 NR 4, aux paragraphes 4 à 6) et doit être grave et de portée générale, et permettre de trancher l’appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 à 12; Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, aux paragraphes 22 à 29).

[38]           La Cour a traité précédemment de la question du caractère applicable de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, tant aux réfugiés au sens de la Convention qu’aux personnes qualifiées comme ayant besoin d’une protection à titre de membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil. Je l’ai fait pour dissiper la confusion suscitée par la décision de la SPR, dans laquelle elle qualifie le demandeur, à deux reprises, de réfugié au sens de la Convention et à deux occasions, de personne protégée. Il était par conséquent essentiel de traiter de cette confusion afin de décider du caractère raisonnable de la décision. En disant cela, je suis pleinement conscient que le demandeur n’a pas soulevé la question devant la SPR et je n’ai pas l’avantage de disposer de motifs à donner à la SPR sur cette question.

[39]           Par souci de justice envers tous, je considère que la question proposée transcende les intérêts des parties immédiates, qu’elle est une question grave de portée générale et qu’elle permettrait de trancher l’appel si l’on devait déclarer que le champ d’application de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR est limité aux seuls réfugiés au sens de la Convention. Par conséquent, la question sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR, datée du 20 juin 2014, est rejetée et que la question suivante, qui a été proposée, est certifiée :

Dans le cadre d’une demande de constat de perte d’asile fondée sur l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, peut-on appliquer les mêmes, ou presque les mêmes considérations et précédents ainsi que la même analyse sur le plan juridique tant aux personnes qualifiées de réfugiés au sens de la Convention qu’aux personnes déclarées comme ayant besoin d’une protection à titre de membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil?

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5302-14

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

OBAILDULLAH SIDDIQUI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 FÉVRIER 2015

 

jugEment ET MOTIFS :

LE JUGE S. Noël

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 17 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Douglas Cannon

 

POUR Le demandeur

 

Banafsheh Sokhansanj

Timothy E. Fairgrieve

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR Le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE défendeur

 

 

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