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Date : 20150402


Dossier : IMM-5649-13

Référence : 2015 CF 415

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

JEANY ETIENNE

ROSE ETIENNE

HANNAH ETIENNE

JUDITH ETIENNE

SIMEON ETIENNE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

et

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS

intervenante

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la contestation de la décision rendue par un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qui a refusé d’accéder à la demande de report de renvoi présentée par les demandeurs.

[2]               Les demandeurs prient la Cour d’annuler la décision de l’agent d’exécution, mais ils voudraient aussi que soit rendue une ordonnance déclarant que l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi est inconstitutionnel et inopérant. Cet alinéa dispose que les demandeurs d’asile déboutés, tels que les demandeurs dans la présente affaire, ne sont pas admissibles à un examen des risques avant renvoi (ERAR) durant une période de 12 mois après le rejet de leurs demandes d’asile.

[3]               Dans la décision Peter c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2014 CF 1073 (Peter), la Cour a jugé que, au vu des faits qui lui étaient soumis, l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi était constitutionnel. Les faits dont il s’agit ici sont nettement différents.

[4]               Pour les motifs qui suivent, la Cour annule la décision de l’agent d’exécution; la question constitutionnelle ne se pose pas.

Le contexte

[5]               La description suivante des faits qui ont conduit la famille Etienne à demander l’asile au Canada, ainsi que le fondement de leur demande de report, sont tirés de documents figurant dans le dossier. Bien que la véracité des faits n’eût pas été examinée indépendamment par quelque autorité en matière d’immigration que ce soit, ces faits sont pourtant, pour les besoins de la présente demande, acceptés comme étant exacts.

Les antécédents personnels

[6]               Les demandeurs adultes, Jeany et Rose Etienne, sont originaires d’Haïti. En 1995, ils se sont installés aux îles Turks et Caicos, ils y ont eu trois enfants : Hannah, Judith et Simeon. Les îles Turks et Caicos sont un territoire britannique d’outre-mer qui, à ce titre, relève de la compétence et de la souveraineté du Royaume-Uni, sans en faire partie.

[7]               M. Etienne travaillait comme interprète judiciaire. Il a connu ses premières difficultés en 2000 quand il travaillait à un procès criminel dans lequel l’accusé, natif des îles Turks et Caicos, fut déclaré coupable du viol d’une Haïtienne qui travaillait pour lui. Alors que l’accusé était conduit en dehors de la salle d’audience, il a menacé de mort sa victime haïtienne ainsi que M. Etienne. Au moment où M. Etienne quittait le palais de justice, des partisans de l’homme déclaré coupable ont crié leur colère, ils juraient de le renvoyer là où il devait se trouver.

[8]               À la suite de ce procès, la famille Etienne a connu plusieurs calamités qui l’ont finalement conduite à demander l’asile au Canada.

[9]               En avril 2000, un grave incendie s’est déclaré dans leur appartement et l’immeuble fut réduit en cendres. La police a recueilli une déclaration de M. Etienne et lui a dit qu’il y aurait une enquête, mais il n’en est rien ressorti. Des membres de la communauté lui ont dit qu’il avait été pris pour cible en raison de son travail au tribunal.

[10]           En juin 2003, M. Etienne a reçu un appel téléphonique anonyme dont il ressortait que sa famille et lui étaient menacés de mort et de torture, s’ils ne quittaient pas le pays. Il a pris la menace au sérieux et, soucieux de protéger sa famille, il a quitté son emploi au tribunal. Il a travaillé dans l’industrie de la construction, et a offert des services de traduction à temps partiel à la police.

[11]           En novembre 2010, la poignée de porte de son véhicule a été brisée et, alors qu’il conduisait, il a remarqué que la roue avant, du côté du chauffeur, avait du jeu. Il a découvert que tous les boulons de la roue avaient été desserrés. Une semaine plus tard, il faisait le même constat sur l’autre roue avant.

[12]           Peu de temps après, l’appartement des demandeurs a été vandalisé – des excréments humains couvraient l’avant de l’appartement, et des insultes racistes étaient peintes sur le mur. M. Etienne a communiqué avec la police, qui lui a simplement dit d’en faire le ménage.

[13]           Les enfants de la famille Etienne ont eu des difficultés à l’école, aux mains des autres élèves et de leurs enseignants. Simeon, le benjamin de la famille, a le plus souffert. Les demandeurs affirment que, en raison de ses origines haïtiennes, Simeon était traité durement par ses enseignants, qui le battaient, lui refusaient l’accès aux toilettes et l’empêchaient de déjeuner. Les autres élèves se moquaient de lui et lui lançaient des propos racistes. Simeon a commencé à faire des cauchemars, puis a été atteint d’un souffle cardiaque. Le directeur de l’école a refusé à Judith (et à d’autres élèves haïtiens) l’autorisation de monter à bord de l’autobus scolaire, et M. Etienne a dû payer quelqu’un pour aller la chercher à l’école. Une fois, Hannah a bu accidentellement de l’eau mélangée à de l’eau de javel que l’enseignant utilisait pour nettoyer le tableau. Hannah a dû être hospitalisée et, quand M. Etienne et Hannah ont rencontré le directeur, Hannah a été accusée de vouloir ternir la réputation de l’école.

[14]           Le 25 décembre 2010, M. Etienne a fait un voyage au Canada afin de participer à une conférence. Il pensait y rester pendant deux semaines. Le lendemain, Mme Etienne lui a téléphoné pour l’informer que quelqu’un avait tenté la veille au soir d’entrer chez eux par effraction. Quand elle a crié à l’aide, l’intrus a battu en retraite, jurant que [traduction] « il n’en avait pas terminé avec elle et s’assurerait que nous allions bien retourner en Haïti ». Effrayée, Mme Etienne a réuni les enfants et est allée dans une localité située sur une autre île. Un ami a offert de les aider à payer leurs billets d’avion pour le Canada.

[15]           Mme Etienne et les enfants sont arrivés au Canada le 27 décembre 2010. La famille a demandé l’asile au début de janvier 2011, parce qu’elle craignait la persécution en raison de son origine ethnique haïtienne.

[16]           Les difficultés de Simeon ont persisté après leur arrivée au Canada – il souffrait de cauchemars et avait des problèmes de comportement, tant à la maison qu’à l’école. Après que fut rendue la décision relative à leurs demandes d’asile, Simeon a été diagnostiqué avec un état de stress post‑traumatique, et il suit un traitement au Centre hospitalier pour enfants de l’Est de l’Ontario.

[17]           La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SPR) a rejeté les demandes d’asile le 4 septembre 2012. La décision reposait uniquement sur l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Londres, au Royaume-Uni. La SPR a estimé que, en tant que ressortissants d’un territoire britannique d’outre-mer, les demandeurs avaient le droit de vivre et de travailler au Royaume-Uni. La SPR n’a pas évalué la menace alléguée à la vie des demandeurs, ni le risque pour eux de subir des traitements ou peines cruels et inusités aux îles Turks et Caicos :

Les demandeurs d’asile se sont vu présenter la pièce A/3, soit le cartable national de documentation du Royaume‑Uni daté du 15 juin 2012. Il comprend, à l’onglet 3.1, une réponse à la demande d’information portant sur le droit des citoyens des territoires britanniques d’outre-mer de vivre et de travailler au Royaume‑Uni. [La citoyenneté britannique] a été étendue à toutes les personnes qui étaient citoyennes des territoires britanniques d’outre-mer, à l’exception de celles associées à une zone de souveraineté. Les demandeurs d’asile ont donc la citoyenneté britannique et peuvent s’installer au Royaume-Uni sans obstacle.

[…]

[L]es demandeurs d’asile sont citoyens du Royaume‑Uni. Ils ont désormais le droit d’y vivre et d’y travailler. Ils n’ont besoin d’aucun visa ni autre document pour s’y rendre. Sur le fondement de cette conclusion, la ville de Londres, au Royaume‑Uni, constitue une PRI pour les demandeurs d’asile.

[Non souligné dans l’original.]

[18]           La réponse à la demande d’information sur laquelle la SPR s’est fondée prévoit que :

Par droit de résider au Royaume-Uni, on entend le droit d’entrer dans le pays sans l’autorisation des responsables de l’immigration pour y vivre et y travailler, et ce sans restriction aucune (Royaume-Uni, 25 févr. 2005). D’après des renseignements affichés sur le site Internet du Haut-Commissariat de Grande-Bretagne à Ottawa, [traduction] « [t]ous les citoyens britanniques ont le droit de résider au Royaume-Uni » (ibid .). De plus, [traduction] « les citoyens des territoires britanniques d’outre-mer pourront [...] venir au Royaume-Uni à des fins de loisir, d’études et de travail sans en obtenir préalablement l’autorisation » (Royaume-Uni s.d.b). [Non souligné dans l’original.]

[19]           Le 1er mars 2013, les demandeurs ont été informés que leur renvoi était [traduction] « imminent ». Le 6 mars 2013, ils ont sollicité le report de leur renvoi jusqu’à la fin du mois de juillet 2013, ils invoquaient la menace à leurs vies aux îles Turks et Caicos, ainsi que le problème de santé mentale de Simeon. Les demandeurs ont produit un rapport psychiatrique comme élément de preuve du risque que courait Simeon s’il retournait aux îles Turks et Caicos. L’agent a rencontré M. et Mme Etienne le 7 mars 2013 et a consenti à reporter le renvoi de la famille jusqu’au 15 juillet 2013, afin de permettre aux enfants de terminer l’année scolaire et aux parents de se préparer, ainsi que leurs enfants, en vue de leur renvoi. Il fut convenu que les demandeurs remettraient à l’agent, vers la mi-mai 2013, un itinéraire pour leur départ.

[20]           Le 9 mai 2013, les demandeurs ont présenté à l’agent un itinéraire les menant à la ville de Manchester, au Royaume-Uni. L’agent leur a déclaré qu’il leur faudrait retourner aux îles Turks et Caicos, à moins qu’ils ne présentent (nonobstant la conclusion de la SPR selon laquelle ils avaient le droit de vivre et de travailler au Royaume-Uni) un document des autorités britanniques autorisant leur renvoi au Royaume-Uni. Les éléments de preuve des demandeurs, confirmés dans la décision soumise au contrôle révèlent que l’agent s’était engagé à explorer la possibilité qu’ils soient renvoyés au Royaume-Uni. Il n’est pas certain que ce fut fait.

[21]           Les demandeurs ont présenté une deuxième demande le 10 juin 2013, afin d’obtenir un report additionnel de quatre mois. Ils y faisaient observer qu’ils craignaient de retourner aux îles Turks et Caicos et que les enfants y avaient subi des traumatismes. Ils ajoutaient qu’il leur fallait davantage de temps pour payer les factures d’hôpital de Simeon et pour épargner l’argent de l’achat de leurs billets d’avion et pour leur réinstallation au Royaume-Uni. Les demandeurs affirment qu’ils n’ont jamais reçu de réponse à cette lettre. Le défendeur soutient qu’une réponse a été envoyée le 17 juin 2013, réponse de refus de la demande, mais de report de la date du renvoi au 31 août 2013. Dans la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, une photocopie de cette lettre a été produite par le défendeur; toutefois, comme les demandeurs l’ont fait observer, la photocopie de l’enveloppe adressée aux demandeurs ne portait pas de timbre-poste.

[22]           Le 8 août 2013, les demandeurs ont reçu avis de leur renvoi imminent. Ils étaient priés [traduction] « de prendre toutes les dispositions nécessaires et de [se] préparer (ainsi que tous [leurs] enfants) en vue de [leur] départ du Canada et qu’[une] date prévue de renvoi n’aurait pas lieu avant le 24 août 2013 et au plus tard le 30 août 2013 ». M. Etienne a sollicité une autre prorogation le 11 août 2013, il faisait observer que la famille n’avait reçu aucune réponse de l’ASFC à la demande de report présenté en juin. Il réaffirmait que la famille souhaitait déménager à Londres, conformément à la PRI constatée par la SPR, et non pas aux îles Turks et Caicos.

[23]           Le 12 août 2013, les demandeurs ont reçu signification d’un ordre de se présenter en vue de leur renvoi le 31 août 2013. M. Etienne a écrit, le 13 août 2013, au supérieur hiérarchique de l’agent d’exécution il lui demandait une réponse écrite à leur dernière demande de report. Ils ont reçu, le même jour, une lettre de refus de la demande.

[24]           Le 19 août 2013, l’agent d’exécution a informé les demandeurs qu’ils faisaient l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire et que leur renvoi au Royaume-Uni n’était pas possible.

[25]           Les demandeurs ont consulté un avocat le 23 août 2013 afin de solliciter un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, jusqu’à l’issue d’une demande de contrôle judiciaire. Leur avocat a demandé un report, le 26 août 2013, il soulignait l’admissibilité imminente des demandeurs à un ERAR, le 4 septembre 2013, et l’intérêt supérieur des enfants (en particulier Simeon). Leur avocat a écrit ce qui suit :

[traduction]

Les demandeurs sollicitent un report de leur renvoi du Canada actuellement prévu le 31 août 2013, étant donné que :

1.    L’admissibilité des demandeurs à un examen des risques avant renvoi (ERAR) est imminente et que le risque de préjudice pour le demandeur et sa famille, et en particulier pour son fils (Simeon Etienne), si la famille est renvoyée aux îles Turks et Caicos, n’a pas été examiné (11 septembre 2013). Compte tenu du fragile état de santé mentale de Simeon à l’heure actuelle, il est de son intérêt supérieur qu’il se voit accorder un ERAR avant d’être renvoyé aux îles Turks et Caicos; [Non souligné dans l’original.]

2.    L’ASFC n’a pas pris de dispositions de voyage pour le renvoi des demandeurs au Royaume-Uni, pays désigné comme possibilité de refuge intérieur par le commissaire de la Section de la protection des réfugiés.

Vu le risque de préjudice et de peines inusitées pour la famille, et en particulier vu le préjudice irréparable pour Simeon, si la famille est renvoyée aux îles Turks et Caicos, et compte tenu en particulier de l’intérêt supérieur à court terme de leurs enfants, l’agent devrait reporter le renvoi des demandeurs du Canada jusqu’à ce qu’ils deviennent admissibles à un ERAR. Le renvoi prématuré des demandeurs sans un ERAR, et en l’absence de la prise en compte, par l’agent, du risque de préjudice irréparable, contrevient à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale, ce qui le rend donc inconstitutionnel.

[26]           Dans sa décision datée du 27 août 2013, l’agent d’exécution a refusé la demande formulée par l’avocat des demandeurs. L’agent d’exécution a pris note des demandes antérieures de report faites par les demandeurs. S’agissant de la demande de renvoi de la famille au Royaume-Uni faite par M. Etienne le 11 août 2013, l’agent d’exécution a relevé ce qui suit :

[traduction]

Les clients ont demandé à être renvoyés au Royaume-Uni, et non pas aux îles Turks et Caicos. Il a été expliqué aux clients à maintes reprises fois que les ressortissants des îles Turks et Caicos sont en mesure de résider, de travailler et de vivre au Royaume-Uni, mais cette possibilité est assujettie à certaines conditions et restrictions, en particulier lorsqu’ils partent du Canada sous le coup d’une mesure de renvoi. Les clients ont été informés qu’ils devaient obtenir l’autorisation des autorités britanniques s’ils souhaitaient être renvoyés au Royaume-Uni.

[27]           L’agent d’exécution à noter que les demandeurs ont présenté à nouveau la même demande le 19 août 2013 :

[traduction]

Le 19 août 2013, lorsqu’on a demandé à M. et Mme Etienne s’ils s’étaient adressés aux autorités britanniques afin d’obtenir l’autorisation de déménager et de vivre au Royaume-Uni, ils ont répondu qu’il était trop difficile et peu pratique de traiter avec le haut-commissariat de Grande-Bretagne à Ottawa ou à Toronto, et qu’ils n’avaient pas le temps d’entreprendre cette démarche. Il a aussi été expliqué aux clients qu’ils pourraient partir au Royaume‑Uni dès leur arrivée aux îles Turks et Caicos, le 31 août 2013, parce qu’ils ne seraient alors pas sous le coup d’une mesure de renvoi à leur départ des îles Turks et Caicos, mais ils ont répondu que cela leur coûterait trop cher et qu’ils n’avaient pas les ressources financières nécessaires pour acheter leurs billets pour le Royaume-Uni et ne s’étaient pas encore préparés à déménager au Royaume-Uni.

[28]           L’agent d’exécution a évoqué les inquiétudes des demandeurs concernant la scolarité et les camps de jour des enfants, leur capacité de payer les billets d’avion et le délai dont ils avaient besoin pour aviser leurs employeurs et leurs propriétaires. Il n’est fait état ni de la santé mentale de Simeon, ni du préjudice allégué qui pourrait toucher les demandeurs s’ils devaient retourner aux îles Turks et Caicos.

L’historique de la procédure

[29]           Le 27 août 2013, les demandeurs ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent d’exécution de refuser le report de leur renvoi, et ont déposé une requête urgente en vue du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à l’issue de ladite demande.

[30]           Le 30 août 2013, j’ai fait droit à la requête, faisant observer que, à l’instar de l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 (Suresh), il n’y a eu aucun examen des risques censément courus par les demandeurs aux îles Turks et Caicos, et que, à première vue, l’existence de risques a été établie. Dans l’explication succincte, j’écrivais que [traduction] « bien que l’agent soit tenu de renvoyer une personne dès que “possible”, cela doit signifier “dès que juridiquement possible” et que le [traduction] « renvoi qui contrevient à la Charte est un renvoi illicite ». J’écrivais aussi que le risque pour Simeon, si le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi n’était pas octroyé, n’était pas une simple conjecture :

[traduction]

Le Dr Palframan, psychiatre à l’enfance et à la famille du Centre hospitalier pour enfants de l’Est de l’Ontario, écrivait, après avoir examiné Simeon, qu’« un retour aux îles Turks et Caicos précipiterait une aggravation de son état de stress post‑traumatique, causé par les mauvais traitements dont il a fait l’objet dans son ancien pays de résidence. [Souligné dans l’original.]

[31]           À la suite du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, les demandeurs ont obtenu un ERAR favorable le 4 septembre 2013.

[32]           Le 20 juin 2012, la famille Etienne a déposé une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande pour motifs d’ordre humanitaire). Dans la décision soumise au contrôle, l’agent d’exécution affirmait avoir [traduction] « expliqué aux clients que le délai de traitement d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire pouvait aller jusqu’à 42 mois, ce qui voudrait dire qu’une décision concernant leur demande n’était pas imminente ». En fait, une décision défavorable a été rendue le 30 août 2013, un jour avant la date prévue pour leur renvoi. Cette décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire à la Cour, et, par jugement daté du 6 octobre 2014, elle a été annulée par le juge Rennie au motif que l’agent avait adopté un critère strict des difficultés, dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant : Etienne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 937.

[33]           Le 19 février 2014, le défendeur a présenté une requête en jugement se rapportant à la présente demande de contrôle judiciaire. Il reconnaissait pour la première fois que la décision sous‑jacente était viciée parce que l’intérêt supérieur de Simeon n’avait pas été pris en compte, et il a ajouté que, vu cette reconnaissance, il n’y avait plus de litige actuel entre les parties :

[traduction]

[L]e dossier ne montre pas que l’agent d’exécution a pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant quand il a rendu sa décision. En conséquence, la décision est déraisonnable et devrait être annulée.

[34]           En réponse, les demandeurs ont maintenu que la constitutionnalité de l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi demeurait une question actuelle [traduction] « validement soumise à la Cour pour qu’elle l’examine et qu’elle statue sur celle-ci ». Le défendeur a fait valoir que cette question n’avait pas à être tranchée dans la présente affaire, parce qu’elle avait été soumise à la Cour dans la décision Peter et dans d’autres demandes qui devaient être instruites ensemble le 13 décembre 2013.

[35]           Le 14 mars 2014, j’ai rejeté la requête en jugement déposée par le défendeur :

[traduction]

La Cour reconnaît avec les demandeurs que les faits considérés dans ces affaires sont très différents, parce qu’aucune d’elles ne concerne un risque de préjudice auquel est exposé un mineur, et, élément important, aucune d’elles ne concerne une situation où un demandeur était renvoyé sans le moindre examen des risques.

Cette situation ne se répétera plus jamais pour les demandeurs en question, mais elle pourrait en toucher d’autres. Le ministre n’affirme pas que la décision de la Cour relative à la constitutionnalité de l’alinéa 112(2)b.1) dans les affaires qui sont maintenant examinées par la Cour s’appliquera aussi à ladite situation. Comme le contexte factuel est différent, la décision de la Cour ne saurait s’y appliquer.

[36]           Le 9 avril 2014, la Cour a accordé à l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (l’ACAADR) l’autorisation d’intervenir dans la demande, malgré l’opposition du défendeur.

Les questions en litige

[37]           Les demandeurs affirment que les questions suivantes doivent être tranchées :

1.                  L’agent d’exécution a-t-il commis une erreur dans sa manière d’interpréter l’expression « dès que possible », au paragraphe 48(2) de la Loi, et ainsi entravé son pouvoir discrétionnaire et a-t-il rendu une décision contrevenant à la Charte?

2.                  L’alinéa 112(2)b.1) de la Loi est-il inconstitutionnel?

[38]           Selon le défendeur, il n’est pas nécessaire, et la Cour devrait s’abstenir, d’examiner une quelconque question constitutionnelle, car il est possible de statuer sur la demande selon des principes purement administratifs, à savoir le fait que l’agent d’exécution n’a pas pris en compte l’argument se rapportant à Simeon ni la question de savoir si le renvoi de Simeon l’exposerait à un traitement inhumain. Le défendeur affirme aussi que l’erreur de l’agent d’exécution ne résultait pas de l’exclusion d’un ERAR aux termes de l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi, et que, par conséquent, aucune question ne se posait quant à la bonne interprétation de cet alinéa. Le défendeur soutient plutôt que ce qui a conduit à la décision soumise au présent contrôle judiciaire, ce sont les détails des démarches relatives à l’exécution de la mesure de renvoi, compte tenu de la conclusion de la SPR portant sur l’existence d’une PRI, ce à quoi s’ajoutait le fait que l’intérêt supérieur de l’enfant n’avait pas été examiné.

[39]           L’intervenante a limité son argumentaire au deuxième point soulevé par les demandeurs.

[40]           La Cour a rendu la décision Peter après que les parties à la présente instance eurent déposé leurs arguments écrits. La Cour a autorisé les parties à déposer des arguments additionnels.

Analyse

[41]           Je reconnais avec les demandeurs que la matrice factuelle sous‑jacente à la décision Peter diffère de celle dont la Cour est saisie dans la présente demande. Dans l’affaire Peter et dans les affaires connexes, les demandeurs avaient bénéficié d’un examen des risques, ce dont la Cour a certainement tenu compte au moment d’évaluer la constitutionnalité de l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi. En l’espèce, comme indiqué ci-dessus, il n’y a pas eu d’examen des risques auxquels était exposée la famille Etienne à son retour aux îles Turks et Caicos, qu’il s’agisse des risques décrits dans leurs demandes d’asile initiales, ou des risques décelés, dans le cas de Simeon, après la décision de la SPR.

[42]           Néanmoins, je suis d’accord avec le ministre qu’il n’est pas nécessaire que la Cour entreprenne dans la présente affaire une analyse de la constitutionnalité de l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi, parce que ce n’était pas cette disposition qui était la cause directe du défaut de l’examen des risques avant renvoi pour la famille Etienne; c’est plutôt la décision de l’agent d’exécution de ne pas reporter le renvoi. En dépit du fait que la date choisie pour le renvoi et le refus de reporter le renvoi pourraient donner à penser que le défendeur était impatient de renvoyer la famille Etienne avant qu’elle ne devienne admissible à un ERAR, aucun élément de preuve ne permet de corroborer une telle conclusion. La décision soumise au contrôle n’était donc pas liée à l’exclusion d’un ERAR.

[43]           Je suis d’accord avec le ministre que l’agent d’exécution a omis de traiter les arguments et les éléments de preuve présentés relativement aux conséquences pour Simeon d’un renvoi vers les îles Turks et Caicos, et que cette erreur constitue un fondement valable pour que la Cour fasse droit à la demande. Je relève que le défendeur n’a reconnu cela que six mois après la décision en cause, bien après s’être opposé à une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, et à une autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision.

[44]           En revanche, je n’accepte pas l’argument du ministre selon lequel, parce qu’il peut être statué sur cette demande au motif que l’agent d’exécution a omis de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant de façon adéquate, la décision devrait être annulée sur ce seul fondement, à l’exclusion de toute autre question. Si la Cour devait se ranger à cette prise de position, elle rendrait un mauvais service aux demandeurs et à leur avocat, qui, avec des moyens financiers très limités, ont présenté des arguments étoffés à chacune de leur comparution à la Cour. En outre, et ce qui est peut-être plus important, ce serait rendre un mauvais service à de futurs demandeurs qui se trouveraient dans une situation semblable à celle de la famille Etienne, c’est-à-dire qu’ils seraient exposés à une mesure de renvoi sans un examen de leurs allégations de risques.

[45]           Pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis que l’agent d’exécution a omis non seulement de prendre en compte le risque pour Simeon, mais a aussi omis de prendre en compte le risque que la famille Etienne avait à l’origine évoqué quand elle avait demandé l’asile, et l’agent d’exécution à de surcroît omis de s’attarder sur le fait que le risque allégué par la famille aux îles Turks et Caicos, lieu vers lequel il s’apprêtait à la renvoyer, n’avait jamais été examiné.

[46]           Dans l’arrêt Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 (Baron), la Cour d’appel fédérale a confirmé que « le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est limité ». La Cour d’appel y faisait sienne l’observation du juge Pelletier, au paragraphe 32 de la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148 (Wang), selon laquelle « à part des questions comme les arrangements de voyage et l’état de santé permettant de voyager, l’exécution d’une mesure de renvoi ne peut être mise en cause que par un autre processus prévu par la Loi, étant donné que le ministre n’a pas l’autorité de refuser d’exécuter une telle mesure ». La Cour d’appel fédérale confirmait la conclusion du juge Pelletier, au paragraphe 48 de la décision Wang, selon laquelle le pouvoir de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi devrait être réservé « aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain » [Non souligné dans l’original.] Le juge Pelletier avait ajouté que « dans de telles circonstances, on ne pourrait annuler les conséquences d’un renvoi en réadmettant la personne au pays ».

[47]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286 (Shpati), la Cour d’appel fédérale a eu une autre occasion d’examiner les cas où le report de l’exécution d’une mesure de renvoi peut se justifier. M. Shpati avait prié l’agent d’exécution de reporter l’exécution de la mesure prononcée contre lui jusqu’à l’issue de sa demande de contrôle judiciaire visant une décision défavorable quant à l’ERAR. Le refus de l’agent d’exécution d’accéder à la demande de M. Shpati était fondé sur le fait que celui-ci « n’avait produit aucun élément de preuve démontrant l’existence d’un nouveau risque (survenu depuis l’ERAR) ». La Cour d’appel fédérale en a déduit « que, si M. Shpati avait présenté de nouveaux éléments de preuve, l’agent se serait demandé si ces éléments de preuve justifiaient un report et qu’il aurait exercé son pouvoir discrétionnaire en conséquence ». La Cour d’appel fédérale a ajouté qu’une telle position s’accordait avec la position exprimée dans l’arrêt Baron et qu’« il s’agi[ssait] là d’un énoncé exact du droit ».

[48]           À la suite de l’arrêt Shpati, l’ASFC a diffusé le Bulletin opérationnel PRG-2014-22, intitulé Procédures relatives à la considération de nouvelles allégations de risque par un agent dans le cadre d’une demande pour reporter un renvoi. Le défendeur a relevé que le Bulletin opérationnel confère à l’agent d’exécution, dans le report de l’exécution d’une mesure de renvoi, un pouvoir discrétionnaire plus large que celui indiqué dans l’arrêt Shpati. L’extrait pertinent du Bulletin opérationnel est ainsi formulé :

Dans l’affaire Shpati, la CAF a confirmé que l’exécution d’une mesure de renvoi ne devrait être reportée que dans les circonstances suivantes :

-   le défaut de reporter le renvoi exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain;

-   les risques invoqués doivent être survenus depuis le prononcé de la décision d’Examen des risques avant renvoi (ERAR) (ou depuis le dernier examen des risques);

-   les risques allégués exposent le demandeur à un préjudice personnel grave en cas de renvoi.

À noter que même si la jurisprudence peut être un guide très utile, il n’en demeure pas moins que l’agent d’exécution de la loi dispose du pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi dans les cas où ces trois éléments ne sont pas satisfaits de manière stricte. Un agent pourrait vouloir reporter le renvoi par exemple, si de nouveaux faits peuvent confirmer un risque qui avait déjà été considéré. De même, si des éléments de preuve n’ayant pu être présentés lors du dernier examen des risques font surface. [Non souligné dans l’original.]

Selon le Bulletin opérationnel, l’agent d’exécution ne doit pas procéder à un examen approfondi du risque allégué, ni décider si la personne court ou non un risque. L’agent d’exécution doit plutôt « examiner les preuves qui lui ont été soumises » et, s’il décide de reporter l’exécution de la mesure de renvoi, alors il doit écrire au demandeur pour l’informer que l’exécution de la mesure de renvoi a été temporairement reportée, que le dossier sera porté à l’attention de Citoyenneté et Immigration Canada pour un possible examen aux termes de l’article 25.1 de la Loi (dispensant l’étranger, pour des raisons d’ordre humanitaire, des exigences ou obligations prévues par la Loi) et que le demandeur en saura davantage plus tard.

[49]           Il y avait déjà eu un examen des risques dans l’affaire Peter et dans les autres décisions citées par le défendeur. En conséquence, toutes ces affaires évoquent le fait que l’agent d’exécution doit se demander [traduction] « s’il existe une nouvelle preuve concluante et suffisante de l’exposition du demandeur à une menace à la vie, de sanctions extrêmes ou de traitements inhumains » : décision Peter, au paragraphe 254 [Non souligné dans l’original.] En l’espèce, si ce n’est peut-être la lettre du psychiatre concernant Simeon, il semble que la famille Etienne n’a communiqué à l’agent d’exécution aucune « nouvelle » preuve au sens donné à ce terme par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385. La famille Etienne a plutôt produit exactement la même preuve de risque que celle qu’elle avait présentée à la SPR. Le défendeur a reconnu ce fait dans sa plaidoirie.

[50]           Le Bulletin opérationnel énonce que l’agent d’exécution a le pouvoir discrétionnaire d’accorder un report dans des cas autres que ceux qui ont été évoqués dans la décision Shpati, mais aucun des exemples figurant dans le bulletin quant aux cas où ce pouvoir discrétionnaire peut être exercé ne décrit la situation dans laquelle la famille Etienne se trouvait.

[51]           Le défendeur a produit un affidavit de la personne chargée de superviser le programme des renvois appliqué par le défendeur et d’orienter le travail des agents d’exécution. Sa déclaration donne à peine l’assurance que la Cour exige que quiconque allègue de façon crédible l’existence d’un risque qui n’a pas encore été examiné obtienne un report afin que ce risque soit examiné. L’affidavit renferme ce qui suit :

[traduction]

De manière générale, je puis dire qu’il est d’usage que, lorsqu’une personne est convoquée par un agent d’exécution pour son renvoi et que cette personne demande le report e l’exécution de la mesure de renvoi, en affirmant qu’elle sera exposée à un risque dans le pays vers lequel elle doit être renvoyée, il appartient à cette personne de corroborer cette affirmation et, si elle le fait, l’agent doit alors faire preuve de diligence raisonnable afin de décider s’il s’agit d’une nouvelle preuve et si le risque a déjà été examiné. Cette diligence raisonnable consistera notamment à examiner les décisions rendues dans le dossier, par exemple la décision de la SPR.

Si le risque n’a pas encore été examiné par un décideur antérieur et que le renvoi vers ce pays doit être exécuté, alors il est d’usage que l’agent envisage un report de l’exécution de la mesure de renvoi dans les cas où le risque allégué s’élève au niveau susceptible de répondre au critère établi par la jurisprudence. [Non souligné dans l’original.]

[52]           En l’espèce, le défendeur a décidé de ne pas renvoyer la famille Etienne au Royaume-Uni – la PRI désignée par la SPR. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer quant à savoir si c’était possible. Le défendeur a plutôt résolu de renvoyer la famille Etienne aux îles Turks et Caicos, un endroit où, disait-elle, elle était exposée à des risques. Les risques allégués par la famille Etienne n’étaient ni frivoles ni négligeables. Le défendeur ne pouvait décemment pas répondre comme l’a fait l’agent d’exécution, [traduction] « qu’ils pourraient partir pour le Royaume-Uni dès leur arrivée aux îles Turks et Caicos, le 31 août 2013, parce qu’ils ne seraient alors pas sous le coup d’une mesure de renvoi à leur départ des îles Turks et Caicos ». Ce n’est pas là une réponse adéquate aux allégations de risque qu’ils avançaient parce que, comme ils l’avaient dit à l’agent d’exécution, ils n’avaient pas les moyens financiers de partir pour le Royaume-Uni dès leur arrivée dans les îles. Un endroit n’est une PRI que s’il est possible pour la personne d’arriver à l’endroit en question, et si elle est disposée à s’y rendre : décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF 1256 (CA). En l’espèce, les membres de la famille s’étaient déclarés disposés à se réinstaller au Royaume-Uni, mais ils n’avaient pas les moyens financiers de le faire.

[53]           Après que l’agent d’exécution eue décidé que la famille Etienne ne serait pas renvoyée vers la PRI indiquée, mais plutôt vers son pays d’origine, il devait ensuite porter son attention sur l’allégation de risque que la famille Etienne a soulevé dans ses demandes d’asile. Selon les termes du juge Pelletier dans la décision Wang, l’agent d’exécution devait se demander si « le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu’un report pourrait faire que la mesure devienne de nul effet ». En l’espèce, une décision favorable quant à l’ERAR ou une demande pour motifs d’ordre humanitaire aurait rendu inopérante la mesure de renvoi. L’agent d’exécution devait porter son attention sur les éléments de preuve produits, les analyser et en prendre compte, et, si ces éléments de preuve montraient que la famille Etienne pouvait être exposée au risque dans les îles Turks et Caicos, alors il devait reporter l’exécution de la mesure de renvoi afin que le risque puisse être examiné.

[54]           Le risque que l’agent d’exécution doit examiner ne se limite pas à un « nouveau » risque, c’est-à-dire un risque soulevé après une décision relative à la demande d’asile ou après une autre instance. Les risques que l’agent d’exécution est également tenu de prendre en compte comprennent les risques qui n’ont jamais été examinés par un organe compétent. Outre cette situation de la famille Etienne, pour laquelle la SPR n’a pas effectué d’examen du risque allégué parce que selon elle il existait une PRI, il y aurait aussi le cas où la SPR n’a pas fait d’examen des risques parce que selon elle le demandeur d’asile n’a pas établi son identité.

[55]           Pour ces motifs, la Cour conclut que l’agent d’exécution a commis une erreur lorsqu’il n’a pas pris en compte le nouveau risque auquel Simeon était exposé, et a aussi commis une erreur parce qu’il n’a pas pris en compte le risque préexistant, mais non examiné, auquel la famille Etienne était exposée dans les îles Turks et Caicos.

[56]           La Cour reconnaît avec le défendeur que, vu l’évolution de la situation (la demande pour motifs d’ordre humanitaire et l’ERAR), il n’y a pas de fondement à renvoyer la demande de report pour nouvel examen. La réparation qui convient est de faire droit à la demande pour les motifs exposés ci‑dessus.

[57]           Les demandeurs ont proposé que la Cour certifie une question portant sur la constitutionnalité de l’exclusion de 12 mois qui suivent le rejet d’une demande d’asile prévue à l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi. Au vu des conclusions tirées, cette question ne serait pas déterminante dans un appel interjeté contre le présent jugement, et elle ne peut donc pas être certifiée.

[58]           La Cour remercie sincèrement tous les avocats d’avoir exposé des arguments écrits et oraux d’une manière éclairée et approfondie. Ils ont eu un rôle inestimable.


JUGEMENT

LE JUGEMENT DE LA COUR est le suivant : la demande de contrôle judiciaire est accueillie; la décision de l’agent d’exécution de refuser le report du renvoi des demandeurs vers les îles Turks et Caicos est annulée parce qu’il n’a pas pris en compte les éléments de preuve attestant un nouveau risque pour l’enfant, et parce qu’il n’a pas pris en compte la preuve attestant un risque préexistant et non examiné auquel était exposée la famille Etienne; aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5649-13

 

INTITULÉ :

JEANY ETIENNE ET AUTRES

c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET L’ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 2 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Arghavan Gerami

 

POUR LES demandeurs

 

Kristina Dragatis et Amy King

 

POUR LE défendeur

 

Richard Wazana et Andrew Brouwer

POUR L’INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Gerami Law PC

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

pour l’intervenante

 

 

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