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Date : 20150410


Dossier : IMM‑7203‑13

Référence : 2015 CF 447

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2015

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

EKREM BECIREVIC, IVANA BECIREVIC, JASMIN BECIREVIC, SAMIR BECIREVIC, EMINA BECIREVIC ET EKREM BECIREVIC

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de la question et contexte

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision du 14 octobre 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile des demandeurs fondée sur l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR. Les demandeurs prient la Cour d’annuler la décision de la SPR et de renvoyer l’affaire devant un autre commissaire de la SPR pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

[2]               Les demandeurs sont une famille originaire de Serbie constituée du demandeur principal, de sa femme et de leurs quatre enfants mineurs. Ils sont tous arrivés au Canada le 1er mai 2012 et ils ont présenté une demande d’asile quelque deux semaines plus tard. Leur demande se fonde sur deux motifs. Premièrement, le demandeur principal et sa femme sont tous deux issus de mariages mixtes : la mère du demandeur principal était Hongroise et son père, Serbe musulman. En ce qui concerne la femme du demandeur principal, sa mère était également Hongroise, alors que son père avait une ethnicité mixte hongroise et croate. Les demandeurs affirment qu’ils ont été victimes de discrimination en raison de leur ethnicité en Serbie. Deuxièmement, le demandeur principal soutient que son père a découvert et dénoncé l’exploitation illégale d’une carrière de sable dans laquelle [traduction« un certain nombre de personnes serbes occupant des postes de haut niveau étaient impliquées ». Lui et sa famille auraient été ciblés par la mafia serbe pour cette raison. Lors d’un incident, le demandeur principal a été menacé avec une arme à feu devant son fils, et malgré sa déclaration de cet incident et d’autres menaces, la police serbe a refusé de les aider. Après que leur plus jeune enfant ait supposément été victime de négligence à sa garderie, les demandeurs ont décidé de fuir la Serbie. Le demandeur principal explique dans son exposé circonstancié : [traduction« Nous avons eu la possibilité d’obtenir la citoyenneté hongroise en raison de nos ascendants, et nous sommes venus au Canada en utilisant ces passeports. »

II.                Décision de la SPR

[3]               La principale question sur laquelle s’est penchée la SPR a été de déterminer si les demandeurs étaient citoyens hongrois. Ils possèdent des passeports authentiques et toute leur documentation confirme qu’ils ont la citoyenneté hongroise, mais le demandeur principal a affirmé lors de l’audience devant la SPR qu’ils ont obtenu ce statut de manière frauduleuse et qu’ils seraient probablement déportés s’ils essayaient de vivre en Hongrie. En particulier, il a soutenu que ni lui ni sa femme ne parlent hongrois, ce qui est une des exigences d’obtention de la citoyenneté, et qu’ils ont soudoyé une relation à l’ambassade de Hongrie à Subotica pour obtenir les passeports. La SPR a rejeté cet argument et a jugé que les demandeurs sont citoyens hongrois. Comme ils ont aussi la citoyenneté serbe, la SPR a en outre estimé que puisque « les demandeurs détiennent la citoyenneté hongroise et serbe, ils doivent établir qu’ils craignent de retourner dans chaque pays ».

[4]               La SPR a ensuite évalué la demande d’asile à la lumière de leur citoyenneté hongroise et a tranché qu’ils pouvaient recevoir une protection adéquate de l’État dans ce pays, en concluant comme suit :

[36]      Les demandeurs n’ont pas établi que s’ils retournaient en Hongrie, ils seraient exposés à plus qu’une simple possibilité de persécution ou qu’il serait plus probable que le contraire qu’ils seraient exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités.

[37]      En raison de cette conclusion, je n’ai pas besoin d’analyser la crainte de retourner en Serbie des demandeurs d’asile.

III.             Norme de révision

[5]               Je rejette les observations des demandeurs voulant que le fait d’ignorer des éléments de preuve pertinents constitue un manquement au devoir d’équité procédurale qui devrait être examiné selon la norme de la décision correcte. Les décisions sur lesquelles se fondent les demandeurs à cet égard, notamment la décision Djama c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF 531 (QL) (CA), et l’arrêt Ellis‑Don Ltd c Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, au paragraphe 65, [2001] 1 RCS 221 (juge Binnie, dissident), n’étayent aucunement cette façon de formuler la question. La prétention selon laquelle la SPR aurait ignoré des éléments de preuve n’est en fait qu’une allégation portant que la SPR a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont [elle] dispose », ce qui constitue un motif de révision distinct suivant l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 45 et 46, [2009] 1 RCS 339; Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 157 FTR 35, aux paragraphes 14 à 17 (1re inst.) [Cepeda‑Gutierrez]).

[6]               Par conséquent, les demandeurs contestent simplement les conclusions de fait et les conclusions mixtes de droit et de fait de la SPR, et ces conclusions commandent la retenue (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, aux paragraphes 13 et 14 (disponible sur CanLII); Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). La décision de la SPR et son évaluation de la preuve ne devraient donc pas être modifiées tant qu’elles sont justifiées, intelligibles et transparentes et qu’elles peuvent se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Ces critères sont satisfaits si « [les motifs] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708).

IV.             Questions en litige et analyse

[7]               Les principales questions en litige en l’espèce concernent l’évaluation par la SPR du statut de citoyens hongrois des demandeurs et la possibilité pour ce pays de leur offrir une protection adéquate de l’État.

[8]               Comme le défendeur, j’estime que la SPR a raisonnablement évalué la question de la citoyenneté hongroise des demandeurs et jugé qu’ils avaient échoué à renverser la présomption de citoyenneté. Sur cet aspect, la décision de la Cour dans l’affaire Yah Abedalaziz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1066, doit être citée :

[42]      Le paragraphe 93 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, Genève septembre 1979, reconnaît l’existence d’une présomption prima facie que le détenteur d’un passeport est citoyen du pays d’émission. La simple affirmation par le titulaire du passeport que celui‑ci a été délivré pour sa convenance, comme titre de voyage uniquement, ne suffit pas à réfuter la présomption de nationalité (Mathews c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1387, 127 ACWS (3d) 528 au para 11; Adar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 132 FTR 35, 71 ACWS (3d) 1151).

[9]               En l’espèce, les demandeurs sont entrés au Canada grâce à des passeports hongrois authentiques et ils ont confirmé leur citoyenneté hongroise à de multiples reprises dans leur formulaire de demande d’asile initial et des formulaires de renseignements personnels subséquents. Même si les demandeurs ont expliqué de quelle manière ils avaient obtenu leurs passeports hongrois lors de l’audience devant la SPR, cette dernière a raisonnablement conclu qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de citoyenneté attachée à la possession d’un passeport hongrois authentique. Les demandeurs soutiennent maintenant que la SPR n’a pas tenu compte de documents qui leurs ont été délivrés par le Canada le 24 mai 2012 selon lesquels ils sont de citoyenneté inconnue, mais cet élément de preuve, trop ambigu, ne permet pas d’affirmer que la SPR a omis de l’examiner (Cepeda‑Gutierrez, au paragraphe 17).

[10]           Il était aussi raisonnable pour la SPR de juger que la preuve objective sur la situation dans le pays permettait de croire que les demandeurs recevraient une protection adéquate de l’État en cas de difficultés avec la mafia serbe en Hongrie ou de problèmes liés à leurs origines musulmanes.

[11]           Enfin, il était raisonnable pour la SPR de ne pas se pencher sur les craintes des demandeurs à l’égard d’un retour en Serbie. La SPR a déterminé que les demandeurs sont des citoyens de la Hongrie et qu’ils y recevraient une protection adéquate de l’État s’ils y retournaient. Si un demandeur d’asile a le droit de vivre dans un pays qui peut le protéger, le Canada n’a pas l’obligation d’offrir une protection de substitution. À cet égard, le fardeau pour le demandeur de prouver qu’il est un réfugié au sens de la Convention « comprend la preuve que le demandeur craint avec raison d’être persécuté dans tous les pays dont il est ressortissant » (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 751, 103 DLR (4th) 1 (non souligné dans l’original)). Ce principe a aussi été confirmé plus récemment par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Canada (Citoyenneté et Immigration) c Williams, 2005 CAF 126, aux paragraphes 20 et 22, [2005] 3 RCF 429, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Munderere, 2008 CAF 84, au paragraphe 38, 291 DLR (4th) 68.

[12]            Ainsi, la SPR n’avait pas l’obligation d’examiner les craintes des demandeurs à l’égard d’un retour en Serbie. Comme la SPR a raisonnablement déterminé que les demandeurs étaient des citoyens de la Hongrie et qu’ils seraient en sécurité dans ce pays, il n’était pas nécessaire de prendre en considération l’existence d’une menace en Serbie ou de déterminer si la protection de l’État était adéquate dans ce pays.

[13]           La décision de la SPR dans la présente affaire est justifiée, intelligible et transparente et elle peut être justifiée au regard des faits et du droit. Elle appartient aux issues possibles et acceptables.

V.                Conclusion

[14]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier; aucune question n’est donc certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Loïc Haméon‑Morrissette


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7203‑13

 

INTITULÉ :

EKREM BECIREVIC, IVANA BECIREVIC, JASMIN BECIREVIC, SAMIR BECIREVIC, EMINA BECIREVIC ET EKREM BECIREVIC c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 février 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 avril 2015

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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