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Date : 20150408


Dossier : IMM-6349-14

Référence : 2015 CF 428

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 8 avril 2015

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

SARABJIT KAUR SAROYA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Madame Saroya conteste une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté l’appel qu’elle avait interjeté d’une décision d’un agent des visas fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Contexte

[2]               Madame Saroya est citoyenne de l’Inde et est résidente permanente du Canada. Elle a immigré au Canada en 2005 après avoir été parrainée par son premier époux. Son premier époux et elle ont eu deux filles, qui ont tragiquement perdu la vie dans un incendie en 2010. À la suite de l’échec de son mariage, Mme Saroya s’est séparée de son ex‑époux en 2011. Elle souffre de dépression depuis ces événements horribles.

[3]               Madame Saroya a rencontré un homme qui est devenu son conjoint de fait alors qu’elle rendait visite à ses parents en Inde. Le 9 juillet 2013, elle a donné naissance à un fils au Canada. Elle a parrainé la demande de résidence permanente au Canada de son conjoint de fait. À l’audience, l’avocat de Mme Saroya a informé la Cour que la tragédie avait de nouveau frappé et que le conjoint de fait de Mme Saroya était décédé.

[4]               Madame Saroya a présenté une demande en vue de parrainer ses parents à titre de résidents permanents au Canada. À la suite d'un examen médical, son père et sa mère ont tous les deux reçu un diagnostic de séropositivité.  Aux termes d’une décision datée du 21 février 2013, un agent des visas a refusé leur demande au motif qu'ils étaient interdits de territoire pour motifs sanitaires.

[5]               Madame Saroya a interjeté appel devant la SAI. Elle n’a pas contesté la validité du refus pour interdiction de territoire pour motifs sanitaires. Elle a plutôt demandé la prise d’une mesure spéciale pour motifs d’ordre humanitaire. La SAI a tenu une audience le 8 juillet 2014. Le tribunal a entendu le témoignage de Mme Saroya et celui de sa mère, qui a été jointe par téléphone. Par la suite, l’avocate du ministre a donné son consentement pour que le tribunal fasse droit à l’appel. À la demande du tribunal, les avocats de la demanderesse et du ministre ont formulé des observations après l’audience confirmant leur recommandation conjointe invitant le tribunal à accueillir l’appel.

[6]               Malgré la recommandation conjointe, la SAI a rejeté l’appel aux termes d’une décision datée du 6 août 2014 qui a été communiquée le lendemain à la demanderesse.

[7]               La SAI a estimé que la demanderesse n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, le bien-fondé de sa demande. Elle a examiné divers facteurs relatifs aux motifs d’ordre humanitaire.

[8]               Le tribunal a commencé par l’examen du facteur relatif à l’« amélioration de l’état de santé ». La preuve démontrait que les parents ne présentaient pas de symptômes et qu’ils se présentaient à une clinique chaque mois. Le tribunal avait estimé qu’il s’agissait d’un facteur neutre.

[9]               Le tribunal a ensuite examiné le « fardeau excessif pour les services de santé canadiens ». Il a souscrit à l’opinion des professionnels de la santé mentionnée dans la décision de l’agent des visas. La demanderesse n’avait pas soumis d’éléments de preuve contradictoires. Il s’agissait d’un facteur défavorable.

[10]           Le tribunal s’est ensuite penché sur la question de la « disponibilité des services de santé à l’étranger et au Canada ». Les parents reçoivent des médicaments antirétroviraux gratuitement en Inde. Ils n’avaient produit aucune preuve montrant qu’ils se heurtaient à des difficultés pour accéder à des services médicaux dans leur pays. Par conséquent, le fait de faire droit à l’appel « aurait pour conséquence directe de transférer la totalité des frais de soins de santé aux contribuables canadiens », ce qui constituait un facteur défavorable important.

[11]           Au sujet du « coût du traitement de la maladie », le tribunal a souscrit à l’avis du médecin suivant lequel ces coûts excéderaient probablement les coûts moyens par habitant au Canada sur une période de cinq  ans. La demanderesse n’avait pas présenté d’éléments de preuve pour contester cette conclusion. Il s’agissait d’un facteur défavorable.

[12]           La SAI a ensuite examiné la « disponibilité d’un soutien familial au Canada ». Les parents ont seulement leur fille et un fils nouveau-né au Canada. En revanche, ils ont huit frères et sœurs (et les époux respectifs de ceux-ci), de même que 17 ou 18 neveux et nièces en Inde. La SAI a conclu que les parents, ainsi que la demanderesse, bénéficiaient d’un soutien beaucoup plus important à l’étranger qu’au Canada. Par surcroît, la situation financière précaire de la demanderesse permettait de douter de sa capacité de subvenir aux besoins de ses parents au Canada. Il s’agissait d’un facteur défavorable.

[13]           Le tribunal est ensuite passé à la question de la « dépendance psychologique ». L'avocate du ministre a fait valoir que la demanderesse, en tant qu’enfant unique, avait le devoir, selon sa culture, de s’occuper de ses parents. Le tribunal a signalé que la demanderesse n’avait pas parlé de ce devoir culturel dans  son témoignage, dans sa preuve ou dans ses observations écrites. Le tribunal a également rejeté l’idée que les parents de la demanderesse dépendaient financièrement de cette dernière pour combler leurs besoins quotidiens. Le tribunal a toutefois accepté le fait que la demanderesse souffrait d’une grave dépression. Le tribunal a compati avec la demanderesse et estimé que ce facteur était « légèrement favorable » en l’espèce.

[14]           Le  tribunal a conclu en analysant l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, se disant « réceptif, attentif et sensible » à ce facteur. Il rejeté l’idée que le fait de confier un enfant à une garderie au Canada était une mauvaise option. Reconnaissant qu’il pourrait être préférable et moins coûteux que les grands‑parents soient disponibles pour garder l’enfant, le tribunal a par conséquent admis que « le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché est favorable », mais que ce facteur ne l’emportait pas sur les autres facteurs défavorables.

[15]           Après avoir pris connaissance de cette décision, Mme Saroya a présenté une demande de contrôle judiciaire.

II.                Question en litige

[16]           La seule question en litige devant la Cour est celle de savoir si la SAI a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas de motifs d'ordre humanitaire suffisants pour faire droit à l'appel.

III.             Norme de contrôle

[17]           La décision visée par le contrôle suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et l’application d’une loi spécialisée à des faits particuliers. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 52 à 58).

IV.             Analyse

[18]           La Cour tient à exprimer sa plus profonde sympathie à Mme Saroya, dont la vie a été marquée par plusieurs tragédies au cours des dix dernières années.

[19]           La Cour ne peut toutefois intervenir que si la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle. Or, le dossier ne révèle pas qu’une telle erreur a été commise en l’espèce. La décision rendue par la SAI appartient aux issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[20]           En droit, la SAI a le droit de rejeter une recommandation conjointe dès lors qu'elle motive ce rejet (Fong c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1134, au paragraphe 31). Le fait que l’avocate du ministre s’est prononcée en faveur de l’accueil de l’appel à la fin de l’audience n’avait aucun caractère contraignant pour la SAI.

[21]           La SAI a suffisamment motivé sa décision en l’espèce. Bien que la demanderesse conteste les conclusions de la SAI, il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Comme la SAI n’a pas évalué la preuve de façon déraisonnable, la Cour doit s’en remettre à la façon dont la SAI a exercé son pouvoir discrétionnaire.

[22]           La Cour est d’accord avec le ministre pour dire que la SAI n’a pas mal interprété l’état de santé des parents de la demanderesse. Elle a clairement déclaré que leur état de santé n’avait pas empiré et elle a estimé avec raison qu’il s’agissait d’un facteur neutre.

[23]           L’avocat de la demanderesse a contesté l’avis du médecin sans offrir de contre-preuve. Là encore, la Cour est d’accord avec le ministre pour dire qu’aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise. Il est de jurisprudence constante qu’un médecin doit procéder à une appréciation individualisée de la situation de chaque personne lorsque des réserves sont exprimées au sujet d’une éventuelle interdiction de séjour pour motifs sanitaires. Si cette exigence est respectée, l’agent des visas peut confirmer l’avis du médecin sans examiner davantage le dossier (voir, par ex., Hilewitz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Colaco, 2007 CAF 282; Mazhari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 467. Il va de soi que la SAI peut à bon droit confirmer l’approbation de l’évaluation médicale par l’agent des visas à défaut de preuve contraire présentée par l’une ou l’autre partie.

[24]           Le médecin a conclu que les parents auraient besoin de [traduction] « médicaments et des services payés par l’État [qui] sont coûteux » au Canada. Cette conclusion a, de façon raisonnable, été confirmée tant par l’agent des visas que par la SAI. D’ailleurs, la demanderesse semble ne pas comprendre du tout la décision visée par le contrôle lorsqu’elle laisse entendre que ses parents pourraient se procurer les médicaments gratuitement au Canada parce qu’ils sont gratuits en Inde. Si ses parents pouvaient obtenir les médicaments gratuitement au Canada, les frais seraient probablement assumés par le régime public de soins de santé, lequel est financé par les contribuables canadiens. Or, on ne trouve au dossier soumis à la Cour aucune indication permettant de penser que des sociétés pharmaceutiques offrent gratuitement des médicaments aux personnes qui en ont besoin au Canada ou en Inde. Cette idée ne trouve pas appui dans la preuve et ne peut servir à contredire l’avis du médecin.

[25]           La SAI a évalué de façon raisonnable la dépendance des parents et de la demanderesse. Tout en s’interrogeant sur l’ampleur du soutien financier accordé par Mme Saroya à ses parents, la SAI a accepté qu’elle avait une certaine dépendance psychologique en raison de son état dépressif. C’est la raison pour laquelle elle a estimé que le facteur de la dépendance psychologique était légèrement favorable. Comme cette analyse lui était favorable, la demanderesse ne peut s'en plaindre.

[26]           En fait, la demanderesse interprète mal la question lorsqu’elle laisse entendre que la décision de la SAI aura pour effet de rompre les liens familiaux et causera des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives à ses parents et à elle-même. La décision de la SAI ne fera que maintenir le statu quo. Mme Saroya et son fils nouveau‑né conserveront le droit de demeurer au Canada. Ses parents demeureront en Inde, où ils ont vécu toute leur vie. La demanderesse peut continuer à rendre visite à sa famille en Inde comme elle l’a fait à plusieurs reprises récemment. Le précédent cité par la demanderesse, Davis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 97, se distingue complètement de la présente espèce. Dans cette affaire, la demanderesse vivait au Canada avec son père et le gouvernement avait l’intention de l’expulser. Cette mesure aurait perturbé une relation de cohabitation qui existait déjà.

[27]           Il nous reste à examiner la question de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Il est de jurisprudence constante que le décideur qui analyse les motifs d’ordre humanitaire doit bien identifier et définir ce facteur pour ensuite le soupeser avec d’autres facteurs (voir, par ex., Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, au paragraphe 12 [Legault]). Il est également de jurisprudence constante que ce facteur n’est pas déterminant – malgré son importance – étant donné que l’enfant bénéficiera presque toujours de la présence ininterrompue au Canada de ses parents ou d’autres membres de sa famille (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, aux paragraphes 2 et 6; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 24).

[28]           Dans le cas qui nous occupe, la Cour est convaincue que la SAI s’est montrée réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Elle a estimé que ce facteur était favorable en l’espèce, mais elle a conclu de façon raisonnable que ce facteur ne l’emportait pas sur les autres éléments défavorables.

[29]           Appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, la Cour confirme donc pour l'essentiel l’analyse que la SAI a faite des divers facteurs relatifs aux motifs d’ordre humanitaire. Saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour ne peut « procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs » par le décideur (Legault, précité, au paragraphe 11).

[30]           La demande est rejetée sans frais. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et aucune n’est donc certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande, sans frais. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Louis Beaudoin, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-6349-14

INTITULÉ :

SARABJIT KAUR SAROYA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

 

LE 1er avril 2015

 

JUGEMENT et motifs :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

 Baldev S. Sandhu

POUR LA DEMANDERESSE

Bobby Bharaj

pour lE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Surrey (Colombie-Bitannique) Colombie-Britannique

 

pour lA demanderESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

poUr le défendeur

 

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