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Date : 20150317


Dossier : IMM-7784-13

Référence : 2015 CF 333

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2015

En présence de monsieur le juge S. Noël

ENTRE :

KSENIYA SARGSYAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La demanderesse, Kseniya Sargsyan, sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] datée du 19 novembre 2013. La SPR a jugé qu’elle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la LIPR.

II.                Les faits

[2]               La demanderesse, originaire de Russie, vivait dans la ville d’Orsk avec son ex-mari [le mari]

[3]               La demanderesse a prétendu que son mari avait commencé à être violent envers elle en octobre 2009. Elle affirmait s’être rendue au commissariat de police local et au bureau du procureur de la région, mais l’un et l’autre lui auraient dit qu’ils ne pouvaient pas l’aider.

[4]               La demanderesse a fui son mari pour se rendre à Vladivostok, où elle a vécu quelques mois avant d’aller en Ukraine. À l’aide d’un passeur, elle est arrivée au Canada le 12 février 2012 et y a demandé l’asile le 17 avril 2012. Sa demande d'asile a été refusée le 19 novembre 2013. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle.

III.             La décision contestée

[5]               La SPR n’a tenu compte dans sa décision que de la question de la possibilité de refuge intérieur [la PRI]. Selon elle, la demanderesse disposait d’une PRI à Vladivostok ainsi qu’à Moscou, compte tenu du critère à deux volets énoncé dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF n° 1256, aux paragraphes 4, 6 et 7 [la décision Rasaratnam].

[6]               La SPR s’est demandé comment la demanderesse avait pu vivre cinq mois à Vladivostok sans connaître de difficultés avec son mari. Elle a écrit que la demanderesse avait affirmé ignorer si son mari avait des relations à Vladivostok. La demanderesse avait déclaré que cette ville était loin de la ville d’Orsk, ce qui lui donnait un sentiment accru de sécurité.

[7]               Se fondant sur la preuve produite, la SPR a jugé que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la LIPR.

IV.             Arguments des parties

[8]               Selon la demanderesse, la conclusion de la SPR selon laquelle son mari ne tentait pas de la trouver dans d’autres villes n’est pas étayée par la preuve. La preuve documentaire produite montre que le mari de la demanderesse serait en mesure de la trouver en consultant la base de données centrale des lieux de résidence [la base de données du registre] des citoyens russes. La demanderesse soutient aussi que la SPR n’a pas pris en compte le fait qu’elle était victime de violence domestique et que, par conséquent, les Directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe étaient applicables à la question de savoir si une PRI s’offrait à elle.

[9]               Le défendeur rétorque que la décision de la SPR est raisonnable puisque la demanderesse avait témoigné que son mari n’avait aucune relation à Vladivostok et qu’elle avait la possibilité de quitter cette ville sans que son mari ne le sache ou ne l’empêche de le faire. Le défendeur ajoute que la SPR n’a pas laissé de côté la preuve touchant la base de données du registre en Russie, mais qu’elle en a au contraire fait état dans sa décision. Finalement, le défendeur soutient que, si la SPR ne s’est pas référée explicitement aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, cela ne constitue pas nécessairement une erreur susceptible de contrôle.

V.                Questions en litige

[10]           J’ai examiné les arguments des parties et leurs dossiers respectifs, et je formule la question comme suit :

  1. L’analyse de la SPR concernant l’existence d’une PRI en Russie est-elle raisonnable?

VI.             Norme de contrôle

[11]           La norme de contrôle applicable à la décision de la SPR concernant l’existence ou non d’une PRI est celle de la décision raisonnable (Istenes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 79, au paragraphe 11 [la décision Istenes]; Smirnova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 347, au paragraphe 19). La Cour n’interviendra que si elle arrive à la conclusion que la décision est déraisonnable et qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VII.          Analyse

[12]           Le critère à double volet applicable à l’analyse relative à l’existence ou non d’une PRI est le suivant :

  1. La SPR doit être persuadée, selon la prépondérance de la preuve, qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse pour la demanderesse d’être persécutée dans la région où, selon la SPR, une PRI existe;
  2. les conditions qui prévalent dans cette région du pays sont telles qu’il serait déraisonnable pour la demanderesse d’y chercher refuge (Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 1210, au paragraphe 22 [la décision Chowdhury]; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 CF 589; Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1326, au paragraphe 11; décision Rasaratnam, précitée).

C’est à la demanderesse qu’il incombe de prouver qu’elle ne dispose d’aucune PRIen Russie (décision Istenes, précitée, au paragraphe 12; décision Chowdhury, précitée, au paragraphe 24).

[13]           J’ai la conviction que la SPR n’a commis aucune erreur dans son analyse. Elle a examiné deux PRI avec la demanderesse, Moscou et Vladivostok. S’agissant du premier volet du critère, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré que son mari avait des relations à Vladivostok. La demanderesse a d’ailleurs reconnu à l’audience qu’elle ne savait absolument pas si son mari avait des relations à Vladivostok (dossier certifié du Tribunal [DCT], page 183, aux lignes 30 à 35, et page 186, aux lignes 15 à 25). Elle a également déclaré dans son exposé circonstancié qu’elle avait déménagé à Vladivostok et y était restée durant cinq mois parce que cette ville était [traduction] « loin de [sa] ville, ce qui [lui] donnait un sentiment accru de sécurité » (DCT, page 23, au paragraphe 10). Elle a aussi déclaré qu’elle s’était servie de son propre passeport, délivré légalement, pour voyager depuis la Russie jusqu’en Ukraine, sans que son mari n’intervienne (DCT, page 183, ligne 5). La SPR a également évoqué la possibilité d’une PRI à Moscou et jugé que, même si le mari savait qu’elle vivait à Moscou, il serait fort peu probable qu’il aurait les moyens de l’y trouver. S’agissant de l’argument de la demanderesse selon lequel son mari pouvait la trouver en se servant de la base de données du registre, cette question a été débattue à l’audience, et la SPR a pris acte dans sa décision de la preuve s’y rapportant. Elle a conclu, avec raison, que la preuve produite ne suffisait pas à confirmer les prétentions de la demanderesse selon lesquelles son mari serait en mesure de la trouver, tenterait de la trouver ou avait les moyens de la trouver (dossier de la demanderesse, pages 10 et 11, paragraphe 13). La SPR a traité adéquatement la preuve sur cette question. Compte tenu de ce qui précède, il était raisonnable pour la SPR de conclure qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée si elle devait s’établir à Vladivostok ou à Moscou.

[14]           S’agissant du deuxième volet du critère, la conclusion de la SPR est également raisonnable, compte tenu de l’information susmentionnée, puisque la demanderesse a déjà vécu à Vladivostok durant cinq mois. Quant à l’argument selon lequel la SPR a laissé de côté la question de savoir comment elle pourrait s’établir, munie d’un enregistrement, à Vladivostok, ma lecture de la décision de la SPR montre que la SPR a implicitement examiné la question. Elle a d’ailleurs pris note du séjour de cinq mois de la demanderesse dans cette ville, ajoutant qu’elle avait pu voyager sans aucune difficulté avec son passeport, qu’elle ignorait [traduction] « si son mari avait des relations à Vladivostok » et, qui plus est, qu’elle [traduction] « se sentait davantage en sécurité loin » de la ville d’Orsk. Je crois comprendre aussi que la demanderesse est économiste. Tout cela fait que la décision de la SPR est raisonnable.

[15]           S’agissant de l’argument de la demanderesse selon lequel la SPR a laissé de côté les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, je partage l’avis du défendeur pour qui, si la SPR ne s’est pas référée explicitement à ces directives, cela n’en fait pas pour autant une erreur susceptible de révision. Les directives en question constituent un outil important dans l’examen des demandes d’asile fondées sur la violence conjugale, plus précisément lorsqu’il s’agit d’évaluer la crédibilité (Tsiako c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1253, au paragraphe 24). En outre, « la jurisprudence établit qu’il n’est pas nécessaire que la SPR mentionne expressément les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans une décision, pourvu qu’elle applique comme il se doit les principes qu’elles consacrent » (voir Sukhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 427, au paragraphe 18; Tsiako c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 1253, au paragraphe 25; Mabuya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 372, au paragraphe 7). Après examen de la transcription de l’audience et examen du dossier certifié du Tribunal, je ne puis déceler, de la part de la SPR, aucune insensibilité au fait que la demanderesse a pu être victime de violence conjugale. Par ailleurs, la crédibilité n’a joué aucun rôle dans la manière dont la SPR a évalué la question de l’existence d’une PRI en Russie. Il était donc raisonnable pour la SPR de ne pas faire état explicitement des Directives.

VIII.       Dispositif

[16]           La SPR a validement appliqué le critère à double volet applicable à la question de l’existence d’une PRI et convenablement évalué la preuve qui lui a été soumise. Il ne lui était pas nécessaire de faire état explicitement, dans sa décision, des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Mon examen de la transcription me convainc que la demanderesse a été traitée avec professionnalisme, sans qu’aucun reproche ne puisse être fait à la SPR. La décision de la SPR est donc raisonnable et la Cour n’a pas à intervenir.

[17]           Les parties ont été invitées à soumettre des questions pour qu’elles soient certifiées, mais aucune question n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7784-13

 

INTITULÉ :

KSENIYA SARGSYAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE S. NOËL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 17 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Steven Beiles

 

POUR LA demanderesse

 

Hillary Adams

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Beiles

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE défendeur

 

 

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