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Date : 20150316


Dossiers : T-1409-04

T-1890-11

Référence : 2015 CF 322

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2015

En présence de monsieur le juge Barnes

Dossier : T-1409-04

ENTRE :

ASTRAZENECA CANADA INC. ET AKTIEBOLAGET HÄSSLE

demanderesses

et

APOTEX INC.

défenderesse

Dossier : T-1890-11

ET ENTRE :

ASTRAZENECA AB ET AKTIEBOLAGET HÄSSLE

demanderesses

et

APOTEX INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

Page

I.             Le brevet 3

II.           Les témoignages d’expert 8

A.           Monsieur Martyn Davies. 9

B.           Monsieur Roland Bodmeier 25

C.           Monsieur Frank Bright 34

D.           Monsieur Peter Griffiths. 45

E.           Monsieur Arthur Kibbe. 51

F.            Monsieur William Amos. 61

III.         L’interprétation des revendications. 67

A.           Les principes de l’interprétation des revendications. 67

B.           Les questions d’interprétation. 71

C.           La revendication 1 vise-t-elle les sous-enrobages qui se forment in situ?. 73

D.           Quel est le sens du mot « inerte »?. 86

E.           Quelles sont les caractéristiques structurales essentielles du sous-enrobage revendiqué?  88

IV.         La validité. 95

A.           L’antériorité. 95

B.           L’évidence. 99

V.           La portée excessive, l’inutilité et l’ambiguïté. 129

VI.         La contrefaçon. 141

A.           Les critiques formulées contre les méthodes d’essai de M. Davies. 141

B.           Quels sont les éléments constitutifs et la composition structurale du sous‑enrobage d’Apotex et dans quelle mesure sont-ils compromis par des trous, des vides ou d’autres anomalies?. 149

C.           L’épaisseur. 169

VII.       La qualité pour agir 180

VIII.     La préclusion découlant d’une question déjà tranchée à l’étranger 184

IX.         Les réparations. 186

A.           La tromperie. 186

B.           Les conclusions concernant la contrefaçon. 191

C.           Les prescriptions. 193

D.           AstraZeneca a-t-elle le droit de choisir la restitution des bénéfices?. 196

X.           La conclusion au sujet des réparations. 197

I.                   Le brevet

[1]               Dans la présente instance, AstraZeneca Canada Inc., Aktiebolaget Hässle et AstraZeneca AB affirment qu’Apotex Inc. [Apotex] a contrefait le brevet canadien no 1,292,693 [le brevet 693], à l’égard duquel elles revendiquent toutes un droit. À moins d’une indication expresse ou contextuelle contraire, toute mention d’AstraZeneca dans les présents motifs s’applique collectivement aux demanderesses.

[2]               L’instance a été scindée, de sorte que la présente décision n’a trait qu’à la question de la responsabilité.

[3]               Le brevet 693 énumère dix-neuf revendications concernant une formulation d’oméprazole, mais seules sont en litige les revendications 1, 5, 6, 13 et 19. Apotex conteste la validité du brevet 693 pour plusieurs motifs. Elle soutient également que sa formulation d’oméprazole ne contrefait aucune des revendications invoquées. Sa défense contre la contrefaçon s’articule principalement autour de l’interprétation du libellé de la revendication 1, le but étant d’établir des différences essentielles avec sa formulation d’oméprazole.

[4]               Le brevet 693 décrit que le domaine de l’invention est la découverte d’une nouvelle préparation pharmaceutique stable contenant de l’oméprazole à administrer par voie orale, ainsi qu’une méthode pour sa fabrication. Cette formulation est commercialisée avec succès par AstraZeneca sous le nom commercial de LOSEC.

[5]               Dans la section « Contexte de l’invention », les inventeurs font état des caractéristiques générales qui étaient connues à propos de l’oméprazole. L’oméprazole s’est révélé un puissant inhibiteur de la sécrétion d’acide gastrique, et était utile pour traiter les ulcères gastriques et duodénaux. Le brevet 693 cite Pilbrant et Cederberg dans l’article du Scand. J. Gastroenterology 1985; 20 (suppl. 108) p 113-120 [ci-après appelé la référence Pilbrant], sur le fait que l’oméprazole est reconnu pour sa tendance à se dégrader dans des milieux acide et neutre et qu’il peut être stabilisé dans une solution à des valeurs de pH plus élevées. Pilbrant est également cité à l’appui de la thèse selon laquelle la forme posologique gastrorésistante usuelle de l’oméprazole s’est révélée suffisamment stable pour la réalisation d’études cliniques. Toutefois, il a été constaté plus tard que cette approche n’offrait pas une stabilité suffisante pour un stockage à long terme. Dans la foulée de la citation de Pilbrant, les inventeurs ont indiqué que [traduction« le profil de stabilité [de l’oméprazole] est similaire en phase solide ».

[6]               Le problème de stabilité associé aux formes posologiques gastrorésistantes de l’oméprazole est décrit dans le brevet 693 :

[traduction] Pour obtenir une forme posologique d’oméprazole qui empêche tout contact entre la molécule et le suc gastrique acide, les noyaux doivent être recouverts d’un enrobage gastrorésistant. Toutefois, les enrobages gastrorésistants usuels sont formés de composés acides. Lorsqu’un tel enrobage gastrorésistant est utilisé, l’oméprazole se décompose rapidement par un contact direct ou indirect avec celui-ci, entraînant ainsi, à la longue, une importante décoloration de la préparation et une perte de sa teneur en oméprazole.

Pour améliorer la stabilité en stockage, les noyaux renfermant de l’oméprazole doivent également contenir des composés à réaction alcaline. Lorsqu’un noyau alcalin est recouvert d’un enrobage gastrorésistant formé d’une certaine quantité d’un plastifiant polymère habituel, comme l’acétate phtalate de cellulose, la dissolution de l’enrobage et du principe actif contenu dans les noyaux se fait dans le segment proximal de l’intestin grêle; cela permet aussi une certaine diffusion dans les noyaux de l’eau contenue dans le suc gastrique, à travers l’enrobage gastrorésistant, pendant toute la durée du séjour de la forme posologique dans l’estomac, avant son passage dans l’intestin grêle. L’eau du suc gastrique ainsi diffusée dissout des particules du noyau tout près de la couche d’enrobage gastrorésistant, formant ainsi une solution alcaline à l’intérieur de la forme posologique entérosoluble. Cette solution alcaline altérera l’enrobage gastrorésistant et finira par la dissoudre.

[7]               À la page 4 du brevet 693, il est décrit que l’invention a pour objectif de mettre au point une formulation d’oméprazole offrant une résistance acceptable à l’acide gastrique, se dissolvant rapidement dans un milieu neutre ou alcalin (c.-à-d., l’intestin) et pouvant demeurer bien stable pendant une période de stockage à long terme. Selon les allégations, une nouvelle forme posologique composée des trois éléments qui suivent permettrait d’atteindre cet objectif :

a.                   des noyaux formés de sels neutres ou alcalins d’oméprazole pouvant être mélangés à des composés alcalins;

b.                  un enrobage constitué d’une sous-couche séparatrice ou de revêtements solubles, ou se désintégrant rapidement dans l’eau, composés de substances inertes non acides, sinon pharmaceutiquement acceptables;

c.                   une couche externe constituée d’un enrobage gastrorésistant.

La forme posologique finale est ensuite traitée de façon à réduire la teneur en eau à un niveau très faible, conférant ainsi au produit une bonne stabilité pendant un stockage à long terme.

[8]               Les noyaux d’oméprazole sont décrits plus en détail dans la section « Description détaillée de l’invention ». Il est indiqué que les gélules sont utilisées comme [traduction] « noyaux aux fins d’une transformation ultérieure ». La couche séparatrice et son utilité sont décrites en détail comme suit :

[traduction] Les noyaux à réaction alcaline contenant de l’oméprazole doivent être séparés de l’enrobage composé d’un ou de plusieurs polymères contenant des groupes carboxyles libres, sans quoi une dégradation/décoloration de l’oméprazole sera observée pendant la phase d’enrobage ou le stockage. Le sous‑enrobage, défini ci-après comme la couche séparatrice, sert également de tampon pH dans lequel les ions d’hydrogène diffusant de l’extérieur vers le noyau alcalin peuvent interagir avec les ions hydroxyles diffusant du noyau alcalin vers la surface des articles enrobés. Les propriétés « tampon pH » de la couche séparatrice peuvent être renforcées davantage en introduisant dans cette dernière des substances choisies au sein d’un groupe de composés habituellement utilisés dans des formulations d’antiacides, par exemple [omission des exemples], ou des composés similaires. D’autres composés pharmaceutiquement acceptables pourraient également servir de tampon pH, notamment les sels de sodium, de potassium, de calcium, de magnésium et d’aluminium de l’acide citrique, phosphorique ou d’autres acides organiques ou inorganiques faibles appropriés.

La couche séparatrice est formée d’une ou plusieurs couches inertes hydrosolubles pouvant contenir des composés tampon pH.

Les couches séparatrices peuvent être appliquées sur les noyaux – pastilles ou comprimés – par des techniques d’enrobage classiques comme l’enrobage en cuve ou l’enrobage en lit fluidisé utilisant de l’eau et/ou des solvants organiques usuels comme solution d’enrobage. Comme matière utilisée dans la couche séparatrice, il est possible de choisir des polymères ou des composés inertes hydrosolubles et pharmaceutiquement acceptables utilisés pour le pelliculage, par exemple, le sucre, le polyéthylèneglycol, le poly(vinyl pyrrolidone), le poly(alcool de vinyle), l’hydroxypropylcellulose, la méthylcellulose, l’hydroxyméthylcellulose, l’hydroxypropylméthyl cellulose, le diéthylaminoacétate de polyvinylacétal, ou toute substance apparentée. L’épaisseur de la couche séparatrice ne doit pas être inférieure à 2 μm; de préférence, pour les petites pastilles sphériques, elle ne doit pas être inférieure à 4 μm et à 10 μm pour les comprimés.

Quant aux comprimés, il est possible d’utiliser une autre technique pour appliquer l’enrobage, soit l’enrobage à sec. Tout d’abord, le comprimé contenant de l’oméprazole subit une compression, comme il est décrit plus haut. Une couche est compressée autour du comprimé au moyen d’une machine à comprimés convenable. La couche séparatrice externe est formée d’excipients de comprimés pharmaceutiquement acceptables, hydrosolubles ou à désintégration rapide dans l’eau. L’épaisseur de la couche séparatrice ne doit pas être inférieure à 1 mm. Il est possible aussi d’intégrer dans la couche séparatrice des plastifiants ordinaires, des pigments, du dioxyde de titane, du talc et d’autres additifs.

Dans le cas des gélules, la capsule de gélatine même sert de couche séparatrice.

[9]               Une bonne partie des preuves d’expert présentées en l’espèce avaient trait au libellé de la revendication 1. Le litige en matière de contrefaçon porte principalement sur la question de savoir s’il y a eu contrefaçon de la revendication 1, convenablement interprétée, par suite de la fabrication et de la vente de la formulation d’oméprazole d’Apotex, l’Apo-oméprazole. Un aspect clé du litige consiste à savoir si l’Apo-oméprazole contient un sous-enrobage qui répond aux critères décrits dans la revendication 1. Les contestations d’Apotex à l’égard de la validité du brevet 693 visent de la même façon la revendication 1. Entre autres questions en litige, Apotex et ses experts soutiennent que la formulation décrite dans la revendication 1, quelle qu’en soit l’interprétation, était antériorisée, évidente et d’une portée trop large.

[10]           La revendication 1 du brevet 693 décrit la formulation en ces termes :

[traduction
1.         Une préparation pharmaceutique pour administration orale, comprenant : (a) un noyau renfermant une quantité efficace d’une substance choisie dans le groupe constitué par l’oméprazole et un réactif alcalin, d’un sel alcalin d’oméprazole et d’un réactif alcalin, et enfin d’un sel alcalin d’oméprazole seul; (b) un sous-enrobage inerte qui se dissout ou se désintègre rapidement dans l’eau, qui recouvre le noyau et qui renferme une ou plusieurs couches de substances sélectionnées parmi les excipients des comprimés et les polymères filmogènes; (c) une couche externe recouvrant le sous-enrobage et constituant un enrobage gastrorésistant et entérosoluble.

[11]           Les revendications 5, 6 et 13 dépendent directement ou indirectement de la revendication 1. La revendication 19 porte sur l’utilisation de la formulation selon l’une ou l’autre des revendications 1 à 16 pour le traitement de maladies gastro-intestinales.

[12]           La date d’antériorité du brevet 693 est le 30 avril 1986, sa date de dépôt au Canada est le 29 avril 1987, et sa date de délivrance le 3 décembre 1991. Il est convenu que la date pertinente dont il faut tenir compte pour l’interprétation des revendications du brevet est le 3 décembre 1991 et que, pour l’évaluation de la question de l’évidence, il s’agit du 30 avril 1986.

II.                Les témoignages d’expert

[13]           Pour mieux saisir les questions d’interprétation, de validité et de contrefaçon qui se posent en l’espèce, il est utile d’examiner en premier les preuves scientifiques qu’ont présentées les témoins experts et, en particulier, les quelques points sur lesquels ils étaient d’accord et les nombreux autres sur lesquels ils ne l’étaient pas.

[14]           Les arguments d’AstraZeneca ont été présentés par MM. Martyn Davies et Roland Bodmeier. Apotex a fait témoigner MM. Peter Griffiths, William Amos, Frank Bright et Arthur Kibbe.

[15]           Je reconnais que tous ces témoins étaient qualifiés. Mon évaluation de leur crédibilité et le poids que j’ai accordé à leurs témoignages sont décrits plus loin dans les présents motifs.

A.                 Monsieur Martyn Davies

[16]           Monsieur Davies est reconnu pour ses nombreux travaux, ses recherches et sa reconnaissance professionnelle dans les domaines de l’analyse d’essais pharmaceutiques et de la caractérisation des formulations médicamenteuses. Dans ses travaux, il emploie dans une large mesure des techniques d’analyse avancées. Il a été qualifié pour témoigner à titre de témoin expert à douze reprises et, en particulier, son témoignage a été retenu dans l’action en contrefaçon de brevet intentée aux États-Unis au sujet de l’équivalent du brevet 693. Il a été qualifié à titre d’expert en formulation pharmaceutique, notamment celle de formes posologiques orales enrobées, y compris les enrobages gastrorésistants.

[17]           AstraZeneca a retenu les services de M. Davies pour vérifier la composition des pastilles d’oméprazole d’Apotex, et son mandat précis est présenté au paragraphe 23 de son rapport initial. AstraZeneca avait auparavant retenu ses services aux États-Unis en lien avec un litige en matière de contrefaçon de brevet opposant AstraZeneca et un certain nombre de concurrents, dont Apotex.

[18]           M. Davies a soumis les pastilles d’Apotex à un certain nombre d’essais, dont diverses formes de microscopie, de spectroscopie infrarouge, d’inspection visuelle, de micro-imagerie vidéo, de mesures du pH et d’analyses de la teneur en eau. Certains de ses essais ont été menés en 2004 à l’appui de ses opinions dans le cadre du litige mené aux États-Unis sur le brevet équivalent. Ces essais ont été reproduits, en partie, en 2011, dans le cadre de la présente instance.

[19]           M. Davies a conçu et supervisé les expériences qui ont été réalisées dans son laboratoire en 2004 et en 2011. Il a déclaré avoir observé la grande majorité de ces dernières, ainsi que la consignation des données. Il a été chargé d’examiner les données et de formuler les opinions qu’il a fournies aux États-Unis et au Canada.

[20]           Des échantillons de noyaux d’oméprazole non enrobés d’Apotex, des capsules contenant des pastilles d’oméprazole recouvertes d’un enrobage gastrorésistant entièrement formulées ainsi que les excipients d’Apotex ont été fournis à M. Davies.

[21]           M. Davies a retiré l’enrobage gastrorésistant de certaines des pastilles d’Apotex en dissolvant l’enrobage de copolymère d’acide méthacrylique [CAM] dans un solvant d’acétone/isopropanol [IPA]. L’IPA est reconnu pour dissoudre le CAM. Le lavage au solvant a été effectué pendant 2 minutes en 2004 et pendant 4 minutes en 2011. Cette opération a été suivie d’un rinçage au solvant et d’un séchage sur papier. Un certain nombre de pastilles lavées ont été sectionnées au hasard, près de leurs lignes équatoriales, et fixées à des disques métalliques à l’aide d’une résine adhésive, durcissable à la lumière ultraviolette, en vue d’un examen microscopique.

[22]           En 2004, M. Davies a combiné du CAM et du PVP dans une solution et a remarqué qu’un précipité se formait facilement. Ce précipité a été lavé trois fois dans l’eau et conservé en vue d’une analyse approfondie. Cette opération n’a pas été répétée en 2011.

[23]           Les techniques d’imagerie que M. Davies a utilisées ont été la microscopie confocale à balayage laser [MCBL] et la microscopie par fluorescence UV à champ large (en 2004 seulement) à un grossissement de 10x et de 50x.

[24]           M. Davies a également exposé ses échantillons à la spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier en mode réflexion totale atténuée [IRTF] comme moyen de détecter leurs « empreintes » moléculaires.

[25]           En 2004 et en 2011, M. Davies a exposé les pastilles lavées à un bain d’eau et a capté sur vidéo des images de la réaction qui avait lieu.

[26]           Enfin, en 2004, M. Davies a mesuré la teneur en eau et le pH des échantillons d’Apotex.

[27]           En 2004, M. Davies a examiné plus de vingt pastilles d’Apotex à enrobage gastrorésistant et coupées en deux et plus de vingt pastilles lavées sous miscroscopie par fluorescence UV et sous MCBL, ainsi que sous microscopie à réflectance. De nombreuses tranches optiques individuelles et [traduction« représentatives » ont été examinées sous MCBL pour chaque pastille. Le même processus a été suivi en 2011 au moyen d’images de MCBL. Selon M. Davies, toutes les images qu’il a obtenues montraient la présence d’un anneau fluorescent brillant, distinct et continu à l’interface des noyaux des pastilles et de l’enrobage gastrorésistant. Aucun vide dans l’anneau fluorescent n’a été vu. L’anneau a été détecté à la fois dans les pastilles à enrobage gastrorésistant et à la surface des pastilles lavées. Quand M. Davies a examiné environ vingt noyaux de pastilles d’Apotex coupées en deux à l’aide de la MCBL et de la microscopie par fluorescence UV, il a constaté qu’ils étaient faiblement fluorescents, mais qu’il n’y avait aucun anneau fluorescent brillant à la surface des échantillons [voir l’annexe 27 jointe à la pièce 6]. Selon M. Davies, le fait que l’anneau fluorescent soit resté intact après le lavage de l’enrobage gastrorésistant dans un solvant dénote que la solubilité chimique de chaque structure était différente.

[28]           Quand M. Davies a mesuré l’épaisseur de la couche fluorescente en 2004 à partir d’images de MCBL distinctes, il a obtenu une plage de 2 à 6 microns. Les épaisseurs qu’il a mesurées en 2011 se situaient entre 1 micron et 6,8 microns. Dans une taille d’échantillon enregistré de 50, la mesure d’épaisseur moyenne était de 3 microns.

[29]           En 2004 et en 2011, M. Davies a procédé à une analyse par spectroscopie IRTF de la surface des pastilles à enrobage gastrorésistant d’Apotex, de la couche fluorescente des pastilles lavées ainsi que des noyaux non enrobés. Il a ensuite comparé les spectres obtenus aux spectres connus pour les composants utilisés par Apotex (oméprazole, povidone [PVP], mannitol, CAM et les produits de dégradation de l’oméprazole connus) ainsi que le complexe CAM-PVP qu’il avait préparé.

[30]           Quand M. Davies a scanné les noyaux d’Apotex, il a relevé des pics spectraux qu’il a attribués à l’oméprazole, au mannitol et au PVP. En particulier, il a découvert du PVP à la surface des noyaux. Les spectres qu’il avait pris de l’enrobage gastrorésistant des pastilles d’Apotex correspondaient à ceux d’un échantillon de CAM fourni par Apotex.

[31]           M. Davies a ensuite examiné la couche fluorescente. En 2004, il avait évalué dix pastilles lavées et enregistré les spectres de cinq d’entre elles. Les spectres IRTF qu’il avait obtenus montraient des différences par rapport à ceux du CAM. En particulier, les spectres relatifs à la couche fluorescente révélaient un pic d’absorption additionnel, qu’il avait attribué à un complexe qui s’était formé dans une réaction entre l’enrobage gastrorésistant de CAM et le PVP présent dans les noyaux des pastilles. Il a noté que ces deux polymères sont reconnus pour se complexer entre eux par liaison hydrogène. Il a décrit le complexe comme étant un complexe CAM-PVP chimiquement distinct de l’enrobage gastrorésistant. Pour confirmer cette constatation, M. Davies a comparé un spectre pris à partir de la couche fluorescente à un spectre pris à partir du précipité formé par le complexe CAM‑PVP qu’il avait préparé. Les deux étaient comparables.

[32]           En plus de relever le complexe dans la sous-couche d’Apotex, M. Davies a trouvé des signes de la présence de sel de magnésium du CAM. Ce composé, a-t-il dit, s’était formé à la suite d’une réaction avec l’hydroxyde de magnésium lors du procédé d’enrobage gastrorésistant. Selon lui, les pics de mannitol visibles dans les spectres des pastilles lavées étaient dus à la détection du mannitol juste en-dessous de la sous-couche. Aucun preuve d’oméprazole ou de ses produits de dégradation n’a été observée.

[33]           Les données de la spectroscopie IRTF ont amené M. Davies à conclure que le complexe et le sel de magnésium du CAM présents dans la sous-couche fluorescente s’étaient formés à la suite d’une réaction entre le CAM, le PVP et l’hydroxyde de magnésium lors du procédé d’enrobage gastrorésistant d’Apotex.

[34]           L’inspection visuelle que M. Davies a faite des pastilles d’Apotex n’a révélé aucune décoloration en tant que signe de dégradation.

[35]           Après avoir immergé vingt pastilles lavées dans un bain d’eau, M. Davies a remarqué qu’une fine couche, semblable à une pellicule, se détachait des noyaux. La sous-couche avait entièrement disparu après 7 minutes environ et les pastilles s’étaient complètement désintégrées en moins de 10 minutes. Des images vidéo à intervalles ont été enregistrées.

[36]           Les mesures de pH que M. Davies a prises en 2004 ont révélé des valeurs variant entre 8,81 et 9,39. Des résultats semblables ont été obtenus en 2011. Quand il a comparé les valeurs de pH du CAM et du PVP à celles du complexe, il a constaté que le complexe se situait à deux unités de pH de plus. Cela lui a indiqué que le complexe était chimiquement distinct de chacun de ses composés constituants. Sa mesure de la teneur en eau des pastilles d’Apotex a donné comme résultat une plage variant entre 1,52 % et 1,97 %.

[37]           À partir des résultats d’essais susmentionnés, M. Davies a tiré les conclusions suivantes :

a.                   les noyaux des pastilles d’Apotex contiennent de l’oméprazole;

b.                  la présence d’un sous-enrobage à l’extérieur de noyaux des pastilles d’Apotex avait été démontrée par la microscopie par fluorescence et par réflectance. L’anneau fluorescent qu’il avait observé se conformait aux contours des noyaux;

c.                   la sous-couche d’enrobage a des propriétés chimiques différentes de celles de l’enrobage gastrorésistant. Cela a été démontré par sa présence continue après l’élimination de l’enrobage gastrorésistant par le solvant d’acétone/IPA, par les spectres IRTF différents obtenus des deux zones ainsi que par des différences dans leurs niveaux d’acidité;

d.                  ni le complexe CAM-PVP ni le sel de CAM présent dans la sous-couche n’ont semblé dégrader l’oméprazole. Les pastilles n’ont montré aucun signe de décoloration et les données IRTF n’ont pas fait état de la présence de produits de dégradation de l’oméprazole dans la sous-couche;

e.                   M. Davies n’a pas exclu la présence dans la sous-couche de groupes fonctionnels acides issus de l’enrobage gastrorésistant, mais il a conclu que la plupart d’entre eux auraient été absorbés dans la réaction CAM-PVP. Dans la mesure où des groupes fonctionnels acides intacts demeuraient dans la sous-couche, ils seraient vraisemblablement séparés des noyaux et ne seraient pas en mesure de dégrader l’oméprazole à la surface des noyaux;

f.                   dans l’eau, le sous-enrobage ne se dissout pas, mais il se désintègre rapidement. C’est ce qui est ressorti des essais de désintégration dans l’eau;

g.                  les données IRTF ont montré que la sous-couche ne contient pas d’oméprazole ou de sel alcalin d’oméprazole;

h.                  le complexe et le sel de CAM sont des composés qui forment une pellicule polymère. La nature pelliculaire du complexe est évidente dans les images vidéo de la désintégration;

i.                    la couche d’enrobage gastrorésistant des pastilles d’Apotex est formée de CAM et elle est distincte de la sous-couche qui contient le complexe;

j.                    les noyaux d’Apotex présentent des valeurs de pH variant entre 8,81 et 9,39.

[38]           En réponse aux deuxièmes rapports d’expert de MM. Griffiths et Bright, M. Davies a présenté une justification additionnelle pour les conclusions de ses essais. Il n’était pas d’accord pour dire qu’il avait tenté d’utiliser des données de fluorescence pour identifier le complexe dans la région de la sous-couche. Il a reconnu que la fluorescence n’est pas une technique appropriée pour identifier une composition chimique, mais que l’on peut s’en servir pour étudier la structure de compositions pharmaceutiques. La fluorescence n’est qu’une des techniques dont il s’est servi pour évaluer la présence et la structure de la sous-couche. Il a déclaré qu’il n’avait pas confondu l’anneau fluorescent observé et le complexe, pas plus qu’il n’avait conclu que ce dernier était l’unique composé constituant dans la sous-couche.

[39]           M. Davies a confirmé que ses interrogations IRTF ont révélé systématiquement la présence du complexe dans la sous-couche et que ses multiples examens UV et MCBL ont tous montré une couche fluorescente brillante et continue.

[40]           M. Davies a affirmé de nouveau que la détection de bandes de mannitol dans certains des spectres IRTF était due à la présence de mannitol sous la sous-couche dans les noyaux d’oméprazole. Selon lui, le fait de laisser entendre que la présence de ces bandes dénotait la présence de vides dans la sous-couche reposait sur une hypothèse erronée quant à la profondeur de pénétration de son signal IRTF. Il a également fait remarquer que l’analyse que M. Griffiths avait faite de l’épaisseur de la sous-couche était très indirecte et que rien n’avait été fait pour reproduire ses mesures directes en recourant à une technique standard.

[41]           M. Davies n’était pas d’accord pour dire qu’il y avait plus de chances que les produits de dégradation de l’oméprazole soient les sources de la fluorescence observée. Aucune preuve empirique fiable n’a été produite pour montrer la présence de produits dégradants dans la sous‑couche et, même s’il y en avait eu sous les niveaux de détection IRTF, ils auraient été négligeables.

[42]           En répondant aux spectres IRTF obtenus par M. Hawker, M. Davies a relevé un signal anormal et important qui émanait du témoin initial (le « blanc »). Selon lui, à cause de cela toutes les données de Hawker étaient peu fiables. Il a également critiqué la méthode employée à l’Université Temple pour obtenir les images MCBL. Il a dit que les pastilles avaient été rompues grossièrement et non, comme il l’avait fait, tranchées avec soin et que, contrairement à ses séries d’images MCBL en Z, on n’avait pris qu’une seule image pour chaque pastille examinée.

[43]           La réponse de M. Davies au commentaire de M. Griffiths, à savoir qu’il n’avait pas vérifié directement la composition chimique de la couche fluorescente, figure au paragraphe 35 de son rapport de réponse et elle est analysée plus en détail aux pages 433 et 434 de son témoignage :

[traduction

Q.        Donc, pour commencer, M. Davies, je voudrais vous interroger sur une partie de votre rapport de réponse, qui commence à la page 12, sous la rubrique « Expériences visant à analyser directement la composition de la couche de sous-enrobage fluorescent ».

Au paragraphe 35 de ce rapport, vous indiquez que M. Griffiths dit que vous n’avez effectué aucune expérience pour élucider directement la composition de la couche fluorescente brillante que vous avez constatée dans les pastilles à enrobage gastrorésistant d’Apotex. Vous dites que cela est faux. Pourriez‑vous, s’il vous plait, expliquer pourquoi?

R.        C’est parce que j’ai eu recours à une analyse IRTF pour la couche de sous-enrobage, présente à la surface des pastilles lavées par solvant, afin d’élucider la composition de cette couche et de montrer qu’elle contenait le complexe CAM-PVP et le sel de CAM.

J’ai également entrepris de prendre des données UV MCBL obtenues par fluorescence et par réflectance sur les pastilles coupées en deux, qui étaient des pastilles à enrobage gastrorésistant, les pastilles lavées, les noyaux sans enrobage, afin d’identifier la présence de cette couche et j’ai confirmé que celle-ci restait en place après lavage. Elle avait donc des propriétés différentes de celles de l’enrobage gastrorésistant.

J’ai ensuite réalisé le complexe pour montrer que ce dernier présentait les mêmes signaux chimiques, signaux diagnostiques que ceux du complexe dans l’analyse IRTF.

J’ai ensuite comparé ces spectres à ceux que j’avais vus pour les pastilles lavées. Et, là encore, j’ai montré que ce que j’avais vu dans le complexe que j’avais réalisé dans le tube d’essai était le même signal que j’avais vu pour le complexe que j’avais relevé dans la pastille lavée d’Apotex.

J’ai donc pris un certain nombre de mesures pour montrer que, en fait, j’avais fait un certain nombre d’expériences pour montrer que j’analysais directement la composition de cette couche.

[44]           M. Davies a traité de l’identification, par M. Griffiths, de groupes acides carboxyliques (du CAM n’ayant pas réagi au PVP) dans la sous-couche en faisant remarquer que tout CAM n’ayant pas réagi avait peu de chances d’être en contact avec les noyaux et que M. Griffiths n’avait pas vérifié son hypothèse. Si ces groupes acides étaient disponibles pour réagir avec l’oméprazole à la surface des noyaux, il aurait fallu que des produits de dégradation mesurables soient présents. Les propres essais sensibles par CLHP qu’Apotex avait faits pour ses produits finis ne faisaient état que de niveaux de produits de dégradation négligeables ou indécelables.

[45]           Les critiques d’Apotex à propos de la représentativité des essais de M. Davies ont été examinées. Il a été reconnu que la zone des pastilles soumise par M. Davies à la spectroscopie IRTF était d’un diamètre de 44 microns, par rapport à un diamètre total d’environ 1 000 microns. M. Davies a examiné au moins quinze pastilles lavées et il a enregistré dix spectres pour chacune. Tous les spectres révélaient la présence du complexe. Il a été dit que cela concordait avec la microscopie par fluorescence UV et la MCBL, dans le cadre desquelles plus de 25 pastilles enrobées coupées des deux côtés et 25 pastilles lavées coupées des deux côtés ont été imagées. Dans chaque cas, un anneau fluorescent brillant a été observé. M. Davies a fait remarquer que M. Bright n’avait pas tenté de faire ses propres essais pour contester la représentativité de ses données.

[46]           Dans une autre réponse à la déclaration selon laquelle il avait présumé que la bande fluorescente était complexe, M. Davies a indiqué :

[traduction
56.       Cependant, juste parce que la fluorescence n’est pas une technique appropriée pour identifier le complexe CAM-PVP ne veut pas dire qu’on ne peut pas l’utiliser en combinaison avec d’autres essais pour montrer où le complexe est situé. Comme il est indiqué dans mon rapport de 2011, je me suis servi de la fluorescence UV à champ large et de la MCBL en combinaison avec la microscopie par réflectance pour montrer qu’une couche fluorescente brillante et continue est présente dans les pastilles d’Apotex à l’extérieur du noyau de ces dernières, où l’enrobage gastrorésistant est appliqué en premier. Je me suis ensuite servi de la spectroscopie IRTF pour montrer que la sous-couche d’enrobage contient un complexe CAM-PVP qui n’est présent ni dans le noyau ni dans l’enrobage gastrorésistant. En combinaison, ces essais montrent que le complexe CAM-PVP et la sous-couche d’enrobage sont situés au même endroit.

[47]           Pour ce qui est du postulat de M. Griffiths selon lequel il y avait plus de chances que ce soit les produits de dégradation de l’oméprazole plutôt que le complexe qui étaient à l’origine de l’anneau fluorescent, M. Davies a fait remarquer que le complexe était en fait détecté dans la sous-couche, et non les produits de dégradation de l’oméprazole. En l’absence de données montrant la présence de produits de dégradation de l’oméprazole dans la sous-couche et compte tenu du fait qu’il a été reconnu que la fluorescente à elle seule ne permet pas d’identifier une molécule particulière, l’opinion de M. Griffiths a été qualifiée de conjecturale.

[48]           Dans le rapport qu’il a présenté en réponse, M. Davies a défendu comme suit la représentativité de ses mesures de l’épaisseur de la sous-couche :

[traduction
72.       Premièrement, les données relatives à l’épaisseur de la sous-couche d’enrobage fluorescente ont été obtenues au moyen d’une technique d’analyse standard. Deuxièmement, les données relatives à l’épaisseur étaient cohérentes pour de multiples pastilles, tant en 2004 qu’en 2011. En particulier, toutes les pastilles examinées en 2011 comportaient une sous-couche d’enrobage fluorescente d’une épaisseur moyenne d’au moins 2 microns, ce qui était cohérent avec la plage d’épaisseurs mesurées en 2004. Troisièmement, ces données relatives à l’épaisseur sont cohérentes avec, à la fois, la microscopie en mode réflexion MCBL et la spectroscopie IRTF de pastilles lavées et coupées en deux.

[49]           M. Davies a confirmé que ses mesures d’épaisseur n’avaient pas été déterminées à partir d’images à intensité maximale, mais, plutôt, d’images MCBL prises dans l’axe Z [appelées ci‑après « images en Z »]. Ce point a été invoqué pour écarter l’allégation selon laquelle les mesures d’épaisseur de M. Davies avaient été relevées à partir d’images à intensité maximale.

[50]           M. Davies a traité de l’opinion de M. Griffiths sur la présence de bandes de mannitol dans certains des spectres IRTF relatifs aux pastilles lavées. Une bonne part du débat a porté sur l’évaluation de la profondeur de pénétration du faisceau généré par le spectromètre IRTF de M. Davies. Selon ce dernier, M. Griffiths avait sensiblement sous-estimé la profondeur de pénétration du signal et donc sous-estimé aussi l’épaisseur de la sous-couche d’enrobage. Un point de désaccord important entre M. Davies et M. Griffiths avait trait à l’angle du faisceau inhérent au spectromètre de M. Davies. M. Griffiths avait tenu pour acquis un angle d’incidence médian de 45º et M. Davies a dit que cet angle se situait dans une fourchette de 27º à 45º. J’en dirai davantage sur la question plus loin dans les présents motifs.

[51]           En réponse au doute de M. Griffiths que la mince pellicule qui se détachait des pastilles lavées d’Apotex quand elles étaient plongées dans l’eau était le complexe et qu’il pourrait s’agir plutôt de CAM résiduel, M. Davies a déclaré que le CAM se dissolvait dans un bain de solvant et qu’il était peu probable qu’il en était resté, sinon en quantités infimes. Étant donné que le spectre IRTF des pastilles lavées montrait systématiquement la présence du complexe, cela ne pouvait être, vraisemblablement, que la pellicule de composé qui restait.

[52]           M. Davies a traité, dans son rapport de réponse, aux critiques d’Apotex sur les méthodes d’essai qu’il avait employées. Il a répliqué comme suit à la préoccupation de M. Bright quant à une contamination possible due à l’emploi, par M. Davies, de papier de séchage et de résine adhésive :

a.                   l’anneau fluorescent était présent à la fois dans les pastilles lavées et les pastilles non lavées, et n’était donc pas dû à des restes de papier;

b.                  la contamination par le papier aurait été localisée; l’anneau fluorescent formait une colonne autour des noyaux des pastilles;

c.                   les pastilles n’avaient jamais été incorporées dans la résine, mais avaient plutôt été fixées à la base, à bonne distance de la zone à l’étude.

[53]           Au sujet des préoccupations de M. Bright selon lesquelles M. Davies n’avait coupé en deux les pastilles d’Apotex qu’à proximité de leurs équateurs et n’avait pas réussi, par ailleurs, à obtenir des données représentatives, M. Davies a dit qu’il voulait éviter un plan qui coupait la sous-couche en oblique et que, contrairement à M. Rez Fassihi, il avait pris de nombreuses images MCBL de chaque échantillon de pastilles. Pour ce qui est de l’uniformité des méthodes de fabrication d’Apotex, on ne s’attendrait pas à ce que l’emplacement de l’analyse des pastilles autorise d’importantes anomalies d’enrobage.

[54]           M. Davies a contesté l’opinion de M. Bright selon laquelle les images MCBL présentaient des discontinuités dans la fluorescence de la sous-couche. Il a fait remarquer que les pastilles coupées en deux présentaient des surfaces irrégulières, ce qui a pour effet que certaines parties de l’image sont habituellement floues. Selon M. Davies, pour analyser convenablement la surface tout entière d’une pastille non plane, il est nécessaire d’obtenir une série de sections MCBL pour distinguer quelles parties de chaque image sont au point. Dans le cas d’un échantillon non transparent, l’intensité de la fluorescence diminue à mesure que le plan focal s’oriente vers l’intérieur. Cet effet d’atténuation signifie que l’image fluorescente que l’on obtient de la surface nette d’un échantillon partiellement opaque est celle qui communique les informations les plus fiables. Il faut donc prendre plusieurs images en Z de chaque échantillon pour déterminer avec exactitude la continuité de toute fluorescence observée. Selon M. Davies, M. Bright n’a pas tenu compte de ces points et il a relevé ses observations de discontinuité à partir d’images MCBL en Z uniques et non représentatives, prises d’une hauteur nettement supérieure et inférieure à celle de la surface des pastilles. Pour ce qui était des images MCBL où le plan focal coupait la surface des pastilles, aucune discontinuité n’a pu être observée dans la fluorescence de la sous-couche.

[55]           M. Davies a exprimé les mêmes préoccupations au sujet de l’emploi que M. Bright avait fait d’images 3D reconstituées à partir d’images MCBL particulières. Aux paragraphes 167 à 169 du rapport qu’il a déposé en réponse, il traite du problème en ces termes :

[traduction
167.     D’après mes images MCBL tridimensionnelles (« 3D ») concernant les pastilles à enrobage gastrorésistant d’Apotex, le lot de capsules FD9104B et les montages 3D que M. Bright a créés à partir de mes données MCBL de 2011, M. Bright conclut que la sous-couche d’enrobage présente des discontinuités « nombreuses et évidentes ». Je ne suis pas d’accord, et ce, pour les raisons suivantes.

168.     Il est inapproprié d’évaluer la continuité de la sous-couche d’enrobage en inspectant visuellement les images 3D reconstituées à partir des sections MCBL d’une pastille coupée en deux. L’image créée à partir de la MCBL reflète l’intensité de la lumière fluorescée décelée dans le plan focal. Cependant, comme il a été expliqué plus tôt, l’intensité dépend de la profondeur et de l’orientation du plan focal par rapport à la surface de la pastille coupée en deux. Les images MCBL dont les plans focaux sont pris au-dessus ou en dessous de la surface d’une pastille coupée en deux ne refléteront pas avec précision le niveau de fluorescence à la surface. Même quand un plan focal coupe la surface d’une pastille coupée en deux, il est possible que certaines parties de la surface soient floues si le plan focal n’est pas parfaitement parallèle à la surface de la pastille. Une pile 3D de ces images MCBL présente les mêmes limites. M. Bright n’a pas tenu compte de cet effet quand il a analysé les images MCBL 3D. C’est donc dire qu’il a mal interprété les zones sombres dans les images en les considérant comme des discontinuités.

169.     Par ailleurs, s’il y avait eu vraiment des discontinuités dans la sous-couche d’enrobage, elles auraient apparu comme des vides dans des parties des images MCBL 2D où la surface des pastilles coupées en deux est nette. Cependant, aucun vide de ce genre n’était évident. [Renvois omis.]

[56]           Au sujet de l’opinion de M. Bright selon laquelle l’intensité générale de la fluorescence émanant de la sous-couche n’était pas très différente des zones environnantes, M. Davies a fait remarquer que lorsqu’on évaluait l’intensité à partir des zones nettes situées à la surface de l’échantillon, elle était nettement plus brillante que ses environs. Dans ces zones, on pouvait voir une couche fluorescente brillante distincte qui reposait sur les noyaux faiblement fluorescents. Par contraste, la fluorescence émanant du bruit de fond serait aléatoire et ne serait pas représentée dans les images sous la forme d’une couronne continue brillante.

[57]           M. Davies a pris ombrage de l’allégation de M. Bright selon laquelle un grand nombre de ses images MCBL avaient été artificiellement modifiées pour faire ressortir des zones précises. Il a fait remarquer que les images avaient été automatiquement générées par son MCBL et qu’elles n’étaient pas dues à des manipulations de l’opérateur.

[58]           En commentant les images de fluorescence MCBL 10x de l’Université Temple, M. Davies a fait remarquer que les pastilles avaient été grossièrement coupées en deux et étaient donc difficiles à imager clairement. Comme chaque échantillon n’avait été imagé qu’une seule fois, les images étaient insuffisantes pour étayer des conclusions sérieuses. Il est nécessaire de créer de multiples images pour déterminer quelles zones sont nettes.

[59]           En réponse à l’opinion de M. Amos selon laquelle les images MCBL de M. Davies étaient saturées, ce dernier a déclaré qu’il avait fait ce qu’il fallait pour éviter ce problème.

B.                 Monsieur Roland Bodmeier

[60]           Monsieur Bodmeier a été reconnu comme un expert en formulation pharmaceutique, notamment celle des formes posologiques orales enrobées, y compris les enrobages gastrorésistants. Il a une vaste expérience en tant qu’universitaire, et a accompli de nombreux travaux sur des techniques d’enrobage différentes, dont l’application d’enrobages dans des formes pharmaceutiques (souvent en vue d’obtenir des profils de libération particuliers). Il est un auteur scientifique prolifique et un chercheur. De plus, il agit souvent comme consultant auprès du secteur pharmaceutique.

[61]           AstraZeneca a tout d’abord retenu les services de M. Bodmeier pour interpréter les revendications pertinentes du brevet 693 sous l’angle de la personne versée dans l’art fictive, ainsi que pour évaluer si, compte tenu des résultats d’essais de M. Davies, les capsules d’oméprazole d’Apotex contrefont les revendications 1, 5 et 6 du brevet 693. Dans un rapport ultérieur qu’il a produit en réponse [pièce 67], M. Bodmeier a traité de la preuve d’invalidité d’Apotex pour cause d’antériorité, d’évidence, de portée excessive, d’utilité, de caractère suffisant, de revendications de portée excessive et d’ambiguïté. Dans un rapport final [pièce 68], il a traité de quelques questions de preuve précises que les experts d’Apotex avaient soulevées au sujet de la dégradation de l’oméprazole.

[62]           M. Bodmeier a décrit l’objet du brevet 693 comme étant la mise au point d’une formulation d’oméprazole résistante à l’acide gastrique et stable en stockage. L’oméprazole étant reconnu pour être instable dans un milieu aqueux acide, il a besoin d’un enrobage gastrorésistant (ou antérosoluble) protecteur pour traverser l’estomac avant d’être libéré dans l’intestin. Cependant, dans cette formulation, la stabilité en stockage à long terme a été compromise, comme le démontre la décoloration.

[63]           M. Bodmeier a fait remarquer que lorsque les inventeurs ont tenté de régler le problème de l’instabilité en stockage soit en ajoutant un composé à réaction alcaline [CRA] aux noyaux d’oméprazole, soit en utilisant un sel alcalin d’oméprazole, il s’est présenté un nouveau problème, sous la forme d’une diminution de la résistance à l’acide gastrique, causée par la dégradation prématurée de l’enrobage gastrorésistant. Ils ont découvert qu’un peu d’acide gastrique se diffusait à travers l’enrobage gastrorésistant et atteignait les noyaux, formant ainsi une solution alcaline. Cette dernière amenait l’enrobage gastrorésistant à se dissoudre de l’intérieur, ce qui donnait lieu à un échec prématuré après l’administration.

[64]           Selon M. Bodmeier, la solution des inventeurs au problème de la formulation réside dans la combinaison inventive d’un noyau alcalin séparé de l’enrobage gastrorésistant par une sous‑couche d’enrobage hydrosoluble ou à désintégration rapide. Grâce à cette sous‑couche d’enrobage, il était possible de réduire l’alcalinité des noyaux sans compromettre la stabilité en stockage à long terme de la formulation.

[65]           Il a été demandé à M. Bodmeier d’interpréter les revendications 1, 5 et 6. En particulier, on lui a demandé de déterminer si la revendication 1 englobait dans sa portée un sous‑enrobage qui se formait in situ en tant que produit d’une réaction chimique entre l’enrobage gastrorésistant et un noyau d’oméprazole alcalin. On lui a également demandé d’interpréter le terme [traduction] « inerte », relativement au sous‑enrobage.

[66]           M. Bodmeier a interprété les revendications 1, 5 et 6 comme des formulations proprement dites, sans se limiter au procédé de fabrication. Il a considéré que le mot [traduction] « recouvre » ne décrivait que l’emplacement du sous‑enrobage. Sa conclusion est énoncée dans le passage suivant, tiré de son rapport initial :

[traduction]
48.       En réponse, comme il a été mentionné plus tôt, les revendications 1, 5 et 6 du brevet 693 ne se limitent pas à une méthode particulière de formation de la composition, à la condition que le sous‑enrobage atteigne les buts du brevet, soit une forme posologique gastrorésistante et stable en stockage. En particulier, les avantages de l’invention découlent de la structure finie de la forme posologique et non d’un procédé particulier quelconque par lequel la structure est réalisée. Contrairement à ce qu’Apotex laisse entendre, le brevet n’a pas pour objet d’éviter tous les produits réactionnels possibles. Dans certaines circonstances, il est possible qu’un produit réactionnel crée la sous‑couche d’enrobage nécessaire, ce qui aidera à atteindre l’objectif de la gastrorésistance et de la stabilité en stockage. Par exemple, l’application d’une matière d’enrobage gastrorésistante à un noyau peut, suivant les conditions de traitement et les ingrédients, mener à une sous‑couche d’enrobage formée in situ. Ce sous‑enrobage peut être fait d’une matière distincte du noyau et de l’enrobage gastrorésistant. Rien dans la divulgation n’indique qu’un tel produit réactionnel doit être évité. La personne versée dans l’art ne lirait pas une telle limite dans les revendications.

[67]           L’interprétation que M. Bodmeier a faite du mot [traduction] « inerte » était relative. La personne versée dans l’art ne s’attendrait pas à ce que le sous‑enrobage soit parfaitement inerte ou entièrement non acide, mais uniquement dans la mesure nécessaire pour éviter une interférence fonctionnelle. Quant à la question de savoir s’il fallait que le sous‑enrobage soit entièrement continu, M. Bodmeier a exprimé là encore une opinion relative. Si le sous‑enrobage était suffisamment solide pour atteindre une bonne résistance à l’acide gastrique et une stabilité en stockage à long terme, la personne versée dans l’art ne penserait pas qu’il serait exigé de pouvoir éviter toutes les anomalies structurales.

[68]           Au sujet du degré acceptable de teneur en eau, M. Bodmeier a déclaré que la personne versée dans l’art saurait qu’il fallait réduire au minimum l’humidité ou, sinon, la gérer. Selon cette opinion, les revendications 1, 5 et 6 n’étaient pas limitées par un degré précis de teneur en eau.

[69]           S’appuyant sur son interprétation du libellé pertinent des revendications et, au vu de la cohérence des dossiers de lots d’Apotex et de ses méthodes de fabrication, M. Bodmeier a conclu que la totalité des lots d’oméprazole d’Apotex aurait contrefait les revendications 1, 5 et 6 du brevet 693. Quant aux méthodes de contrôle de la qualité d’Apotex, il a exprimé l’avis que tous les lots d’oméprazole d’Apotex auraient satisfait aux critères minimaux en matière de stabilité en stockage et de résistance à l’acide gastrique et qu’ils auraient forcément incorporé un sous‑enrobage fonctionnel et inerte.

[70]           Dans le rapport qu’il a produit en réponse, M. Bodmeier a ensuite traité des opinions de M. Kibbe au sujet de la validité. Il a exprimé l’avis que l’évaluation que M. Kibbe avait faite de l’art antérieur était simpliste et faite a posteriori. Cette critique générale figure ci‑dessous :

[traduction]
279.     L’analyse de MM. Hopfenberg et Kibbe montre un certain degré de prévision. Ils sont capables de trouver leur chemin dans le dédale de la formulation parce qu’ils connaissent la route à l’avance. Fait intéressant, ils ne font aucune mention des voies de rechange ou des problèmes qu’ils auraient inévitablement rencontrés lors du travail de formulation. À mon avis, même si une personne versée dans l’art arrivait en fin de compte à réaliser l’invention (ce qu’elle n’aurait pas été capable de faire, selon moi), la voie suivie aurait été nettement plus tortueuse que celle décrite par MM. Hopfenberg et Kibbe et elle aurait comporté inévitablement de nombreuses expériences, y compris des culs‑de‑sac. Par ailleurs, les recherches auraient été exploratoires, et pas seulement confirmatoires. Une personne versée dans l’art n’aurait pas conçu la totalité des éléments du brevet 693 avant le début des expériences. [Voir aussi le paragraphe 108]

[71]           M. Bodemeier a dit douter aussi que, compte tenu des limites en matière de recherche qui existaient dans les années 1980, plusieurs des références d’antériorité sur lesquelles Apotex s’était fondée auraient été à la disposition de la personne versée dans l’art, surtout en ce qui avait trait à certaines publications commerciales étrangères.

[72]           M. Bodmeier a considéré que la référence à Pilbrant de 1985 était le principal élément d’antériorité parce qu’elle traitait précisément de l’oméprazole. Pilbrant a enseigné que l’oméprazole est instable dans une solution aqueuse et a besoin d’un enrobage gastrorésistant protecteur. L’oméprazole est également sensible à l’humidité et a besoin d’un déshydratant dans son emballage. M. Bodmeier a exprimé son désaccord avec M. Kibbe, selon qui Pilbrant mettait en garde la personne versée dans l’art contre l’acidosensibilité de l’oméprazole dans les formulations solides. En 1986, la personne versée dans l’art ne pouvait pas prévoir la stabilité d’un ingrédient pharmaceutique actif présent dans une forme posologique solide à partir de son comportement dans une solution. Dans le même ordre d’idées, Pilbrant n’a pas enseigné qu’un CRA serait nécessaire en vue d’obtenir une bonne stabilité en stockage pour l’oméprazole à enrobage gastrorésistant. Pilbrant avait administré de l’oméprazole dans une solution de pair avec du bicarbonate de soude, mais cette combinaison était requise pour neutraliser l’acide gastrique et non pour obtenir une stabilité en stockage à long terme.

[73]           M. Bodmeier a examiné quelle était l’importance de l’EP 495 pour l’opinion de M. Kibbe sur l’antériorité. Il a reconnu que cette référence divulguait que les sels alcalins d’oméprazole étaient plus stables que sa forme neutre et qu’une telle formulation pouvait être protégée par un enrobage gastrorésistant. Néanmoins, vu que des sels différents ont des propriétés de solubilité différente, il n’aurait pas été évident aux yeux de la personne versée dans l’art d’appliquer cette information au problème de stabilité que les inventeurs du brevet 693 avaient rencontré. Selon M. Bodmeier, l’EP 495 et les autres références d’antériorité sur lesquelles M. Kibbe se fondait n’auraient pas amené la personne versée dans l’art à s’écarter de Pilbrant, qui enseignait qu’il était possible de formuler avec succès de l’oméprazole neutre avec un enrobage gastrorésistant et qu’il n’y avait aucun besoin manifeste d’introduire un CRA stabilisant.

[74]           Quant à la nécessité d’un sous‑enrobage, M. Bodmeier a admis qu’il s’agissait là d’une stratégie de formulation généralement connue pour séparer des composants pharmaceutiques. Cependant, contrairement à l’avis de M. Kibbe, cette mesure n’aurait été ni la première ni la seule solution dont la personne versée dans l’art aurait disposé. Confrontée à une preuve de décoloration seulement, la personne versée dans l’art aurait ignoré la source du problème. Un sous‑enrobage n’aurait été utile que si la décoloration était due à une réaction entre l’enrobage gastrorésistant et le noyau d’oméprazole. Il était également notoire que certains médicaments alcalins ou sensibles à l’acide sont suffisamment protégés par des enrobages gastrorésistants classiques.

[75]           M. Bodmeier a exprimé l’avis que la première méthode qu’emploierait la personne versée dans l’art pour tenter de surmonter une incompatibilité connue serait de trouver d’autres ingrédients, et non d’ajouter une étape de transformation. Dans son témoignage, M. Bodmeier a décrit le problème auquel serait confrontée la personne versée dans l’art :

[traduction] Donc, tout d’abord, vous voyez peut être quelque chose, une décoloration, mais vous ne savez pas quel est le problème, vous ignorez ce qui provoque la décoloration. Vous ignorez ce qui est responsable de la résistance à l’acide gastrique. Je pense que tout cela est fait rétrospectivement, vous savez, ces références sont, selon moi, toutes recueillies parce qu’une personne connaît la solution au problème et vous cherchez ensuite une sous-couche d’enrobage, peut-être les composés réactionnels alcalins.

Mais, à cette époque, dans le cas d’un formulateur, cela n’est pas son point de départ. Il commence, disons, par une décoloration ou il commence, même Pilbrant qui dit que c’est stable, il commence au point zéro. Et, selon moi, ces références ne sont, pour lui, d’aucune utilité pour identifier le problème, quelle est la cause du problème ou quelle est la cause de l’observation et trouver ensuite une solution.

Je pense qu’il est vraiment très important de se rappeler, en tant que formulateur, où l’on se situe, et je pense que c’est manifestement difficile rétrospectivement, vous savez, une fois que vous avez une solution, de l’examiner et de la rendre évidente, mais je crois que l’oméprazole, si je puis simplement faire part de mon opinion, est une molécule si complexe que lorsqu’une personne commence à formuler cela, je pense qu’une personne versée dans l’art ne trouverait pas ces références.

[76]           Selon M. Bodmeier, confrontée à une preuve de décoloration, la personne versée dans l’art ne présumerait pas qu’il y a une incompatibilité entre l’oméprazole et l’enrobage gastrorésistant. Il y avait d’autres possibilités présentes qu’il était nécessaire d’examiner. L’ajout d’un CRA n’était pas non plus un choix inévitable parce que l’ajout d’excipients peut créer d’autres réactions indésirables, comme cela s’est produit dans le cas de l’oméprazole. Une autre option de stabilisation que M. Bodmeier a mentionnée est l’utilisation d’antioxydants.

[77]           Une fois que le problème de la résistance à l’acide gastrique s’est présenté, il a fallu trouver, là aussi, une solution. Dans son rapport, M. Bodmeier décrit les options qu’aurait eues à l’époque la personne versée dans l’art :

[traduction]
239.     Même si la personne versée dans l’art prenait conscience que le problème de la résistance à l’acide gastrique était réduit, il faudrait qu’elle fasse des expériences pour résoudre le problème.

240.     Vraisemblablement, la personne versée dans l’art chercherait tout d’abord dans le mince enrobage gastrorésistant lui‑même les raisons expliquant la résistance insuffisante, en vérifiant systématiquement les paramètres de transformation et de formulation. Une résistance insuffisante à l’acide gastrique peut être causée par une épaisseur insuffisante de l’enrobage ou un enrobage inégal. La personne versée dans l’art pourrait aussi prendre en compte les aspects suivants :

•           la quantité ou le choix de plastifiant;

•           les paramètres de transformation, dont la température, la pression de pulvérisation, le taux de pulvérisation, le passage de l’air, le séchage;

•           la quantité restante de solvant;

•           la porosité de l’enrobage;

•           le choix de solvant.

241.     Contrairement à l’opinion que M. Kibbe a exprimée au paragraphe 224 de son rapport, une réponse logique à une résistance insuffisante à l’acide gastrique aurait été d’augmenter l’épaisseur de l’enrobage et, ainsi, d’essayer d’améliorer la résistance. Une autre réponse logique aurait été de penser à retirer le composé à réaction alcaline.

[78]           M. Bodmeier a exprimé l’avis que l’oméprazole est un médicament très difficile à formuler, et il a résumé sa preuve relative à l’évidence en ces termes :

[traduction
265.     À mon avis, il faudrait faire d’énormes efforts pour réaliser l’invention décrite dans les revendications 1, 5 et 6 du brevet 693. L’oméprazole est un composé exceptionnellement difficile à formuler, car il est très sensible à l’acide, sensible à la chaleur, à l’humidité et aux solvants, et il n’est efficace que lorsqu’il est libéré dans le tractus intestinal. Comme il a été mentionné plus tôt, il serait difficile d’identifier chacun des problèmes rencontrés par les inventeurs du brevet 693. De plus, la manière d’arriver à la solution synergique que constitue l’ajout d’un composé à réaction alcaline au noyau et une sous‑couche d’enrobage inerte, faite de composés polymères, filmogènes et hydrosolubles entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant en vue de résoudre les problèmes de dégradation et de résistance à l’acide gastrique ne serait pas considérée comme une technique courante. Comme il a été signalé, il y aurait eu une multitude de voies possibles que la personne versée dans l’art aurait probablement prises, mais les solutions décrites dans le brevet 693 seraient restées non évidentes.

[79]           M. Bodmeier a traité de l’argument de M. Kibbe selon lequel les revendications 1, 5 et 6 sont d’une portée plus large que celle de l’invention divulguée, car elles font état de formulations qui ne sont pas limitées par les paramètres essentiels que sont la teneur en eau et l’épaisseur de la sous‑couche d’enrobage. Il a considéré que ces caractéristiques n’étaient pas essentielles à l’idée originale, car la personne versée dans l’art sait fondamentalement qu’il faut contrôler la teneur en eau et l’épaisseur de la sous‑couche d’enrobage et elle s’attendrait à une certaine variabilité et la tolérerait.

[80]           M. Bodmeier a convenu avec M. Kibbe que le brevet 693 promet une bonne stabilité en stockage à long terme et une bonne résistance à l’acide gastrique. Il a été montré que l’on atteignait cet objectif avec une forme posologique ayant les éléments structurels essentiels de la revendication 1. Néanmoins, il a reconnu que ce ne sont pas toutes les formes posologiques d’oméprazole, ayant les caractéristiques structurales essentielles de la revendication 1, qui accompliraient la promesse du brevet 693. Il faudrait quand même que le formulateur mette à l’essai la formulation afin de s’assurer qu’elle procure les avantages attendus d’une stabilité à long terme et d’une bonne résistance à l’acide gastrique : [pages 1596 à 1601]. M. Bodmeier a décrit que ces essais étaient de nature courante.

C.                 Monsieur Frank Bright

[81]           Monsieur Bright a été reconnu comme un expert en chimie analytique, en analyse spectrochimique, en instrumentation chimique, en spectroscopie de fluorescence et de luminescence, ainsi qu’en imagerie à base de microscopie. Il bénéficie d’une expérience et d’une expertise incontestables dans ces domaines généraux. Il a reconnu toutefois qu’il n’a aucune expérience de l’application de son expertise à l’analyse de produits pharmacologiques [page 4060] et qu’il n’a réalisé aucun essai de sa propre initiative [page 4072].

[82]           Les services de M. Bright ont été retenus pour commenter les méthodes de M. Davies et ses constatations. En particulier, on lui a demandé d’évaluer la preuve afin de déterminer si la [traduction] « couche fluorescente intense » présente dans les pastilles d’oméprazole d’Apotex est une couche continue et inerte de complexe CAM‑PVP, d’une épaisseur d’au moins deux microns, qui est soluble ou se désintègre rapidement dans l’eau et qui agit comme couche séparatrice entre les noyaux des pastilles et l’enrobage gastrorésistant. On lui a également demandé d’évaluer l’importance des spectres d’émission que M. Hawker avait obtenus ainsi que les images MCBL que M. Fassihi avait produites pour le compte d’Apotex.

[83]           M. Bright a eu pour instruction de tenir pour acquis que le mot [traduction] « continu » signifiait sans vides, sans cassures ou sans trous et que le mot [traduction] « inerte » voulait dire non réactif avec les éléments des noyaux des pastilles et l’enrobage gastrorésistant ou, subsidiairement, chimiquement non réactif avec l’oméprazole, de sorte que la sous‑couche ne contient pas de produits de dégradation de l’oméprazole. On lui a dit de tenir pour acquis que M. Davies avait montré que le complexe était présent [traduction] « à un seul point d’interrogation sur chaque pastille ».

[84]           La principale conclusion de M. Bright a été que M. Davies n’était pas parvenu à prouver que la source de la fluorescence MCBL dans la région de la sous‑couche était le complexe CAM‑PVP. Selon lui, la fluorescence observée provenait selon toute vraisemblance d’autres composés présents dans la sous‑couche et, de toute façon, la présence d’une fluorescence n’était pas suffisante pour prouver [traduction] « l’emplacement, la distribution ou l’épaisseur » du complexe ou de n’importe quelle autre substance qui pouvait être présente. Même si l’on présumait que l’anneau fluorescent présent dans la sous‑couche coïncidait avec le complexe, on ne pourrait tirer aucune conclusion à propos de la continuité, de l’épaisseur ou de la valeur de séparation du complexe. Comme M. Davies n’avait pas écarté la présence d’autres composés à l'intérieur de l’anneau fluorescent, il n’avait pas démontré que la couche était inerte.

[85]           M. Bright avait plusieurs doutes au sujet des méthodes d’essai de M. Davies. En particulier, il a déclaré que la détection d’une fluorescence à la surface des pastilles lavées [traduction] « aurait pu être attribuable, en tout ou en partie, à une contamination, ou du moins touchée par cette dernière » qui était issue d’impuretés transférées du papier de séchage à la surface des pastilles. M. Bright a pensé qu’il aurait fallu écarter cet effet expérimentalement. Il a eu des doutes semblables au sujet de la contamination attribuable à l’emploi d’un [traduction] « milieu de montage incorrect » (c’est-à-dire, de la résine adhésive) ou au fait que M. Davies avait incorporé entièrement les pastilles dans de la résine.

[86]           M. Bright a critiqué le fait que M. Davies n’avait pas coupé en deux les pastilles le long de leur axe principal ou près de leurs extrémités. M. Davies avait systématiquement coupé les pastilles près de leurs équateurs (l’axe auxiliaire). M. Bright se souciait du fait que l’on manquerait ainsi une anomalie de la sous‑couche qui existait généralement à l’extérieur de la région équatoriale.

[87]           M. Bright s’est dit préoccupé par ce qu’il considérait comme des discontinuités dans l’anneau fluorescent. Certaines des images en Z de M. Davies ne montraient pas d’anneau fluorescent et M. Bright a dit croire qu’il s’agissait d’une discontinuité de la fluorescence. Au paragraphe 70 de son rapport, il a expliqué le problème, tel qu’il le concevait :

[traduction]
70.       L’examen des données MCBL expérimentales de M. Davies qui sont présentées dans la pièce « O » montre ceci : i) un anneau discontinu dans les plans x et y qui est également discontinu dans le plan z (p. ex., comparer les images de z=0 et z=35 et z=49 qui figurent dans la pièce « O », et noter comment l’anneau semble rompu dans z=0 et tout à fait absent dans z=49); ii) une couche d’enrobage gastrorésistant qui est aussi clairement fluorescente (voir z=39 et z=42, dans la pièce « O »); iii) un noyau qui est lui aussi clairement fluorescent (voir z=39 et z=42 dans la pièce « O »). Ces résultats ne concordent pas avec la description que fait M. Davies de l’« anneau fluorescent intense », à savoir une structure continue entre un noyau non fluorescent (voir le paragraphe 139 du rapport de M. Davies) et une zone d’enrobage gastrorésistant non fluorescente (voir le paragraphe 148 du rapport de M. Davies). Des observations semblables s’appliquent aux images que M. Davies a prises lors des essais de 2011, comme il est indiqué à la pièce « P ». [Renvois omis.]

[88]           Une analyse plus détaillée de la fluorescence des pastilles a amené M. Bright à conclure que la fluorescence de la sous‑couche [traduction] « n’est pas vraiment différente de l’intensité de la zone environnante » et que [traduction] « l’anneau fluorescent censément brillant est souvent non détectable de manière fiable (c’est-à-dire, à un seuil de confiance supérieur à 99 %) par rapport à la forte émission de fond » des zones environnantes. Selon M. Bright, malgré la présence visuelle d’un anneau brillant dans la sous‑couche, M. Davies n’avait pas établi l’existence d’un tel anneau. Dans son rapport, M. Bright a qualifié cette lacune de discontinuité. Dans son témoignage, il a admis que cela pouvait être une preuve de discontinuité de la sous‑couche.

[89]           M. Bright a soutenu que nombreuses discontinuités évidentes étaient apparentes dans les images MCBL de M. Davies. Les discontinuités qu’il avait relevées dans les images MCBL qu’il avait choisies avaient presque toutes été détectées en deçà de la surface de l’échantillon [voir les figures 16 et 17 de son rapport].

[90]           M. Bright a critiqué l’apparente omission de M. Davies de suivre des règles appropriées en matière d’intégrité d’images, en se fondant sur des transformations non précisées, mais perçues de ses images. Selon lui, un [traduction] « grand nombre » des images de M. Davies avaient été [traduction] « colorées d’une certaine façon ou, d’une certaine façon, mettaient artificiellement en lumière des régions précises à l’intérieur de l’image ».

[91]           M. Bright a examiné la présence de produits de dégradation de l’oméprazole non détectés dans la sous‑couche fluorescente qui causaient peut‑être la fluorescence ou qui y contribuaient. M. Davies ne pouvait pas exclure ce fait parce que les limites de détection de son instrument de spectroscopie IRTF étaient censément inférieures à celles de son instrument de MCBL. En examinant les spectres de M. Hawker, M. Bright a conclu que plusieurs produits de dégradation de l’oméprazole connus étaient nettement plus fluorescents que le CAM, le PVP ou le complexe préparé. Il a tout de même signalé que le témoin (le « blanc ») de M. Hawker était [traduction] « anormalement élevé », mais que [traduction] « cela se produit de temps à autre, surtout lors de l’analyse d’échantillons solides ». Selon le rapport de M. Bright, ce problème ne [traduction] « jetait pas de doute sur les données restantes ». Néanmoins, dans son témoignage il a semblé mettre en doute la validité des lectures du complexe CAM/PVP que M. Hawker avait obtenues, car elles se situaient toutes en deçà du faux signal généré par le blanc [page 3978].

[92]           M. Bright a reconnu que la fluorescence ne peut pas faire de distinction entre des molécules différentes qui fluorescent dans les mêmes conditions et qu’il n’y a [traduction] « simplement aucun moyen de le savoir, en se basant sur les essais que M. Davies a menés », mais il a conclu que la [traduction] « fluorescence relevée dans l’“anneau brillant” de M. Davies est fort vraisemblablement due à des produits de dégradation [de l’oméprazole] plutôt qu’à son complexe CAM‑PVP et CAM‑Mg ».

[93]           M. Bright a résumé comme suit son opinion au sujet de l’importance scientifique des données de M. Davies sur la fluorescence :

[traduction]
116.     Par conséquent, en présumant qu’une certaine quantité du complexe de M. Davies est présente à la surface des pastilles lavées et coupées en deux, il n’y a aucun moyen de vérifier, en se basant sur le travail relatif à la fluorescence de M. Davies, quelle quantité de complexe est présente, où il est situé, son épaisseur minimale ou moyenne, l’étendue de sa continuité spatiale et/ou chimique autour du noyau, y compris la présence de cassures, de vides ou de trous de petite ou de grande taille, ou si du CAM, du PVP, de l’oméprazole ou ses produits de dégradation (c.‑à‑d., d’autres espèces capables de fluorescer dans le système de M. Davies) peuvent être présents. Autrement dit, M. Davies ne peut pas faire de distinction entre les scénarios suivants, lesquels concordent tous avec les données :

a)         une couche composée d’un complexe qui contient une quantité d’espèces fluorescentes en deçà de ses limites de détection par spectroscopie IRTF (p. ex., des produits de dégradation de l’oméprazole) et sous forme de coquille ou de couronne continue autour du noyau, d’une épaisseur moyenne de 2 μm (c.‑à‑d., sa propre interprétation);

b)         des « patchs » de complexe distincts, d’une épaisseur de 500 nm à l’intérieur d’une zone d’une épaisseur d’au moins 2 μm qui contient des produits de dégradation de l’oméprazole et d’autres espèces;

c)         n’importe quel nombre d’autres géométries et/ou distributions d’espèces possible.

117.     Pour les mêmes raisons, il n’existe dans le rapport de M. Davies aucune donnée à l’appui de la conclusion selon laquelle la « couche fluorescente intense » détectée à l’intérieur des pastilles à enrobage gastrorésistant coupées en deux doit également contenir une couche continue du complexe.

[94]           M. Bright a également examiné les données MCBL de M. Davies et de M. Hawker. Il a considéré que la préparation des échantillons de M. Hawker était préférable parce qu’elle évitait d’exposer les pastilles à la résine. M. Bright a tracé les profils des intensités radiales sur trois vecteurs pour deux des images MCBL à résolution 10x de M. Hawker. Dans chaque cas, pour deux des trois profils mesurés, l’intensité fluorescente de la sous‑couche n’était pas supérieure à celle du noyau. M. Bright a attribué ce fait à une discontinuité dans la sous‑couche. Il a conclu que les images de M. Hawker [traduction] « manifestent une nette discontinuité » à l’interface du noyau et de l’enrobage gastrorésistant [traduction] « qui ne concorde pas avec une couche continue ». M. Bright a résumé comme suit les données de M. Hawker :

[traduction]
136.     En bref, les nouvelles données d’images MCBL font état d’un comportement qui est clairement incohérent avec les caractéristiques de la sous‑couche que propose M. Davies. Une ou plusieurs des espèces fluorescentes (p. ex., les produits de dégradation de l’oméprazole) font partie des causes les plus probables de la fluorescence observée dans toutes les images MCBL. Il est peu probable que le complexe CAM/PVP ait contribué à cette fluorescence.

[95]           M. Bright a mis en doute la valeur de l’inspection visuelle que M. Davies avait faite des pastilles d’Apotex. Ce ne sont pas tous les produits dégradants de l’oméprazole connus qui apparaîtront probablement dans la forme d’une décoloration. En conséquence, ni la spectroscopie IRTF ni une inspection visuelle ne pouvaient exclure leur présence, et M. Davies n’est donc pas parvenu à établir que la sous‑couche proposée [traduction] « est inerte à cause de la non‑dégradation de l’oméprazole ».

[96]           En se fondant sur l’hypothèse que, en 2004, M. Davies avait mesuré l’épaisseur de la sous‑couche à un endroit unique sur une seule pastille, M. Bright a déclaré que les données étaient insuffisantes pour pouvoir déterminer l’épaisseur de manière représentative. De plus, comme M. Davies n’était pas parvenu à établir ce qui fluoresçait dans la sous‑couche, il s’agissait d’un mauvais substitut pour mesurer l’épaisseur du complexe. Les mesures d’épaisseur que M. Davies avait prises en 2011 n’étaient pas suffisamment documentées pour que M. Bright puisse en évaluer la représentativité. Ce dernier a également fait remarquer que certaines des mesures d’épaisseur de 2011 étaient inférieures à deux microns.

[97]           Pour son évaluation des images vidéo de désintégration de M. Davies, M. Bright s’est borné à faire remarquer qu’étant donné qu’il n’avait pas été établi qu’il existait dans la zone de la sous‑couche une couche continue du complexe, il ne pouvait pas accepter que les images vidéo illustraient la désintégration rapide du complexe. M. Bright n’a pas expliqué ce qui se détachait du noyau des pastilles.

[98]           En réplique au rapport que M. Davies avait produit en réponse, M. Bright a continué d’affirmer qu’une contamination par le papier pouvait avoir [traduction] « contribué » à la fluorescence observée dans ses échantillons de pastilles lavées. En réponse à la remarque de M. Davies selon laquelle la fluorescence observée était la même dans le cas des pastilles lavées et non lavées, M. Bright a évoqué la [traduction] « possibilité » que les sources de la fluorescence pouvaient être différentes pour chacune. Il n’a pas dit comment cela survenait, mais il a néanmoins contesté la présomption de M. Davies, à savoir que les espèces fluorescentes étaient les mêmes.

[99]           M. Bright a aussi continué de faire part de sa préoccupation à l’égard du fait que l’emploi, par M. Davies, d’une résine adhésive pouvait avoir eu un effet sur la fluorescence observée et il a souligné des traces de fluorescence dans certaines de ses images, et ce, à des endroits nettement éloignés de l’échantillon à l’étude.

[100]       M. Bright a affirmé dans son rapport de réplique que M. Davies avait commis une erreur critique en présumant que les pastilles d’Apotex étaient entièrement opaques. Cela ne se pouvait pas parce que les données MCBL brutes de M. Davies avaient été détectées nettement en deçà de la surface des échantillons. M. Bright a ensuite donné plusieurs exemples des données afin de montrer que M. Davies s’était trompé au sujet de l’opacité des échantillons et d’illustrer des [traduction] « cassures et défectuosités importantes » dans la fluorescence en deçà de la surface des pastilles [figure 3]. Cela, par ricochet, a amené M. Bright à envisager que M. Davies s’était servi de projections d’intensité maximale, qui avaient un effet obscurcissant et empêchaient d’évaluer comme il faut la continuité et l’épaisseur de la fluorescence. Après avoir examiné les données MCBL brutes, il est devenu évident aux yeux de M. Bright que M. Davies s’était servi de projections d’intensité maximale pour certaines de ses images MCBL. M. Bright a ensuite expliqué en détail de quelle façon l’imagerie à intensité maximale peut créer une fausse impression visuelle d’homogénéité. Il a qualifié la démarche de M. Davies de [traduction] « hautement inappropriée » et de [traduction] « manipulation des données ». Il a néanmoins pu se servir de ces images grossies 10x pour illustrer la présence de discontinuités dans la sous‑couche fluorescente [figure 9], de même que les vides qu’il avait constatés dans les images en Z individuelles de M. Davies.

[101]       Répondant au fait que M. Davies avait indiqué ne pas avoir relevé de discontinuités dans la sous‑couche à la surface des images en Z, M. Bright a fait référence à une de ces images, dans laquelle l’intensité de la fluorescence ne variait pas beaucoup à mesure que le balayage s’étendait sur la surface de la pastille. M. Bright a continué d’affirmer que M. Davies avait omis d’établir une corrélation entre l’anneau fluorescent observé et la présence du complexe. Les images MCBL de M. Davies montraient donc seulement qu’une quantité inconnue d’une espèce chimique non identifiée fluoresçait. Selon M. Bright, cela ne divulguait rien de pertinent à propos de la continuité du complexe. M. Bright a convenu avec M. Davies que les produits de dégradation de l’oméprazole qui pouvaient se trouver dans la sous‑couche seraient présents en très petites quantités, mais qu’ils seraient quand même capables de produire une fluorescence importante. Il a précisé qu’il ne laissait pas entendre que la fluorescence de la sous‑couche était imputable à des produits de dégradation de l’oméprazole, et à rien d’autre. Il disait simplement que M. Davies ne pouvait pas utiliser cette fluorescence de manière fiable pour établir l’emplacement du complexe.

[102]       En examinant les images MCBL de l’Université Temple, M. Bright a reconnu que les surfaces fracturées des pastilles créaient une surface moins plane que celles des pastilles microtomisées de M. Davies. Dans son témoignage, il a convenu que le fait que l’Université Temple n’était pas parvenue à obtenir de multiples images en Z numérisées de chaque échantillon affaiblissait les données disponibles [pages 3949, 3950 et 4155]. M. Bright n’a pas admis, toutefois, qu’une irrégularité de surface pouvait empêcher de déceler un vide sous la surface de la pastille. Les vides identifiés par M. Bright dans la fluorescence, sous la surface des pastilles, étaient selon toute vraisemblable causés par un vide dans la sous-couche d’enrobage.

[103]       M. Bright a traité du point soulevé par M. Davies, à savoir qu’étant donné que les noyaux des pastilles ne fluorescent pas de manière aussi brillante que la sous-couche, les constituants du noyau (p. ex., l’oméprazole, les produits de dégradation de l’oméprazole et le PVP) ne peuvent pas être responsables de l’anneau fluorescent dans la sous-couche. Il a semblé admettre que dans certaines des images MCBL la fluorescence de la sous-couche était plus brillante que ses environs, mais ce n’était pas toujours le cas à un degré de confiance pertinent. Il était donc difficile pour lui de conclure que l’intensité accrue à l’interface du noyau et de l’enrobage gastrorésistant était due au complexe ou à du sel de magnésium, plutôt qu’à une autre espèce chimique inconnue.

[104]       En répondant au point soulevé par M. Davies, à savoir qu’il n’était pas parvenu à expliquer la migration probable de constituants du noyau dans la sous-couche, M. Bright a émis l’hypothèse que la fluorescence de la sous-couche pouvait être attribuable à un changement chimique au noyau au moment de l’enrobage gastrorésistant, ou par la suite. En réponse à une question de la Cour, il n’a pu suggérer d’autres possibilités, à part une contamination par le papier ou la résine [page 3989].

[105]       M. Bright a traité des précisions données par M. Davies au sujet de ses mesures d’épaisseur. Il a censément admis que M. Davies avait utilisé une méthode standard, mais il a continué de remettre en question le fait de savoir si les données obtenues étaient représentatives. Il s’est plaint que M. Davies avait omis de fournir suffisamment d’informations pour pouvoir évaluer de manière sérieuse son travail et il a critiqué une fois de plus ce qu’il croyait être l’utilisation que M. Davies avait faite en 2004 d’une projection d’intensité maximale pour mesurer l’épaisseur de la sous-couche. M. Bright a toutefois semblé admettre que les mesures d’épaisseur que M. Davies avaient faites en 2011 provenaient d’images en Z numérisées particulières et non de projections de l’intensité maximale. Il a expliqué qu’il n’avait pas effectué lui-même de mesures de l’épaisseur parce qu’il n’avait pas assez d’images 50x pour obtenir des données représentatives et que M. Davies n’avait pas expliqué clairement ce qu’il avait fait pour obtenir ses mesures.

D.                Monsieur Peter Griffiths

[106]       Monsieur Griffiths a été reconnu comme un expert en chimie analytique, en spectroscopie photonique, en spectroscopie infrarouge et en instrumentation, plus particulièrement, y compris la spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier, la spectroscopie Raman et la chromatographie.

[107]       M. Griffiths a une vaste expérience du domaine de la spectroscopie et, en particulier, de l’utilisation et de l’interprétation de la microscopie infrarouge et par fluorescence. Il avait peu d’expérience de l’application de ces techniques à des produits pharmaceutiques.

[108]       Il a été demandé à M. Griffiths d’évaluer les données de M. Davies afin de déterminer si celles-ci étayaient sa conclusion selon laquelle les pastilles d’Apotex contiennent une sous‑couche séparatrice continue et inerte, formée du complexe et du sel de magnésium du CAM, ayant une épaisseur minimale de 2 microns (ou, subsidiairement, une épaisseur moyenne de 2 microns) et étant soluble ou se désintégrant rapidement dans l’eau. Il lui a aussi été demandé de commenter les techniques d’analyse de M. Davies, y compris les niveaux de détection des produits de dégradation de l’oméprazole qu’il était possible d’obtenir à partir de son matériel d’essai.

[109]       À l’instar de M. Bright, M. Griffiths a conclu que les données de M. Davies étaient insuffisantes pour étayer ses opinions sur la continuité, l’épaisseur et la distribution d’un complexe quelconque qui pouvait être présent à l’interface du noyau et de l’enrobage gastrorésistant des pastilles d’Apotex. Son analyse des données lui a indiqué que [traduction« s’il y [avait] une couche de complexe à la surface des pastilles lavées », elle était soit non continue, soit d’une épaisseur de moins de 2 microns et n’agirait pas comme une couche séparatrice. Il a également déclaré que la présence d’une fluorescence ne pouvait pas être, comme M. Davies l’avait semble-t-il suggéré, assimilée spatialement au complexe. Des espèces chimiques non identifiées, incluant peut-être des produits de dégradation de l’oméprazole, étaient peut-être la source de la fluorescence observée. Ces incertitudes ont amené M. Griffiths à contester l’opinion de M. Bodmeier selon laquelle toutes les pastilles d’oméprazole d’Apotex contiendraient la sous-couche d’enrobage revendiquée par M. Davies.

[110]       Comme tous les autres témoins experts, M. Griffiths a reconnu que l’on ne peut pas se servir de la microscopie par fluorescence pour identifier un composé particulier dans un échantillon mixte. Par contraste, il est possible de recourir à la spectroscopie infrarouge, sous réserve des limites de détection, pour identifier des composés particuliers dans un échantillon dont la composition est inconnue.

[111]       M. Griffiths a affirmé que M. Davies n’avait pas élucidé directement la composition de la couche fluorescente décrite dans ses images MCBL. Il aurait plutôt inféré, à partir de ses essais IRTF restreints, que la fluorescence de la sous-couche MCBL est une couche continue du complexe et du sel du CAM.

[112]       M. Griffiths a souligné la variation du complexe relevée dans les spectres IRTF de M. Davies, tant en 2004 qu’en 2011. Ce manque d’uniformité donnait à penser que la couche de complexe [traduction« proposée » n’était pas d’une épaisseur uniforme, ou alors que les conditions expérimentales étaient mauvaises. Il a aussi noté la présence de signes évidents d’acide carboxylique dans les échantillons de pastilles lavées, ce qui dénotait la présence de CAM qui n’avait pas réagi avec le PVP. Ce CAM libre était, selon lui, [traduction« vraisemblablement en contact avec le noyau », ce qui voulait dire que [traduction« la sous-couche proposée n’[était] pas inerte parce que des groupes acides seraient en contact avec le noyau, et que l’oméprazole présent dans le noyau [réagirait] avec les groupes acides ».

[113]       M. Griffiths a également relevé une [traduction« grande quantité de mannitol à la surface des pastilles lavées » dans plusieurs des spectres IRTF de M. Davies. Cela lui a donné à penser que la sous-couche était soit discontinue, soit, à certains endroits, très mince.

[114]       Dans son rapport initial, M. Griffiths a dit de l’identification, par M. Davies, de sel de magnésium-CAM dans la sous-couche qu’elle était [traduction« sans fondement aucun ». Selon lui, [traduction« l’épaulement » IRTF sur lequel M. Davies s’était fondé ne pouvait pas être du sel de magnésium parce que la même caractéristique était présente dans le spectre obtenu dans le complexe pur. M. Griffiths a renoncé à cette opinion ferme dans son témoignage, où il a reconnu que la présence de sel de magnésium était une possibilité [pages 3373 à 3376].

[115]       Dans ses rapports, M. Griffiths a exprimé des réserves au sujet de la présence réelle du complexe à l’interface du noyau et de l’enrobage gastrorésistant des pastilles d’Apotex. Malgré le fait que les données IRTF de M. Davies faisaient état de la présence du complexe, a-t-il déclaré, le complexe [traduction« peut être présent dans une certaine quantité » [voir les paragraphes 25 et 140], [traduction« s’il y a une couche du complexe à la surface des pastilles lavées » [voir les paragraphes 25 et 140] ou [traduction« si l’on présume que le CAM-PVP / CAM-Mg est présent » [voir le paragraphe 25]. Nulle part dans ses rapports M. Griffiths ne reconnaît-il clairement que les données IRTF prouvaient la présence du complexe dans la sous-couche d’Apotex. À l’instar de M. Bright, M. Griffiths a pensé que la corrélation qu’avait faite M. Davies entre les données relatives à la fluorescence obtenues par MCBL et les données IRTF, pour prouver de manière évidente la continuité du complexe, était conjecturale.

[116]       M. Griffiths a déclaré que la présence de produits de dégradation de l’oméprazole dans la sous-couche des pastilles ne pouvait pas être exclue par les données IRTF. Les produits de dégradation, dans les quantités déclarées par Apotex pour ses pastilles, seraient inférieurs aux seuils de détection IRTF, mais ils seraient quand même capables de fluorescer. La présence de quantités indétectables de produits de dégradation de l’oméprazole établirait que la sous-couche n’est pas inerte, selon la définition de ce terme qu’on a demandé à M. Griffiths de tenir pour acquise.

[117]       M. Griffiths a contesté de plusieurs façons les mesures d’épaisseur de la sous-couche que M. Davies avait relevées. Il a mis en doute le caractère suffisant de ces mesures ainsi que le manque de détails fournis sur les essais. Il a également fait remarquer que, dans quelques-unes des mesures effectuées en 2011, les épaisseurs déclarées étaient inférieures à 2 microns.

[118]       Plusieurs des spectres IRTF relevés par M. Davies pour les pastilles lavées révélaient la présence de mannitol. M. Griffiths a proposé quatre explications possibles pour ce résultat :

a.                   le faisceau IRTF détectait du mannitol sous la sous-couche de 2 à 6 microns d’épaisseur;

b.                  le mannitol était détecté sous une sous-couche d’une épaisseur de moins de 1 micron;

c.                   du mannitol était présent dans la sous-couche;

d.                  il y avait dans la sous-couche des vides qui permettaient au faisceau IRTF de sonder directement le noyau de la pastille.

[119]       M. Griffiths a contesté l’avis de M. Davies selon lequel son faisceau IRTF était capable de détecter du mannitol sous une sous-couche d’une épaisseur d’au moins 2 microns. Il a conclu que M. Davies se basait sur des calculs inexacts. Ses propres calculs concernant la profondeur de pénétration de la spectroscopie IRTF indiquaient qu’[traduction« il est impossible que le faisceau IR perce une épaisseur de 2 microns » en raison de la présence de bandes de mannitol à 3400 cm-1 dans les spectres de 2011. À ce point dans les spectres, la profondeur de pénétration n’était censément que de 0,25 micron.

[120]       L’explication que privilégie M. Griffiths pour la présence de bandes de mannitol dans certains des spectres IRTF de M. Davies était qu’il y avait vraisemblablement des vides dans la sous-couche, de sorte que le faisceau IRTF était capable de sonder les noyaux des pastilles sans interférence de la sous-couche. Cette explication était censément conforme à l’intensité relative des bandes de mannitol et du complexe dans les spectres de 2011. Selon M. Griffiths, la présence d’un vide dans la sous-couche était ce qui expliquait le mieux l’intensité relativement élevée de certaines des bandes de mannitol observées.

[121]       M. Griffiths a examiné les images vidéo de M. Davies dans lesquelles les pastilles lavées d’Apotex étaient plongées dans l’eau. Se fondant sur son opinion selon laquelle M. Davies n’avait pas établi qu’une couche continue du complexe était présente à la surface des noyaux des pastilles, M. Griffiths s’est dit non disposé à attribuer une importance quelconque aux images vidéo, à part le fait de laisser entendre que ce qui s’écaillait, selon M. Davies, [traduction« pouvait fort bien être du CAM ».

[122]       Le rapport que M. Griffiths a déposé en réponse traitait de questions qui avaient été abordées dans les rapports que MM. Davies et Bodmeier avaient eux-mêmes déposés en réponse.

[123]       S’appuyant sur la zone d’interrogation IRTF plus importante dont M. Davies avait rendu compte, M. Griffiths a conclu que les vides qu’il avait relevés plus tôt dans la sous-couche étaient soit plus nombreux, soit plus larges qu’il ne l’avait présumé au départ. Il a également rejeté la prétention de M. Davies selon laquelle les bandes de mannitol présentes dans les spectres IRTF concernant les pastilles lavées avaient été détectées sous une sous-couche de 2 microns d’épaisseur. Ces bandes, a-t-il dit, ne pouvaient s’expliquer que par la présence de vides dans la sous-couche.

[124]       M. Griffiths a ensuite présenté en détail ses calculs relatifs à la profondeur de pénétration de l’instrument IRTF de M. Davies. Il a conclu, une fois de plus, que l’on ne devrait pas voir de bandes de mannitol dans la zone de 3 300 à 3 400 centimètres réciproques si le noyau était recouvert d’une couche d’une épaisseur de plus de 1 micron. Ce serait le cas pour la profondeur de pénétration que M. Davies ou lui avait présumée. Cela lui a confirmé que l’on détectait directement du mannitol à travers des vides dans la sous-couche. Il a estimé que dans un des spectres les vides représentaient environ 40 % de la zone à l’étude. Pour deux autres spectres, ils variaient censément entre 25 % et 40 % de la taille du faisceau IRTF.

[125]       M. Griffiths s’est en outre appuyé sur la variation d’intensité des bandes de mannitol ainsi que sur leur force relative. En présence d’une sous-couche continue et uniforme d’une épaisseur de plus de 2 microns, M. Griffiths se serait attendu à voir dans les bandes de mannitol plus de cohérence et moins d’intensité. Une bonne partie de cette preuve technique a été examinée lors du contre-interrogatoire, et nous y reviendrons plus loin dans les présents motifs.

E.                 Monsieur Arthur Kibbe

[126]       Monsieur Kibbe détient un doctorat en pharmaceutique. Il est professeur à l’École de pharmacie de l’Université Wilkes. Entre autres réalisations, il agit à titre consultatif auprès de la Food and Drug Administration. Il a été reconnu comme un expert en pharmaceutique, en conception, en mise au point et en fabrication de formes posologiques pharmaceutiques – y compris l’évaluation de la stabilité physique et chimique des formulations et de la réglementation des formulations pharmaceutiques - ainsi qu’en pharmacocinétique.

[127]       Selon M. Kibbe, la définition de la personne versée dans l’art est essentiellement celle d’un spécialiste en formulation pharmaceutique ou d’un professionnel équivalent ayant une expérience du traitement des patients atteints d’une maladie liée à l’acide gastrique. Cette personne aurait au moins deux années d’expérience pratique à titre de formulateur, en plus d’un baccalauréat en pharmacie ou dans une discipline qui y est étroitement liée.

[128]       Apotex a retenu les services de M. Kibbe principalement pour traiter des questions de validité et d’interprétation. Son premier rapport a décrit en détail l’état de la technique concernant l’utilisation d’enrobages gastrorésistants pour protéger des composés sensibles à l’acide, en mettant particulièrement l’accent sur l’oméprazole. Il a fait remarquer que, dès les années 1940, on employait fréquemment des enrobages polymères ou « pelliculaires » pour protéger des ingrédients pharmaceutiques actifs contre une dégradation prématurée dans l’estomac. Avant 1986, de tels enrobages étaient mis au point avec divers profils de solubilité de façon à cibler un site de libération bien précis le long du tractus intestinal.

[129]       La caractéristique protectrice des enrobages polymères réside censément dans leur structure moléculaire – plus précisément la présence de groupes carboxyles acides qui les rendent insolubles dans des conditions acides, mais solubles au pH plus élevé de l’intestin. Dans des conditions plus neutres, les groupes acides s’ionisent et se transforment en sels solubles dans l’eau. Habituellement, les enrobages gastrorésistants étaient – et sont toujours – mis à l’essai en simulant les conditions de l’ingestion humaine. Le produit est exposé pendant au moins deux heures dans une solution acide, et cela est suivi d’une mesure de la quantité d’ingrédients pharmaceutiques actifs libérée. Si cette quantité est excessive (le seuil est souvent fixé à 10 %), le produit échoue à l’essai de la résistance à l’acide gastrique. Si le produit passe avec succès l’essai de résistance à l’acide gastrique, il est exposé à une solution tampon afin de déterminer si l’ingrédient pharmaceutique actif est suffisamment libéré dans des conditions qui reproduisent le pH de l’intestin. En supposant que le produit passe cet essai avec succès, il est ensuite exposé à des conditions de stockage accélérées en vue de vérifier sa stabilité à long terme. Cela peut inclure une inspection visuelle visant à déceler une décoloration, qui peut être le signe d’une dégradation.

[130]       Selon M. Kibbe, lors de la mise au point de n’importe quelle formulation pharmaceutique, on effectue toujours des essais courants en vue de choisir des ingrédients compatibles et d’éviter des réactions indésirables. Si l’on observe des incompatibilités, on peut choisir d’autres ingrédients ou l’on peut séparer les ingrédients responsables de diverses manières, dont des sous-enrobages.

[131]       M. Kibbe a examiné le brevet 693 par rapport à ce que la personne versée dans l’art aurait su à la date de sa délivrance, soit le 3 décembre 1991. Il a déduit de la divulgation du brevet que ce dernier était axé sur la découverte d’une dose d’oméprazole antérosoluble, résistante à la dégradation dans l’estomac et se dissolvant rapidement dans l’intestin. La personne versée dans l’art s’attendrait aussi à ce que la formulation soit stable en conditions de stockage (dégradation de moins de 10 % de l’oméprazole) pendant un certain nombre d’années.

[132]       Selon M. Kibbe, la personne versée dans l’art savait avant décembre 1991 que l’oméprazole était sensible à l’acide et susceptible de se dégrader rapidement en milieu acide. Il a cité la référence de Pilbrant de 1985 comme la source de cette connaissance. Avec cette dernière, la personne versée dans l’art saurait que l’oméprazole avait besoin d’un enrobage gastrorésistant.

[133]       M. Kibbe a signalé l’enseignement du brevet 693 qui prescrit qu’un contact direct ou indirect entre l’enrobage gastrorésistant et l’oméprazole dans le noyau amène l’oméprazole à se décomposer, comme l’illustrent à la longue une décoloration et la perte de la teneur en oméprazole. La décoloration, a-t-il dit, est un marqueur qui permet d’évaluer la stabilité des exemples de formulation que les inventeurs mettent à l’essai.

[134]       Selon M. Kibbe, la personne versée dans l’art savait déjà que l’oméprazole pouvait être stabilisé en vue d’un stockage à long terme en utilisant un sel alcalin d’oméprazole. Cette connaissance découle de l’EP 495 mentionné comme antériorité dans le brevet 693.

[135]       M. Kibbe a traité de l’utilisation, par les inventeurs, d’un CRA comme autre moyen d’améliorer la stabilité en stockage de l’oméprazole. Selon les inventeurs, cette solution causait une dégradation indésirable de l’enrobage gastrorésistant par suite de la diffusion de suc gastrique à travers l’enrobage gastrorésistant, ce qui provoquait une réaction indésirable avec le CRA. Cette réaction créait un milieu alcalin qui dissolvait l’enrobage gastrorésistant depuis l’intérieur de la formulation. Selon M. Kibbe, ce problème n’avait rien de surprenant. La personne versée dans l’art comprendrait la difficulté observée et saurait également qu’une formulation d’oméprazole efficace obligerait à éviter l’absorption d’humidité d’une source quelconque. Les spécialistes en formulations pharmaceutiques recouraient couramment à divers moyens de minimiser la teneur en eau, dont un empaquetage spécial. La personne versée dans l’art savait aussi, d’après le brevet 693, qu’il était nécessaire de séparer l’enrobage gastrorésistant des noyaux contenant l’oméprazole. En l’absence d’une quantité suffisante de CRA, l’oméprazole se dégraderait en stockage et, en présence d’une quantité suffisante de CRA, l’enrobage gastrorésistant présenterait le risque de se dissoudre après l’ingestion. Selon M. Kibbe, les exemples donnés dans le brevet indiquent qu’il est impossible d’obtenir une bonne résistance à l’acide gastrique et une bonne stabilité à long terme dans une formulation d’oméprazole lorsque l’enrobage gastrorésistant est directement appliqué aux noyaux alcalins. On surmonte le problème en recourant à un sous-enrobage de séparation, lequel est indispensable au succès de la préparation.

[136]       M. Kibbe a soutenu que la personne versée dans l’art saurait que le sous-enrobage doit être une couche continue afin d’éviter que l’enrobage gastrorésistant entre en contact avec le noyau [traduction« à n’importe quel stade de la fabrication, ou par la suite ». Elle saurait aussi que la sous-couche [traduction« ne doit pas être une matière insoluble dans l’eau » et qu’elle doit être [traduction« inerte », c’est-à-dire qu’elle [traduction« ne devrait réagir ni avec le noyau ni avec les constituants de l’enrobage gastrorésistant ». Pour être inerte, la sous‑couche [traduction] « ne devrait pas contenir de composés à réaction alcaline facultatifs » ni être faite d’une matière anionique, à moins d’être recouverte d’une seconde sous-couche, exempte de ces matières. Selon M. Kibbe, une autre caractéristique essentielle du sous-enrobage est une épaisseur d’au moins 2 microns.

[137]       M. Kibbe a fait remarquer qu’un enseignement essentiel du brevet était de maintenir une faible teneur en eau dans la forme posologique finale et, de préférence, d’un maximum de 1,5 % en poids. Il a fait référence aux exemples du brevet qui faisaient état d’une dégradation considérable de l’oméprazole en présence de concentrations d’eau de 2 % et de 5 %, avec une stabilité en stockage réussie à un niveau d’eau de 1 %. Il a considéré cela comme une indication que toute formulation ayant une concentration d’eau de 2 % ou plus manquerait de stabilité.

[138]       M. Kibbe a ensuite examiné les revendications du brevet 693. La personne versée dans l’art saurait qu’une [traduction« quantité efficace » d’oméprazole ou de sa forme saline alcaline était une quantité qui atteignait l’effet thérapeutique souhaité. Le mot [traduction« recouvre » voulait dire appliquer ou placer sur le noyau. Le mot [traduction« inerte » voulait dire que le sous-enrobage n’avait [traduction« pas d’incidence défavorable sur l’oméprazole ou les autres ingrédients présents dans le noyau ou dans l’enrobage gastrorésistant externe ».

[139]       Il a été demandé à M. Kibbe de comparer l’objet des revendications du brevet 693 à l’EP 495. Ce dernier décrit des sels alcalins de l’oméprazole qui ont censément amélioré la stabilité en stockage par rapport à de l’oméprazole neutre. Il décrit aussi diverses formulations, dont des formes posologiques et des capsules de gélatine à enrobage gastrorésistant. Selon M. Kibbe, la revendication de l’EP 495 concernant des capsules de gélatine à enrobage gastrorésistant et contenant un sel de l’oméprazole décrit un objet visé par la revendication 1 du brevet 693. L’EP 495 fournit également à la personne versée dans l’art suffisamment d’informations pour préparer la composition revendiquée, sans recourir à des essais plus que courants.

[140]       Il a été demandé à M. Kibbe d’indiquer comment la personne versée dans l’art interpréterait la promesse d’utilité du brevet 693 et si les formulations recommandées comportent l’utilité promise. Il a déclaré que le brevet promet des formulations d’oméprazole offrant une bonne résistance à l’acide gastrique, une dissolution rapide dans un milieu neutre ou alcalin et une bonne stabilité en stockage à long terme contre la dégradation et la décoloration. Quant à la question de savoir si le brevet 693 tient ses promesses, M. Kibbe a déclaré que non. Il a affirmé que la revendication du brevet envisage des formulations qui comportent la présence d’un composé à réaction alcaline dans le sous-enrobage. Cependant, ces formulations n’auraient une bonne capacité de stockage à long terme que si l’on recourait à un second sous-enrobage. Étant donné que le brevet ne limitait pas de façon appropriée l’utilisation d’un CRA dans la sous‑couche d’enrobage, les revendications 1, 5, 6, 11 à 13, 18 et 19 comportent nécessairement des préparations exemptes de la caractéristique promise d’une bonne stabilité en stockage à long terme.

[141]       M. Kibbe a invoqué un argument semblable au sujet de la teneur en eau. Malgré l’avis indiqué dans la divulgation du brevet qu’il est crucial de conserver la teneur en eau à un faible niveau, la portée de la revendication 1 ne comportait aucune limite à cet égard. Cependant, la revendication 13 vise une formulation qui limite la teneur en eau à 1,5 % ou moins. M. Kibbe a affirmé que la revendication 13 devient redondante si l’on considère que la revendication 1 comporte une limite semblable. Cela l’a amené à considérer que la personne versée dans l’art estimerait que la revendication 1 est sans limites au chapitre de la teneur en eau. Comme il a été montré que les préparations d’oméprazole ayant une teneur en eau de plus de 2 % étaient instables, les revendications 1, 5, 6, 11, 12, 18 et 19 n’offrent nécessairement pas l’utilité promise d’une bonne stabilité en stockage à long terme. Selon M. Kibbe, la revendication 13 échoue également sur ce plan, à défaut d’une preuve quelconque d’une formulation d’oméprazole utile ayant une teneur en eau d’un niveau aussi élevé que 1,5 %. D’après les essais mentionnés dans le brevet, les inventeurs n’avaient aucun moyen de prédire valablement l’utilité d’une formulation d’oméprazole ayant une teneur en eau supérieure à 1 %.

[142]       Aucune des revendications du brevet ne précise une épaisseur minimale pour la sous‑couche, mais la divulgation indique qu’une épaisseur d’au moins 2 microns est exigée pour une formulation sous forme de pastilles. Selon M. Kibbe, la personne versée dans l’art considérerait néanmoins que les revendications incluent des sous-enrobages d’une épaisseur de moins de 2 microns et que, de ce fait, les revendications 1, 5, 6, 11 à 13, 18 et 19 englobent plus que ce qui est divulgué au chapitre de l’utilité.

[143]       M. Kibbe a exprimé l’avis que les revendications du brevet 693 auraient été évidentes aux yeux de la personne versée dans l’art au 30 avril 1986. Son analyse de l’évidence comporte les affirmations suivantes :

a.                   toutes les informations figurant dans la section « Contexte » [paragraphes 33 à 62] du brevet 693 auraient été connues de la personne versée dans l’art;

b.                  l’oméprazole et ses sels étaient reconnus pour être utiles dans le traitement des maladies liées à l’acide gastrique;

c.                   l’oméprazole était reconnu pour être sensible à l’acide et à la dégradation due à de hautes températures et à une humidité élevée;

d.                  la teneur en eau était une préoccupation connue, et il s’agit d’un aspect qu’un formulateur qualifié cherche habituellement à contrôler;

e.                   la personne versée dans l’art saurait qu’il était possible d’améliorer la stabilité en stockage d’une formulation d’oméprazole grâce à la création d’un milieu alcalin entourant les molécules d’oméprazole et à la réduction de la teneur en eau;

f.                   les sels d’oméprazole étaient reconnus pour être plus stables que l’oméprazole neutre;

g.                  l’utilisation de composés alcalins avec des formulations de benzimidazole était reconnue dans l’art antérieur. La personne versée dans l’art savait que l’oméprazole était lié de très près à d’autres formulations de benzimidazole dans lesquelles des composés à réaction alcaline avaient été utilisés. Même si cet art antérieur n’indiquait pas expressément pourquoi on utilisait un CRA, la personne versée dans l’art savait que c’était pour améliorer la stabilité de l’IPA;

h.                  l’utilisation d’enrobages gastrorésistants de pair avec des plastifiants était une pratique largement reconnue et couramment appliquée;

i.                    l’utilisation de sous-enrobages en vue d’éviter des réactions pharmaceutiques indésirables était une technique connue;

j.                    la possibilité d’une réaction indésirable entre les polymères à enrobage gastrorésistant et les matières alcalines était bien connue, de pair avec la manière d’éviter leur incompatibilité avec des sous-couches non réactives.

Se fondant sur les indications qui précèdent, M. Kibbe a conclu qu’il n’y avait aucune différence inventive entre l’état de la technique le 30 avril 1986 et l’idée originale de la revendication 1 du brevet 693 ou de ses revendications dépendantes.

[144]       M. Kibbe a conclu son rapport en disant que le brevet 693 indique de s’écarter de l’application directe d’un enrobage gastrorésistant aux noyaux contenant de l’oméprazole. Selon lui, rien dans les réalisations antérieures ne décrit une sous-couche d’enrobage in situ et, de ce fait, la personne versée dans l’art n’aurait aucune raison de songer à cette possibilité ou aux informations requises pour la réaliser. Par ailleurs, rien dans le brevet ne montre qu’un tel sous‑enrobage fonctionnerait réellement ou que l’on pourrait prédire que ce serait le cas. Pour ce qui est de la question de la prédiction, M. Kibbe a déclaré :

[traduction
265.     Il est selon moi impossible de prédire toutes les réactions qui pourraient survenir entre d’éventuels excipients présents dans le noyau alcalin ou entre un ou plusieurs de ces excipients et un polymère gastrorésistant. Il est donc impossible de prédire si n’importe quel produit de réaction inerte et soluble dans l’eau, formé par l’interaction d’excipients ou de polymères filmogènes qui pourrait survenir à l’interface du noyau et de l’enrobage externe – qu’il s’agisse d’une matière ionique ou liée par covalence, ou d’un complexe formé d’une ou de plusieurs substances liées par des forces faibles ou solides – confèrerait à la formation résultante une bonne résistance à l’acide gastrique et une bonne stabilité en stockage à long terme contre la dégradation ou la décoloration.

M. Kibbe a mis tout cela en contraste avec l’enseignement du brevet 037, qui a été délivré par la suite. Ce brevet décrit précisément une formulation d’oméprazole dotée d’un sous-enrobage in situ, ainsi que les moyens de la réaliser. Selon M. Kibbe, cela étaye son opinion selon laquelle de telles formulations ne faisaient pas partie de l’invention du brevet 693.

[145]       Le rapport que M. Kibbe a produit en réponse traite de la preuve de M. Bodmeier selon laquelle la personne versée dans l’art n’assimilerait pas une capsule de gélatine au sous-enrobage décrit dans la revendication 1. Il a adopté une opinion contraire. La personne versée dans l’art ne ferait pas de distinction entre une couche séparatrice décrivant une capsule de gélatine et une sous-couche d’enrobage. Les deux visaient la même fin : faire une séparation.

[146]       Dans son second rapport d’expert, M. Kibbe traite de la présence possible de produits de dégradation de l’oméprazole dans le produit d’oméprazole d’Apotex, ainsi que des limites inhérentes à leur détection par inspection visuelle. On s’attendrait à une certaine dégradation de l’oméprazole à cause du procédé de fabrication. En réponse aux opinions de M. Bodmeier sur la continuité et le caractère inerte du sous-enrobage, M. Kibbe a déclaré que la personne versée dans l’art envisagerait une certaine variation de l’épaisseur, mais pas une rupture de continuité, et qu’elle n’accepterait pas la présence d’une matière quelconque qui serait susceptible d’abaisser le pH, comme un groupe fonctionnel acide.

F.                 Monsieur William Amos

[147]       Monsieur Amos est membre du personnel de recherche émérite au Conseil de recherches médicales (Laboratoire de biologie moléculaire), à l’Université Cambridge. Il possède un doctorat en biologie cellulaire, mais, depuis plus de trente ans, ses travaux de recherche sont principalement axés sur la microscopie optique. M. Amos, en compagnie d’autres collaborateurs, a contribué à la mise au point du microscope confocal à balayage laser [MCBL]. Il a présenté de nombreux exposés et publié maints ouvrages sur les aspects théoriques et pratiques de la microscopie confocale. Cependant, avant la présente affaire, il ne s’était jamais servi de ce matériel pour analyser la structure d’une forme posologique pharmaceutique.

[148]       M. Amos a été reconnu comme un expert en microscopie optique, jouissant d’une expertise particulière dans les aspects théoriques et pratiques de la MCBL.

[149]       Apotex a demandé à M. Amos d’examiner les divers rapports de M. Davies, ainsi que ses résultats d’imagerie. On lui a demandé également, à titre comparatif, de passer en revue les images MCBL prises à l’Université Temple. Il n’a pas fait lui-même d’essais.

[150]       L’évaluation de M. Amos a porté particulièrement sur les méthodes que M. Davies avait utilisées, ainsi que sur son analyse des résultats d’imagerie concernant la présence et la structure d’une sous-couche d’enrobage dans les pastilles d’oméprazole d’Apotex.

[151]       M. Amos a critiqué M. Davies pour une présumée erreur concernant l’opacité des spécimens imagés. Il a dit que M. Davies avait tort de dire que les spécimens étaient totalement opaques du point de vue optique. Une bonne part de son rapport a ensuite été consacré au fait de prouver pourquoi M. Davies s’était trompé sur ce point [voir les paragraphes 40 à 52].

[152]       M. Amos a reconnu la présence d’une bande de fluorescence dans la zone située entre les noyaux des pastilles et l’enrobage gastrorésistant, mais il a déclaré que les images 10x de M. Davies ne convenaient pas pour évaluer la continuité de cette bande.

[153]       Après avoir examiné les images 50X de M. Davies, M. Amos a conclu que le sous-enrobage illustré [traduction« montre clairement une microhétérogénéité et peut-être, des trous ou une structure feuilletée ». Il a critiqué M. Davies pour ne pas avoir utilisé une technique de moyennage des clichés en vue d’améliorer la qualité de ses images.

[154]       Tout en reconnaissant que les images de l’Université Temple n’avaient pas été prises dans le cadre d’une série d’images numérisées en Z, M. Amos a fait remarquer que, là où ces images étaient nettes, on pouvait apercevoir des vides semblables à ceux relevés dans les images de M. Davies.

[155]       M. Amos a également examiné la qualité des images de M. Davies dans le but de mesurer l’épaisseur de la bande fluorescente observée. Au paragraphe 76 de son rapport, il a déclaré n’avoir rien vu dans les rapports de M. Davies qui donnait à penser que des mesures avaient été prises pour éviter la saturation des images. Il a testé l’une des images de M. Davies et a conclu qu’elle était fortement évocatrice d’une saturation. Il a également fait remarquer : [traduction« il semble probable qu’un grand nombre des “images” dont M. Davies s’est servi pour évaluer la continuité et prendre les mesures d’épaisseur peuvent être en fait des projections de toutes les images confocales à de nombreux niveaux ». Il a considéré que le fait d’utiliser ainsi des projections était [traduction] « hautement inapproprié », [traduction] « injustifié » et [traduction] « trompeur ». Dans son témoignage, il a dit que ces données particulières avaient été [traduction« manipulées ». Il a aussi qualifié d’invalide la présumée utilisation, par M. Davies, d’images projetées pour mesurer l’épaisseur de la bande fluorescente.

[156]       En contre-interrogatoire, M. Amos a reconnu qu’il ne s’était pas renseigné sur les méthodes que M. Davies avait employées.

[157]       En ce qui concerne l’analyse de la continuité de la bande fluorescente observée, M. Amos a reconnu ce qui suit :

a.                   la présence de vides de grande taille peut être due à une perte brute de mise au point [page 3038];

b.                  dans les images MCBL de l’Université Temple, les vides de grande taille dans la zone de fluorescence sont dus à une perte de mise au point [pages 3046, 3063 et 3064];

c.                   le signal MCBL diminuera en profondeur [page 3047];

d.                  l’omission d’effectuer une série complète d’images en Z a amoindri la valeur des images de l’Université Temple [pages 3048 et 3059];

e.                   certaines des images que M. Bright a utilisées pour évaluer la continuité de la bande fluorescente ne convenaient pas à cette fin [page 3051];

f.                   l’opacité de l’échantillon donnera une apparence de faible fluorescence à cause de l’absorption du signal en profondeur [page 3071] – un effet qui peut ne pas être uniforme [page 3075];

g.                  les images 50x MCBL sont meilleures pour évaluer la continuité et l’épaisseur à petite échelle [pages 3078 et 3079];

h.                  toutes choses étant par ailleurs égales, les images 50x sont meilleures que les images 10x pour évaluer la continuité et l’épaisseur [page 3082];

i.                    dans son rapport, M. Amos n’avait inclus aucune image 50x nette prise à la surface d’un échantillon [page 3197].

[158]       M. Amos a été interrogé sur un montage d’images qu’il avait créé lors du contre‑interrogatoire de M. Davies. Sur un certain nombre de ces images, il avait mis des points d’interrogation à côté d’anomalies perçues. Quand on lui a posé des questions sur ces images et sur ses interrogations évidentes, voici ce qu’il a répondu :

[traduction

Q.        L’image à côté d’AP5417 1, êtes-vous d’accord pour dire que la section confocale de cette image ne se trouvait pas à la surface de la pastille coupée en deux?

R.        Je suis d’accord.

Q.        L’image a été prise sous la surface de la pastille coupée en deux?

R.        C’est, c’est, fort possible qu’elle ait été prise sous la surface parce que je n’aperçois pas l’artefact de réflexion indicateur que l’on voit à la surface.

Q.        Et vous ignorez à quelle profondeur cette image a été prise?

R.        Je l’ignore.

Q.        Êtes-vous d’accord pour dire que là où vous avez des flèches accompagnées du mot « trou » suivi d’un point d’interrogation, il y a une fluorescence pâle dans ces régions?

R.        Certainement.

Q.        Et quand vous mettez un point d’interrogation, êtes‑vous d’accord pour dire qu’il est possible que les caractéristiques que vous désignez comme des trous ne soient pas, en fait, des trous?

R.        Oui.

Q.        Et je puis présumer que c’est la même chose pour les deux autres montages?

R.        Oui. Quoique, comme je l’ai dit auparavant, je pense que le montage de l’onglet 12 est différent des autres parce qu’il est clairement très près de la surface.

Q.        Nous y viendrons.

Me HACKETT : Ceci n’est pas une objection, mais mon collègue a dit que ce sont les mêmes. Je ne sais tout simplement pas s’il est parfaitement clair maintenant, surtout à la lumière de ce que Me Biernacki a dit au sujet de « nous allons arriver au dernier », ce qu’il veut dire par « même ». Il nous faudrait peut‑être un peu plus de précisions sur cela.

LE JUGE BARNES : C’est à Me Biernacki de décider. Je suppose que s’il ne veut pas en traiter, vous pourrez le faire en réinterrogatoire.

Me HACKETT : Très bien.

Me BIERNACKI :

Q.        Par « même », je faisais référence à l’usage que vous faites des qualificatifs et au sens du point d’interrogation. M. Amos, est‑ce bien ainsi que vous avez compris ma question?

R.        Oui. Et donc ma réponse est, oui, le qualificatif et le point d’interrogation ont le même sens dans toutes les images faisant partie de ces montages.

Q.        Je vous remercie.

Et peut-être que nous pourrions couper court à cela. À l’exception de l’onglet 12, dont je traiterai spécifiquement, êtes‑vous d’accord pour dire qu’aucune des trois images restantes dans les deux autres montages ne provient de la surface d’une pastille coupée en deux?

R.        Oui.

Q.        Et seriez-vous d’accord pour dire que vous n’indiquez pas à quelle profondeur de la pastille coupée en deux ces images ont été prises?

R.        Effectivement. En d’autres termes, je ne l’indique pas.

[159]       Pour décrire l’effet de l’atténuation du signal, M. Amos a fait l’analogie utile qui suit :

[traduction

R.        Une matière absorbante cause une certaine atténuation, et c’est une chose que l’on voit dans des coquilles vides et des spirales ainsi que des objets de toutes sortes, de même que dans des matières tout à fait homogènes.

Maintenant, je pense que si vous – voyons voir. Supposons que vous avez la malchance d’être pris dans une avalanche et que de la neige s’entasse sur vous. À mesure que la neige vous recouvre, vous serez, au début, capable de distinguer de la lumière. Ensuite, à mesure que la couche s’épaissira et s’épaissira, vous en distinguerez de moins en moins. Nous ne pourrions pas dire que vous vous trouvez dans une zone d’ombre. Nous dirions qu’il y a de l’absorption, en général, au-dessus de vous, ce qui fait que vous recevez moins de lumière.

Je crois que ce qu’il y a de crucial ici c’est une différence dans l’étendue latérale de l’effet.

Q.        Vous êtes d’accord pour dire qu’en MCBL une matière absorbante peut réduire le signal en dessous d’elle; est‑ce exact?

R.        Absolument.

III.             L’interprétation des revendications

A.                 Les principes de l’interprétation des revendications

[160]       L’issue de la présente affaire repose sur plusieurs problèmes d’interprétation des revendications. Ces derniers sont des questions de droit qu’il appartient à la Cour de trancher, dans une mesure plus ou moins grande, avec le concours de témoins experts : voir Pfizer Canada Inc. c Canada (Santé), 2007 CAF 209, au paragraphe 39, [2007] ACF no 767 (QL). Dans une poursuite en matière de brevet, la première étape consiste toujours à interpréter les revendications sans tenir compte des questions de validité ou de contrefaçon.

[161]       Les parties conviennent que les revendications d’un brevet doivent être interprétées en fonction de l’objet visé et conformément aux principes analysés dans les arrêts Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, aux paragraphes 55 et 56, [2000] 2 RCS 1067 [Whirpool] et Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 RCS 1024 [Free World].

[162]       J’ai déjà traité des principes qui s’appliquent à l’interprétation de la teneur des revendications dans la décision Bristol-Myers Squibb Canada Co. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2012 CF 1142, aux paragraphes 67 à 72, 222 ACWS (3d) 230, et je les applique en l’espèce :

[67]      Le libellé des revendications est un élément essentiel de l’avis public exigé, et le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, en souligne l’importance :

27.(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

27.(4) The specification must end with a claim or claims defining distinctly and in explicit terms the subject-matter of the invention for which an exclusive privilege or property is claimed.

[68]      La Cour suprême du Canada souligne l’utilité et l’importance d’exiger que les revendications des brevets soient rédigées de façon claire dans l’arrêt Free World, précité, aux paragraphes 14, 15 et 42 :

14        Les revendications d’un brevet sont souvent comparées à des « clôtures » et à des « frontières » qui délimiteraient clairement les « champs » faisant l’objet du monopole. Ainsi, dans la décision Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines, Ltd., [1947] R.C. de l’É. 306, le président Thorson s’exprime dans les termes suivants, à la p. 352 :

[traduction] En formulant ses revendications, l’inventeur érige une clôture autour des champs de son monopole et met le public en garde contre toute violation de sa propriété. La délimitation doit être claire afin de donner l’avertissement nécessaire, et seule la propriété de l’inventeur doit être clôturée. La teneur d’une revendication doit être exempte de toute ambiguïté ou obscurité pouvant être évitée, et sa portée ne doit pas être flexible; elle doit être claire et précise de façon que le public puisse savoir non seulement où il lui est interdit de passer, mais aussi où il peut passer sans risque.

15        En réalité, les « clôtures » sont souvent constituées d’une superposition complexe de définitions de différents éléments (ou « composants » ou « caractéristiques » ou « parties intégrantes ») dont la complexité, l’interchangeabilité et l’ingéniosité sont variables. Un ensemble de mots et d’expressions définit le monopole, met le public en garde et piège le contrefacteur. Dans certains cas, les éléments précis de la « clôture » peuvent être cruciaux ou « essentiels » au fonctionnement de l’invention revendiquée; dans d’autres, l’inventeur peut envisager que des variantes puissent aisément être employées ou substituées sans que cela ne modifie substantiellement le fonctionnement de l’invention, et la personne versée dans l’art qui prend connaissance de la teneur de la revendication peut le constater. Il incombe au tribunal appelé à interpréter des revendications de distinguer les cas les uns des autres, de départager l’essentiel et le non-essentiel et d’accorder au « champ » délimité dans un cas appartenant à la première catégorie la protection juridique à laquelle a droit le titulaire d’un brevet valide.

42        Le régime de concession de brevets vise à favoriser la recherche et le développement et à encourager l’activité économique en général. La réalisation de ces objectifs est cependant compromise lorsqu’un concurrent craint de marcher dans les plates‑bandes du titulaire d’un brevet dont la portée n’est pas raisonnablement précise et certaine. Le brevet dont la portée est incertaine devient [traduction] « une nuisance publique » (R.C.A. Photophone, Ld. c. Gaumont‑British Picture Corp. (1936), 53 R.P.C. 167 (C.A. Angl.), à la p. 195). Les concurrents éventuels sont dissuadés d’œuvrer dans des domaines qui, en fait, échappent à la portée du brevet même lorsque, à l’issue d’une longue et coûteuse instance (les frais de justice en la matière pouvant effectivement être très élevés, et la procédure très longue), un tribunal pourrait confirmer que ce qu’un concurrent projette de faire est parfaitement licite. Les sommes qui auraient pu être investies sont perdues ou affectées à autre chose. La concurrence est « gelée ». Le breveté jouit d’un monopole plus grand que celui que l’État a voulu lui accorder. L’incertitude se double d’un grave préjudice économique, et il convient que le droit des brevets s’efforce de réduire le plus possible ce préjudice.

[69]      Nonobstant les mises en garde susmentionnées, il est bien établi en droit que l’interprétation téléologique exige de la Cour qu’elle examine le libellé des revendications en fonction du sens que le breveté aurait normalement prêté aux termes utilisés, et non pas à travers le prisme de la littéralité stricte. Même un terme qui semble clair et non ambigu peut, lorsqu’il est lu en contexte, raisonnablement avoir un sens différent. L’arrêt Whirlpool, précité, invite également à ne pas examiner les mots du point de vue du grammairien, mais plutôt à la lumière des connaissances usuelles du travailleur moyennement versé dans le domaine auquel le brevet a trait. Il est donc admissible d’examiner la description du brevet afin de s’assurer du sens technique des termes utilisés dans les revendications.

[70]      Je n’ai aucune peine à admettre que l’interprétation téléologique puisse élargir ou limiter un texte interprété au sens littéral : voir l’arrêt Whirlpool, précité, paragraphe 49. Il me semble cependant juridiquement hasardeux d’établir les caractéristiques essentielles de l’invention dont font état les revendications en se servant de la description, en particulier si la description ne définit pas clairement la portée de l’invention. Autrement dit, même si une personne a recours à la description pour interpréter les revendications, « la portée exacte et précise de la propriété et du privilège exclusifs revendiqués » doit toujours être claire : voir Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504, paragraphe 26, 122 DLR (3d) 203.

[71]      Dans l’arrêt BVD Co c Canadian Celanese Ltd, [1937] RCS 441, [1937] 3 DLR 449 [arrêt BVD], la Cour a refusé de voir dans une revendication de brevet une caractéristique « essentielle » d’une invention et a invalidé le brevet parce que les revendications, telles qu’elles étaient rédigées, dépassaient la portée de l’invention. Cette décision est antérieure aux arrêts Whirlpool et Free World, précités, et à leur élaboration des principes de l’interprétation téléologique. Néanmoins, l’arrêt BVD n’a pas été infirmé et continue de souligner l’importance de veiller à ce qu’un brevet délimite clairement l’objet de l’invention et l’importance du libellé des revendications pour établir cette délimitation : voir aussi Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, paragraphe 77, [2008] 3 RCS 265; Amfac Foods Inc c Irving Pulp & Paper, Ltd, [1986] ACF no 659 (QL), 72 NR 290 (CA).

[72]      Je retiens de ces précédents que le recours à la description est admissible, mais seulement pour comprendre le sens de mots ou d’expressions utilisés dans les revendications. L’information essentielle qui est contenue dans la description, mais qui n’a pas d’utilité pour la recherche du sens du libellé des revendications, ne peut pas être importée implicitement pour nuancer les revendications : voir Janssen‑Ortho Inc c Canada (Santé), 2010 CF 42, paragraphe 119, 361 FTR 268 [décision Janssen‑Ortho]. Il ne convient pas non plus d’attribuer un sens à des mots des revendications en s’appuyant sur des phrases prises ici et là dans la description : voir Electric & Musical Industries, Ltd c Lissen Ltd, [1938] 4 All ER 221, page 227, 56 RPC 23 (HL (Ang)).

J’ajouterais à ce qui précède que les revendications et le mémoire descriptif visent des fins différentes. Les premières décrivent les limites du monopole revendiqué et le second décrit l’invention.

B.                 Les questions d’interprétation

[163]       Nul ne conteste que le produit d’Apotex contient de l’oméprazole et un CRA dans les noyaux des pastilles. Tous s’entendent aussi pour dire que l’Apo-oméprazole est recouvert d’un enrobage gastrorésistant. Cependant, les parties ne s’entendent pas sur le sens de plusieurs termes qui figurent dans la revendication 1, au sujet du sous-enrobage divulgué. En particulier, elles ne s’entendent pas sur le sens des mots [traduction« inerte », [traduction« sous-enrobage » et [traduction« recouvre ». L’argument principal d’Apotex est que, selon une interprétation de la revendication 1 qui est fondée sur l’objet visé, un sous-enrobage qui se forme in situ à la suite d’une réaction chimique n’est pas visé. Selon Apotex, la revendication 1 ne vise qu’un sous-enrobage que l’on applique physiquement au noyau de la pastille et qui est tout à fait exempt de trous, de vides ou d’anomalies structurales. Une sous-couche formée à la suite d’une réaction chimique n’est pas un [traduction« sous-enrobage », pas plus qu’elle ne [traduction« recouvre » le noyau.

[164]       Apotex affirme également que la personne versée dans l’art interpréterait le mot [traduction« inerte », relativement au sous-enrobage, comme un composé qui ne réagit aucunement avec l’un des autres constituants de la pastille d’oméprazole, qu’il y ait des répercussions fonctionnelles ou non.

[165]       AstraZeneca soutient que la revendication 1 est une revendication de produit. Elle vise une catégorie de formulations d’oméprazole définies par trois éléments structuraux de base :

a.                   un noyau d’oméprazole qui peut inclure un composé à réaction alcaline;

b.                  un sous-enrobage inerte;

c.                   un enrobage gastrorésistant externe.

AstraZeneca dit que si ces éléments de base sont présents et s’ils constituent une formulation viable, la manière dont la structure est formée importe peu. En particulier, un sous-enrobage qui se forme in situ à la suite d’une réaction entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant est une question de procédé qui ne circonscrit ou ne limite pas la revendication au produit.

[166]       AstraZeneca affirme également qu’il n’est pas nécessaire que le sous-enrobage requis soit parfait. Il peut contenir de légers vides, trous ou défauts, tant que son intégrité fonctionnelle n’est pas compromise.

[167]       AstraZeneca invoque un argument semblable au sujet du sens du mot [traduction« inerte ». La personne versée dans l’art considérerait que ce mot désigne un composé qui ne provoquera pas de réaction néfaste avec l’enrobage gastrorésistant ou avec le noyau d’oméprazole. À son avis, le mot n’est pas utilisé dans la revendication 1 dans son sens scientifique le plus pur, mais de manière relative, et il indique à la personne versée dans l’art d’éviter les matières qui donneront lieu à des réactions indésirables.

C.                 La revendication 1 vise-t-elle les sous-enrobages qui se forment in situ?

[168]       Apotex soulève un certain nombre de points sémantiques intéressants à l’appui de son argument selon lequel la revendication 1 n’englobe pas une sous-couche qui se forme in situ. La plupart de ces arguments sont tirés du libellé de la divulgation et non pas directement de celui des revendications. Cela, dit-elle, concorde avec la jurisprudence actuelle, où l’on souligne qu’il est important d’utiliser la divulgation comme guide en vue d’interpréter le libellé des revendications d’une manière fondée sur l’objet visé.

[169]       Apotex invoque les points suivants à l’appui de l’interprétation qu’elle privilégie :

a.                   dans le domaine pharmaceutique, un enrobage est un recouvrement que l’on applique physiquement à une formulation (du verbe [traduction« enrober »); à l’époque, les enrobages formés in situ étaient inconnus dans le domaine;

b.                  les mots [traduction« recouvre » et [traduction« sélectionné dans » impliquent un choix délibéré de matières à appliquer au produit, et non à des produits réactionnels in situ;

c.                   la divulgation du brevet écarte l’application directe d’un enrobage gastrorésistant au noyau de la pastille afin d’éviter le problème réactionnel même que la formulation du brevet règle censément;

d.                  le brevet ne divulgue que des procédés d’application directe d’une sous-couche d’enrobage, et nulle part ailleurs ne divulgue-t-il ou ne permet-il un produit réactionnel in situ;

e.                   il serait difficile pour un formulateur d’évaluer ou de contrôler les propriétés et le rendement d’un produit réactionnel in situ;

f.                   l’arrêt Rhoxalpharma Inc. c Novartis, 2005 CAF 11, 3 RCF 261, et la décision Miken Composites, LLC c Wilson Sporting Goods Co., 515 F 3d 1337 (Cir féd 2008), reconnaissent que ce qui peut sembler être, à première vue, des limites de procédé peuvent être en fait des limites structurales;

g.                  à la lecture du brevet 693, le formulateur qualifié n’envisagerait jamais qu’il visait un sous-enrobage formé in situ, et les inventeurs ne l’ont pas fait non plus.

[170]       Aucun des experts à qui l’on a demandé d’interpréter la teneur contestée des revendications n’a fourni beaucoup d’informations spécialisées. Par exemple, M. Kibbe et M. Bodmeier ont convenu que, dans le monde des formulateurs, le mot « recouvre » n’est pas un terme technique. Le reste des arguments que les parties ont invoqués au sujet de la portée du mot « sous-enrobage » sont en grande partie des questions de sémantique et de contexte dans lesquelles l’opinion d’un expert ajoute peu de choses, sinon aucune, sur le plan de l’interprétation. Les experts ont fait part de leurs opinions respectives, mais il s’agissait essentiellement de conclusions.

[171]       Un obstacle de taille à l’argument d’Apotex en matière d’interprétation est la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Apotex Inc. c AB Hassle, 2003 CAF 409, 126 ACWS (3d) 690. Cet arrêt faisait suite à une instance engagée par AstraZeneca sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), relativement au brevet 693. AstraZeneca avait eu gain de cause sur la foi d’un argument selon lequel l’avis d’allégation d’Apotex était lacunaire sur le plan juridique. Le juge saisi de la demande avait donc conclu qu’il était inutile d’interpréter la teneur de la revendication 1.

[172]       Lorsque l’affaire a été entendue devant la Cour d’appel fédérale, Apotex a fait valoir que le juge saisi de la demande avait commis une erreur en omettant d’interpréter la teneur contestée des revendications – la même que celle dont il est question ici. Elle avait également fait valoir que ce juge avait commis une erreur en concluant que son avis d’allégation était lacunaire sur le plan juridique.

[173]       J’ai été saisi des mêmes arguments d’interprétation que ceux qu’Apotex avait soumis à la Cour d’appel fédérale. Chacun d’eux a été rejeté, et la décision du juge Marshall Rothstein vaut la peine d’être répétée en bonne partie :

[14]      Les alinéas (a) et (c) de cette revendication ne posent aucun problème. Le litige porte sur l’alinéa (b). Apotex affirme que cet alinéa ne couvre pas la substance inerte qui se forme in situ entre le noyau et l’enrobage externe par suite de la réaction entre des éléments du noyau et de l’enrobage externe. Selon elle, l’alinéa ne vise qu’un sous-enrobage appliqué sur le noyau et recouvert ensuite par l’enrobage externe gastrorésistant et entérosoluble.

[15]      À l’appui de cette interprétation de l’alinéa (b), Apotex cite certains paragraphes de la divulgation du brevet qui indiquent, selon elle, que l’invention décrite dans la revendication no 1 ne couvre qu’un produit dont le sous-enrobage intermédiaire est appliqué sur le noyau avant l’application de l’enrobage externe gastrorésistant et entérosoluble. Apotex affirme que cette description du produit exige que le noyau et l’enrobage externe ne soient jamais en contact et qu’ils soient plutôt maintenus séparés pendant le processus d’enrobage de même que pendant l’entreposage. Voici les passages sur lesquels Apotex s’appuie :

[traduction] Description de l’invention

Noyaux contenant de l’oméprazole mélangé avec des composés alcalins ou un sel alcalin d’oméprazole mélangé facultativement avec un composé alcalin ou enrobé de deux ou plusieurs couches, la première ou les premières couches étant également hydrosolubles ou se désintégrant rapidement dans l’eau et consistant en des substances non acides, mais autrement inertes et pharmaceutiquement acceptables. Cette ou ces premières couches séparent le noyau alcalin de la couche extérieure, qui est un enrobage gastrorésistant et entérosoluble (page 4).

Couche de séparation

Les noyaux réactifs alcalins contenant de l’oméprazole doivent être séparés du(des) polymère(s) d’enrobage gastrorésistant et entérosoluble contenant des groupes carboxyle libres, qui autrement causeraient une dégradation/décoloration de l’oméprazole au moment de l’enrobage ou durant l’entreposage (page 6).

Couche d’enrobage gastrorésistante et entérosoluble

La couche d’enrobage gastrorésistante et entérosoluble est appliquée sur les sous-couches recouvrant les noyaux à l’aide de techniques classiques d’enrobage comme, par exemple, l’enrobage au tambour ou l’enrobage en bain fluidisé, en utilisant des solutions de polymères dans l’eau et/ou des solvants organiques adaptés ou des suspensions au latex desdits polymères (page 7).

Les noyaux sont recouverts d’un enrobage inerte hydrosoluble réactif ou d’un enrobage se désintégrant rapidement, qui contient facultativement une substance tampon pour pH, laquelle sépare les noyaux alcalins de l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble (...) la forme posologique enrobée de sous-couches est finalement enrobée d’une couche gastrorésistante, ce qui la rend insoluble en milieu acide, mais assure sa désintégration/dissolution rapide dans des milieux neutres ou alcalins comme, par exemple, les liquides présents dans la partie proximale de l’intestin grêle, site où l’on veut qu’une dissolution se produise. 

...

Procédé

Un procédé utilisé par le fabricant de la forme posologique orale constitue un autre aspect de l’invention. Après la mise en forme des noyaux, ceux-ci sont d’abord enrobés d’une couche de séparation, puis de la couche gastro-résistante. L’enrobage est effectué tel que décrit ci-dessus (pages 8 et 9).

[Non souligné dans l’original]

Apotex soutient en outre qu’aucun des exemples donnés dans le brevet ne décrit un sous-enrobage inerte formé in situ par la réaction de substances du noyau et de l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble.

[16]      J’éprouve des réserves à l’égard de ce recours d’Apotex à la divulgation. En l’occurrence, la revendication no 1, en tant que revendication relative au produit, est claire, et il ne convient pas, dans un tel cas, de se reporter à la divulgation pour interpréter la revendication ou, plus particulièrement, pour modifier la portée ou l’étendue de la revendication (Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751, par. 30 (C.A.)). En conséquence, je procéderai d’abord à l’interprétation de la revendication no1 elle-même. Toutefois, puisque les prétentions d’Apotex reposent en grande partie sur la divulgation, j’examinerai l’argumentation que l’appelante fonde sur celle-ci.

[17]      La revendication no 1 décrit une [traduction] « préparation pharmaceutique pour administration orale » ou, dans le langage de tous les jours, un comprimé. Il y est expliqué que ce comprimé se constitue d’un noyau, d’un sous-enrobage inerte et d’une couche externe ou enrobage gastrorésistant et entérosoluble. La revendication n’énonce aucune restriction concernant le sous‑enrobage inerte; elle n’expose pas qu’il doit être créé suivant un processus particulier.

[18]      On peut y lire que le sous-enrobage inerte [traduction] « recouvre le noyau ». Apotex prétend qu’il faut comprendre par là que le noyau est enduit du sous-enrobage ou que le sous-enrobage est mis ou appliqué sur le noyau et elle affirme qu’il ne s’agit pas simplement d’une restriction afférente au processus, mais d’une restriction concernant le produit, qui a pour effet d’exclure les comprimés dont la couche séparatrice inerte est formée in situ par la réaction issue du contact entre des éléments du noyau et de l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble.

[19]      Le témoin expert d’Astra, M. Rees, a déclaré que les mots [traduction] « recouvre le noyau » doivent s’interpréter comme décrivant la nécessité que dans le produit fini il y ait un sous‑enrobage entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble. Les témoins experts d’Apotex, MM. Niebergall et Schnaare ont déclaré, eux, que l’objet du sous-enrobage inerte étant d’empêcher toute réaction entre l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble et le noyau médicamenteux, le produit d’une réaction entre l’enrobage et le noyau ne pouvait être un sous-enrobage au sens du brevet. M. Niebergall a ajouté qu’une telle réaction ne pourrait jamais produire le sous-enrobage continu d’au moins 10 μm d’épaisseur que le brevet exige, d’après lui.

[20]      Quant à l’épaisseur exigée, il appert que M. Neibergall a mal compris la divulgation. Celle-ci énonce en effet que la couche séparatrice ne peut être inférieure à 2 μm, mais qu’il est préférable qu’elle soit plus épaisse. Le témoin n’a pas dit qu’une couche de 2 μm d’épaisseur ne pourrait pas se former in situ.

[21]      J’accorderais plus de poids au témoignage de M. Rees. Puisque la revendication no 1 constitue clairement une revendication se rapportant à un produit et non à un processus, l’expression [traduction] « recouvre le noyau » décrit, selon mon interprétation, la structure de la préparation pharmaceutique finie. Dans le contexte d’une revendication relative à un produit, ces mots décrivent la position du sous-enrobage et non son processus de formation.

[22]      Si, comme je l’ai interprétée, la revendication no 1 décrit un produit fini, le texte de la divulgation n’empêche d’aucune façon l’interprétation selon laquelle il n’est pas nécessaire que le sous‑enrobage inerte soit formé en suivant un processus déterminé. Dans le produit fini, le noyau est tout aussi séparé de l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble par un sous-enrobage formé in situ que par un sous-enrobage appliqué sur le noyau. Les mots [traduction] « au moment de l’enrobage » dans la divulgation pourraient aider à l’interprétation d’une revendication de processus ambiguë, mais je ne crois pas qu’ils puissent s’appliquer à l’interprétation d’une revendication décrivant clairement un produit fini. Les autres extraits de la divulgation invoqués par Apotex décrivent eux aussi un processus de fabrication de préparation pharmaceutique - l’application du sous-enrobage sur le noyau suivie de l’application de l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble sur le sous-enrobage. Toutefois, la revendication no 1 n’établit aucune restriction afférente au processus quant à la préparation pharmaceutique finie.

[23]      Apotex fait valoir qu’une telle interprétation est incompatible avec la divulgation parce que le problème que l’invention cherchait à solutionner tenait à ce qu’un contact direct entre le noyau d’oméprazole et l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble entraînait la décoloration et, finalement, la dégradation du noyau. Toutefois, la suite du brevet explique que ce problème de stabilité à l’entreposage peut être réglé par l’ajout au noyau d’une quantité suffisante de réactifs alcalins. Le sous‑enrobage n’est nécessaire que pour empêcher la dissolution précoce dans l’estomac de l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble des comprimés à noyau alcalin, problème qui ne se produit que lorsque le comprimé est ingéré. Par conséquent, la revendication no 1 n’exclut pas que le noyau et l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble soient en contact pendant la fabrication, du moment que le produit final comporte un sous‑enrobage.

[24]      Je conclus que la revendication no 1 du brevet décrit une préparation pharmaceutique qui, dans sa forme finale, présente un sous-enrobage ou une couche séparatrice entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant et entérosoluble, sans égard à la façon dont cette couche séparatrice est formée.

[174]       Cet arrêt a été appliqué par la suite par la juge Carolyn Layden-Stevenson, dans le cadre d’une instance relative à un avis de conformité, dans la décision AB Hassle c Genpharm, 2003 CF 1443, [2003] ACF no 1910, et, plus tard, dans la décision AB Hassle c Apotex, 2005 CF 234, [2005] 4 RCF 229.

[175]       Je souscris à l’argument d’Apotex selon lequel une décision que rend la Cour d’appel fédérale dans une instance relative à un avis de conformité est de nature provisoire seulement, et elle ne me lie pas. En revanche, dans une affaire comme la présente, où les questions d’interprétation n’ont pas à être tranchées sur la foi de nombreuses connaissances spécialisées, voire aucune, les points de vue unanimes de la Cour d’appel fédérale ont une certaine valeur persuasive.

[176]       Apotex fait valoir que la jurisprudence plus récente de la Cour suprême du Canada reconnaît l’importance accrue de la divulgation dans le fait d’interpréter la teneur d’une revendication en fonction de l’objet visé. À l’époque où le juge Rothstein a rendu sa décision, le recours à la divulgation était plus retreint, comme il l’a fait remarquer au paragraphe 16. La difficulté que pose cet argument est que, malgré l’observation du juge Rothstein selon laquelle il n’était pas justifié de recourir à la divulgation, ce dernier a ensuite traité des arguments qu’Apotex fondait sur la divulgation et il les a tous rejetés.

[177]       On trouve un appui supplémentaire à l’égard de cette conclusion en matière d’interprétation dans la décision qu’a rendue la Cour de district des États-Unis dans l’affaire Astra Aktiebolag c Andrx Pharmaceuticals Inc., 222 F Supp 2d 423, aux pages 46 et 47, une décision qu’a confirmée la Cour d’appel des États-Unis, Circuit fédéral, 84 Fed Appx 76. Dans un second litige mettant en cause Apotex, les décisions relatives à l’interprétation ont été maintenues : voir la décision In re Omeprazole Patent Litigation 490 F Supp 2d 381, confirmée par 536 F 3d 1361.

[178]       Si j’avais des doutes sérieux à propos du bien-fondé de cette jurisprudence, je n’hésiterais pas à exprimer mon désaccord, mais, à mon avis, la position d’Apotex n’est pas convaincante.

[179]       Il ne fait aucun doute qu’AstraZeneca n’a pas envisagé la méthode in situ de création d’un sous-enrobage quand elle a présenté sa demande de brevet, mais il ne s’agit pas là d’un aspect qui amoindrit sa prétention quant à l’existence d’un produit nouveau. Le fait que, à certains endroits, la divulgation du brevet 693 fait mention du [traduction« procédé d’enrobage » ou de termes semblables dans l’exposé portant sur la formulation d’oméprazole n’intègre pas de ce fait une limite de procédé dans la revendication 1. En fait, cela dénote qu’il est dangereux de se fonder dans une trop grande mesure sur la divulgation en tant que moyen d’interpréter la teneur d’une revendication. Compte tenu de l’exigence du caractère réalisable, on pourrait bien s’attendre à retrouver dans le texte de la divulgation une combinaison de termes relatifs au produit et de termes relatifs au procédé utilisé. De telles références générales ne sont peut-être pas utiles pour aider à interpréter la teneur des revendications. C’est dans ces dernières qu’il est important d’utiliser des termes précis et uniformes, et c’est ce à quoi on s’attend. Si la revendication 1 du brevet se limite au sous-enrobage physiquement appliqué aux noyaux, il est à se demander pourquoi on a employé le mot « recouvre ». Ce dernier peut se reporter à des dispositions dans l’espace ou à la position relative de certaines choses, et il ne se limite pas à la façon de les mettre en place. Le lecteur objectif saisirait que l’emploi d’un terme général pour définir le produit ne serait pas suffisant pour introduire une limite de procédé. En fait, la personne versée dans l’art aurait bien du mal à saisir à quoi il sert de restreindre la portée d’une revendication de produit à un procédé de fabrication quelconque.

[180]       M. Kibbe a déclaré que le mot « recouvre » n’est pas un terme technique[1]. En contre‑interrogatoire, il a reconnu que le mot « appliqué » aurait été un moyen plus évident d’exprimer une telle restriction [page 4776]. J’ajouterais que même si la sous-couche d’Apotex se forme vraisemblablement à la suite d’une réaction chimique, elle le fait au cours de l’application de l’enrobage gastrorésistant au noyau. En ce sens, il s’agit d’un produit qui découle immédiatement, de façon inattendue peut-être, d’un procédé.

[181]       Les seules mentions faites dans le brevet 693 du mot « recouvre » se trouvent dans la revendication 1 ainsi que dans le texte correspondant qui figure à la page 5 de la divulgation. Dans tous les autres passages de la divulgation, on relève des termes différents. Par exemple, à la page 5, dans le procédé de fabrication de la formulation il est question [traduction« [d’]enrober un noyau ». À la page 6, il est question du [traduction« processus d’enrobage » et du fait que [traduction« [l]a ou les couches séparatrices peuvent être appliquées aux noyaux ». À la page 7, [traduction« un autre moyen d’appliquer l’enrobage » est décrit. Si la revendication 1 se limitait aux sous-enrobages formés par application directe, on s’attendrait à y trouver un verbe distinctif approprié, et non pas le mot [traduction] « recouvre », plus générique. De plus, en présumant que le verbe [traduction« enrober » est dérivé du substantif « robe », il n’existe à ma connaissance aucune règle d’interprétation qui mettrait leurs sens sur le même pied dans le langage courant.

[182]       Le fait que ni la personne versée dans l’art fictive ni les véritables inventeurs n’auraient eu à l’esprit un sous-enrobage in situ ni, en fait, tout autre moyen possible de former un sous‑enrobage n’aide pas à définir la portée de la revendication 1. Il existe peut-être fort bien un certain nombre de méthodes qui permettent de produire les éléments essentiels d’une formulation nouvelle que les inventeurs n’ont pas identifiées ou envisagées. Tout ce qui est exigé, c’est la divulgation d’une seule méthode de fabrication viable.

[183]       Dans le cas du brevet 693, les inventeurs ont divulgué des procédés pour fabriquer la formulation revendiquée. Ils n’ont pas divulgué le procédé qui permet de fabriquer un sous‑enrobage in situ. Je ne suis pas disposé à souscrire à la suggestion selon laquelle il faut considérer qu’une revendication de produit exclut un procédé que le brevet ne mentionne jamais et, en même temps, qu’il faut que la revendication se limite aux procédés qui sont divulgués. Le breveté est en droit de protéger le produit, peu importe la façon dont celui-ci est créé.

[184]       Apotex a demandé à M. Kibbe de faire des commentaires sur la capacité de la personne versée dans l’art de savoir comment éviter de contrefaire la revendication 1. La prémisse sous‑jacente de la question était qu’un breveté est tenu de faire savoir au reste du monde ce qui est restreint et, inversement, ce qui peut être fait sans risque. Il n’est pas surprenant que M. Kibbe a obtempéré en concluant que les revendications du brevet 693 n’indiquent pas à la personne versée dans l’art comment éviter un sous-enrobage qui se forme in situ en tant que produit de réaction. La thèse de M. Kibbe est en fait une variante de l’argument qu’invoque Apotex au sujet de l’interprétation, à savoir que le brevet 693 n’inclut pas les sous-couches qui se forment in situ.

[185]       Je rejette l’idée qu’AstraZeneca était tenue d’indiquer à ses concurrents comment éviter de contrefaire le brevet. Un breveté n’est nullement tenu d’informer le reste du monde de tous les procédés qui peuvent donner lieu à un produit de contrefaçon. AstraZeneca a décrit sa formulation et a expliqué comment la fabriquer. Il incombait aux autres d’éviter de la contrefaire.

[186]       Selon Apotex, le brevet 693 incite à ne pas utiliser la méthode qu’elle-même a employée. Si Apotex se fondait sur cette indication, elle a dû être surprise de voir que son produit fonctionnait réellement. Si, comme l’a déclaré M. Kibbe, la personne versée dans l’art s’attendrait à une réaction possible entre les noyaux d’Apotex et un enrobage gastrorésistant classique, Apotex aurait pu vérifier si quelque chose s’était formé entre ces couches – tout comme M. Davies l’a fait.

[187]       Je souscris à l’argument d’Apotex selon lequel une personne versée dans l’art qui lirait le brevet 693 comprendrait qu’il y avait un problème associé à une formulation dans laquelle un enrobage gastrorésistant reposait sur un noyau d’oméprazole. Je ne suis pas d’accord pour dire, cependant, que cette personne exclurait de ce fait la possibilité qu’une sous-couche séparatrice, formée in situ, ne pourrait jamais être une solution viable aux problèmes bien connus que sont la résistance à l’acide gastrique et la stabilité en stockage que l’on associe aux formulations d’oméprazole. Le brevet traite de façon générale d’une [traduction« demande relative à la mise au point de nouvelles préparations d’oméprazole gastrorésistantes offrant une meilleure stabilité » [page 3, ligne 5] et de la réalisation d’une séparation du noyau de l’enrobage gastrorésistant [page 4, lignes 34 à 36]. La manière de réaliser la couche séparatrice n’est pas un sujet dont traite la revendication 1. À mon avis, la recommandation générale que l’on trouve dans la divulgation du brevet, soit de séparer l’enrobage gastrorésistant et les noyaux, ne serait pas considérée comme un obstacle à une sous-couche formée par une réaction in situ transitoire lors de la fabrication des pastilles. Une fois la sous-couche formée, elle représente la barrière qui fait censément partie de l’invention, et le problème de l’incompatibilité continue est évité. Sur ce point, je souscris à ce que M. Bodmeier écrit au paragraphe 48 de son rapport initial, à savoir que l’avantage de l’invention réside dans la structure de sa forme posologique finie, et non dans la façon d’y arriver.

[188]       La jurisprudence qu’invoque Apotex à ce sujet ne s’applique pas. L’arrêt Rhoxalpharm Inc. c Novartis, précité, portait sur une réaction in situ qui survenait après que le patient avait ingéré la formulation réalisée. Il s’agit là d’une situation nettement différente de celle dans laquelle la réaction in situ a censément lieu au cours de la fabrication du produit.

[189]       Dans l’affaire Miken Composites, LLC c Wilson Sporting Goods Co., précitée, il était question du mot « insert » [insertion] utilisé dans la revendication. La revendication du brevet décrivait l’amélioration de la structure d’un bâton de baseball comme une [traduction« insertion ». Le produit qui causait censément une contrefaçon obtenait le même avantage en recourant à une technique de stratification de composites. En confirmant la décision de première instance, la Cour a conclu que la méthode de stratification ne comportait pas l’emploi d’une insertion. La Cour a été influencée par l’emploi constant de ce terme dans la divulgation et dans les revendications, et elle a conclu qu’il désignait [traduction« un objet inséré ou destiné à l’être ». Ce terme non ambigu n’intégrait pas [traduction« de manière irrégulière une limite de procédé dans la revendication relative au produit ». Dans la présente affaire, le mot « recouvre » n’a pas un sens clair et particulier. Si l’on avait employé dans la revendication 1 un verbe à sens restreint, comme [traduction« appliquer », [traduction« enrober » ou [traduction« pulvériser », l’argument d’Apotex aurait vraisemblablement été retenu.

D.                Quel est le sens du mot « inerte »?

[190]       Selon la revendication 1, le sous-enrobage doit être [traduction« inerte ». Il va sans dire que la question qui se pose consiste à savoir ce que le formulateur versé dans l’art ferait de ce mot en tentant de suivre l’enseignement du brevet.

[191]       Comme l’a dit M. Kibbe : [traduction« Inerte, c’est inerte. Par définition, ce mot veut dire qu’il ne réagit pas avec les composants. Même si la réaction est limitée, il s’agit quand même d’une réaction, et cela veut dire qu’elle n’est plus inerte. Et c’est là – le moyen le plus simple est de dire : nous essayons de mettre là-dedans une chose qui n’aura aucun effet sur l’une ou l’autre partie [l’enrobage gastrorésistant ou le noyau], à part les tenir séparées l’une de l’autre » [page 4779].

[192]       Même s’il est évident que M. Kibbe a compris que le mot [traduction« inerte » se limitait à la possibilité que le sous-enrobage réagisse avec d’autres constituants de la formulation, il a affirmé sans ambages qu’il n’y avait aucune marge de réaction admissible, quelles que puissent en être les conséquences du point de vue fonctionnel [pages 4784 à 4787].

[193]       M. Bodmeier a adopté un point de vue plus souple. Il a déclaré que le mot [traduction« inerte » voulait seulement dire que le sous-enrobage n’entraverait pas la fonction de l’enrobage gastrorésistant ou la stabilité de l’oméprazole présent dans le noyau [page 1773]. De plus, a-t-il déclaré, le formulateur versé dans l’art sait que [traduction« dans n’importe quelle formulation, un degré minime de réaction est prévu ». À son avis, le mot [traduction« inerte » est un terme relatif, et non absolu. Il a trouvé appui pour ce point de vue dans la divulgation, où les matières de sous-enrobage potentiellement acides sont considérées comme acceptables. La personne versée dans l’art saurait également que la présence d’un CRA dans le noyau neutraliserait les réactions acides, surtout dans la sous-couche d’enrobage qui, selon le brevet, agit comme une zone tampon de pH. Selon M. Bodmeier, la mention des [traduction« substances inertes non acides » dans le brevet serait interprétée par la personne versée dans l’art comme autorisant un certain degré d’acidité, à la condition de ne pas compromettre l’efficacité de la formulation.

[194]       Il ressort de la preuve que tous les composés réagissent et se dégradent dans leurs milieux particuliers, au rythme qui est le leur. C’est précisément pourquoi on prescrit une durée de conservation pour les produits pharmaceutiques. Dans le contexte d’un composé pharmaceutique, le mot [traduction« inerte » ne peut pas être interprété en fonction de l’objet visé dans un sens absolu. Aucune personne versée dans l’art ne considérerait qu’un enrobage inerte ne subit aucune réaction au sein de son milieu. Dans la revendication 1, le mot [traduction« inerte » serait interprété comme se limitant aux réactions qui ont une incidence néfaste sur la fonctionnalité de la formulation. Le brevet indique à la personne versée dans l’art d’éviter un sous-enrobage fait d’une matière qui compromettra l’enrobage gastrorésistant ou le noyau d’oméprazole. Une interprétation fondée sur l’objet visé n’écarte pas la possibilité d’une réaction entre le sous-enrobage et les autres constituants de la formulation, aussi banale ou fonctionnellement inconséquente qu’elle puisse être. En fait, la personne versée dans l’art sait, sans qu’on lui dise, qu’il faut éviter les ingrédients qui causent des réactions indésirables. En interprétant le brevet, le formulateur versé dans l’art songe à ce qui fonctionnera et il n’exclurait pas une matière d’enrobage prometteuse juste parce qu’elle n’est pas parfaitement ou absolument inerte dans le sens scientifique strict du terme.

[195]       Je rejette donc l’opinion de M. Kibbe sur ce mot et je fais plutôt mienne l’interprétation plus nuancée de M. Bodmeier.

E.                 Quelles sont les caractéristiques structurales essentielles du sous-enrobage revendiqué?

[196]       À part indiquer que le sous-enrobage souhaité doit être du genre à former un film polymérique et atteindre une épaisseur d’au moins 2 microns, le brevet n’offre aucune autre indication quant à ses caractéristiques structurales ou à son intégrité.

[197]       Apotex affirme que le sous-enrobage revendiqué doit être continu et exempt de trous d’épingle ou de vides qui permettraient un contact direct quelconque entre l’enrobage gastrorésistant et les noyaux d’oméprazole. AstraZeneca dit que l’on s’attendrait à de légères cassures ou à de légers défauts dans le sous-enrobage et que tout ce que l’on exige est une continuité importante du sous-enrobage, à la condition que la formulation fonctionne.

[198]       M. Kibbe a effectivement reconnu que la continuité du sous-enrobage était liée à sa fonction protectrice [page 4474]. Selon lui, en présence de trous ou de vides traversants, le sous‑enrobage ne fonctionnerait tout simplement pas. Cette preuve a été quelque peu nuancée dans le témoignage qu’il a fait en contre-interrogatoire, où il a admis que [traduction« tout ce que nous faisons en matière de formulation comporte un certain degré de variabilité » [page 4633] et que certaines discontinuités [traduction« ne sont pas nécessairement fonctionnelles » [page 4670]. Il a aussi fait remarquer que la plupart des films polymorphes sont hydrophiles et qu’ils attirent l’eau [page 4704]; à mesure qu’ils absorbent de l’eau, ils s’épaississent sous forme de gel [page 4705]. Ce processus ralentit le passage d’une quantité additionnelle d’eau et permet à une [traduction« neutralisation à base d’acide de se produire longtemps avant qu’elle atteigne le fond de l’enrobage gastrorésistant » [page 4713]. Ce processus aurait probablement aussi pour effet de combler les vides ou les trous de petite taille qui étaient présents à l’état sec [page 4744].

[199]       Il me semble que la personne versée dans l’art considérerait la présence de vides ou de trous de petite taille présents dans un sous-enrobage polymorphe en ayant ces facteurs à l’esprit. S’ils ne compromettaient pas la formulation, ils ne représenteraient pas un problème d’ordre pratique.

[200]       Je ne puis convenir avec Apotex que la personne versée dans l’art s’attendrait à ce que le sous-enrobage soit structuralement parfait. Même les meilleurs procédés de fabrication donnent lieu à quelques anomalies et imperfections. La personne versée dans l’art est à la recherche d’une formulation qui sépare d’une manière suffisante l’enrobage gastrorésistant et les noyaux, de façon à obtenir une stabilité en stockage et une résistance à l’acide gastrique acceptables. Les défauts ne compromettant pas l’efficacité du produit seraient tolérés. Si la perfection était la norme à atteindre, une partie pourrait facilement éviter de contrefaire un produit en créant une copie de piètre qualité, mais tout de même efficace.

[201]       La personne versée dans l’art sait que la sous-couche doit avoir une intégrité physique suffisante pour former une barrière efficace entre l’enrobage gastrorésistant et les noyaux des pastilles. La divulgation informe la personne versée dans l’art qu’il est nécessaire que la sous‑couche soit d’une épaisseur d’au moins 2 microns si elle veut obtenir tout l’avantage promis. Le fait que la revendication 1 n’inclue pas cette information ne veut pas dire que la personne versée dans l’art ne tient pas compte de l’avis formulé dans la divulgation. On peut en dire autant du besoin déclaré de réduire au minimum la teneur en eau, ainsi que du besoin implicite d’utiliser un sous-enrobage qui couvre les noyaux de façon essentiellement continue. Le formulateur versé dans l’art saurait qu’un sous-enrobage qui ne répond manifestement pas à ces exigences ne fonctionnerait tout simplement pas.

[202]       Tout cela ne veut pas dire que de légers écarts par rapport à ces enseignements suffiraient pour qu’une formulation déborde le cadre de la revendication 1. La personne versée dans l’art est consciente que les procédés de fabrication permettent de varier d’une certaine façon le produit fini. Quant à l’exigence concernant l’épaisseur minimale du sous-enrobage, la personne versée dans l’art interpréterait la revendication 1 en tenant compte d’une certaine manière de la variabilité, et non comme un seuil absolu qui rendrait le produit inutile pour les fins auxquelles il est destiné. La revendication 1 englobe un sous-enrobage qui procure un recouvrement essentiellement continu, et dont l’épaisseur suffit pour atteindre les fins auxquelles il est destiné.

[203]       Pour ce que cela vaut, je ne souscris pas à la preuve de M. Bodmeier selon laquelle l’indication d’épaisseur que fournit la divulgation signifie une épaisseur [traduction« moyenne » de 2 microns. M. Bodmeier est d’avis que la personne versée dans l’art lirait essentiellement dans le brevet les mots [traduction« d’au moins », relativement à l’épaisseur prévue du sous-enrobage et qu’elle les remplacerait par une épaisseur [traduction« moyenne » de 2 microns [page 1457].

[204]       Je ne saisis pas l’interprétation que fait M. Bodmeier. Si l’intention était d’indiquer une épaisseur moyenne, on s’attendrait à la voir. L’expression [traduction« d’au moins » est absolue et invariable. De plus, pour ce qui est d’obtenir l’efficacité requise, une épaisseur moyenne ne dit rien au formulateur. Le fait que la personne versée dans l’art s’attendrait à une certaine variation dans l’uniformité ou la continuité du sous-enrobage n’exclut pas le conseil selon lequel une épaisseur minimale est souhaitée. En fait, dans le contexte d’un sous-enrobage appliqué, où le procédé peut être bien contrôlé, l’idée d’une épaisseur minimale efficace n’est guère surprenante.

[205]       Je conviens effectivement avec M. Bodmeier que la convention numérique de l’arrondissement s’applique bel et bien à une valeur que l’on exprime sans virgule décimale. Cette preuve n’a pas été contestée par les témoins d’Apotex. J’admets donc que la personne versée dans l’art considérerait que la mention des 2 microns inclut la valeur de 1,5 micron, mais, en tout état de cause, je ne suis pas d’accord pour dire que les revendications du brevet comportent une limite d’épaisseur, à part l’attente que la sous-couche doit être suffisamment robuste pour constituer une barrière efficace.

[206]       Apotex soutient également qu’il y a lieu d’interpréter la revendication 1 comme si elle n’incluait aucune limite sur le plan de la teneur en eau. Elle tire cette interprétation de la limite explicite qui est mentionnée à la revendication 13, soit une formulation dans laquelle la teneur en eau est inférieure à 1,5 %. Selon Apotex, la personne versée dans l’art déduirait de la revendication 13 que la revendication 1 ne comporte aucune limite sur le plan de la teneur en eau. S’il en était autrement, la revendication 13 serait redondante.

[207]       Je ne suis pas d’accord avec cette suggestion quant à l’interprétation de la revendication 1 et de ses revendications dépendantes. Les revendications doivent être interprétées d’une manière conforme à ce que la personne versée dans l’art connaît ou à ce que le brevet enseigne par ailleurs. La personne versée dans l’art sait que la présence d’eau peut être un problème pour maintenir la stabilité de l’oméprazole (et de nombreux autres composés), et elle recourrait à diverses techniques pour le contrer. Elle sait aussi que, même si certaines variations de la teneur en eau peuvent être tolérées ou gérées, il y a un point de saturation où la formulation échouera : voir le rapport de Bodmeier sur la contrefaçon, au paragraphe 83. Selon M. Bodmeier, le niveau acceptable de teneur en eau variera en fonction des constituants de la formulation et, dans le contexte de l’enseignement du brevet 693, la personne versée dans l’art ne tiendrait pas pour acquis qu’il existe un [traduction« chiffre absolu » [page 1747]. Il ne faudrait pas interpréter les revendications en question comme si la personne versée dans l’art faisait abstraction de l’enseignement clair du brevet et favoriserait plutôt une règle d’interprétation hautement technique.

[208]       À cet égard, je souscris au témoignage de M. Bodmeier, aux pages 1550 et 1551 :

[traduction] 

R.        Oui. Donc, la teneur en eau et l’épaisseur minimale, ce sont des aspects importants et je crois l’avoir déjà dit hier. Comme le brevet 693 qui autorise une teneur en eau est important et traite également d’une certaine épaisseur minimale, mais je suis d’avis que cela ne fait pas partie de l’idée originale, qui est cette formulation pharmaceutique orale.

Et je pense, si nous parlons tout d’abord de la teneur en eau, je pense qu’une personne versée dans l’art sait que la teneur en eau doit être faible, je pense que c’est mentionné à plusieurs reprises dans le brevet. Il y a aussi des chiffres qui sont indiqués, mais une personne versée dans l’art ne considérerait pas ces chiffres comme une limite de la revendication, elle saurait qu’une faible teneur en eau est importante, mais que cela dépendra des formulations. Il existe certaines formulations qui peuvent prendre un peu plus d’eau, et d’autres moins. Cela dépend des excipients, cela dépend aussi de l’empaquetage, de divers facteurs.

Et c’est la même chose pour l’épaisseur minimale. Je crois que le brevet dit clairement qu’il y a une épaisseur minimale, nous en avons parlé hier – j’ai plutôt dit aux experts d’Apotex que je vois qu’il y a une épaisseur minimale moyenne, que cette épaisseur minimale est clairement indiquée dans le brevet, ce que je vois comme épaisseur minimale moyenne c’est une épaisseur d’au moins 2 micromètres.

Q.        Et donc –

R.        Mais je ne considère pas que ces deux paramètres soient un concept essentiel de l’invention.

À mon avis, la revendication 1 et ses revendications dépendantes ne comportent pas de limites en matière de teneur en eau.

[209]       Apotex affirme que les mots [traduction« sous-enrobage » et [traduction« couche séparatrice » veulent dire la même chose. Elle fonde cette interprétation sur un passage figurant à la page 6 de la description, qui mentionne : [traduction« [l]e sous-enrobage, défini ci-après comme la couche séparatrice, sert également de tampon PH […] ». Cette position aide la cause d’Apotex, car le brevet traite également de l’utilisation de capsules de gélatine comme moyen de séparer l’enrobage gastrorésistant des noyaux des pastilles.

[210]       AstraZeneca soutient qu’une capsule de gélatine peut remplir une fonction séparatrice, mais que, par définition, elle ne constitue pas un sous-enrobage au sens où ce terme est employé dans la revendication 1.

[211]       À cet égard, le libellé du brevet n’est certes pas exempt de difficultés. Je conviens avec M. Bodmeier qu’en langage ordinaire une capsule de gélatine est un type de contenant et non une sous-couche qui recouvre le noyau d’une pastille et que, si un sous-enrobage est inclus dans l’expression plus générale « couche séparatrice », l’inverse n’a pas été prévu.

[212]       À la page 7, il est dit que la capsule de gélatine [traduction« sert de couche séparatrice ». Cette dernière expression m’amène à penser que, en « servant » de couche séparatrice, la capsule de gélatine n’agit pas comme une couche séparatrice en soi. À la page 5b, on peut lire que les capsules de gélatine [traduction« sont utilisées comme noyaux aux fins d’une transformation ultérieure ». Cela dénote que les inventeurs ne considéraient pas que ces capsules étaient des sous-enrobages au sens où ce terme est employé dans la revendication 1. Dans un certain nombre de revendications suivantes, le sous-enrobage est décrit, mais pas par rapport à une capsule de gélatine. Je n’admets donc pas que la mention qui est faite d’un sous‑enrobage dans la revendication 1 inclut l’utilisation de capsules de gélatine. À mon avis, le brevet envisage l’utilisation de capsules de gélatine en tant qu’élément du noyau, où elles assurent une fonction de séparation, mais n’agissent pas comme un sous-enrobage inerte au sens de la revendication 1.

IV.             La validité

A.                 L’antériorité

[213]       Dans l’arrêt Free Word Trust c Electro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 RCS 1024, au paragraphe 26, la Cour a appliqué l’énoncé classique du juge d’appel Hugessen au sujet du critère applicable en matière d’antériorité découlant d’une publication antérieure, lequel a été formulé dans l’arrêt Beloit Canada Ltd. c Valmet OY :

Il est donc difficile de satisfaire au critère applicable en matière d’antériorité:

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

(Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (CAF), le juge Hugessen, à la p. 297)

[214]       L’énoncé qui précède est encore le critère juridique qui s’applique à cette question (voir Bell Helicopter c Eurocopter, 2013 CAF 219, aux paragraphes 109 et 110, [2013] ACF no 1043).

[215]       Un résumé utile des conditions à remplir pour prouver l’antériorité est fait dans la décision Abbott Laboratories c Canada, 2008 CF 1359, [2009] 4 RCF 401, conf. par 2009 CAF 94, [2009] ACF no 345; le juge Roger Hughes a déclaré :

[75]      Pour résumer les exigences juridiques en matière d’antériorité, dans le contexte des circonstances de l’espèce :

1.         Pour qu’il y ait antériorité, il doit y avoir à la fois divulgation et caractère réalisable de l’invention revendiquée.

2.         Il n’est pas obligatoire que la divulgation soit une [traduction] « description exacte » de l’invention revendiquée. La divulgation doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.

3.         Si la divulgation est suffisante, ce qui est divulgué doit permettre à une personne versée dans l’art de l’exécuter. Il est possible de procéder à une certaine quantité d’essais successifs du type de ceux auxquels on s’attendrait habituellement.

4.         La divulgation, lorsqu’elle est exécutée, peut l’être sans qu’une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe.

5.         Si l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité.

6.         La Cour est tenue de se prononcer sur la divulgation et la réalisation en se fondant sur la norme de preuve habituelle de la prépondérance des probabilités, et non sur une norme plus stricte, comme une norme quasi criminelle.

7.         Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée.

[216]       Pour ce qui est de cette question, le fardeau de la preuve incombe à Apotex, selon la prépondérance des probabilités.

[217]       Apotex affirme que la revendication 1 du brevet 693 est antériorisée par la demande de brevet européen de Hässle no 124,495 [EP 495], publié le 7 novembre 1984. Dans le brevet EP 495, le passage anticipatif est censément le suivant :

[traduction] Les capsules de gélatine molles peuvent être préparées à l’aide de capsules contenant un mélange du ou des composés actifs de l’invention, de l’huile végétale, du gras ou un autre véhicule convenant aux capsules de gélatine molles. Ces dernières sont de préférence entérosolubles, comme il a été décrit plus tôt. Les capsules de gélatine dures peuvent contenir des granules entérosolubles du composé actif. Ces capsules peuvent également contenir le composé actif en combinaison avec un support pulvérulent solide, tel que le lactose, la saccharose, le sorbitol, le mannitol, la fécule de pomme de terre, la fécule de maïs, l’amylopectine, les dérivés de la cellulose ou la gélatine; les capsules de gélatine dures sont de préférence entérosolubles, comme il a été décrit plus tôt. [Renvoi omis]

[218]       M. Kibbe a soutenu que l’exemple qui précède comporte toutes les caractéristiques structurales de la revendication 1. Voici ce qu’il a déclaré [à la page 4788] :

[traduction] 

Q.        Très bien. Et qu’il s’agisse de l’exemple 12 ou de l’analyse générale du 495, ou de n’importe quelle analyse concernant une capsule de gélatine à enrobage gastrorésistant dans le 495, aucune de ces analyses n’indiquerait au lecteur versé dans l’art si une telle formulation comporterait, en fait, les trois propriétés fonctionnelles dont nous parlons? C’est assez clair, n’est-ce pas?

R.        Vous m’excuserez, mais le 495 dit que le sel alcalin d’oméprazole est plus stable, et le sel alcalin d’oméprazole est l’un des éléments du noyau qui est décrit dans le 693 comme moyen d’améliorer la stabilité. Très bien. Cela est donc en jeu.

Et ensuite, la composition –

Q.        Examinons le 495, votre D 8.

Me RADOMSKI : Attendez, attendez, M. Kibbe n’avait pas fini sa phrase.

Me GAIKIS :

Q.        Allez-y.

R.        Très bien.

Et la composition qui est décrite dans le brevet à titre d’exemple, et elle contient le sel de magnésium d’oméprazole et un enrobage gastrorésistant, et elle n’inclut pas une couche séparatrice, mais le… si je pouvais vérifier mes propres petites notes personnelles… très bien, donc, par conséquent, le 495 comporte à la fois un composé qui est considéré comme une forme plus stable d’oméprazole selon le brevet 693, et il a un enrobage gastrorésistant.

Et selon le 493 (sic), les enrobages gastrorésistants peuvent être appliqués à des granules, des comprimés ou des capsules de gélatine, dures ou molles, ce qui veut dire que le 495 vous dit, vous pourriez prendre le sel alcalin d’oméprazole, le mettre dans une capsule et le recouvrir d’un enrobage gastrorésistant.

Et si c’est le cas, nous pourrions alors jeter un coup d’œil au 693, qui dit qu’il s’agirait là de l’une des utilisations ou de l’une des façons de fabriquer le produit dans ce brevet, et cela se trouve dans la description détaillée du brevet, où il est dit précisément, à la page 7, ligne 11 :

« Dans le cas des gélules, la capsule de gélatine même sert de couche séparatrice et elle a ensuite un noyau et un enrobage gastrorésistant. » [Tel que lu.]

Il semble donc que le 495 comporte chacun des trois éléments du 693.

Q.        Des éléments structuraux?

R.        Oui.

[219]       La réponse simple et complète à ce témoignage est que, comme il en a été question plus tôt, le mot [traduction« sous-enrobage » qui figure dans la revendication 1 n’inclut pas une capsule de gélatine et que, de ce fait, l’EP 495 n’antériorise pas cette caractéristique essentielle du brevet 693. Sur ce point, je préfère nettement le témoignage de M. Bodmeier à celui de M. Kibbe.

[220]       Il est vrai que l’EP 495 divulgue, entre autres méthodes, une formulation d’oméprazole à base de sel alcalin et gastrorésistante, ainsi que les moyens de la fabriquer. Cependant, elle ne fait pas état de l’utilisation d’un sous-enrobage en vue de surmonter le problème de la stabilité et de la résistance à l’acide gastrique dont traite le brevet 693. En fait, l’exemple 12 fait état d’un comprimé à enrobage gastrorésistant qui contient un sel d’oméprazole alcalin, et il ne fait mention d’aucun problème.

[221]       Il n’existe aucune preuve que l’application d’un enrobage gastrorésistant à un noyau d’oméprazole contenant un CRA mènera inévitablement à la formation d’une sous-couche d’enrobage in situ. Il peut fort bien y avoir des combinaisons efficaces de tels composés dans lesquelles ne se forme pas une sous-couche d’enrobage contrefaisante. En l’absence d’une preuve qu’en mettant en pratique l’enseignement de l’EP 495 il en résultera forcément une sous‑couche d’enrobage, je ne souscris pas à l’argument d’Apotex selon lequel le brevet 693 n’indique qu’une caractéristique inhérente de ce qui était déjà divulgué dans l’EP 495. Ce dernier n’antériorise pas le brevet 693.

B.                 L’évidence

[222]       Les principes qui s’appliquent à l’évidence sont bien connus. La partie qui invoque la défense – Apotex, en l’occurrence – a la charge de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

[223]       Dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c Cobalt Pharmaceuticals Co., 2013 CF 985, 440 FTR 1 (Ang.), le juge Hughes a décrit le concept en ces termes :

[60]      L’une des questions les plus difficiles sur laquelle doit statuer la Cour dans une instance relative à un brevet est celle de l’évidence. La Cour doit examiner la prétendue invention à travers les yeux de la personne versée dans l’art et se demander si elle mérite une protection par brevet; c’est‑à‑dire si elle originale ou évidente.

[61]      Le professeur Carl Moy, du William Mitchell College of Law, auteur de Moy’s Walker on Patents, Thomson/West, a bien exposé le raisonnement à suivre devant des étudiants à la maîtrise de l’Osgood Hall Law School. Il disait qu’un brevet est un marché passé entre le public et le breveté qui accorde un monopole à une personne (le breveté) à l’égard d’un certain objet scientifique, dans la mesure où il est acheté par le public parce qu’il divulgue une idée nouvelle, utile et originale. Si l’idée n’est pas nouvelle, le monopole a été acheté pour rien et ne peut pas être valide. S’il s’agit d’un objet que le public obtiendrait de toute façon de la personne versée dans l’art dans l’exercice de ses fonctions, rien n’a été payé pour le monopole et ce dernier ne peut pas être valide.

[62]      Les concepts de l’inventivité et de l’évidence étant difficiles à saisir, des Cours ont tenté d’établir des critères sur lesquels s’appuyer pour examiner et évaluer la preuve. Les critères actuellement employés au Canada ont été établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc. c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265 (« Plavix »), sous la plume du juge Rothstein, pour la Cour, aux paragraphes 67, 69 et 70 :

67     Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 ::

Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing ::

(1) (a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

(b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation; (

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité? [Je souligne.]

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

[…]

69     Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

(1) Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

(2) Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

(3) L’art antérieur fournit-[il] un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

70     Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

[224]       Il ressort clairement de la jurisprudence que la simple possibilité de trouver une invention ne suffit pas pour établir l’évidence. L’invention doit être évidente en soi en raison de l’état de la technique et des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Le fait qu’un inventeur a utilisé des méthodes connues pour obtenir le résultat souhaité n’est pas un facteur déterminant. Ce qui subsiste toujours est la question de savoir dans quelle mesure il était vraisemblable que la découverte serait l’aboutissement de l’application de ces méthodes, ce qui consiste à évaluer si la distance qui sépare les connaissances générales courantes de l’idée originale pourrait être comblée par des expériences ordinaires. Cela, à son tour, peut être éclairé par la voie que les inventeurs ont suivie pour arriver à la découverte – ce qu’on appelle l’histoire de l’invention : voir l’arrêt Sanofi Aventis c Apotex Inc., 2013 CAF 186, aux paragraphes 73, 74, 81 et 137.

[225]       Les parties conviennent que la personne versée dans l’art est une personne qui possède un diplôme universitaire en sciences naturelles ainsi qu’une expérience pratique de la mise au point de formes posologiques pharmaceutiques – il s’agit, en d’autres termes, d’un formulateur pharmaceutique qualifié.

[226]       C’est dans son mémoire après procès qu’Apotex expose de manière succincte et raisonnable sa position sur l’évidence, dans les paragraphes suivants :

[traduction] 

18.       Dans la présente affaire, les parties conviennent que l’idée originale des revendications est une formulation d’oméprazole contenant un noyau alcalin, un sous‑enrobage inerte et un enrobage gastrorésistant qui procure une bonne stabilité en stockage à long terme et une bonne résistance à l’acide gastrique.

19.       Il s’ensuit que la question centrale qu’il faut trancher dans le cadre de l’analyse relative à l’évidence est celle de savoir s’il était nécessaire de faire preuve d’inventivité pour obtenir une telle formulation.

20.       Apotex soutient qu’aucune ingéniosité inventive n’était requise : la solution que fournit le brevet 693 n’est guère plus qu’une solution simple à un problème de formulation aisément reconnaissable.

•           Pour réaliser l’invention revendiquée, il ne faudrait pas plus que des travaux courants.

21.       Une quantité importante de preuves a été consacrée à la question de l’évidence au procès. Néanmoins, cette question repose sur deux aspects simples :

•           Que savait-on au sujet de l’oméprazole et de ses formulations au 30 avril 1986 – la date de priorité du brevet 693?

•           Une personne versée dans l’art serait-elle arrivée à la solution qu’enseigne le brevet 693 sans recourir à une ingéniosité inventive? [Renvois omis]

[227]       Les arguments qui précèdent reposent principalement sur le témoignage de M. Kibbe.

[228]       M. Kibbe a reconnu la tension qui existe entre les propriétés opposées que sont une résistance à l’acide gastrique et une stabilité en stockage à long terme acceptables. Son témoignage sur ce point figure aux pages 4351 à 4353 de la transcription du procès, où il traite du problème que décrivent les inventeurs dans le brevet 693 :

[traduction] 

R.        Je vais faire deux choses simultanément.

Q.        Très bien, je vais vous laisser faire ce que vous devez faire.

R.        Parfait. Nous parlons des deux exemples comparatifs. Et, essentiellement, ce qu’ils ont fait, ce sont des comprimés sans couche intermédiaire, ils ont examiné ce qui se passait dans le cas de ces comprimés, et ils ont constaté que lorsque les niveaux de matière alcaline sont suffisants pour éviter un changement de couleur, ce qui serait le chiffre romain 3, dans ce cas l’enrobage, l’enrobage gastrorésistant commence à se dégrader et cela permet à une grande quantité de matière de s’échapper durant l’essai de deux heures en milieu acide. S’ils ajoutent une quantité suffisante de – ou une quantité insuffisante de matière alcaline, le noyau brunit, mais l’enrobage gastrorésistant est relativement stable.

Et la quantité de matière, je crois, se trouve dans, si je me souviens bien, dans un superbe tableau, et il commence à – nous y voilà.

Q.        Quelle page?

R.        Si vous allez à la page 22 du brevet lui-même, ces trois exemples y sont présentés. Parfait.

Et la clé ici, c’est que la seule différence entre ces trois exemples est que les numéros 1 et 2 comptent deux grammes de matière alcaline et 8 grammes de matière alcaline respectivement, et le numéro 3 en a 24.

Q.        Vous parlez de l’hydrogénophosphate de disodium?

R.        Oui, effectivement. Pardonnez-moi. L’hydrogénophosphate de disodium est une matière alcalinisante.

Donc, ce qu’ils montrent ici, c’est que 24 grammes sont suffisants pour éviter une décoloration, mais cela cause un effet néfaste à l’enrobage gastrorésistant; qui libère 42 % du médicament pendant le test de résistance de deux heures.

Cependant, dans le cas de quantités inférieures de matière alcaline, 2 grammes et 7 grammes, le noyau n’est pas stable, mais l’enrobage est stable. Et c’est donc le problème auquel ils sont confrontés, comment fait-on les deux choses? Et la réponse c’est, dans tous leurs exemples ainsi que dans leur brevet, c’est la sous‑couche intermédiaire ou la couche séparatrice.

Q.        Très bien. Et je crois que c’est ce que vous dites dans votre paragraphe 81?

R.        En fait, je cite même ce qu’ils ont dit à la page 4.

Q.        Exact.

Donc, dans le paragraphe, si nous pouvons sauter à ce paragraphe, 86, je suppose, vous parlez d’exemples, 2 à 10, je suppose?

R.        Exact.

Q.        Et les exemples comparatifs 1 à 5, les chiffres romains 1 à 5, et vous déduisez de cela ce que la personne versée dans l’art comprendrait, et je vais vous demander d’expliquer ce que vous dites à la fin du paragraphe 86.

R.        Très bien. Il ressort en fait très clairement des exemples que, chaque fois qu’ils voulaient faire un produit stable, ils appliquaient une couche intermédiaire faite d’une matière polymérique inerte afin de séparer par une matière alcaline le noyau de l’enrobage, qui est l’enrobage gastrorésistant. Et chaque fois qu’ils omettaient cela, ils faisaient alors les exemples comparatifs. Et cela veut dire qu’ils font des exemples pour pouvoir faire des comparaisons avec ce qu’ils suggèrent dans les exemples qui se trouvent dans le brevet.

Et dans chacun de ces cas, ils ont échoué d’une manière ou d’une autre; il y a eu soit une décoloration, soit une libération prématurée.

[229]       L’avis de M. Kibbe est que le problème d’incompatibilité auquel AstraZeneca a été confrontée était à prévoir et que sa solution était courante et non inventive. Dans son rapport initial, il a décrit comme suit le problème auquel se heurterait la personne versée dans l’art :

[traduction
217.     À mon avis, il n’y a pas de différence inventive entre l’état de la technique au 30 avril 1986 et l’idée originale de la revendication 1 du brevet 693, comme il a été décrit plus tôt. De plus, comme il n’y a rien d’inventif dans les éléments additionnels des revendications 5, 6, 11 à 13, 18 et 19 du brevet 693, il s’ensuit qu’il n’y a pas de différence inventive entre l’état de la technique et l’idée originale de ces revendications.

218.     Vu la sensibilité connue de l’oméprazole à l’acide, comme il est indiqué, par exemple, dans Pilbrant (pièce « D‑13 ») et la demande relative au brevet 495 (pièce « D‑8 »), la personne versée dans l’art aurait su que l’on ne pouvait pas administrer l’oméprazole directement, parce qu’il ne survivrait pas au milieu à pH faible de l’estomac. Pour une forme posologique solide, administrée par voie orale – une forme posologique qui serait fortement privilégiée – il était obligatoire d’utiliser un enrobage gastrorésistant.

219.     On savait, d’après la demande 495, que les sels alcalins sont plus stables en stockage. La personne versée dans l’art se serait rendu compte qu’il était possible d’obtenir le même effet stabilisant en présence d’humidité en mélangeant l’oméprazole et un composé à réaction alcaline, comme une base. La personne versée dans l’art aurait su que la stabilité de l’ingrédient pharmaceutique actif est l’un des paramètres les plus importants dans la mise au point d’une formulation pharmaceutique et elle aurait été encline à préparer des formes posologiques solides, administrées par voie orale, qui contiendraient un sel alcalin d’oméprazole ou de l’oméprazole et une matière alcaline.

220.     S’appuyant sur des textes courants, la personne versée dans l’art aurait su que les enrobages gastrorésistants sont destinés à se dissoudre dans un milieu alcalin, et que ces enrobages comportent des groupes fonctionnels acides exposés qui s’ionisent au-delà d’un certain pH. La personne versée dans l’art aurait anticipé une incompatibilité potentielle entre ces polymères et un ingrédient pharmaceutique actif acidosensible comme l’oméprazole en présence d’eau (il n’y aurait pas de problème si la forme posologique orale pouvait être conservée dans un milieu parfaitement sec, une condition qu’il est impossible d’obtenir d’un point de vue pratique). L’éventualité d’un tel problème aurait été confirmée par les bulletins techniques (pièces « D‑25 », « D‑26 », « D‑27 »), Dechesne (pièce « D‑21 ») et la demande de brevet 764 (pièce « D‑22 »).

221.     La personne versée dans l’art aurait donc fait des tests d’incompatibilités entre l’oméprazole ou un sel de celui-ci et des excipients candidats, y compris les matières d’enrobage gastrorésistant, dans le cadre de travaux de préformulation courants. L’incompatibilité entre l’oméprazole ou un sel de celui‑ci et les composés d’enrobage gastrorésistant aurait été relevée.

222.     Si, en date du 30 avril 1986, on connaissait un certain nombre de moyens différents de résoudre les incompatibilités entre un ingrédient pharmaceutique actif et les excipients, pour les raisons qui suivent la personne versée dans l’art ne se serait pas intéressée à des solutions autres que l’utilisation d’un enrobage ou d’une couche faisant barrière entre le noyau contenant l’ingrédient pharmaceutique actif alcalin et l’enrobage acidorésistant.

[230]        À mon avis, ni le problème auquel était confrontée AstraZeneca ni sa solution n’étaient aussi simples que M. Kibbe le laisse entendre. Sa manière d’aborder l’art antérieur était en outre des plus sélectives et, en fin de compte, ses opinions au sujet de l’évidence ont été bel et bien formulées rétrospectivement, en ayant à l’esprit la solution du brevet 693.

[231]       J’ai des doutes particuliers quant à la manière dont M. Kibbe a évalué l’art antérieur. Il n’a fait aucune recherche d’antériorités indépendante et s’est plutôt fondé sur une série de documents qu’Apotex avait produits [page 4505]. Un expert qui effectue une analyse de l’évidence en se fondant principalement ou uniquement sur des références d’antériorité qu’ont choisies les avocats qui retiennent ses services s’expose au risque réel de formuler une opinion formée après coup. Un examen minutieux de l’art antérieur comporte nécessairement une recherche de toute la documentation pertinente disponible, qu’elle étaye l’inventivité ou non. Cela oblige à prendre en compte des réalisations antérieures pertinentes dans le contexte plus large d’autres voies pouvant conduire à la solution qu’offre le brevet ou à des idées qui infirment cette solution.

[232]       L’examen sélectif que M. Kibbe a réalisé est confirmé dans l’échange suivant qui a eu lieu lors de son contre-interrogatoire :

[traduction] 

Q.        Permettez-moi donc de vous présenter la situation sous cet angle : vous avez examiné le brevet 693; vous avez évalué l’invention revendiquée –

R.        Exact.

Q.        – vous avez ensuite consulté les références qu’Apotex vous a fournies, et vous avez cherché les éléments de l’invention revendiquée?

R.        Eh bien, manifestement, j’ai rédigé un document de base, et j’ai ensuite exposé ce que voulaient dire les revendications et le reste, et j’ai dit ensuite : « est-ce que cela aurait été évident aux yeux d’une personne moyennement versée dans l’art? ». Et j’ai cru que oui, et nous avons ensuite vérifié s’il existait des preuves corroborantes dans la documentation spécialisée. [Non souligné dans l’original.]

[233]       M. Kibbe a également interprété de manière trop large l’art antérieur. En particulier, il a tout d’abord considéré que la référence Pilbrant enseigne à la personne versée dans l’art que l’acidolabilité de l’oméprazole serait semblable dans une formulation aqueuse et dans une formulation à l’état solide. En contre-interrogatoire, il a admis que Pilbrant ne fournissait aucune donnée sur la stabilité à l’état solide [page 4547] et que l’instabilité d’un ingrédient pharmaceutique actif en solution ne s’applique pas nécessairement aux formulations à l’état solide [page 4513]. Dans l’échange suivant, M. Kibbe a effectivement reconnu la valeur restreinte de Pilbrant pour la personne versée dans l’art qui serait à la recherche d’une formulation à l’état solide pour l’oméprazole :

[traduction] 

Q.        Mais, dans la mesure où Pilbrant a appliqué un enrobage gastrorésistant à l’oméprazole, il s’ensuit que cet enrobage ne serait pas considéré comme les substances acides ou parmi les substances acides mentionnées à la page 113, dans la colonne de droite, du libellé auquel vous faisiez référence; est-ce exact?

R.        Je crois que c’est un peu excessif. Il parlait de matières acides, les études qu’il a faites, les matières acides auxquelles il l’a exposé. Je ne pense pas qu’il parlait directement de la nature acide des enrobages gastrorésistants.

Q.        Non, non, mais ce n’est pas ce que j’ai dit.

Ne serait-il pas juste qu’une personne qui lirait ceci, constatant que Pilbrant avait appliqué un enrobage gastrorésistant à un noyau contenant de l’oméprazole, aucune référence à un CRA, et il a dit que la stabilité pour ses besoins était bonne, est-ce que cette personne ne conclurait pas qu’il ne devrait pas y avoir de problème si l’on appliquait un enrobage gastrorésistant à un noyau contenant de l’oméprazole? N’est-ce pas juste?

R.        Je crois qu’un formulateur ayant en main Pilbrant, il pourrait s’agir de sa première expérience, mais, ensuite s’il découvrait un problème, il reviendrait en arrière et essaierait de le corriger. Et la correction consisterait clairement à rendre le noyau plus alcalin. Et si cela, dans ce cas, créait un second problème, il reviendrait en arrière et le corrigerait, et la correction applicable serait de prévoir une couche intermédiaire.

Et donc, si l’on commence avec Pilbrant et si l’on fait abstraction de tout le reste de ce que l’on sait, alors on ferait toute une série d’expériences et on arriverait au même point, je crois, que celui où est arrivé le 693.

Q.        Dernière question sur Pilbrant, du moins pour le moment. Vous êtes d’accord pour dire que Pilbrant n’enseigne pas qu’il y a un problème si l’on applique un enrobage gastrorésistant à un noyau contenant de l’oméprazole?

R.        Il n’enseigne pas que l’enrobage gastrorésistant utilisé créait un problème. [Non souligné dans l’original.]

Ce passage particulier corrobore de façon générale le témoignage de M. Bodmeier, selon lequel, une fois que l’on relève le problème de stabilité, il est nécessaire de recourir à une série de choix et d’expériences en vue de trouver une solution.

[234]       Dans un autre témoignage, M. Kibbe a admis qu’il existe sur le marché de nombreuses formulations d’ingrédients pharmaceutiques actifs acidosensibles qui recourent avec succès à l’application directe d’enrobages gastrorésistants [page 4518]. Cela aussi donnerait à penser à la personne versée dans l’art qu’une formulation à enrobage gastrorésistant classique serait l’endroit où commencer pour tenter de formuler l’oméprazole.

[235]       L’incertitude à laquelle est confrontée la personne versée dans l’art se reflète là aussi dans le témoignage suivant de M. Kibbe [à la page 4527] :

[traduction] 

Q.        En fait, c’est le rôle des enrobages gastrorésistants de protéger les médicaments acidosensibles contre l’estomac; n’est-ce pas?

R.        Oui. Ou de protéger l’estomac contre les médicaments irritants.

Le point que j’avance est le suivant : même s’il était possible, dans le passé, de recouvrir une matière acidosensible par un enrobage gastrorésistant sans sous-couche, c’est alors le degré d’acidosensibilité qui pourrait amener à se demander si cette solution serait efficace et s’il faudrait faire quelque chose d’autre pour stabiliser ce composé, parce qu’il est extrêmement sensible à l’acide.

Q.        Vous dites donc que cela pourrait vous mener vers quelque chose d’autre?

R.        Peut-être. Tout ce que l’on fait est fonction de la manière de préparer une formulation commercialement viable qui serait stable et d’administrer le médicament de manière appropriée, et l’on fait des essais à mesure que l’on avance. [Non souligné dans l’original.]

[236]       Ce que le témoignage qui précède reconnaît, c’est que la personne versée dans l’art n’aurait pas pu prévoir le problème de formulation auquel AstraZeneca a finalement été confrontée et qu’elle a surmonté. En fait, la personne versée dans l’art aurait pensé que le fait de recouvrir un simple noyau d’oméprazole d’un enrobage gastrorésistant serait peut-être suffisant pour obtenir une formulation efficace. Ce qui reste à M. Kibbe c’est l’affirmation selon laquelle les problèmes ultérieurs - la faible résistance à l’acide gastrique et la faible stabilité en stockage - pourraient être surmontés par la personne versée dans l’art en recourant à des mesures courantes et uniques, soit l’ajout d’un CRA, l’introduction d’une couche intermédiaire et des essais de l’efficacité.

[237]       L’approche sélective que M. Kibbe a suivie est de plus corroborée par les aspects dont il a omis de traiter dans ses opinions au sujet de l’évidence, mais qu’il a finalement reconnus en contre-interrogatoire.

[238]       M. Kibbe a reconnu que la présence d’une décoloration dans une formulation d’oméprazole ne serait interprétée par la personne versée dans l’art que comme [traduction« quelque chose qui s’est passé, et il pourrait s’agir d’un excipient qui change de couleur » [page 4535]. Autrement dit, aucune présomption au sujet de la dégradation de l’oméprazole ne serait justifiée sans un autre essai de la formulation. La personne versée dans l’art [traduction« voudrait découvrir ce qui a décoloré et comment l’éviter » [page 4535]. Il a également déclaré [à la page 4530] :

[traduction] 

Q.        Et êtes-vous d’accord pour dire qu’un formulateur, en avril 1986, qui chercherait à formuler l’oméprazole aurait été au courant des nombreuses causes possibles d’une décoloration s’il en voyait une dans le cadre d’un tel exercice de formulation?

R.        Disons que les formulations peuvent décolorer à cause de changements dans l’ingrédient actif ou les excipients. On saurait donc qu’une couleur signifie un changement, mais on ne saurait pas exactement ce qui a changé.

Ce point est pertinent pour la question de l’évidence, car il est possible de considérer que le fait que les inventeurs reconnaissent l’existence d’un problème est pertinent pour l’inventivité, tout autant que sa solution : voir la décision Bayer AG c Novopharm Ltd, 2006 CF 379, au paragraphe 44, 289 FTR 263.

[239]       Dans le même ordre d’idées, comme M. Kibbe l’a reconnu, en présence d’un problème de résistance à l’acide gastrique, la personne versée dans l’art examinerait un [traduction« nombre restreint de choses » [page 4536], dont les choix d’enrobage gastrorésistant et de plastifiant [pages 4536 et 4537], les conditions de procédé qui prévalent [page 4537] et les transformations possibles du noyau [page 4539]. M. Kibbe a admis qu’il avait omis de mentionner toutes ces questions dans ses rapports [page 4539].

[240]       Même si l’ajout d’un CRA au noyau était une réponse possible au problème de stabilité en stockage auquel AstraZeneca était confrontée, je souscris au témoignage de M. Bodmeier selon lequel l’instinct habituel du formulateur est de réduire au minimum l’emploi d’excipients. À son avis, l’ajout d’excipients crée davantage de possibilités de réactions imprévues et inopportunes au sein de la formulation [voir la page 1527]. C’est, en fait, précisément ce qui s’est passé quand un CRA a été ajouté à la formulation d’oméprazole d’AstraZeneca. Cette combinaison a présenté un problème imprévu de résistance à l’acide gastrique quand le CRA, en combinaison avec le suc gastrique se diffusant dans l’enrobage gastrorésistant, a créé une alcalinité suffisante pour dégrader de l’intérieur l’enrobage gastrorésistant. Dans le témoignage suivant, M. Bodmeier a ensuite raisonnablement décrit les choix qu’aurait la personne versée dans l’art :

[traduction] 

R.        Oui. Donc, une fois de plus, disons que le scientifique observe ce problème de résistance à l’acide gastrique et doit ensuite penser à la manière de le résoudre, il n’a pas devant lui la solution du brevet 693, qui attend seulement qu’on l’utilise. Il y a une multitude de solutions auxquelles il peut réfléchir, et elles sont décrites dans le 240.

Donc, d’abord, la personne versée dans l’art chercherait vraisemblablement dans l’enrobage gastrorésistant lui-même les raisons qui expliquent la résistance insuffisante à l’acide gastrique, parce qu’il y a une résistance gastrique insuffisante, on peut se dire, très bien, il doit y avoir quelque chose qui cloche avec mon polymère entérique et il faut systématiquement examiner les paramètres de la formulation et de la transformation.

Donc, une résistance gastrique peut être causée par une épaisseur insuffisante de l’enrobage ou un enrobage inégal. On pourrait juste, par exemple, faire – essayer de résoudre le problème avec un enrobage plus épais.

On pourrait ensuite, par exemple, faire l’essai d’autres polymères entériques. Nous avons travaillé avec des polymères entériques différents et parfois, nous en prenions un, parfois aussi nous prenions les autres. Il y a donc un choix de polymères.

On pourrait choisir, par exemple, des plastifiants, des quantités différentes, des choix différents, ils ajoutent un petit peu de souplesse au polymère, ils peuvent changer les propriétés du polymère.

Ensuite, les paramètres du procédé, dont la température d’application, le taux de pulvérisation, le débit de l’air au séchage. Il arrive donc parfois que lorsqu’on a, par exemple, de mauvaises conditions de transformation, il peut arriver que l’on obtienne une pellicule très poreuse et qu’ensuite l’acide passe au travers et que le test de résistance gastrique échoue.

La structure du film est donc importante, nous avons constaté que bien des fois les conditions de transformation, même si l’on utilise le même polymère comme enrobage, peut mener à des films dont les propriétés sont complètement différentes.

Et, ensuite, le solvant restant est lui aussi important, le solvant résiduel présent dans l’enrobage peut affecter le rendement et c’est la raison pour laquelle il y a aussi certains niveaux minimums qui sont requis pour le solvant résiduel. Principalement et pas vraiment pour des raisons de toxicité, parce que les solvants que l’on emploie souvent, comme l’éthanol, ils ne sont pas si toxiques, mais parce que le solvant peut avoir une incidence négative sur le rendement de l’enrobage.

La porosité de l’enrobage, j’en ai déjà parlé. Cela dépend du mode de pulvérisation. Il est possible de faire un film poreux, qui comporte donc des trous; le milieu peut le traverser. Il est possible aussi de faire un film plus dense, cela aussi c’est une condition de transformation. Par exemple, si on pulvérise plus rapidement, le milieu devient plus humide, c’est humide en général, on obtient un film plus dense, comparativement au fait de pulvériser à sec, ce qui donne un film plus poreux. Et il y a aussi le choix du solvant.

Ce n’est donc pas comme si je disais simplement : « très bien, mettons le sous-enrobage ici, j’ai la solution ». Cela est fait a posteriori, je ne puis que le mentionner et me répéter, un formulateur, quand il voit un problème, il doit d’abord connaître la cause et on a déjà examiné la situation en détail, il ne sait peut-être pas que c’est à cause d’une interaction entre l’oméprazole et le polymère entérique, ou entre l’agent à réaction alcaline et le polymère entérique. Il dispose donc d’une multitude de possibilités avant de trouver une solution.

[241]       Je souscris également au témoignage de M. Bodmeier [pages 1523 à 1530] dans lequel il a décrit l’avalanche de problèmes et de solutions possibles auquel serait confrontée la personne versée dans l’art en tentant de surmonter le problème de l’incompatibilité entre la résistance à l’acide gastrique et la stabilité en stockage (c’est-à-dire que l’amélioration de l’alcanalité du noyau en vue d’améliorer la stabilité dégradait la viabilité de l’enrobage gastrorésistant et menait à une résistance à l’acide gastrique inacceptable). Dans un tel cas, aussi, la première option qu’aurait habituellement la personne versée dans l’art serait d’essayer d’éliminer le conflit par voie de substitution, et non pas par la voie d’ajouts. Cette preuve me semble être une évaluation de l’art antérieur nettement plus objective que les opinions simplifiées et catégoriques que M. Kibbe a exprimées.

[242]       En contre‑interrogatoire, M. Bodmeier a été soumis à de nombreuses références d’antériorité où l’on traitait de l’utilisation de sous‑enrobages et de composés alcalins en vue de régler divers problèmes de formulation pharmaceutiques. Tout en reconnaissant que le fait d’ajouter des sous‑enrobages et des CRA était une technique peu connue pour régler, entre autre problèmes, les questions d’incompatibilité et de stabilité, il a dit de ces références qu’elles étaient en grande partie inutiles pour la personne versée dans l’art qui était à la recherche d’une formulation efficace propre à l’oméprazole.

[243]       J’accepte le témoignage de M. Bodmeier selon lequel la personne versée dans l’art débute le processus de formulation de l’oméprazole en se reportant à Pilbrant et croit qu’un enrobage gastrorésistant classique peut suffire. Elle ne s’attend pas au départ à ce que la stabilité en stockage soit un problème parce que ce ne sont pas toutes les molécules acidosensibles qui se dégraderont en présence d’un enrobage gastrorésistant. Lorsqu’une décoloration devient évidente, la personne versée dans l’art doit d’abord en déterminer la cause. Une fois qu’elle a identifié la cause du problème de stabilité, elle n’optera pas immédiatement pour l’ajout d’un CRA. Je conviens avec M. Bodmeier que le formulateur versé dans l’art n’ajouterait pas tout de suite un autre excipient; il aurait davantage tendance à chercher un substitut compatible pour la matière antérosoluble fautive. Ajouter plus d’excipients peut engendrer une autre série de problèmes, comme cela a été le cas lorsqu’AstraZeneca a ajouté un CRA à ses noyaux d’oméprazole en vue d’améliorer la stabilité en stockage de sa formulation. Le CRA est alors devenu la source d’un problème de résistance à l’acide gastrique pour lequel il a fallu trouver sa propre solution. Ajouter un sous‑enrobage approprié était une solution possible au problème de résistance à l’acide gastrique, mais il ne s’agissait pas de la seule option dont disposait la personne versée dans l’art[2]. Les formulateurs versés dans l’art étaient au courant de l’idée générale de séparer les matières réactives dans les formulations pharmaceutiques, mais personne ne s’attendait à ce qu’une matière de sous‑enrobage particulière, en combinaison avec n’importe quelle quantité particulière d’un CRA, permettrait d’atteindre l’équilibre voulu entre la stabilité en stockage et une bonne résistance à l’acide gastrique. Je souscris également au témoignage de M. Bodmeier, à savoir que le choix d’un sous‑enrobage hydrosoluble était un choix non évident en tant que barrière protectrice, et ce, pour les raisons qu’il a données.

[244]       L’oméprazole s’est révélé être un ingrédient pharmaceutique actif particulièrement difficile à formuler. Ce n’était pas toutes ces particularités qui étaient connues dans l’art antérieur, et AstraZeneca ignorait au départ les difficultés auxquelles elle faisait face ou la manière de les surmonter. La personne versée dans l’art est certainement au fait des enrobages gastrorésistants, des CRA et des sous‑enrobages appliqués dans diverses formulations, mais elle ne serait pas amenée immédiatement et facilement à combiner ces éléments de manière à obtenir l’arrangement particulier qui est décrit dans le brevet 693 en tant que moyen de résoudre les problèmes de formulation que présentait l’oméprazole. Si la solution était aussi simple que le fait d’appliquer un enrobage antérosoluble classique, il n’y aurait rien d’inventif. Mais la solution obtenue dans ce cas-ci comportait plusieurs aspects. Elle obligeait AstraZeneca à équilibrer précisément l’incompatibilité entre l’alcalinité requise pour obtenir une stabilité en stockage acceptable et la préservation de l’enrobage gastrorésistant qui était nécessaire pour obtenir une bonne résistance à l’acide gastrique. À mon avis, le procédé à suivre pour arriver à la solution n’était ni courant ni évident.

[245]       Le témoignage de M. Bodmeier est également très conforme à l’historique de l’invention.

[246]       M. Kurt Lovgren a témoigné pour le compte d’AstraZeneca. Il est l’un des six inventeurs nommés dans le brevet 693. Les autres sont Mitsuru Yasumura, Satoshi Morigaki, Minoru Oda et Naohiro Ohishi, tous du Japon, de même qu’Ake Pilbrant, d’AstraZeneca, en Suède.

[247]       M. Lovgren détient un doctorat en sciences pharmaceutiques. Il est entré au service de Hässle en 1974 à titre de chimiste organicien au sein du Service de chimie. À cette époque, il s’occupait de la fabrication de nouveaux composés. Il a dit de Hässle qu’elle était à ce moment une [traduction] « société pharmaceutique mineure », dont les travaux étaient axés sur les recherches cardiovasculaires et gastrointestinales.

[248]       MM. Lovgren et Pilbrant étaient à la tête des équipes qui s’occupaient principalement de chercher une formulation d’oméprazole efficace chez AstraZeneca. Le rôle des inventeurs japonais se limitait aux travaux décrits dans l’exemple 1 du brevet 693.

[249]       M. Lovgren a indiqué que les inventeurs ont tous cédé leur droit sur le brevet 693 à Hässle au début de l’année 1987 [voir la pièce 85, onglet 2] et il a confirmé la contrepartie pécuniaire qu’il a reçue en retour.

[250]       Quand M. Lovgren s’est joint à Hässle, il songeait déjà à synthétiser des benzimidazoles, qu’il considérait comme des composés prometteurs pour le traitement des ulcères gastroduodénaux. L’un de ces premiers candidats a été le timoprazole. En fin de compte, ce dernier a été abandonné à cause de préoccupations concernant sa toxicicité. En 1976, le picoprazole a été identifié et étudié. Cela a été suivi en 1979 par la synthétisation de l’oméprazole. Ce dernier, a-t-on conclu, était plus puissant que le picoprazole, et il est donc devenu le composé de choix de Hässle. À cette époque, M. Lovgren travaillait au Service pharmaceutique de Hässle, à titre de chercheur scientifique et il se concentrait sur la mise au point de formes posologiques solides. À ce titre, il s’occupait directement des travaux de recherche et de développement concernant des formes posologiques solides pour le picoprazole et l’oméprazole. Ces travaux consistaient, notamment, à fabriquer des noyaux et des enrobages pouvant convenir à des recherches plus approfondies, dont des études cliniques et de biodisponibilité.

[251]       En 1982, M. Lovgren est devenu directeur adjoint du Service pharmaceutique de Hässle, où il a assumé des responsabilités à l’égard de la réalisation d’expériences pratiques et de la supervision d’autres personnes menant des recherches en matière de formulations.

[252]       M. Lovgren a déclaré qu’au cours de ses travaux sur les formulations d’oméprazole, il a mené ou supervisé des centaines d’expériences. L’objectif de ces travaux était de mettre au point une forme posologique pouvant être administrée commodément à des patients humains dans le cadre de toutes les étapes des essais cliniques de Hässle.

[253]       M. Lovgren a dit de l’oméprazole qu’il s’agit d’une molécule particulièrement difficile à formuler. Elle a une très faible solubilité et elle est très acide et sensible à l’humidité. Pour les essais cliniques de phase I, il avait été nécessaire d’administrer l’oméprazole dans une suspension. Pour les essais cliniques de phase II, l’objectif était de mettre au point une forme posologique solide. La formulation utilisée lors des essais de phase II comprenait la présence d’un CRA dans les noyaux et un enrobage gastrorésistant. Elle n’intégrait pas une sous‑couche d’enrobage. M. Lovgren a déclaré que la formulation utilisée dans le cadre des essais de phase II s’est révélée inégale sur le plan de la résistance à l’acide gastrique.

[254]       Les premières tentatives de Hässle pour surmonter le problème de la résistance à l’acide gastrique ont été axées sur l’enrobage gastrorésistant. Celui-ci a été épaissi et différents polymères, plastifiants et matières hydrophobes ont été mis à l’essai. M. Lovgren a décrit ces travaux en ces termes :

[traduction]

Nous avons également décidé de mélanger des polymères d’enrobage gastrorésistants différents pour voir si – ils – le mélange se comportait mieux. Nous avons utilisé – dans un enrobage gastrorésistant, il y a habituellement un plastifiant, et nous avons fait des tentatives différentes avec ce plastifiant, des concentrations et des types différents.

Nous avons utilisé une matière hydrophobe. L’idée était que cette matière est habituellement imperméable de sorte que nous pensions qu’en incluant une matière hydrophobe, elle pouvait résister à l’imprégnation d’eau ou de suc gastrique dans l’estomac et que cela donnerait ainsi de meilleurs résultats. Nous avons donc inclus une matière hydrophobe dans l’enrobage gastrorésistant.

Nous avons conçu une couche de matière hydrophobe par-dessus l’enrobage gastrorésistant, et nous avons procédé par laminage, en pensant qu’il fallait qu’il y ait plus qu’une couche. Comme je l’ai dit plus tôt, il pourrait y avoir une couche hydrophobe, mais il pourrait aussi y avoir deux couches différentes d’enrobage gastrorésistant.

Et nous avons fait aussi des expériences autour du noyau, de la surface du noyau, nous avons fait l’essai d’une surface plus lisse. Nous avons essayé de réfléchir au genre d’ingrédients que nous devrions utiliser dans le noyau.

[Page 2138]

[255]       Les premiers ajustements à l’enrobage gastrorésistant que M. Lovgren a décrits ont eu pour but principal de rendre l’enrobage moins perméable. Ces ajustements ont consisté à procéder à des substitutions ainsi qu’à des variations quantitatives du CRA. Ce n’est qu’après l’échec de ces tentatives qu’une sous‑couche d’enrobage hydrosoluble a été introduite. Cette approche a mené à la formulation utilisée dans les essais cliniques de phase III et décrite dans la revendication 1 du brevet 693.

[256]       Les documents de recherche de Hässle où étaient exposés en détail les travaux axés sur la mise au point d’une formulation d’oméprazole stable et résistante à l’acide gastrique, entre 1980 et 1986, ont été soumis à M. Lovgren. Ces documents se trouvent principalement dans la pièce 85 et ils corroborent le témoignage de M. Lovgren au sujet de la quantité d’efforts qui a été consacrée à la mise au point de la formulation brevetée. Un exemple représentatif, confirmant les travaux entrepris, figure à l’onglet 13 de la pièce 85, et il fait état d’essais effectués avec des quantités variables d’enrobage gastrorésistant et d’additifs. M. Lovgren a décrit ces travaux comme suit :

[traduction]

De quoi est-il question ici?

R.        Oui, il s’agit maintenant d’une tentative pour enrober aussi des granules, et la note indique qu’il faudrait ajouter le meilleur film du no 2 aux granules d’oméprazole avec un tampon variable. C’est donc dire que nous évaluons des quantités différentes de polymère d’enrobage gastrorésistant sur les mêmes granules que ceux du no 2, et que nous pulvérisons un enrobage choisi sur les granules que je devrais préparer pour des quantités différentes de matière alcaline.

[Page 2200]

[…]

Q.        Très bien, page 3, dans la partie supérieure, il est question de « Christina » et de quelques tests. Et je vois ici qu’il est fait référence à L 100; est-il question de l’eudragit que vous avez mentionné plus tôt?

R.        Il s’agit d’un polymère d’enrobage gastrorésistant, l’eudragit, avec un numéro de marque 100, oui.

Q.        Très bien, on dirait donc qu’elle le mélange avec une substance différente, comme 10 % d’éthylcellulose, etc., elle mélange l’enrobage gastrorésistant à d’autres ingrédients?

R.        Exact.

Q.        Et qu’est-ce que l’éthylcellulose?

R.        L’éthylcellulose est un polymère insoluble. L’idée, dans ce cas-ci, était de voir si nous pouvions obtenir un enrobage gastrorésistant plus hermétique en ajoutant 10 % d’une matière insoluble comme l’éthylcellulose.

De plus, comme nous utilisions des plastifiants différents, vous le verrez à la ligne suivante, du Citroflex, du DB phthalate, deux plastifiants différents, et nous avons même fait un mélange d’éthylcellulose et d’huile racémique comme matière hydrophobe dans le film pour voir quel en était l’impact sur les propriétés du film.

[Page 2201]

[257]       Un problème lié à l’amélioration de l’imperméabilité de l’enrobage gastrorésistant est signalé à l’onglet 14 de la pièce 85. En parlant de cette référence, M. Lovgren a signalé que l’un des inconvénients que présente un enrobage gastrorésistant plus hermétique est qu’il peut inhiber la dissolution au point de libération voulu.

[258]       M. Lovgren a résumé la situation telle qu’elle était à la fin de novembre 1980 :

[traduction]

Q.        D’accord. Donc, cette note que nous venons tout juste de voir, c’était à la fin de novembre 1980. Puis‑je vous demander quelle était, à la fin de 1980, la situation du point de vue des travaux de mise au point d’une forme posologique solide et orale d’oméprazole?

R.        Je pense, comme l’indique ce procès-verbal, dans ses résultats, nous avons vu, pour ces expériences, que nous étions loin d’être prêts à obtenir une forme posologique fonctionnelle et appropriée qui se comportait, qui avait des propriétés acceptables pour n’importe quelle sorte d’autres essais cliniques d’efficacité, ainsi que des préoccupations au sujet de l’effet et même de la stabilité. Nous avions donc encore beaucoup de travail à faire à partir de là, à partir de ce moment dans le temps, la fin de 1980.

[Page 2230]

[259]       Au début de 1981, Hässle a commencé à étudier des sous‑enrobages. L’onglet 22 de la pièce 85 est un protocole de travail dans lequel on compare une formulation comportant un sous‑enrobage et une formulation exempte de sous‑enrobage. M. Lovgren a déclaré qu’il s’agissait là de la première indication d’une expérience relative à un sous‑enrobage [page 2246].

[260]       Un résumé des travaux de Hässle, en date du 27 mai 1981, figure à l’onglet 30 de la pièce 85. Selon M. Lovgren, cela confirme que Hässle était encore en train d’examiner diverses méthodes de formulation, dont un enrobage gastrorésistant laminé.

[261]       Le procès-verbal d’une réunion tenue le 25 juin 1981 [onglet 32, pièce 85] note que le projet était, à ce moment-là, six mois en retard sur le programme à cause du manque antérieur de substances et de difficultés concernant les formes posologiques.

[262]       Le procès-verbal d’une réunion tenue le 14 septembre 1981 indique qu’une formulation de phase II avait été choisie, sous réserve d’études de biodisponibilité. M. Lovgren a également signalé que la stabilité en stockage à long terme était encore un problème, relativement à la découverte d’une formulation commercialement viable [page 2282].

[263]       Selon M. Lovgren, la formulation de phase II n’avait pas la stabilité requise pour que l’on puisse entreprendre des études de phase III, pas plus que pour un usage commercial [page 2295]. Quand on lui a demandé ce que l’on pensait à l’époque de la source du problème de résistance à l’acide gastrique, il a donné les réponses qui suivent :

[traduction]

Q.        Saviez-vous à l’époque ce qui causait une résistance inadéquate à l’acide gastrique dans les formulations de phase II, du moins d’après la norme de Hassle, à ce moment-là?

R.        Je crois que nous pensions, après toutes ces recherches, donc jusque-là, disons la fin de 1981, où nous nous trouvions en plein processus de mise au point, que nous avions une perméabilité au suc gastrique, ainsi qu’à l’eau acide, et nous nous disions que la pénétration pouvait traverser l’enrobage gastrorésistant et commencer à dissoudre la matière alcaline présente dans le noyau, et peut-être, ainsi, commencer à dissoudre l’enrobage gastrorésistant de l’intérieur, et peut‑être aussi avoir un impact sur la qualité totale. Si la substance commençait à agir de l’intérieur, cela pourrait même, lors du test, pénétrer davantage. Et nous avons donc parlé de ce problème, et quelques idées nous sont venues à l’esprit à ce sujet.

Q.        Avez-vous jamais pu confirmer cette idée, sous l’angle du mécanisme que vous avez décrit?

R.        Je dirais que oui.

[Page 2296]

[264]       Le procès-verbal d’une réunion tenue le 10 décembre 1981 décrit en ces termes l’état des recherches de Hässle en vue de trouver une formulation :

[traduction]

4.         La mise au point des granules se poursuit, conformément aux lignes directrices suivantes :

-           Quantité du tampon rajustée en vue d’une stabilité maximale et d’une dégradation minimale lors du passage dans l’estomac.

-           La formulation de granules sphériques sera étudiée sur le plan des excipients et des propriétés techniques. L’influence de la taille des granules sur les propriétés techniques, comme le procédé d’enrobage, sera étudiée.

-           La possibilité d’obtenir un film plus hermétique à la diffusion (c’est-à-dire, moins perméable) sera examinée plus en profondeur.

-           La possibilité d’utiliser un sous‑enrobage sera étudiée.

5.         Les paramètres du procédé, au sujet du broyage notamment, doivent être étudiés.

6.         Les questions de stabilité doivent être étudiées plus en détail. L’importance de la capacité tampon d’assurer la stabilité en phase solide doit être clarifée.

Quand M. Lovgren a été interrogé sur l’état des essais de Hässle à ce stade, pour ce qui était surtout de l’utilisation d’un sous‑enrobage, il a répondu ceci :

[traduction]

Q.        D’accord. Revenons en arrière, je crois, au point no 4 ainsi qu’à la mention de la possibilité d’utiliser un sous‑enrobage, relativement aux granules. Avez-vous donc, à ce moment-là, fait en fin de compte l’essai d’un sous‑enrobage?

R.        Oui, nous l’avons fait. Je crois que nous avons traité de tous les points qui sont mentionnés au paragraphe 4, et je pense que nous devrions considérer cela comme des efforts visant à obtenir une meilleure résistance à l’acide gastrique là où nous parlons de films plus hermétiques à la diffusion, et où nous parlons de l’utilisation d’un sous‑enrobage.

Q.        Quel type de sous‑enrobage avez-vous mis à l’essai après ce moment-là?

R.        Oui. Nous avons fait l’essai d’un sous‑enrobage hydrosoluble.

Q.        Avez-vous, avant de faire l’essai de la sous‑couche hydrosoluble, est-ce que vous vous attendiez à ce que cela fonctionne ou pas?

R.        Non. Je pense que nous n’étions pas très optimistes face à l’idée qu’une substance hydrosoluble ou un enrobage hydrosoluble allait faire quelque chose de radical sur le plan de la résistance à l’acide gastrique.

Q.        Pourquoi pensiez-vous cela?

R.        Nous, je pense que si nous avions un problème que nous pensions avoir et que nous savions que nous avions, c’est‑à‑dire est-ce que la diffusion d’eau acide à travers l’enrobage gastrorésistant, comment dans ce cas est-ce que de l’eau, une substance soluble, pouvait mener à des différences radicales alors que nous avions déjà tenté de fabriquer cet enrobage gastrorésistant, par exemple, en l’épaississant? Et ce n’était pas là la solution au problème. Nous n’étions donc pas optimistes face à l’idée qu’une substance hydrosoluble aurait un effet quelconque, par exemple, en donnant lieu à une meilleure résistance à l’acide.

Q.        Pourquoi ne pas avoir fait l’essai d’un sous‑enrobage hydrosoluble?

R.        Oui. Je conviens que cela aurait été beaucoup plus logique. Cependant, nous avions déjà fait des expériences en ce sens en employant une matière hydrophobe ou insoluble dans l’eau, relativement aux expériences concernant un enrobage gastrorésistant.

Q.        Et est-ce que – avez-vous des exemples quelconques de cela, pour ce qui est de ce que nous avons vu jusqu’ici?

R.        Oui. Nous avons déjà vu que nous discutions de l’utilisation d’une matière hydrophobe, soit la matière imperméable. Nous avons vu des exemples incluant de l’alcool stéarylique. Nous avons vu des exemples incluant de l’éhtylcellulose, un polymère non soluble dans l’eau, ce qui veut dire que nous en avions déjà fait l’expérience. Oui, nous avons vu des effets positifs; nous avons obtenu une résistance accrue à l’acide gastrique. Cependant, nous nous sommes heurtés à un nouveau problème, le taux de dissolution.

Q.        Et quel était le problème que présentait le taux de dissolution?

R.        Le problème était qu’en rendant l’enrobage gastrorésistant plus hermétique, moins perméable grâce à une matière hydrophobe ou insoluble dans l’eau, cela a eu pour effet que, lorsque nous avons ensuite exposé ces noyaux, les noyaux enrobés, à des solutions tampons dans lesquelles nous voulions obtenir un taux de dissolution rapide de l’oméprazole, les chiffres que nous obtenions étaient très faibles.

[Pages 2299 à 2301]

[265]       Il est fait état, en février et en mars 1982, d’essais comparatifs de formulations comprenant un sous‑enrobage et de formulations sans sous‑enrobage. Ces essais ont montré qu’un sous‑enrobage améliorait la résistance de la formulation à l’acide gastrique. Certains des résultats de ces essais sont présentés à titre d’exemple dans le brevet 693, et ils figurent aux onglets 44, 46 et 49 de la pièce 85.

[266]       Le procès-verbal d’une réunion datée du 17 septembre 1982 indique que la recherche d’une formulation de phase III a été restreinte à deux choix, dont un était le choix privilégié. Une petite étude pilote a été proposée avant qu’un choix soit fait. À la fin de 1982, les éléments structuraux essentiels de la formulation brevetée semblent avoir été identifiés, sous réserve de quelques essais additionnels, réalisés sur une période de quelques années [voir le témoignage de M. Lovgren, aux pages 2339 et 2340, ainsi que les onglets 55, 59 et 60 de la pièce 85].

[267]       M. Lovgren a conclu son témoignage principal en confirmant que l’exemple 2 du brevet 693 est la formulation que commercialise AstraZeneca.

[268]       En contre‑interrogatoire, M. Lovgren a été longuement interrogé sur l’importance de réduire au minimum la teneur en eau dans la formulation brevetée. Il a reconnu qu’il s’agissait là d’un paramètre important du processus, mais que, pour obtenir une formulation viable, il n’était pas nécessaire de prévoir pour l’eau une valeur maximale absolue.

[269]       Un rapport rédigé par M. Lovgren et daté du 14 janvier 1986 décrit les travaux faits pour mettre au point une formulation d’oméprazole pour toutes les phases des études cliniques de Hässle. Ce rapport traite des modifications apportées à la formulation de phase II et menant à la formulation utilisée dans les études de phase III :

[traduction] Lors du procédé d’enrobage gastrorésistant, la formulation de phase II est décolorée à cause du contact direct entre le noyau des pastilles à réaction alcaline et les groupes carboxyle libres de phthaltate d’hydroxylpropylméthylcellulose. La décoloration est évitée dans la formulation utilisée dans les études cliniques de phase III.

4.3       Pastilles d’oméprazole à enrobage gastrorésistant utilisées dans les études cliniques de phase III.

Afin d’obtenir de meilleures propriétés techniques, une formulation de noyau de pastille modifiée a été mise au point et utilisée dans les études de phase III. Une meilleure stabilité du produit a aussi été obtenue en utilisant du mannitol comme agent de remplissage. L’introduction d’une couche séparatrice d’hydroxypropylméthylcellulose entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant améliore la décoloration ainsi que la stabilité au cours du stockage. [Pièce 94]

[270]       M. Lovgren a reconnu qu’il n’avait pas trouvé de documents antérieurs faisant explicitement état de préoccupations au sujet d’une décoloration ou d’une résistance à l’acide gastrique, mais il a quand même fait référence à des données d’essai de phase II antérieures qui indiquaient que les données portant sur la résistance à l’acide gastrique étaient incohérentes et, dans certains cas, inférieures à la norme que Hässle exigeait [page 2709, page 2710, pages 2712 à 2714]. Il s’est également fondé sur le procès-verbal de réunions de recherche au cours desquelles on avait discuté du problème et de moyens de le surmonter.

[271]       M. Lovgren n’a pas été contesté de manière efficace en contre‑interrogatoire. Je souscris à son témoignage au sujet des efforts qui ont été consacrés à la mise au point de la formulation décrite dans la revendication 1 du brevet 693. Ce témoignage révèle que, même si l’incorporation d’un CRA était l’une des premières caractéristiques des travaux de Hässle sur l’oméprazole, l’idée d’utiliser un sous‑enrobage a été émise nettement plus tard dans le processus de mise au point, et pas avant que l’on étudie et rejette un certain nombre d’autres options. L’idée du sous‑enrobage apparaît pour la première fois dans les documents de recherche en février 1981, mais ce n’est que plus tard dans cette année‑là qu’elle est devenue un point de mire à étudier. Je reconnais comme exact le témoignage de M. Lovgren selon lequel les références intermédiaires à un sous‑enrobage avaient trait aux tentatives faites pour lisser la surface des noyaux et non comme moyen d’effectuer une séparation entre l’enrobage gastrorésistant et les noyaux des pastilles.

[272]       Je suis convaincu que les travaux qui ont été consacrés à la mise au point de la formulation brevetée ont été complexes et longs. Il ne s’agissait certes pas de travaux de laboratoire courants. L’équipe de recherche de Hässle a lutté pour surmonter les problèmes de formulation qu’elle rencontrait et a exploré un certain nombre d’options avant de découvrir une formulation d’oméprazole qui était viable pour les études cliniques de phase III et, en fin de compte, pour une exploitation commerciale.

[273]       Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la découverte revendiquée par le brevet 693 était inventive et donc non évidente.

V.                La portée excessive, l’inutilité et l’ambiguïté

[274]       Apotex fait valoir qu’il existe un certain nombre de façons de fabriquer une formulation d’oméprazole stable et résistante à l’acide gastrique et exempte d’un sous‑enrobage. Comme AstraZeneca admet que la personne versée dans l’art ne saurait pas sans faire d’autres essais si une formulation comportant les caractéristiques structurales de la revendication 1 fonctionnerait réellement, Apotex dit que la revendication 1 est d’une portée excessive et ambiguë. Cet argument est formulé comme suit :

[traduction]

8.         Apotex soutient que la prétention d’AstraZeneca, à savoir que les revendications englobent une formulation comportant la structure généralisée, à la condition qu’elle soit résistante à l’acide gastrique et stable en stockage, est un exemple classique de revendication de portée excessive.

•           En fait, AstraZeneca définit n’importe quel sous‑enrobage qui génère un produit stable en stockage et résistant à l’acide gastrique comme étant un sous‑enrobage visé par les revendications.

➢         Un sous‑enrobage composé de produits hautement réactifs est néanmoins réputé inerte, parce que la formulation résultante est stable en stockage et résistante à l’acide gastrique.

➢         Un sous‑enrobage composé de produits acides est néanmoins réputé non acide, parce que la formulation résultante est stable en stockage et résistante à l’acide gastrique.

➢         Un sous‑enrobage d’une épaisseur de 0 μm à certains endroits (c’est‑à‑dire qu’il comporte des vides) est réputé avoir une épaisseur minimale de 2 μm, pour la même raison.

•           L’approche, comme l’a expliqué M. Kibbe, est scientifiquement inintelligible :

La question de savoir si un produit a un sous‑enrobage ne peut pas être déterminée en examinant la stabilité de la formulation – il existe de nombreuses façons autres que les sous‑enrobages pour assurer la stabilité de ces types de formulation. À mon avis, la question de savoir si un produit a un sous‑enrobage est déterminée par la présence d’un sous‑enrobage décrit dans les revendications (p. ex., inerte, soluble ou se désintégrant rapidement dans l’eau). Je ne vois aucune raison de changer cette définition pour qu’elle englobe une série différente de caractéristiques – c’est‑à‑dire, la stabilité et la résistance à l’acide du produit final.

•           L’approche, comme l’a expliqué la juge Snider, est également juridiquement fautive.

➢         Dans Schering-Plough Canada c Pharmascience, la Cour a examiné une revendication concernant une « composition pharmaceutique anhydre ». La demanderesse, Schering-Plough, soutenait que n’importe quel composé qui était stable était correctement défini comme étant anhydre. En rejetant la viabilité de cette interprétation, la Cour a conclu :

« Il s’agit là, à mon avis, d’un exemple patent de revendication dont la portée est excessive. L’exigence de la stabilité se compare à celle de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie. […] La portée de la revendication 16 ne peut être extensible au point de couvrir tout ce qui est stable. »

•           Rien ne permet à la Cour d’adopter une approche différente en l’espèce. [Notes de bas de page omises]

C’est essentiellement le même argument que l’on invoque à l’appui du plaidoyer d’ambiguïté. Apotex se plaint que nul ne pourrait déterminer, avec un degré d’exactitude quelconque, les limites de la revendication 1.

[275]       Il n’y a aucun doute dans mon esprit qu’il existe des façons de fabriquer une formulation d’oméprazole utile qui ne comporterait pas une sous‑couche et, dans le litige qui s’est déroulé aux États‑Unis, cela s’est avéré être le cas de certains défendeurs. En fait, M. Sherman avait examiné des façons de contourner le brevet 693 et croyait avoir réussi.

[276]       Un problème fondamental que pose l’argument relatif à la portée excessive qu’invoque Apotex est que le brevet 693 ne revendique pas de formulations comportant des [traduction] « produits hautement réactifs » ou exempts de limites quant aux caractéristiques physiques du sous‑enrobage requis. La personne versée dans l’art possède des connaissances de base et une expérience considérables. L’obligation que le sous‑enrobage soit [traduction] « inerte » indique à la personne versée dans l’art d’exclure les constituants hautement réactifs. Cette personne sait également que l’eau et la chaleur sont indésirables et elle cherche à la réduire au minimum ou à les contrôler. Elle sait qu’un sous‑enrobage empli de fissures, de vides ou d’autres discontinuités a peu de chances de fonctionner, et elle l’évite donc.

[277]       Une revendication de brevet n’est pas d’une portée excessive parce qu’elle laisse à la personne versée dans l’art le soin d’éviter des choix inappropriés et connus : Burton Parsons c Hewlitt Packard Ltd, [1976] 1 RCS 555, aux pages 565 et 566, 1 NR 553. Elle n’est pas non plus invalide du simple fait qu’elle n’est pas un modèle de concision et de clarté. Elle doit être interprétée par la personne versée dans l’art fictive qui contribue à cet exercice des connaissances et une expérience pratiques : voir Letourneau c Clearbrook Iron Works Ltd, (2005), 44 CPR (4è) 345, au paragraphe 37, [2005] ACF no 1589.

[278]       À mon avis, le brevet 693 procure à la personne versée dans l’art des renseignements utiles et suffisants pour mettre au point une formulation d’oméprazole qui, pourrait-on s’y attendre, règle le problème d’incompatibilité que les inventeurs ont rencontré. Le fait qu’il faille quand même effectuer un certain nombre d’essais courants au sujet de la stabilité et de la résistance à l’acide gastrique pour savoir si une formulation présentant les caractéristiques structurales de la revendication 1 fonctionne effectivement comme prévu ne veut pas dire que la revendication est d’une portée excessive ou qu’elle manque de clarté.

[279]       De plus, le brevet 693 ne contient pas la promesse que toutes les formulations d’oméprazole comportant les caractéristiques structurales de la revendication 1 atteindront le double objectif d’une bonne stabilité en stockage et d’une bonne résistance à l’acide gastrique. Il enseigne plutôt à la personne versée dans l’art qu’en suivant ses instructions et en appliquant des connaissances générales courantes le résultat attendu – et non inévitable – sera une formulation utile. Grâce à des essais courants et à quelques ajustements, le cas échéant, la personne versée dans l’art est en mesure d’obtenir une formulation utile.

[280]       Même M. Kibbe semble avoir admis ce point, au moins dans le but de comparer l’enseignement de l’EP 495 à celui du brevet 693 :

[traduction]

R.        Pour qu’une formulation tombe sous le coup de la revendication 1, il faut qu’elle comporte les éléments visés par cette revendication.

Q.        Juste les éléments structuraux, pas les éléments fonctionnels?

R.        Eh bien, la revendication 1 ne décrit aucun élément fonctionnel. Tout cela provient du contexte et de l’intention de l’invention. Mais nous pouvons présumer qu’un produit fabriqué à l’aide des informations du 495 serait aussi efficace qu’un produit fabriqué à partir des trois éléments de la revendication 1, mais, il va sans dire, nous le mettrions à l’essai.

Q.        D’accord. Manifestement, la revendication 1 dit ce qu’elle dit, mais je tenais pour acquis, après avoir lu votre rapport, que vous vous étiez formé l’opinion que la partie divulgation du 693 dirait au lecteur versé dans l’art que tout l’objet de cet exercice consistait à créer un produit résistant à l’acide gastrique et stable en stockage qui se dissoudrait dans le petit intestin, que c’était l’invention dont il était question ici, et que ces éléments, dans un tel cas, font censément partie de la forme posologique qui est revendiquée à titre d’invention.

R.        Les éléments de la revendication 1 sont clairement présents dans la description du 495. L’intention de la revendication 1 est d’avoir un produit viable. Mais il n’y a aucune garantie que le simple fait d’avoir ces éléments essentiels assurera la viabilité de n’importe quel produit que l’on fabrique. C’est donc dire que le produit décrit dans le 495 serait censé fonctionner, mais qu’il faudrait le mettre à l’essai. Et les exemples donnés dans le 693 qui comportaient les trois éléments qui ont fini par être brevetés étaient censés fonctionner, mais ils ont été mis à l’essai. Et, dans certains cas, les produits dénués d’un élément ou d’un autre ne fonctionnaient pas non plus. [Non souligné dans l’original]

[281]       La difficulté auquel est confronté un breveté dans une affaire comme celle‑ci est de rédiger les revendications d’une manière qui assurera un degré de protection raisonnable. Si les revendications sont rédigées de façon trop restrictive, elles sont facilement évitées et si elles sont rédigées de façon trop large, elles sont vulnérables à une contestation de leur validité. Si AstraZeneca avait revendiqué une formulation structurale bien précise, un concurrent pourrait concevoir facilement un moyen de la contourner. En même temps, AstraZeneca devait fournir suffisamment d’informations pour que d’autres puissent réaliser l’invention à l’expiration du monopole du brevet. La formulation revendiquée dans le brevet 693 atteint un juste équilibre en ce sens qu’elle offre une protection pour une découverte utile sans sacrifier l’exigence relative au caractère réalisable. Le fait que la personne versée dans l’art doive appliquer des connaissances de base ou procéder à des essais courants pour réaliser l’invention n’est pas fatal pour les revendications, tel qu’elles sont rédigées, parce que le cadre essentiel de l’invention est fourni. J’ai exprimé le même point dans la décision Delp c Fresh Headies Internet Sales Ltd, 2011 CF 1228, aux paragraphes 13 à 19 :

[13]           L’argument des défenderesses, selon lequel le brevet promet que le procédé sera utile à toutes les températures se situant entre 0 et 15 C, est donc erroné. Le brevet promet qu’il fonctionnera sur différentes plantes et à différentes températures et que la personne versée dans l’art sera parfaitement capable de faire fonctionner l’invention de manière optimale après les essais successifs normalement effectués.

[14]      Le fait que l’invention puisse nécessiter des rajustements de la part de la personne versée dans l’art ne rend pas le brevet invalide pour cause d’inutilité. Je suis conforté dans mon opinion par l’arrêt Burton Parsons Chemicals Inc c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd, [1976] 1 RCS 555, 54 DLR (3d) 711, de la Cour suprême du Canada et par l’arrêt Henriksen c Tallon Limited (1965) RPC 434 HL (Eng) de la Chambre des lords.

[15]      Burton Parsons avait trait à un brevet pour l’invention d’une crème conductrice d’électricité utile pour faciliter la prise d’électrocardiogrammes. L’argument présenté relativement à l’inutilité dans Burton Parsons était similaire à celui avancé en l’espèce : les revendications vont au-delà de l’invention. Fondamentalement, la Cour a reconnu que lorsque la portée d’une revendication s’étend à un procédé non susceptible d’application, cette revendication ne peut pas être valide du seul fait qu’on réussit à prouver que la personne versée dans l’art ne chercherait jamais à utiliser ce procédé. Néanmoins, la Cour a conclu qu’un brevet n’est pas invalidé simplement parce qu’il laisse à la personne versée dans l’art le loisir d’utiliser des procédés ou des produits appropriés.

[16]      Je ne donne pas à l’arrêt Burton Parsons une interprétation aussi étroite que celle que propose l’avocat des défenderesses. L’arrêt ne se rattachait pas uniquement au texte de la revendication en cause qui indiquait que le produit était compatible avec une peau normale. Comme on peut le constater dans les passages suivants, la Cour ne s’en est pas seulement tenue au texte :

C’est cet aspect qui distingue la présente affaire des autres causes dans lesquelles l’invention avait pour objet les propriétés des xanthates dans le procédé pour faire flotter une mousse et les propriétés de certains dérivés de diamines comme antihistaminiques. L’inutilité des xanthates de cellulose dans Minerals Separation, de même que celle de certains isomères de tripelennamine dans Rhône-Poulenc était antérieurement inconnue des hommes de l’art dans ces domaines. C’est tout le contraire qu’il faut dire des propriétés indésirables de certains sels très ionisables que Hewlett-Packard a considérés comme inacceptables. Leur nocivité était bien connue et aucun homme de l’art n’aurait songé à s’en servir dans la fabrication d’une crème à utiliser avec les électrodes de contact avec la peau, pas plus qu’un tel homme de l’art avait besoin qu’on lui dise que, pour fabriquer une telle crème, il devait utiliser une telle quantité de liquide et de produit émulsionné afin d’obtenir une consistance convenable. 

Une telle application de ses connaissances par un homme de l’art est analogue à l’addition d’un agent pharmaceutiquement acceptable à une drogue lorsque la bonne administration le requiert. Dans Le commissaire des brevets c. Farbwerke Hoechst A.G., cette Cour a décidé que cette dernière étape dans la fabrication d’une drogue en doses individuelles ne peut être brevetée parce qu’elle ne comporte aucune invention. À mon avis, l’élimination des sels inappropriés en raison de leur nocivité notoire ne représente rien de plus que l’application des connaissances que possède normalement l’homme de l’art. Dans Sandoz Patents Ltd. c Gilcross Ltd., c’est sans hésitation que nous avons confirmé la validité des réclamations qui visaient des « sels thérapeutiquement tolérables » de thioridazine obtenus par la réaction « avec un acide thérapeutiquement acceptable ». Je ne puis croire que l’omission de la qualification « thérapeutiquement acceptable » aurait invalidé le brevet et je remarque que cette question n’a pas été tranchée dans l’affaire Rhône-Poulenc.

[17]      L’arrêt Henriksen de la Chambre des lords, précité, va dans le même sens. Dans cette affaire, la Cour a souligné le fait qu’un brevet doit à tout le moins décrire l’invention d’une manière qui permet à la personne versée dans l’art de la faire fonctionner. Quant au reste, le titulaire du brevet [traduction] « a le droit, dans une très large mesure, de laisser au destinataire le choix des matières appropriées d’une catégorie qu’il précisera s’il a clairement indiqué que le choix revient au destinataire » [voir p. 441]. La Cour réaffirme ce principe dans les passages suivants :

[traduction]

Je reviens donc à la question qui selon moi est cruciale. La revendication 1 concerne les tubes géants, ainsi que les tubes capillaires. On doit l’interpréter en tenant compte des connaissances de la personne versée dans l’art qui sait qu’un liquide peut former un bouchon satisfaisant dans un tube capillaire, mais qu’aucun liquide n’y parvient dans un tube géant. Une masse pâteuse est nécessaire. Si le breveté affirme ou déclare qu’un liquide (si le bon liquide est choisi) peut être utilisé même avec un tube géant, la revendication est alors invalide et ne peut être retenue parce que la personne versée dans l’art sait qu’une telle déclaration est fausse. Mais si le breveté indique simplement que le destinataire doit choisir le liquide ou la masse visqueuse ou pâteuse qui, selon le cas, convient au type de tube qu’il veut créer, les objections fondées sur l’inutilité et les faux renseignements ne seraient plus justifiées. Ayant appliqué les modes ordinaires d’interprétation, je n’ai aucun doute que le sens véritable se trouve dans cette dernière interprétation.

Selon un principe général d’interprétation, lorsqu’il faut choisir entre deux sens, on doit, dans la mesure du possible, écarter le sens qui mène à un résultat absurde. Il faut interpréter ladite revendication en tenant pour acquis que le destinataire versé dans l’art reconnaîtrait qu’il est absurde de dire que tous les bouchons liquides sont efficaces dans un tube géant. Ce facteur, en plus de ceux auxquels j’ai déjà fait référence, nous permet indéniablement de considérer le dernier sens comme étant le bon. Je n’ai donc aucun doute que la revendication 1 est valide.

[motifs du lord Reid, à la p. 443.]

[…]

La revendication doit être interprétée de façon juste et raisonnable en donnant aux mots un sens naturel, et non déformé. Aux fins d’interprétation, il se peut fort bien que la lecture des termes employés dans la revendication 1 provoque un moment d’hésitation. Dans la séquence de mots « le liquide ou la masse visqueuse ou pâteuse », le mot « ou » indique-t-il que chaque genre de bouchon peut être utilisé avec tous les genres de stylo ou indique-t-il la nécessité de recourir à un processus rationnel de sélection? Dans l’interprétation du mémoire descriptif, il est raisonnable de tenir compte du fait que la revendication est rédigée à l’intention des personnes versées dans l’art. Dans ce cas, comment le fabricant de stylos qualifié comprend-il la revendication 1? Je crois qu’il y verrait une solution préventive au problème de détérioration qui serait occasionné par un contact avec l’air. Lui, et lui seul, saurait quel genre de stylo à cartouche à pointe ronde il se projette de produire. Lui, et lui seul, connaîtrait la taille et le genre de réservoir qu’il a l’intention d’utiliser. Lui, et lui seul, saurait quelle sorte d’encre (qui peut être liquide ou pâteuse) il projette d’utiliser. S’il suit les instructions indiquées dans la revendication 1 et qu’il veut obtenir un bouchon permettant de séparer l’air de l’encre, il choisirait le type de bouchon visé (dans les limites d’un liquide ou d’une masse visqueuse ou pâteuse) qui conviendrait à ce genre de stylo. Il saurait que le bouchon (dans les limites d’un liquide ou d’une masse visqueuse ou pâteuse) qu’il doit choisir devra répondre aux critères suivants : a) le bouchon ne se mélange pas avec l’encre; b) le bouchon bouge avec la surface de la colonne d’encre; et c) le bouchon empêche l’air d’entrer en contact avec la surface de l’encre. Il ne penserait pas toutes les sortes de masse visqueuse ou pâteuse conviennent à tous les genres de stylo et d’encre. Il ne penserait pas qu’un bouchon liquide convient à tous les stylos et à tous les réservoirs de différentes tailles. Il ne croirait pas que c’est ce que l’inventeur affirme. Il comprendrait que, en suivant les instructions de la revendication 1, il serait invité à choisir le genre de bouchon (dans les limites d’un liquide ou d’une masse visqueuse ou pâteuse) qui conviendrait au stylo qu’il produit, en fonction du genre et de la taille du réservoir d’encre tubulaire choisi et de la sorte d’encre utilisée. Un fabricant de stylos versé dans l’art pourrait, au moyen d’essais successifs et sans faire preuve d’inventivité, facilement découvrir lui-même le genre de bouchon qui conviendrait à son genre de stylo (comparer avec No-Fume Ltd. c Pitchford (1935) 52 R.P.C. 231).

 [motifs du lord Morris, aux p. 446 et 447.]

[18]      En l’espèce, le brevet 815 revendique l’invention d’un nouveau procédé d’extraction de résine de différentes espèces végétales au moyen d’une cuve d’eau glacée. Je n’ai aucun doute que la personne versée dans l’art serait en mesure de faire fonctionner l’invention à l’aide du procédé décrit sans avoir à compléter l’exercice en ayant recours à son esprit inventif et, en réalité, le brevet mentionne expressément le besoin de compétences pratiques adaptées à la sorte de plante utilisée.

[19]      L’avocat des défenderesses soutient que le brevet 815 aurait pu être valide en retirant le renvoi à une amplitude de températures et en le remplaçant par un renvoi à [traduction] « de l’eau à une température adéquate ». Or, c’est ce qu’a fait le rédacteur en laissant à la personne versée dans l’art le soin d’établir une température de fonctionnement adéquate. Cette personne ne supposerait pas, en lisant le texte du brevet, que le procédé revendiqué fonctionnerait de façon optimale ‑ ou qu’il fonctionnerait tout simplement – quelle que soit la température de départ dans les limites précisées.

[282]       Si, comme je l’ai conclu, la promesse du brevet est une formulation correspondant aux éléments structuraux essentiels de la revendication 1 qui sont censés offrir une bonne résistance à l’acide gastrique et une bonne stabilité en stockage à long terme, l’utilité de l’invention a été démontrée. Dans l’échange suivant, M. Kibbe a effectivement reconnu ce point :

[traduction]

R.        Exact. S’il faisait quelque chose qui était identique à l’un des exemples, il serait alors très confiant que lorsqu’il mettrait cette chose à l’essai, celle-ci fonctionnerait entre leurs mains. Ensuite, s’il voulait utiliser des excipients différents, disons que s’il voulait utiliser du mannitol au lieu du lactose, cela fonctionnerait probablement. Cela correspond à l’exigence générale de l’ingrédient actif plus un CRA ou un enrobage gastrorésistant et un enrobage intermédiaire. Mais il le mettrait certainement à l’essai.

Q.        Exact, donc dans un sens, le brevet, il montre au lecteur la voie à suivre; que, voici les éléments, voici ce qui me préoccupe, il me faut un CRA, le lecteur connaît les solubilités, etc., et le lecteur peut donc assimiler cette information et l’appliquer en vue de réaliser d’autres formulations que le lecteur s’attendrait raisonnablement à voir fonctionner?

R.        Exact.

Q.        Mais il faudrait qu’il fasse des essais pour en être sur?

R.        Oui, nous faisons toujours des essais.

Q.        Très bien.

R.        Je veux dire, on ne peut pas juste croire sur parole ce qui est dit.

Q.        Et ensuite, on relève à peu près la même chose au paragraphe 89, ici, à peu près six lignes plus loin, vous parlez des exemples 2 à 8, et six lignes plus bas, vous dites :

« Je signale qu’il n’y a aucune indication dans la divulgation du brevet que les exemples 2 à 8 ont été mis à l’essai pour vérifier les trois caractéristiques. » [Passage lu à voix haute]

Et, ensuite, vous les énoncez entre parenthèses, et vous dites :

« Mais, compte tenu des similitudes entre les préparations, la personne versée dans l’art saurait que chaque préparation aurait les propriétés que promet le brevet. » [Passage lu à voix haute]

C’est donc la même idée, qu’il y a un enseignement, et que la personne versée dans l’art comprendrait que cela devrait fonctionner, mais qu’il faudrait toujours faire des essais.

R.        Exact. Et le point serait, prenons par exemple l’exemple 5, il comporte une résistance à l’acide à 93 %, mais il n’y a aucune apparence. Et bien, il faudrait que je vérifie, il faut revenir en arrière et regarder; n’est-ce pas? Et c’est la même chose avec ces données manquantes, il faudrait revenir en arrière et mettre à l’essai cette étude qui n’a pas été faite.

Q.        Exact, mais vous dites que d’après les informations figurant dans le brevet, le lecteur versé dans l’art saurait que même si les résultats des essais concernant les trois choses n’étaient pas inclus pour chaque exemple, comme vous le dites, vu les similitudes entre les préparations, la personne versée dans l’art saurait que chaque préparation aurait les propriétés promises.

R.        Elles s’y – la personne versée dans l’art –

Q.        Elles s’y attendraient?

R.        – elles s’y attendraient. [Non souligné dans l’original.]

[283]       Je suis donc convaincu que l’utilité promise du brevet 693 a été démontrée.

VI.             La contrefaçon

[284]       Il reste à déterminer si l’Apo‑oméprazole contrefait la revendication 1 du brevet 693 et ses revendications dépendantes et, en particulier, si ce produit incorpore un sous‑enrobage inerte, soluble ou se désintégrant rapidement dans l’eau, et recouvrant le noyau constitué d’une ou plusieurs couches de composés formant un film polymérique.

A.                 Les critiques formulées contre les méthodes d’essai de M. Davies

[285]       Les experts d’Apotex n’ont pas ménagé d’efforts pour contester les méthodes de M. Davies ainsi que son intégrité scientifique, en vue de mettre en doute ses conclusions. Presque toutes leurs critiques méthodologiques ont nettement raté la cible.

[286]       Apotex a spécifiquement retenu les services de M. Amos pour examiner les méthodes MCBL de M. Davies et commenter la fiabilité de ses opinions sur ces images. Il a aussi été demandé à M. Amos d’examiner des images MCBL prises à l’Université Temple. M. Amos n’a effectué aucune imagerie indépendante des pastilles d’oméprazole d’Apotex.

[287]       M. Amos est un scientifique rigoureux dont les normes méthodologiques sont très strictes. Il est particulièrement versé dans l’utilisation de la MCBL, ayant été étroitement lié à sa mise au point entre 1983 et 1986, et il est un expert reconnu en la matière. Néanmoins, il n’a presque aucune expérience de l’utilisation de la MCBL pour analyser les formes posologiques pharmaceutiques. Ce fait a considérablement affaibli son témoignage, dans la mesure où il tentait d’interpréter les images pertinentes.

[288]       Je reconnais que M. Amos est extrêmement brillant et parfaitement au fait des subtilités des aspects théoriques et pratiques de la MCBL, mais il a été un témoin moins fiable lorsqu’il formulait des hypothèses – notamment au sujet des opinions et des motivations de M. Davies. L’impression générale qu’il a laissée était que ses doutes à propos des méthodes de M. Davies ont indûment faussé son évaluation des données de M. Davies. À mon avis, ces données avaient nettement plus de valeur scientifique que M. Amos n’était disposé à leur accorder.

[289]       Un grand nombre des critiques que M. Amos a formulées à l’égard des opinions de M. Davies sont liées à des écarts par rapport aux méthodes qu’il privilégie lui‑même. Il a exprimé des doutes au sujet de la qualité des images de M. Davies et a émis l’opinion qu’il aurait été possible d’obtenir de meilleures preuves si celui-ci avait suivi de meilleures pratiques. Dans certains cas, M. Amos a formulé des hypothèses injustifiées au sujet du travail que M. Davies avait effectivement réalisé et il a présumé le pire.

[290]       Par exemple, M. Amos a sévèrement critiqué M. Davies pour avoir omis d’indiquer explicitement dans son rapport initial que certaines des images MCBL qu’il avait utilisées étaient des images à intensité maximale qui étaient susceptibles de faussement représenter les données sous‑jacentes. M. Bright a émis des doutes semblables.

[291]       Le problème que pose l’emploi d’images à intensité maximale est le risque de biais potentiel. Ces images sont en fait des composites parce qu’elles captent des données tridimensionnelles qui se trouvent sous la surface de l’échantillon et qu’elles les projettent toutes en une image bidimensionnelle. Aux yeux du non‑initié, cela peut amplifier ou intensifier la fluorescence résultante et donner à penser que cette dernière émane de la surface de l’échantillon. M. Amos a déclaré qu’en n’informant pas comme il faut le lecteur, M. Davies a tenté de faire passer ses projections comme des données brutes :

[traduction]

Q.        L’absence de toute information de profondeur, est‑ce que cela n’indiquerait pas à un microscopiste qualifié, comme vous‑même, qu’il s’agissait d’une sorte de projection?

R.        Non. Parce que d’autres images étaient des images en Z particulières et que la simple omission d’informations dans le titre d’un rapport n’était pas une indication suffisamment claire qu’il s’agissait de données manipulées, plutôt que de données brutes. Et la différence entre une projection à intensité maximale et des données brutes est si importante dans un rapport scientifique qu’elle devrait être explicitement mentionnée dans la légende qui accompagne le tableau. Il ne s’agit pas d’un détail qu’il faudrait laisser à quelqu’un le soin d’inférer à partir de l’absence de chiffres. J’essaie de m’en tenir aux faits, mais disons tout simplement qu’une personne qui examine le rapport de M. Davies pourrait être induite en erreur par cela, parce qu'il n’y a pas d’indication suffisamment claire que ce que l’on montre c’est des données manipulées, en recourant à une méthode de projection dangereuse et inappropriée, et qu’il ne s’agit pas de données brutes. C’est-à-dire… que l’opinion peu charitable serait qu’il fait passer cela pour des données brutes.

Q.        Vous n’avez pas été induit en erreur?

R.        Disons que j’ai été tout d’abord un peu perdu, mais que j’ai compris à la fin. Je n’ai certainement pas été capable de me rendre compte qu’il s’agissait d’une projection à intensité maximale avant de voir M. Davies faire la même manipulation et montrer que celle‑ci générait cette couche fluorescente remarquablement, apparemment, continue.

Me HACKETT : Ceci n’est pas une objection. Je pense simplement que M. Amos s’est mal exprimé quand il a dit avoir vu M. Davies le faire.

LE TÉMOIN : Désolé, M. Bright. [Pages 3090 et 3091]

[292]       Le témoignage qui précède était, en fait, une opinion excessivement péjorative de la méthode de travail de M. Davies et il n’était pas malvenu de la part de M. Davies de qualifier la critique d’[traduction] « injurieuse ». M. Davies a longuement témoigné dans le cadre de l’instance américaine mettant en cause Apotex et il a clairement reconnu avoir eu recours à une imagerie à intensité maximale. Apotex était bien au courant de ce fait et celui‑ci était également contenu dans le dossier de preuve que M. Davies avait inclus avec ses rapports dans la présente instance. En examinant soigneusement les données de M. Davies, M. Bright a pu déterminer que certaines des images étaient des projections à intensité maximale. Le problème relevé par M. Amos, tel qu’il était, était davantage dû à Apotex qu’à M. Davies. Apotex était au courant de cette information et ses experts pouvaient donc en disposer. Il était de ce fait injustifié que M. Amos et M. Bright laissent entendre que M. Davies tentait de faire passer des images à intensité maximale pour quelque chose d’autre.

[293]       M. Amos, M. Griffiths et M. Bright se sont tous donné du mal pour relever des problèmes dans les méthodes d’essai de M. Davies ou contester ses résultats, qu’il existait ou non des preuves à l’appui de leurs présumées préoccupations.

[294]       Aucune interprétation raisonnable du rapport de M. Davies ne lui attribuerait la croyance que les pastilles d’oméprazole d’Apotex et, en particulier, la sous‑couche, étaient tout à fait opaques. Néanmoins, c’est ce que M. Amos et M. Bright ont présumé et ils ont ensuite fait des efforts considérables pour prouver que M. Davies s’était trompé. L’attribution d’une erreur à M. Davies est encore plus surprenante de la part de M. Amos si l’on considère que ce dernier, en contre‑interrogatoire, a admis que le mot [traduction] « opaque » n’est pas un terme scientifique précis [page 3092] et qu’il peut être employé dans un sens relatif [pages 3093 et 3096]. Il a également admis qu’une substance qui émet une fluorescence en profondeur (comme M. Davies l’avait montré) ne peut pas être considérée comme tout à fait opaque [page 3101]. Indépendamment de cette preuve, M. Amos a également déclaré que [traduction] « opaque, c’est opaque » et qu’on ne parle habituellement pas de degrés d’opacité [page 3092]. Il s’agit là d’un exemple de la manière dont M. Amos et M. Bright se sont donné bien du mal pour critiquer de façon injustifiable M. Davies, et cela mine leur crédibilité.

[295]       D’autres exemples de critiques injustifiées de la part des témoins experts d’Apotex comprennent la prétention de M. Bright selon laquelle les pastilles lavées de M. Davies ont pu avoir été contaminées par du papier de séchage ou la résine dont il s’était servi pour fixer les échantillons en vue de la prise d’images. Ces affirmations visaient manifestement à discréditer M. Davies et à le faire passer pour un scientifique négligent. En définitive, aucune preuve fiable n’a été produite pour corroborer ces points et, en fait, les preuves qui sont ressorties ont indiqué le contraire. M. Bright n’a pas pu expliquer de manière satisfaisante pourquoi l’anneau fluorescent qui était présent dans les images des pastilles non lavées qui n’avaient pas été exposées à du papier de séchage avait le même aspect que les pastilles lavées censément contaminées. Aucun observateur sensé n’émettrait l’hypothèse que M. Davies avait enfoui chacun de ses échantillons de pastille dans de la résine avant de les imager, surtout après que M. Davies avait expliqué ce qu’il avait fait. Et pourtant, même dans son témoignage au procès, M. Bright a refusé de renoncer entièrement à ces doutes.

[296]       Les témoins d’Apotex ont également critiqué les efforts faits par M. Davies pour retirer l’enrobage gastrorésistant des pastilles d’Apotex en lavant ces dernières dans l’acétone. À mon avis, ces critiques étaient injustifiées.

[297]       Il n’y a aucune raison de mettre en doute les techniques de lavage à l’acétone que M. Davies a employées. Il s’est servi d’un solvant connu pour solubiliser l’enrobage gastrorésistant dans le cadre d’une simple expérience de lavage. Comme il s’y attendait, l’opération a facilement retiré l’enrobage gastrorésistant et il a pu examiner ce qu’il restait. Les images MCBL qu’il a obtenues montraient la présence d’une couche distincte, tant avant qu’après le lavage. Autrement dit, la sous‑couche était demeurée intacte. En comparaison, l’anneau fluorescent n’a pas été décelé quand les pastilles d’Apotex dénudées ont été analysées de la même façon. Les images de réflectance qui ont été prises des pastilles lavées montrent la même couche, avec une composition distincte de la matière intérieure de la pastille. On voit la même couche dans les images vidéo de désintégration dans l’eau que M. Davies a prises. Ce dernier et M. Bodmeier ont établi que la sous‑couche a des propriétés chimiques distinctes. Si la sous‑couche avait un profil de solubilité semblable à celui de l’enrobage gastrorésistant, on s’attendrait à ce que la quantité relativement importante d’acétone utilisée l’élimine complètement, surtout après un délai de quatre minutes. Ces résultats ne peuvent pas s’expliquer par des critiques et des possibilités hypothétiques.

[298]       Une critique implicite des résultats de M. Davies est que ce dernier a pu avoir fait preuve de sélectivité dans le choix ou l’utilisation des données d’essai. Je rejette toute idée selon laquelle M. Davies a manipulé ses données. En particulier, il n’existe absolument aucune preuve que M. Davies ou son équipe de recherche ont sélectionné leurs données afin qu’elles correspondent à une hypothèse ou qu’ils ont fait abstraction de résultats contradictoires ou ambigus ou les ont écartés. Les expériences que M. Davies a conçues et a menées ou supervisées étaient faciles à reproduire. Apotex était bien au courant de ces méthodes, étant partie à l’action intentée aux États‑Unis dans le cadre de laquelle M. Davies avait longuement témoigné. À l’exception de quelques variations, les essais qu’il avait réalisés dans la présente affaire étaient identiques à ceux qui avaient été exécutés aux États‑Unis. Les témoins experts d’Apotex étaient donc bien informés et parfaitement en mesure de reproduire les travaux de M. Davies ou de modifier ces derniers pour tenter de les améliorer. Dans une large mesure, ils ne sont pas parvenus à le faire et ont plutôt axé leurs critiques sur des questions d’ordre méthodologique. Il est facile de critiquer depuis les gradins; il est plus risqué de s’élancer sur le terrain et d’attaquer de front des données expérimentales. Dans la décision AbbVie Corporation et al c Janssen Inc., 2014 CF 55, au paragraphe 62, [2014] ACF no 59, 116 CPR (4th) 399, 237 ACWS (3d) 473, le juge Hughes a signalé les limites inhérentes à l’approche qu’Apotex a suivie :

[62]           Seule AbbVie a effectué des essais sur le produit STELARA de Janssen. Bien qu’il s’agisse de son produit et qu’elle a indubitablement les moyens de réaliser les essais nécessaires, Janssen n’a pas présenté en preuve les résultats de pareils essais : elle s’est contentée de critiquer ceux qu’AbbVie avait commandés. Par conséquent, je ne dois évaluer ceux-ci qu’au regard des critiques formulées, et non d’autres essais. Si Janssen croyait véritablement que son produit n’obéissait pas à certains paramètres, je me serais attendu à ce qu’elle présente en preuve des essais qui le démontrent.

[299]       Apotex conteste également le témoignage de M. Davies, en partie parce que ses essais ont été menés ex parte. La Cour dispose aujourd’hui d’un protocole d’essai qui traite de cette question, mais, à l’époque où M. Davies a réalisé ses travaux, il n’était pas strictement exigé que les essais d’experts soient accessibles aux parties adverses. Dans la décision AbbVie Corporation et al c Janssen Inc., au paragraphe 64, le juge Hughes a décrit les aspects juridiques qui s’appliquent à cette situation :

[64]           Contrairement à la pratique courante au Royaume-Uni, telle que décrite dans le « White Book », Civil Procedure, volume 2, 2013, Sweet & Maxwell, Londres, à la page 730, il n’existe pas encore de règles des cours fédérales du Canada se rapportant spécifiquement aux tests effectués pour les besoins des procès. Dans Omark Industries (1960) Ltd c Gouger Saw Chain Co, (1965) 1 Ex C R 457, à la page 516, le juge Noël évoque une règle [traduction] « salutaire » suivant laquelle la partie adverse devrait être avisée de ces expériences et autorisée à y assister. Il ajoute cependant qu’un essai effectué en l’absence d’une partie peut être admissible, quoique sujet à pondération, surtout lorsque la partie adverse pouvait aisément réaliser le même essai, comme dans cette affaire. Plus récemment, le juge O’Reilly de la Cour dans Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2013 CF 493, au paragraphe 40, a indiqué que lorsqu’une partie est avisée bien à l’avance de la tenue des essais et qu’elle sait parfaitement comment ils seront menés, il ne lui est pas donné de faire valoir que leurs résultats sont inadmissibles parce qu’ils ont été effectués en son absence.

[300]       Les travaux de M. Davies ont été consignés de manière appropriée, et les résultats ont été l’objet d’examens et de critiques. En fait, les experts d’Apotex n’ont pas semblé être désavantagés lorsqu’ils ont critiqué les travaux de M. Davies. Même si ce dernier n’avait pas consigné tous les essais qu’il avait exécutés, il a tout de même produit des données représentatives et susceptibles d’être examinées. Il a également déclaré qu’aucun des résultats obtenus n’était incompatible avec les données qu’il avait produites. Dans ce contexte, Apotex n’a aucune raison de se plaindre que les travaux ont été exécutés sans avis préalable.

[301]       J’ai eu une bonne occasion d’évaluer M. Davies. Il s’agit d’un homme prudent et minutieux, non enclin à l’excès ou à l’exagération. Il a acquis une solide réputation sur le plan universitaire et professionnel, et il la mettrait en péril s’il abordait la recherche d’une manière non professionnelle. Dans une situation comme celle‑ci, où les travaux de M. Davies pourraient être facilement reproduits, je rejette toute idée selon laquelle les résultats qu’il a obtenus n’étaient pas ceux qu’il a déclarés.

[302]       J’admets, comme Apotex, que l’on a montré que les souvenirs qu’avait M. Davies des méthodes d’essai utilisées en 2004 manquaient quelque peu d’uniformité, et il ne fait aucun doute que si toutes les méthodes utilisées avaient été consignées à la même époque, ces trous de mémoire auraient été comblés. Mais, en définitive, les points d’incertitude n’ont pas d’incidence importante sur les résultats qu’il a obtenus. Il n’y a aucune raison pour que la Cour refuse de prendre en considération les résultats d’essai de M. Davies ou qu’elle les traite avec suspicion. Il reste maintenant à déterminer de quelle façon interpréter ces résultats.

B.                 Quels sont les éléments constitutifs et la composition structurale du sous‑enrobage d’Apotex et dans quelle mesure sont-ils compromis par des trous, des vides ou d’autres anomalies?

[303]       Il ne fait aucun doute, au vu de la preuve, qu’une couche structurale distincte est présente à l’interface des noyaux de pastille d’Apotex et de l’enrobage gastrorésistant. Il n’est pas non plus sérieusement contesté que le complexe CAM‑PVP est présent dans cette sous‑couche. Ce complexe est indiscutablement le produit ultime d’une réaction chimique in situ qui a lieu quand Apotex applique l’enrobage gastrorésistant aux noyaux des pastilles. M. Griffiths est demeuré indûment réservé dans ses rapports au sujet de la présence du complexe [paragraphes 25, 126, 131, 140, 158, 162, 165 et 194, et paragraphe 7 de son rapport de réponse], mais il a quand même admis dans son témoignage que le complexe était présent dans la sous‑couche [pages 3533 et 3534; voir aussi le témoignage de M. Bright à la page 4079]. Même M. Sherman semble avoir anticipé une réaction entre l’enrobage gastrorésistant et les noyaux des pastilles, même s’il a contesté la possibilité d’un sous‑enrobage in situ [voir la page 183 du volume 23B].

[304]       On peut voir au paragraphe 165 de son rapport, un exemple du manque initial d’objectivité de M. Griffiths sur cette question. Au lieu de reconnaître que certains des spectres provenant de la surface des pastilles lavées étaient, en fait, identiques à ceux du complexe pur de M. Davies, tout ce que M. Griffiths a pu dire était que [traduction] « dans ces deux spectres certaines des bandes importantes peuvent être identiques [non souligné dans l’original] ». M. Griffiths n’a pas hésité par ailleurs à attribuer un sens non nuancé à des pics spectraux lorsque cela étayait un argument qu’il faisait valoir.

[305]       L’hésitation initiale de M. Griffiths à concéder ce qui était évident traduit un manque d’objectivité et mine sa crédibilité. Il vaut la peine de répéter que les témoins experts ne défendent les intérêts de personne. Le rôle d’un témoin expert est de reconnaître de manière juste les points d’accord et d’émettre des doutes uniquement lorsqu’il survient un désaccord scientifique honnête. M. Griffiths aurait dû admettre dès le départ les questions de nature factuelle qui n’étaient pas en litige.

[306]       Dans la présente affaire, ce qui demeure raisonnablement en litige est la question de savoir si le complexe est un composé formant un film polymérique (ou s’il est constitué de tels composés) et s’il constitue un sous‑enrobage en grande partie continu et inerte qui élève une barrière efficace entre les noyaux des pastilles et l’enrobage gastrorésistant. Selon les témoins d’Apotex, AstraZeneca n’est pas parvenue à établir que le complexe est suffisamment présent pour constituer une couche séparatrice efficace. Elle maintient également que, quelle que puisse être la composition précise de la sous‑couche, celle‑ci est pleine de trous et de vides. Compte tenu de la présence probable dans la sous-couche de produits de dégradation de l’oméprazole et de groupes fonctionnels acides n’ayant pas réagi, on ne peut pas considérer non plus que la sous‑couche est inerte.

[307]       Apotex fait valoir qu’AstraZeneca n’a pas prouvé que le [traduction] « présumé » sous‑enrobage qui se forme dans ses pastilles à la suite d’une réaction entre le CAM et le PVP est un composé formant un film polymérique. Apotex conteste l’importance de la preuve qu’ont produite M. Davies et M. Bodmeier sur ce point, mais elle n’a mis de l’avant aucune preuve de sa part.

[308]       Dans son premier rapport, M. Davies a qualifié le complexe CAM‑PVP de la manière suivante :

[traduction]

147.     Le complexe CAM‑PVP et le sel de CAM sont des composés formant un film polymérique. De plus, les caractéristiques filmogènes de la sous‑couche sont démontrées par le fait que le complexe se forme et adhère au noyau dans le produit d’Apotex de la manière indiquée par la MCBL. Le film polymérique est également visible sous forme de pellicule ou d’enrobage dans les images fixes et vidéo de la désintégration.

Cette preuve a été corroborée par M. Bodmeier, au paragraphe 136 de son premier rapport.

[309]       M. Davies a déclaré que le CAM et le PVP sont tous deux des agents filmogènes polymériques bien connus, et il a fourni des références à cet effet [pages 795 à 797]. Il a également déclaré avoir vu le complexe CAM‑PVP se détacher des pastilles d’Apotex lors de ses essais de désintégration dans l’eau, et ce, sous la forme d’un film [page 799]. Ce témoignage concorde parfaitement avec les images vidéo connexes qui ont été produites en preuve.

[310]       En l’absence d’une contestation directe de cette preuve, je suis convaincu qu’AstraZeneca s’est acquitté de son fardeau de preuve sur ce point.

[311]       La preuve concernant la continuité structurale de la sous‑couche d’enrobage d’Apotex a été troublante. M. Davies a vivement résisté à l’idée que la sous‑couche d’enrobage comportait des trous ou des vides. M. Amos et M. Bright ont été tout aussi dogmatiques dans leurs opinions selon lesquelles la sous‑couche d’Apotex présentait un grand nombre de discontinuités importantes sous la forme de vides et de trous et que, vraisemblablement, la sous‑couche, en étant présente, ne servait aucune fin utile.

[312]       À mon avis, la vérité se situe entre ces deux extrêmes, mais nettement plus près des opinions que M. Davies a exprimées que de celles de MM. Amos, Griffiths et Bright, dont le témoignage a été contesté avec succès sur de nombreux points lors du contre‑interrogatoire. Je suis convaincu que la sous‑couche d’Apotex contient effectivement de légers défauts qui n’ont pas d’importance fonctionnelle – peut-être, en partie, à cause de l’explication de M. Kibbe selon laquelle, en présence d’eau, le complexe pouvait en absorber et boucher les imperfections présentes à l’état solide.

[313]       À ce sujet, il y a eu un certain consensus entre M. Amos et M. Davies. Par exemple, M. Amos a convenu avec M. Davies que la présence de secteurs ou de vides non définis et de grande taille dans les images MCBL de M. Davies et de l’Université Temple était vraisemblablement due à une perte de netteté [voir les pages 3038, 3046 et 3048, ainsi que le paragraphe 68 du rapport de M. Amos] ou à une perte de signal en profondeur [page 3047]. M. Amos a convenu que ces secteurs des images ne convenaient pas pour évaluer la continuité de la sous‑couche [page 3050] ou son épaisseur [page 3051]. Il a attribué la perte de netteté au fait que la surface de l’échantillon n’était pas plane [page 2955].

[314]       M. Amos a également souscrit en partie à la manière dont M. Davies interprétait les cinq images MCBL que M. Bright avait utilisées pour tenter de montrer qu’il y avait des discontinuités dans la sous‑couche fluorescente. M. Amos a convenu que l’une de ces images (z=49) ne permettait pas d’évaluer la continuité ou l’épaisseur de la sous‑couche [pages 3051 et 3052]. Il a également déclaré que l’absence de fluorescence de la sous‑couche dans une image MCBL prise en profondeur (z=0) pouvait être causée par un signal faible ou absent ou pourrait être due à un vide de grande taille dans la sous‑couche [page 3053]. Néanmoins, en bout de ligne, il a adopté le point de vue que la plupart des vides qui étaient évidents dans l’anneau fluorescent de la sous‑couche étaient causés par des cassures ou des trous dans la sous‑couche, et non par une perte de signal.

[315]       M. Amos a bel et bien reconnu que l’absence générale de fluorescence dans les secteurs des images prises sous la surface des pastilles pouvait s’expliquer par un affaiblissement du signal dans l’échantillon partiellement opaque [pages 3071 et 3072]. Cependant, cela n’expliquerait pas les discontinuités apparentes qu’il pouvait voir, disait‑il, dans les secteurs où le signal était très fort [page 3056]. Selon M. Amos, il s’agissait de véritables trous [page 3056]. À ces yeux, cette explication était une [traduction] « théorie unificatrice » qui conciliait de la meilleure façon possible toutes les données MCBL disponibles.

[316]       Le témoignage de M. Amos au sujet de la présence de vides et de trous a été nettement moins équivoque que la manière dont il s’était exprimé dans ses rapports. Dans ces derniers, il a décrit les anomalies de la sous‑couche comme suit : des [traduction] « vides apparents », des [traduction] « trous possibles », elle [traduction] « semble avoir des trous ou des lacunes » et elle [traduction] « se compose peut‑être de flocons isolés ». Il a également décrit les images qu’il a choisies en usant de mots incertains semblables et y a mis des points d’interrogation. Il a justifié le fait d’avoir utilisé au départ des termes équivoques comme étant une approche scientifique prudente vis-à-vis de chaque élément de preuve. Il a dit de sa conclusion écrite ultime au sujet de l’existence de trous dans la sous‑couche qu’elle était ferme. Ce n’est pas tout à fait ce qui ressort de son rapport, où, après une longue critique des méthodes de M. Davies et de la qualité de ses images, il a formulé sa conclusion sans trop de conviction [voir les paragraphes 61 et 69 du rapport de M. Amos].

[317]       Par contraste, en contre‑interrogatoire, au sujet de sa description d’un [traduction] « trou possible » dans la figure 8, son opinion a atteint le stade d’une [traduction] « probabilité considérable »; il s’agissait [traduction] « réellement d’un trou » [page 3187] et ce, hors de tout doute raisonnable [page 3188].

[318]       M. Amos a déclaré avoir observé des trous dans les images MCBL qui décrivaient la surface des échantillons, mais il vaut la peine de mentionner que la seule image sur laquelle il s’était fondé dans son rapport pour illustrer un [traduction] « trou possible » [c’est‑à‑dire la figure 8] avait été prise en profondeur. Les autres images qu’il a produites au procès [pièce 110] avaient elles aussi été prises en profondeur, et M. Amos a admis qu’il ne pouvait pas être sûr que la perte de fluorescence à certains endroits représentait des trous véritables [pages 3204 et 3205]. Il est frappant qu’il ne soit pas parvenu à contester directement l’opinion de M. Davies, à savoir que la preuve la plus fiable de la continuité de la fluorescence provenait de la surface des échantillons. On se serait attendu à ce que M. Amos produise de multiples images MCBL de la surface, grossies 50x et montrant des trous, plutôt que les images moins fiables prises en profondeur, où l’affaiblissement du signal était une variable confondante[3].

[319]       À un certain moment, M. Amos a semblé revenir à sa première opinion nuancée sur la figure 8 ([traduction] « les choses pourraient être des trous et il aurait fallu moyenner les clichés »), uniquement pour conclure que la réponse de M. Davies à son approche prudente contenait [traduction] « un certain degré de dérision » [page 3199]. Cette réponse donne à penser que les opinions de M. Amos sur la continuité de la sous‑couche ont quelque peu durci face à ce qu’il a considéré comme des critiques injustifiées et non scientifiques de la part de M. Davies.

[320]       Ce qui est également difficile à comprendre au sujet des opinions de M. Amos sur la continuité de la sous‑couche est la mesure dans laquelle il a pu s’exprimer avec autant de confiance sur ce qu’il disait voir dans les images de M. Davies au vu de ses critiques sévères sur la qualité de ces images. Si les images de M. Davies étaient insuffisantes pour étayer ses opinions, elles l’étaient tout autant pour étayer l’opinion contraire de M. Amos. L’impression que m’a donnée le témoignage de M. Amos est que ce qui avait été écrit sous la supervision d’avocats était une représentation plus juste de ses points de vue que le témoignage parfois plus ferme qu’il a fait au procès.

[321]       Lorsqu’on a soumis à M. Amos les images MCBL grossies 50x de M. Davies qui provenaient de l’onglet 6 [pièce 11], il a convenu que la fluorescence de la sous‑couche à la surface de l’échantillon était nette et ne montrait aucun trou évident. Cette preuve a été nuancée par sa conviction que l’image (ainsi que de nombreuses autres) était saturée et peu fiable [pages 3227 à 3233]. Il a admis que les données MCBL provenant de la surface des pastilles pouvaient être importantes, mais il a semble-t-il estimé que M. Davies en avait détruit la valeur en saturant ses images.

[322]       Ces images montrent qu’à la surface de l’échantillon il y a une bande fluorescente essentiellement continue. À mesure que les images en Z s’éloignent de la surface, la continuité de la bande commence à se fractionner. M. Davies a attribué cela à l’effet d’affaiblissement. Dans une certaine mesure, même les témoins d’Apotex ont fini par reconnaître que l’affaiblissement du signal dans un échantillon essentiellement opaque et hétérogène pouvait nuire à la qualité du signal reçu. Par exemple, on a posé des questions à M. Bright sur le concept de l’affaiblissement du signal. Il a répondu lors de l’interrogatoire principal que, bien que le signal MCBL perde de son intensité à mesure qu’il s’enfonce dans un échantillon partiellement opaque, on s’attendrait à ce que la perte soit uniforme. En conséquence, si une caractéristique d’un échantillon est continue, il ne devrait pas y avoir de défaut dans l’image en profondeur. Le signal s’atténuerait simplement de manière uniforme [page 3888]. Ce comportement attendu n’était pas ce que M. Bright avait observé dans les images MCBL de M. Davies où, en profondeur, de nombreux défauts, trous et cassures apparaissaient dans toute la fluorescence de la sous‑couche [page 3894].

[323]       Cette preuve ne concordait pas tout à fait avec ce que M. Bright avait déclaré en contre‑interrogatoire. Dans un long échange [pages 4097 à 4104], M. Bright a convenu que les pastilles d’Apotex ne sont pas homogènes sur le plan de l’opacité et, même dans les diverses structures des pastilles, le signal MCBL n’était vraisemblablement pas absorbé de façon homogène [page 4099]. M. Bright ne pouvait tout simplement pas dire avec certitude si l’absorption de la sous‑couche serait homogène ou hétérogène [page 4101] ou si la perte du signal en profondeur serait uniforme partout [page 4104].

[324]       M. Bright s’en est également tenu à son opinion selon laquelle il était erroné de la part de M. Davies de faire une corrélation entre la présence d’un anneau fluorescent à l’interface du noyau et de l’enrobage gastrorésistant et les données infrarouges montrant la présence du complexe dans cette zone. Son témoignage [pages 4160 et 4161] a expliqué le problème, tel qu’il le voyait :

[traduction]

R.        Donc la fluorescence ne dit rien au sujet du CAM‑PVP en soi parce qu’elle ne le détecte pas. Cela me dit qu’il y a là de la fluorescence. Et c’est là la déconnexion, il n’y a pas de connexion entre la fluorescence et les infrarouges, en termes de lien entre ce qui est fluorescent et les caractéristiques infrarouge. Pour le faire, il est nécessaire de faire une supposition.

[325]       Ce qu’il y a d’intéressant dans la manière dont M. Bright a abordé ce problème est la mesure dans laquelle il a été sélectif dans le choix des données pertinentes. Il a reconnu que son intérêt principal était [traduction] « l’aspect fluorescence et l’aspect microscopie des choses » [page 4072]. Il a accordé peu d’attention aux images de réflectance qui, comme il l’a reconnu de manière quelque peu réservée, décrivaient une [traduction] « topologie moyenne » différente du noyau. Le fait que M. Bright se soit montré réticent à attribuer une importance à la topologie distincte décrite dans les images de réflectance de la sous‑couche, ainsi que leur conformité physique importante à la bande de la sous‑couche fluorescente, porte atteinte à son opinion générale. Ce qu’il a déclaré sur ces points [page 4165] a été peu convaincant, tout comme ses commentaires évasifs sur les images vidéo que M. Davies avait prises de la désintégration dans l’eau. Une évaluation objective aurait exigé que M. Bright prenne en considération la totalité des données que M. Davies avait obtenues et celles découlant des essais d’Apotex, et non qu’il fasse essentiellement abstraction de preuves qui ne correspondaient pas à ses opinions.

[326]       Je suis d’accord avec M. Davies : les meilleures preuves disponibles de la continuité de la fluorescence découlent des données obtenues à la surface de l’échantillon, ou très près de cette dernière, là où l’image est nette. Le fait que des anomalies de la continuité apparaissent fréquemment en profondeur et guère peu à la surface des pastilles coupées en deux indique que les anomalies sont liées à une perte de signal ou une perte de netteté et qu’elles ne représentent pas des vides ou des trous véritables.

[327]       Je rejette l’opinion unique de M. Amos selon laquelle un grand nombre des images MCBL de M. Davies étaient [traduction] « exagérément » saturées. M. Amos a soutenu qu’il était capable de détecter visuellement une saturation. Ses doutes au sujet de cette saturation ont semblé prendre de l’ampleur à mesure qu’il a témoigné. En contre-interrogatoire, il a émis l’opinion que la [traduction] « majorité » des images en Z de M. Davies était saturée et que, quand on les projetait, elles donnaient une fausse impression de continuité.

[328]       Aucun des autres témoins n’a prétendu être en mesure de détecter visuellement une saturation, pas plus que ceux-ci n’ont exprimé de préoccupations quelconques au sujet de cette question. M. Bright a évalué certaines des images de M. Davies et n’a trouvé aucune preuve de saturation [page 4219 et 4222 et 4223]. Il n’était manifestement pas à l’aise avec l’idée qu’il était possible d’observer visuellement une saturation et, a-t-il déclaré, [traduction] « je la mesurerais ».

[329]       M. Amos a évalué empiriquement l’une des images de M. Davies en vue d’en déterminer la saturation à l’aide d’un logiciel d’analyse d’images. Les données qu’il a obtenues sont présentées à la figure 12 de son rapport, sous la forme d’une courbe qui s’aplatit à une valeur de niveau gris se situant tout juste à 150 environ. Ces données sont équivoques et la tentative que M. Amos a faite pour en expliquer l’importance n’est pas convaincante [page 2993].

[330]       M. Davies a déclaré qu’il avait utilisé la bonne méthode pour éviter le problème de la saturation. Je n’admets pas que M. Davies n’était pas conscient du besoin d’éviter une saturation et qu’il a omis d’employer les mesures de protection disponibles et courantes. La preuve de M. Amos à cet égard n’était pas crédible, et elle amoindrit considérablement sa crédibilité générale.

[331]       Le témoignage de M. Bright au sujet de la présence de nombreux vides et trous dans l’anneau fluorescent illustré dans les images MCBL de M. Davies n’était pas convaincant non plus. Son premier rapport contient une erreur sérieuse, qui repose sur une fausse hypothèse. Dans ce rapport, il a déclaré qu’à mesure que l’on enregistre des images en Z individuelles à travers les pastilles d’Apotex, on s’attendrait à ce que l’anneau fluorescent soit essentiellement le même [paragraphe 69 du rapport de M. Bright]. Il a mis cela en contraste avec les images en Z de M. Davies, dans lesquelles il a relevé des discontinuités dans la sous‑couche fluorescente. En faisant cette observation, il a inclus des images prises en profondeur dans l’échantillon et aussi d’un endroit situé au‑dessus de la surface des pastilles. En contre‑interrogatoire, il a admis qu’il avait eu tort de se fonder sur ces images et, par ailleurs, qu’il ne s’était pas rendu compte que les pastilles avaient été imagées en oblique. Il a ensuite reconnu qu’à mesure que le MCBL s’enfonce dans un échantillon partiellement opaque, le signal s’affaiblit et fournit des informations moins fiables à cause de l’interférence du bruit de fond :

[traduction]

LE JUGE BARNES : Je crois que vous l’avez dit il y a une minute de cela, et corrigez-moi si je me trompe, plus on descend, moins l’image est fiable pour évaluer la continuité? Plus on descend, plus on perd un peu de signal, et cela rend-il ces images moins fiables en tant que preuve de la continuité?

LE TÉMOIN : Je m’excuse de vous avoir interrompu.

Je pense que lorsque le signal total tombe, dans le cadre d’une expérience, à une position Z donnée, on devient entièrement dominé par le bruit et, à cause de cela, il est impossible de faire une distinction. Il devient difficile de dire s’il y a là quelque chose. Je pense donc que c’est la réponse que vous cherchiez.

[332]       Cette preuve concorde de façon générale avec l’opinion de M. Davies selon laquelle c’est à la surface de la pastille, ou très près de cette dernière, que l’on obtient la meilleure preuve de continuité de la sous‑couche.

[333]       Le témoignage de M. Griffiths sur l’existence et l’étendue des trous dans la sous‑couche d’Apotex n’a pas été convaincant non plus. L’opinion qu’il a donnée dans son rapport surestimait manifestement l’importance du signal du mannitol obtenu de certains des spectres IRTF. Selon l’opinion initiale qu’il a donnée en interrogatoire principal, jusqu’à 50 % du signal enregistré émanait du mannitol présent dans les noyaux des pastilles, ce qui montrait donc des trous dans le complexe CAM‑PVP qui représentaient environ 50 % de la zone à l’étude [page 3400]. En contre‑interrrogatoire, il a reconnu que les spectres en question montraient une variabilité énorme [page 3558] et qu’ils n’étaient pas cohérents entre eux. Il a tenté d’expliquer la variabilité des intensités des bandes par un problème de contact possible entre l’élément « réflexion interne » de l’instrument et l’échantillon [page 3465, pages 3471 à 3473]. Il a maintenu qu’indépendamment de l’intensité imprévue dans les spectres relatifs au complexe, l’intensité des bandes de mannitol était une preuve de la présence de trous de grande taille dans le complexe [page 3467].

[334]       Quand on a interrogé M. Griffiths sur la plage d’erreur qu’il avait appliquée, il a répondu : [traduction] « il y a pas mal d’estimations sur ce plan » et il a réduit son estimation concernant la présence de vides dans le complexe à une plage variant entre 25 % et 50%. Il a ajouté que le chiffre de 25 % représenterait l’extrémité inférieure de la plage et que le chiffre de 50 % [traduction] « se situait probablement à l’extrémité supérieure » [page 3474].

[335]       Dans un contre‑interrogatoire additionnel, M. Griffiths a admis que pour quantifier avec exactitude l’étendue des trous présents dans le complexe, [traduction] « il faudrait probablement contrôler avec plus de soin un grand nombre de ces variables » [page 3556].

[336]       Dans un contre‑interrogatoire particulièrement efficace que Me Biernacki a mené, M. Griffiths a reconnu qu’il y avait une erreur importante dans l’une de ses hypothèses au sujet des absorbances relatives du mannitol et du complexe. Il avait présumé que ces absorbances étaient équivalentes. Lorsque cette erreur lui a été soumise, il a réduit une fois de plus son estimation concernant l’ampleur des trous présents dans le complexe à un chiffre d’environ 10 %. Voici ce qu’il a déclaré [pages 3563 et 3566] :

[traduction]

Q.        D’accord. Et si l’on se fie à ce que nous avons examiné dans le cas du spectre de référence du mannitol par opposition au spectre de référence du complexe, il semble que le spectre du mannitol produit une intensité cinq fois plus élevée à la bande de 1030 à 1090 que le complexe le fait à 1700?

R.        D’accord.

Q.        Exact?

Donc, pour faire une comparaison au sujet de la contribution ou de la concentration relative de ces ingrédients dans ce spectre, il faudrait multiplier le pic de mannitol par cinq; est-ce raisonnable? Soit cela, soit diviser le complexe par cinq?

R.        Souvenez-vous que je n’ai pas examiné – dans mon rapport, je n’ai pas indiqué de concentrations, j’ai indiqué des absorbances. Donc, quand j’examinais l’effet, par exemple, de l’épaisseur de la couche, six dans le tableau de mon rapport, j’examinais les absorbances, et non les concentrations.

Q.        Nous y viendrons à votre tableau et à votre analyse, mais, lorsque vous examiniez le spectre 2 des pastilles lavées, vous faisiez une analyse interne entre les hauteurs de pic relatives en tenant pour acquis que ces composés avaient une absorption égale à leurs nombres d’ondes particuliers. Et je pense que nous avons montré, très grossièrement cependant, que cela n’est pas exact. Et ce que j’aimerais faire c’est voir dans quelle mesure les absorbances relatives rajustées auraient une incidence sur cette analyse.

Ai-je donc raison de dire que si le mannitol génère un signal à la bande inférieure, est-ce que cela veut dire que de la 1030 à la 1090, est-il cinq fois plus élevé que la bande 1700?

R.        Le signal n’est pas cinq fois plus élevé.

Q.        L’intensité.

R.        Très bien, mais l’intensité n’est pas non plus cinq fois plus élevée.

Q.        Oh, non, ce n’est pas dans ce spectre, mais si vous vouliez jeter un coup d’œil à ces hauteurs de pic relatives et évaluer la contribution relative, il faudrait que vous divisiez le complexe par cinq, du moins l’intensité, pour comparer –

R.        Diviser ou multiplier?

Q.        Eh bien, il va falloir soit multiplier le mannitol par cinq soit diviser le complexe par cinq.

R.        Si vous multipliez le mannitol par cinq, vous obtiendrez des bandes de mannitol énormes. Je crois que je vois ce que vous voulez dire, je crois que vous vous trompez, que vous n’allez pas dans la bonne direction, mais, néanmoins, je pense –

Q.        Mon confrère me le signale, vous avez raison, je crois que tout le monde a raison à part moi sur ce point, nous devrions diviser les pics de mannitol par cinq?

R.        Oui.

Q.        Donc, lorsque vous avez fait une comparaison entre les pics de mannitol et les pics du complexe, vous n’auriez pas eu un ratio de 50 à 50, mais un ratio plus proche de 20 %, sinon moins?

R.        D’accord. C’est si vous, c’est – cela n’annule pas le tableau que j’ai fait, qui était fondé sur des absorbances et non sur des concentrations.

Cela peut avoir une incidence sur la taille des vides et peut même la faire tomber à 10 %, mais 10 % c’est quand même beaucoup plus que zéro. Ce n’est toujours pas – ce spectre ici montre l’existence de vides dans la couche. Sinon, vous ne verriez pas ces bandes de mannitol comme vous ne le voyez pas dans… certainement le seul spectre ou on ne voit que le complexe. Et le complexe est là, à la même hauteur environ. Donc, cela n’a pas d’incidence sur l’existence potentielle, excusez-moi, voici le mot que je voulais dire, l’existence probable de vides qui, lorsque vous invoquez votre argument, à tort ou à raison, et je pense qu’il y en a quelques-uns, qu’il y a des changements qui doivent être faits en se basant sur la valeur lambda et je crois qu’il y a des changements qui doivent être faits en se basant sur le fait que vous utilisez le nombre – vous n’utilisez pas un nombre représentatif pour les bandes de mannitol dans le noyau non enrobé, mais néanmoins, ce que je veux dire, cela se voit toujours, cela n’annule pas l’existence de vides dans l’échantillon.

Q.        Attendez une seconde. Je n’utilise pas le signal le plus extrême du mannitol à partir du noyau. Nous avons évité cela en prenant le spectre de référence du mannitol et en le comparant à celui du complexe du CAM; exact?

R.        D’accord, oui.

Q.        Donc, quels que puissent être les autres problèmes, celui-là n’en fait pas partie. Donc, s’il y a –

R.        Il y a encore un problème de contact.

Q.        Ce n’est pas un problème qui concerne les spectres de référence du mannitol et du complexe – 

R.        Pas un contact du fond de l’échantillon avec l’élément « réflexion interne », mais la sonde – je vais retirer cela.

Q.        Si vous divisez les pics de mannitol par cinq, en prenant l’analyse que vous avez faite plus tôt, est-ce qu’il vous resterait à estimer les proportions relatives du signal entre le mannitol et le complexe qui serait d’environ – en fait, permettez‑moi de reformuler cette phrase.

Si vous refaisiez cette analyse, celle-ci vous amènerait-elle à conclure que le signal du mannitol était d’environ 20 % ou moins?

R.        Si vous faisiez cette hypothèse, oui.

Q.        Oui. Et c’est donc ce genre de spectre que l’on pourrait voir si 20 % du signal provenait du mannitol?

R.        Oui.

La nette impression que laisse ce témoignage et que la méthode indirecte que M. Griffiths a utilisée pour évaluer la continuité du complexe en interprétant les spectres IRTF de M. Davies était soumise à un si grand nombre de variables incontrôlées et à une si grande subjectivité qu’elle était peu fiable. La technique, comme M. Griffiths l’a utilisée, n’est, dans le meilleur des cas, qu’un moyen approximatif d’évaluer la concentration relative de deux substances ou plus, et elle n’était pas utile comme moyen de mesurer la continuité de la sous‑couche dans le cas présent. Il n’y a aucune autre explication plausible pour le changement radical qui est survenu dans le témoignage de M. Griffiths, qui a commencé par des ruptures de continuité pouvant atteindre 50 % et s’est terminé par des vides d’environ 10 %. Je conviens avec M. Davies que ses données IRTF ne sont pas utiles pour évaluer la continuité du complexe et qu’elles ne peuvent pas être utilisées comme une approximation fiable à cette fin.

[337]       Apotex a adopté une approche inusitée à l’égard de sa propre analyse de la MCBL et de l’IRTF. Au lieu de demander à ses témoins experts de faire ce travail ou de le superviser, il a été confié de manière indépendante à M. Reza Fassihi, de l’Université Temple, et à M. Craig Hawker, de l’Université de la Californie. Tous deux ont bénéficié d’une latitude considérable pour l’exécution de leur travail et, dans certains cas, ils ont adopté des méthodes ne concordant pas avec celles que les experts d’Apotex aurait privilégiées. Il a ensuite été demandé aux experts d’Apotex d’analyser les données de Fassihi et Hawker.

[338]       En fin de compte, les essais d’Apotex n’ont pas miné les résultats de M. Davies. Les images MCBL de l’université Temple illustrent la présence d’un anneau fluorescent à l’interface des noyaux des pastilles et de l’enrobage gastrorésistant. Cela est particulièrement évident aux onglets 41 à 48 de la pièce 158. Là où les images sont nettes, la couronne fluorescente est bien distincte. M. Bright l’a reconnu en contre‑interrogatoire [page 4128 et pages 4156 à 4159]. Il a également exprimé des réserves au sujet de la valeur comparative des images de l’Université Temple dans l’échange qui suit :

[traduction]

Q.        Êtes-vous d’accord pour dire que les images 50x de M. Davies avaient une meilleure résolution en pixels latérale que n’importe laquelle des nouvelles images MCBL?

R.        Selon mon souvenir des images MCBL de l’Université Temple, la meilleure résolution était 20x, deux fois numériques sur 10. Je serais donc d’accord avec ce que vous avez dit.

Q.        Les images MCBL de l’Université Temple étaient toutes des images planes optiques uniques?

R.        Oui.

Q.        On ne vous a pas fourni des images en Z des pastilles de Temple – de l’Université Temple?

R.        Non.

Q.        Et donc les images à plan unique que vous avez obtenues de Temple ne vous indiquent pas d’où provient ce plan à l’intérieur de la pastille?

R.        C’est exact. À l’évidence, lorsque l’analyste a pris les images elles étaient au point, etc. Ce que je veux dire c’est que, manifestement, l’image n’est pas venue de nulle part et je soupçonne donc qu’il y a dû y avoir une certaine optimisation en vue d’obtenir une position. Mais je ne connais pas la réponse à votre question.

Q.        Des parties de l’image ont peut‑être été prises sous la surface de la pastille?

R.        C’est possible.

Q.        De la même façon, des parties de l’image – permettez-moi d’être plus précis. Dans des parties de l’image, est‑il possible que le plan optique ait été au-dessus de la surface de la pastille?

R.        Dans certaines régions?

Q.        Oui.

R.        Peut-être; oui.

Q.        Et sans une série en Z, il est impossible de faire cette évaluation?

R.        Qu’est-ce que vous me dites exactement?

Q.        Si une partie du plan optique se trouve au-dessus ou en dessous de la surface, et dans quelle mesure?

R.        Je crois que c’est vrai.

[Pages 4154 et 4155]

Voir aussi le témoignage de M. Bright, aux pages 3950 et 3998.

[339]       En contre‑interrogatoire, M. Amos a convenu que les trous de grande taille présents dans la zone de fluorescence qu’illustraient les images MCBL de l’Université Temple étaient dus au fait que l’échantillon était hors foyer [page 3046]. À l’instar de M. Bright, il a convenu que la valeur des images de l’Université Temple était amoindrie par le fait de ne pas avoir obtenu une série en Z complète, ainsi que par d’autres lacunes d’imagerie [pages 3048 et 3181]. M. Amos a également reconnu que les images 50x de M. Davies offraient une résolution meilleure que celle des images que M. Fassihi avait obtenues [page 3082].

[340]       M. Bright a été suffisamment troublé par le signal anormal relevé dans l’échantillon témoin de M. Hawker pour exprimer des réserves sur la validité de certaines des données [page 3978]. Dans une affaire aussi importante que celle-ci, il est surprenant qu’on laisse en suspens un problème de ce genre. Je ne souscris pas à la tentative qu’a faite M. Hawker pour qualifier ce problème d’insignifiant. La prise en compte d’un échantillon témoin est un contrôle expérimental important et il aurait fallu traiter de la lecture anormale. Je conviens donc avec M. Davies que les données de Hawker n’étaient pas suffisantes pour contrer ses conclusions contraires.

[341]       Il a été évident à mes yeux que M. Bright et M. Amos n’ont pas été particulièrement impressionnés par la qualité des images MCBL de l’Université Temple et que, si on leur avait demandé de faire ce travail, ils auraient adopté des méthodes différentes. Cela a mis les témoins d’Apotex dans une situation désavantageuse par rapport à M. Davies, qui avait fait ses propres essais et interprété ses propres données. Dans certains cas, les témoins d’Apotex n’ont pu que deviner de quelle façon M. Fassihi et M. Hawker avaient obtenu leurs données.

[342]       Cette dissociation entre l’expérimentation et l’analyse des données a concordé avec l’approche qu’Apotex a suivie en général. À aucun de ces experts n’a-t-on demandé d’examiner la totalité des éléments de preuve dans le but d’exprimer une opinion globale. Il a été demandé à chacun d’examiner des ensembles de données qui s’appliquaient à leur domaine d’expertise. Ce fait, par ricochet, a réduit injustement la valeur de l’ensemble de la preuve. Je suis convaincu que la démarche que M. Davies a suivie était la plus fiable et que son opinion au sujet de la structure du produit d’Apotex est, selon toute vraisemblance, exacte.

C.                 L’épaisseur

[343]       Au paragraphe 170 de son premier rapport, M. Griffiths a estimé l’épaisseur de la [traduction] « couche du complexe » dans quatre des cinq spectres de 2004 de M. Davies à [traduction] « environ 0,5 micron ». Ce chiffre était fondé sur son estimation d’une profondeur de pénétration du signal de 1 micron. M. Griffiths a déclaré qu’une profondeur de pénétration de 2,0 microns était plus appropriée, ce qui l’avait amené à réviser l’épaisseur de la sous‑couche à une plage de 0,5 micron à 1,7 micron. Pour l’un des spectres de 2004, il a reconnu une épaisseur pouvant atteindre 1,7 micron [pages 3584 à 3585]. Quand on a ensuite demandé à M. Griffiths de rajuster ses valeurs d’épaisseur en utilisant un angle d’incidence de 36º plutôt que l’angle de 45º dont il s’était servi, il a obtenu la plage d’épaisseur hypothétique de 1 micron à 2,92 microns pour quatre des spectres de 2004 et un chiffre supérieur à cela pour un autre [page 3588]. M. Griffiths a convenu qu’en utilisant une profondeur de pénétration de 2,0 microns et un angle d’incidence de 36º, une épaisseur de sous‑couche d’au moins 2 microns était un résultat plausible. Il a néanmoins refusé d’admettre que l’angle d’incidence employé par l’instrument de M. Davies était inférieur à 45º [pages 3590 et 3592].

[344]       La première observation à faire au sujet de la méthode que M.Griffiths a employée pour calculer l’épaisseur de la sous‑couche d’Apotex a trait à son imprécision inhérente. Les plages de valeurs qu’elle a produites étaient extraordinaires et nettement insuffisantes par rapport à ce qui serait nécessaire pour réfuter les mesures directes de l’épaisseur que M. Davies avait obtenues.

[345]       Une deuxième observation à faire au sujet de l’analyse de l’épaisseur que M. Griffiths a effectuée a trait aux aléas des hypothèses qu’il a utilisées. Les valeurs d’épaisseur qu’il a obtenues étaient fondées sur des généralisations concernant la profondeur de pénétration des essais IRTF de M. Davies, y compris l’angle d’incidence employé. Comme M. Griffiths l’a reconnu, l’angle d’incidence médian peut avoir une incidence sur la profondeur de pénétration d’un facteur de deux ou plus [page 3619].

[346]       M. Griffiths était disposé à rajuster jusqu’à un certain point son hypothèse concernant la profondeur de pénétration, mais, malgré la preuve de M. Davies au sujet de l’angle d’incidence employé par son instrument, M. Griffiths a refusé de s’écarter d’un angle d’incidence présumé de 45º. Cela, a-t-il concédé, était une justification faite après coup [page 3610].

[347]       Ce que M. Griffiths sous-entendait, en fait, c’était que M. Davies mentait au sujet de l’angle d’incidence[4].

[348]       Je trouve surprenant qu’après que l’on ait soumis l’analyse de M. Davies à des années d’examen rigoureux dans le cadre du litige mené aux États-Unis et au Canada, il subsiste des doutes sur ses méthodes ou son matériel d’essai. En l’absence d’une preuve plausible établissant que les essais IRTF de M. Davis ont été exécutés avec un angle d’incidence médian de 45º, j’accepte sa preuve contraire. Il était loisible à Apotex d’effectuer ses propres essais équivalents et elle a décidé de ne pas le faire. Il ne faudrait pas qu’elle bénéficie d’une incertitude quelconque qu’il aurait été facile de dissiper.

[349]       La troisième observation à faire au sujet de la démarche de M. Griffiths a trait au fait qu’il a évité d’effectuer des mesures directes de l’épaisseur. Je comprends le problème selon lequel la bande fluorescente vue sur le dessus des pastilles d’Apotex dans les images MCBL de M. Davies ne coïncide pas, peut-on au moins le soutenir, avec le complexe CAM‑PVP. Cependant, le fait de mesurer l’épaisseur de la bande n’est pas une reconnaissance de sa composition chimique. De plus, les images de réflectance prises des pastilles lavées sont une preuve convaincante de l’existence d’une structure bien définie, distincte du noyau sous‑jacent de la pastille. Il a également été montré que la chimie de cette structure est différente de celle de l’enrobage gastrorésistant. La mesure directe des images de réflectance était un simple exercice et, pourtant, les témoins d’Apotex l’ont évitée et se sont plutôt fondés sur l’évaluation de l’épaisseur indirecte, et moins précise, de M. Griffiths.

[350]       La manière dont M. Griffiths a mesuré l’épaisseur de la sous‑couche, c’est‑à‑dire en faisant référence à l’intensité relative des pics de mannitol vus dans certains des spectres de M. Davies, a aussi été l’objet d’un certain jugement professionnel. Comme dans le cas de son analyse de la continuité, M. Griffiths a reconnu que les divers spectres montraient une variation dans l’intensité des pics de mannitol [page 3656]. Il a ensuite choisi une valeur représentative en examinant simplement les spectres [page 3661]. Il n’a fait aucune mesure pour confirmer le ratio qu’il avait utilisé pour les spectres disponibles, pas plus qu’il n’a calculé l’angle médian [pages 3659 et 3661]. Il n’a pas non plus tenu compte de la contribution du signal de fond au complexe lorsqu’il a mesuré la hauteur des pics [pages 3662 et 3663]. Sa réponse à son omission n’a pas été une acceptation convaincante de la validité de son évaluation de l’épaisseur :

[traduction]

R.        Exact.

Q.        Et une façon de le faire aurait pu être de prendre un spectre concernant une pastille lavée, qui a ce qui semble être une couche épaisse et aucun signal pour le mannitol, et s’en servir comme fond; n’auriez-vous pu pas le faire?

R.        Hum… Oui – je suis désolé d’être vague sur ce point, mais la réponse à la question est oui et non, parce que les spectres qui servent principalement à mesurer le spectre du complexe comportent des quantités différentes d’acide carboxylique. Et cet acide va – la quantité d’acide carboxylique dans le spectre, comme l’illustre la bande du nombre d’ondes 1700, va avoir une incidence sur la région à basse fréquence du spectre. Je sais cela parce que je suis spectroscopiste. Il va donc y avoir d’autres bandes qui sont associées aux bandes relativement larges de l’acide carboxylique dans le spectre, ce qui contribue à cette base.

Donc, d’une façon ou d’une autre, on fait des approximations. Même si l’on suivait la procédure que vous venez tout juste de décrire, laquelle n’est pas déraisonnable, on obtiendrait quand même probablement une valeur inexacte; j’ai donc considéré qu’en prenant la base à zéro, c’était une manière aussi valable que n’importe quelle autre.

Q.        Il y a une différence entre ne pas être parfait et être meilleur. Et je vous suggère que si vous aviez tenu compte du fond, au meilleur de vos capacités, cela aurait donné une mesure plus exacte des pics de mannitol dans les pastilles lavées, ce qui aurait donné lieu à une analyse plus exacte?

R.        Je suis d’accord avec vous, oui.

[351]       Sur ce point, je souscris également au témoignage de M. Davies selon lequel il était peu fiable d’évaluer l’épaisseur de la sous‑couche d’Apotex à l’aide de données IRTF.

[352]       M. Bright a critiqué les mesures d’épaisseur de M. Davies en se fondant principalement sur le fait que ce dernier avait utilisé à tort des images à intensité maximale et qu’il n’avait pas expliqué ou documenté convenablement son travail. M. Davies a répondu à cette critique en fournissant d’autres détails. Il a confirmé que ses mesures de l’épaisseur avaient été effectuées à partir d’images MCBL de la réflectance et de la fluorescence prises en Z, à intervalles égaux le long de la sous‑couche d’enrobage – et non à partir d’images à intensité maximale. En réponse à la critique de M. Bright selon laquelle il n’avait pas indiqué avec précision à partir de quel endroit les mesures de l’épaisseur avaient été prises, M. Davies a fait remarquer que M. Bright avait en main toutes les données requises pour effectuer des mesures indépendantes. M. Bright a répondu de la manière suivante, au paragraphe 159 de son rapport en réplique :

[traduction]

159.     Au paragraphe 229, M. Davies fait remarquer que j’aurais pu analyser moi-même l’épaisseur de la sous‑couche d’enrobage de la pastille lavée en vue de calculer une épaisseur moyenne. Je ne suis pas d’accord. M. Davies a obtenu les mesures de l’épaisseur à l’aide d’images grossies 50x, prises à partir d’une très petite portion des pastilles lavées, coupées en deux. Sans un choix approprié d’images 50x (le nombre serait énorme), il me serait impossible d’obtenir des mesures représentatives de la pastille. En utilisant les images de M. Davies, je n’ai pu prendre des mesures que dans cette minuscule région. De plus, je ne peux pas utiliser les images MCBL brutes pour déterminer l’épaisseur comme M. Davies l’avait fait en 2011, parce qu’il n’a pas expliqué en termes suffisamment clairs ce qu’il avait fait pour prendre ces mesures.

[353]       Je ne considère pas cette preuve comme une réponse suffisante à l’argument que M. Davies a souligné. Il est facile de faire état de problèmes méthodologiques théoriques dans le travail d’une autre personne. Ce genre de critique perd nettement de son poids lorsque le critique est en mesure d’effectuer une évaluation indépendante des données disponibles et qu’il décide ou reçoit l’instruction de ne pas le faire. M. Bright n’avait pas besoin de savoir précisément où ou comment M. Davies avait pris ses mesures de l’épaisseur. Il aurait pu facilement prendre ses propres mesures avec l’une quelconques des images disponibles et en se servant de sa propre méthode pour déterminer si la plage des épaisseurs de la sous‑couche correspondait aux résultats de M. Davies [page 3999]. En l’absence de toute preuve fiable permettant de contester les mesures de l’épaisseur de M. Davies ou de montrer que ces mesures n’étaient pas représentatives, j’accepte ces données sans réserve. J’admets également que les mesures de M. Davies sont suffisantes pour étayer la conclusion qu’elles sont représentatives de l’ensemble de la production des pastilles d’oméprazole d’Apotex.

[354]       Je ne souscris pas à la méthode indirecte que M. Griffiths a employée pour évaluer la continuité ou l’épaisseur de la sous‑couche d’Apotex. Cette méthode est soumise à un trop grand nombre de variables non contrôlées. La totalité de la preuve que M. Davies a présentée est nettement plus convaincante. J’admets que n’importe lequel des essais de M. Davies serait, par lui‑même, insuffisant pour établir l’existence d’un sous‑enrobage de CAM‑PVP continu d’une épaisseur d’au moins 2 microns. Cependant, si l’on considère ensemble tous les essais que M. Davies a faits, sa conclusion est la plus probable.

[355]       J’accepte que les images de fluorescence de M. Davies sont, par elles‑mêmes, insuffisantes pour établir la présence ou la topologie du sous‑enrobage d’Apotex. M. Davies n’a pas soutenu le contraire. Cependant, en présence des autres essais que M. Davies a effectués, j’ai conclu que la couronne de fluorescence que l’on peut apercevoir à l’interface du noyau et de l’enrobage gastrorésistant des pastilles lavées et recouvertes d’un enrobage gastrorésistant est essentiellement le produit du complexe CAM‑PVP qui est présent à cet endroit.

[356]       Les témoins experts d’Apotex se sont vu confier des mandats sélectifs. Cela leur a permis d’éviter d’intégrer la totalité des données disponibles dans leurs opinions respectives. Deux exemples particulièrement frappants de cela concernent la démarche qu’ils ont suivie à l’égard des images de réflectance et des images vidéo de la désintégration dans l’eau. Fort peu d’attention a été accordée à ces preuves et à la façon de les concilier avec les autres preuves. Dans la mesure où les témoins d’Apotex en ont traité, cela a été fait de façon très succincte ou au moyen de conjectures. La façon dont ils ont traité les images vidéo de la désintégration dans l’eau est particulièrement troublante.

[357]       À mon avis, les images vidéo que M. Davies a prises des pastilles lavées d’Apotex immergées dans un bain d’eau sont une preuve convaincante de la présence d’une sous‑couche essentiellement continue. Les images vidéo montrent une désintégration assez rapide d’une couche semblable à un film. Elle ne se détache pas en flottant, sous la forme de pièces isolées ou discontinues, mais sous la forme d’un voile. La couche se détache du noyau en feuilles. M. Griffiths a admis en fin de compte que le complexe est présent à la surface des pastilles lavées et il a convenu que l’enrobage semblable à un film est le complexe, qui comporte peut‑être un peu de CAM [traduction] « libre ». Ce point est ressorti en contre‑interrogatoire, et non d’aucun des rapports de M. Griffiths. Au paragraphe 187 de son premier rapport, M. Griffiths a dit seulement que [traduction] « la matière que M. Davies voit ʺs’écaillerʺ des pastilles lavées au solvant… pourrait bien être du CAM ». Sans contestation, cet énoncé et le paragraphe qui suit dénotent fortement que le film n’était pas du tout le complexe. La faiblesse du témoignage de M. Griffiths est illustrée par l’explication alambiquée qu’il a donnée en contre‑interrogatoire, entre les pages 3668 et 3672 de la transcription du procès. Selon mon interprétation de la preuve, M. Griffiths ne pouvait pas concilier scientifiquement les images vidéo de la désintégration avec ses autres opinions. En rédigeant ses rapports, il a donc décidé de ne pas tenir compte de ce qu’il voyait.

[358]       Les images de réflectance exigeaient également un examen sérieux. Ces images montrent une bande structurale essentiellement continue et visuellement distincte à la surface des noyaux des pastilles. Les images de fluorescence MCBL de la bande de sous‑couches coïncident essentiellement aussi avec les images de réflectance correspondantes. Il y a peu de variations à certains endroits, mais, pour la plupart, les contours de chaque bande reflètent ceux d’une autre [voir, par exemple, les images figurant à l’onglet 28 du volume 6 de la déclaration de M. Davies]. Il ne peut s’agir d’une coïncidence que les couronnes fluorescentes MCBL chevauchent essentiellement la structure de la sous‑couche qui est décrite dans les images de réflectance. Néanmoins, les témoins d’Apotex n’ont pas traité de cette preuve de manière sérieuse. Cette omission mine leurs préoccupations théoriques au sujet des limites inhérentes que l’on associe à la MCBL en tant que moyen d’identifier les structures et la chimie d’un échantillon.

[359]       M. Davies a fondé son opinion sur la totalité des éléments de preuve considérés dans leur ensemble. Il était disposé à admettre que n’importe lequel de ses essais était insuffisant pour étayer son opinion finale, mais il a conclu que si on les considérait ensemble, la preuve était convaincante. Son opinion reposait sur les éléments de preuve suivants :

a.                   la présence du complexe – un composé chimiquement distinct – a été détectée chaque fois que l’on sondait la sous‑couche de la pastille d’Apotex par IRTF;

b.                  le CAM et le PVP sont tous deux présents dans les pastilles d’Apotex et il a été prouvé, comme prévu, qu’ils réagissaient l’un avec l’autre pour former ensuite le complexe;

c.                   un anneau fluorescent est présent dans toutes les images MCBL qui ont été prises de la pastille enrobée et lavée, à l’interface du revêtement gastrorésistant et des noyaux;

d.                  la sous‑couche d’Apotex est chimiquement différente de l’enrobage gastrorésistant, en ce sens qu’elle ne s’est pas dissoute avec l’enrobage gastrorésistant quand on l’a lavée dans un solvant;

e.                   les images de réflectance des pastilles lavées montrent une sous‑couche structuralement distincte, qui repose sur les noyaux des pastilles. Quand on compare les images, les limites de la sous‑couche visible dans ces images suivent de près celles de l’anneau fluorescent;

f.                   sous réserve des limites de détection courantes, il n’a pas été prouvé qu’un composant était présent dans la sous‑couche, sauf pour le complexe, le sel de magnésium et certains groupes fonctionnels acides non résolus. On pouvait s’attendre raisonnablement à ce que chacun de ces composés soit présent dans la sous‑couche;

g.                  les images vidéo de la désintégration montrent une couche semblable à un film et essentiellement continue qui se détache rapidement des noyaux de pastille lavée dans un bain d’eau. Les experts d’Apotex n’ont pas contesté de manière sérieuse la preuve de M. Davies selon laquelle cet enrobage était le complexe CAM‑PVP.

[360]       Tout bien considéré, je préfère nettement plus la preuve de M. Davies que celle que les experts d’Apotex ont présentée. L’approche que M. Davies a suivie à l’égard des essais ne correspondait peut‑être pas à celle d’autres personnes, mais, dans plusieurs cas, les données qu’il a obtenues n’ont pas été directement contestées. Je rejette toute idée selon laquelle les données de M. Davies ont été compromises par les méthodes qu’il a employées.

[361]       Le fait qu’une partie peut ne pas accepter un plan expérimental choisi n’est pas une excuse pour ne pas reproduire le travail en vue de vérifier la fiabilité des données déclarées. Cela s’applique également aux critiques concernant les techniques d’essai employées par un témoin expert de la partie adverse. L’argument selon lequel on aurait pu recourir à d’autres essais ou contrôles perd une grande partie de son poids si une partie décide de ne pas utiliser les mêmes méthodes suggérées dans le cadre de sa propre analyse en réponse pour vérifier si les résultats diffèrent.

[362]       La plainte d’Apotex selon laquelle les essais que M. Davies a effectués n’ont pas tous été enregistrés est un problème de nature théorique. Ce dernier a déclaré que ses essais enregistrés étaient représentatifs de ceux qui ne l’avaient pas été. Si Apotex croyait que les données enregistrées n’étaient pas représentatives, elle était parfaitement en mesure de mener ses propres essais et d’enregistrer les données afin de déterminer s’il en ressortait des résultats différents.

[363]       M. Davies a prouvé que le complexe était présent à chacun des points qu’il avait soumis à une interrogation IRTF et il a prouvé qu’il s’agissait d’un composé chimiquement distinct. Après comparaison, les contours de la sous‑couche que l’on aperçoit dans les images fluorescentes MCBL de M. Davies coïncident dans une large mesure avec les contours physiques que l’on aperçoit dans ses images de réflectance [voir l’onglet 28, volume 6, du rapport de M. Davies]. Ces images de réflectance des pastilles lavées représentent une structure continue qui repose sur le dessus et qui est distincte des noyaux. Compte tenu de la conception, de la durée et de la vigueur de la technique de lavage que M. Davies a employée, je rejette toute idée selon laquelle cette couche observée pourrait être un reliquat de l’enrobage gastrorésistant. Si l’on prend tout en considération en combinaison avec les images vidéo de la désintégration dans l’eau prises par M. Davies, la conclusion incontournable est que la matière semblable à un film qui se détache des noyaux des pastilles doit être constituée dans une large mesure du complexe CAM‑PVP

[364]       Pour les raisons susmentionnées, je suis convaincu que le produit d’oméprazole d’Apotex contient un sous‑enrobage polymérique mince et essentiellement continu, qui se forme in situ à la suite d’une réaction entre le CAM présent dans l’enrobage gastrorésistant et le PVP utilisé comme excipient dans le noyau lors de la fabrication des pastilles. Indépendamment de la présence de certains groupes fonctionnels acides et de celle de magnésium dans le sous‑enrobage, ce dernier est principalement constitué du complexe et il demeure fonctionnellement inerte. Si ce n’était pas le cas, on s’attendrait raisonnablement à trouver des niveaux importants de produits de dégradation de l’oméprazole dans le cadre d’une analyse IRTF. On en a trouvé aucun. C’est également cette structure que l’on aperçoit dans les images vidéo de la désintégration dans l’eau que M. Davies a prises.

[365]       Je suis également convaincu que le sous‑enrobage d’Apotex est suffisamment robuste pour constituer une barrière protectrice efficace, comme il est décrit dans le brevet 693. Il a les caractéristiques d’épaisseur que M. Davies a décrite et, dans presque tous les cas, l’épaisseur est de plus de 2 microns.

[366]       Apotex a mis au point une formulation qui fonctionnait et elle aurait pu vérifier si le sous‑enrobage était présent avant de la lancer sur le marché – comme M. Davies a pu le démontrer. Elle aurait pu aussi produire des preuves d’expert montrant qu’elle avait obtenu une formulation d’oméprazole utile en recourant à des moyens différents de ceux que revendique le brevet 693. Elle a décidé plutôt de contester la qualité et la pertinence des preuves produites par AstraZeneca et a ensuite raté son coup. L’inférence que je tire des éléments de preuve qui m’ont été soumis est que le produit d’oméprazole d’Apotex fonctionne parce que sa formulation correspond à celle qui est décrite dans la revendication 1.

VII.          La qualité pour agir

[367]       Apotex fait valoir qu’en l’espèce ni AstraZeneca Canada Inc. ni AstraZeneca AB n’ont qualité pour poursuivre leurs demandes respectives de dommages‑intérêts pour contrefaçon. Aucune contestation à l’égard de la qualité pour agir de Hässle n’a été avancée et il est évident que cette dernière a la même qualité que la brevetée. À l’instar de nombreuses contestations concernant la qualité pour agir, celle‑ci est sans fondement.

[368]       Le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets confère au breveté la qualité pour agir dans le cas d’une action en contrefaçon de brevet, et aussi à « toute personne se réclamant de celui‑ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir ». La question qui se pose ici est celle de savoir si AstraZeneca AB et AstraZeneca Canada Inc. sont des parties qui ont un droit suffisant à l’égard du brevet 693 pour se réclamer de Hässle.

[369]       Le critère de la qualité pour agir n’est pas particulièrement rigoureux. Dans la décision Laboratoires Servier, et al c Apotex Inc., 2008 CF 825, 332 FTR 193 (Ang.), la juge Judith Snider a traité en détail de cette question. Après avoir examiné une grande partie de la jurisprudence applicable, elle a résumé les principes comme suit :

[77]           En résumé, la jurisprudence canadienne a donné une interprétation large à l'expression « personne se réclamant » du breveté. La capacité d'une partie de se réclamer d'un breveté n'exige pas nécessairement l'existence d'une licence accordée expressément. En l'absence d'une licence de ce genre, chaque cause sera tranchée suivant les faits de l'espèce pour décider s'il existe une licence implicite ou un autre droit qui permet à une partie de se réclamer du breveté.

[370]       Dans l’arrêt Signalisation de Montréal Inc. c Services de Béton Universels Ltée (1992), 46 CPR (3d) 199, aux pages 210 et 211 (CAF), [1993] 1 CF 341, la Cour a conclu que la réclamation d’un breveté découle d’un droit d’utilisation de l’invention qu’il est possible de retracer directement à ce dernier. Il y a plusieurs moyens de donner effet à ce droit : par voie de licence (expresse ou implicite), par voie de cession ou par les conditions de la vente d’un article.

[371]       La preuve étayant les prétentions des demanderesses à l’égard de la qualité pour agir a été fournie par l’ancien conseiller juridique principal d’AstraZeneca, Göran Lerenius. Ce dernier, à ce titre, était bien au fait des arrangements qui existaient entre les demanderesses dans le cadre de la présente instance. L’essentiel de cette preuve n’a pas été valablement contesté.

[372]       M. Lerenius a déclaré que Hässle a été acquise par AB Astra dans les années 1960. Après une fusion de sociétés, AB Astra est devenue AstraZeneca AB et Hässle est demeurée sa filiale en propriété exclusive. En 1991 environ, Hässle a été restructurée et a renoncé à ses activités de recherche. Elle est ensuite devenue une société détentrice de brevets. À ce titre, elle a continué de détenir le brevet 693.

[373]       M. Lerenius a fait état d’une entente de commissionnement conclue entre Hässle et AB Astra et signée en 1985. Cette entente prévoyait qu’AB Astra contrôlerait concrètement la totalité des activités de Hässle. M. Lerenium a déclaré qu’il n’y a pas eu d’autres ententes entre ces parties au sujet des droits relatifs aux brevets de Hässle. L’entente de commissionnement a continué de régir la relation entre Hässle et AstraZeneca AB (qui a succédé à AB Astra), et ce, sans interruption. Selon M. Lerenius, il s’agissait là du moyen le plus simple de donner un effet permanent au contrôle qu’AstraZeneca AB exerçait sur Hässle, et cette mesure est tout à fait conforme au droit suédois.

[374]       M. Lerenius a également déclaré qu’AstraZeneca AB et AstraZeneca Canada Inc. sont des sociétés affiliées, en ce sens que les deux sont des filiales en propriété exclusive d’AstraZeneca PLC. Il a fait état d’une entente de distribution conclue entre AstraZeneca AB et AstraZeneca Canada Inc. et prévoyant qu’AstraZeneca AB fournirait à AstraZeneca Canada Inc. des produits destinés à être revendus à titre non exclusif. Il a été convenu que ces produits seraient conservés après livraison aux risques d’AstraZeneca Canada Inc. L’entente comporte la disposition suivante en matière de droits de propriété intellectuelle :

[traduction]

24.1     Tous les droits de propriété intellectuelle relatifs aux produits demeurent en tout temps la propriété d’ASTRAZENECA. Le distributeur n’acquiert aucun droit de propriété intellectuelle à l’égard de ces produits et il ne lui est permis d’utiliser ses droits que dans la mesure nécessaire pour exercer les droits que la présente entente accorde au distributeur.

24.2     Le distributeur est tenu d’informer ASTRAZENECA de toute violation connue ou soupçonnée des droits de propriété intellectuelle d’ASTRAZENECA sur le marché qui est portée à la connaissance du distributeur. ASTRAZENECA prendra toutes les mesures raisonnables, à ses propres dépens, pour poursuivre les auteurs de ces violations. Le distributeur fournira à ASTRAZENECA toute l’aide raisonnable dans le cadre d’une telle poursuite.

[375]       La preuve de M. Lerenius me convainc qu’étant donné qu’AstraZeneca AB’s contrôle les activités de Hässle aux termes de l’entente de commissionnement, elle contrôle effectivement le brevet 693 ainsi que les droits qui en découlent. Il existe à l’égard du brevet un droit qui est suffisant pour établir qu’AstraZeneca AB a qualité pour agir à titre de demanderesse en l’espèce.

[376]       Selon d’autres éléments de preuve incontestés, AstraZeneca AB a fourni du LOSEC à AstraZeneca Canada Inc. en vue de le revendre au Canada en vertu des modalités de l’entente de distribution. AstraZeneca AB a conservé le titre de propriété de ce produit jusqu’au moment de sa livraison au Canada. Cette entente confère également à AstraZeneca Canada Inc. l’autorisation d’utiliser les droits de propriété intellectuelle d’AstraZeneca AB dans la mesure nécessaire pour donner effet aux droits contractuels d’AstraZeneca Canada Inc. Les deux parties se trouvent devant la Cour et il est implicite qu’AstraZeneca Canada Inc. poursuit une demande de dommages‑intérêts avec l’autorisation d’AstraZeneca AB. Les droits que détient AstraZeneca Canada Inc. d’exploiter le brevet 693 sont restreints, mais ils sont néanmoins étayés par un contrat. Je suis donc convaincu que la preuve offre un fondement suffisant pour confirmer qu’AstraZeneca Canada Inc. a qualité pour agir à titre de demanderesse dans l’affaire T‑1409‑04.

VIII.        La préclusion découlant d’une question déjà tranchée à l’étranger

[377]       AstraZeneca fait valoir que la Cour se doit d’appliquer les principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure pour remise en cause à un certain nombre de conclusions de [traduction] « fait » qu’a tirées la Cour de district des États‑Unis pour le district de New York dans un litige antérieur entre les parties : voir In re Omeprazole Patent Litigation, 490 F. Supp. 2d 381, décision confirmée par la Cour d’appel du circuit fédéral des États‑Unis dans l’arrêt In re Omeprazole Patent Litigation 536 F. 3d 1361.

[378]       Les questions qu’Astra souhaite exclure d’un examen indépendant sont plaidées au paragraphe 45 de sa quatrième déclaration modifiée :

[traduction]

a)         les capsules d’oméprazole d’Apotex utilisent toutes des pastilles identiques;

b)         les noyaux des pastilles d’oméprazole d’Apotex contiennent de l’oméprazole, du povidone (« PVP »), de l’hydroxyde de magnésium et du mannitol;

c)         Apotex applique un enrobage gastrorésisistant sur les noyaux de ses pastilles d’oméprazole;

d)         les pastilles d’oméprazole d’Apotex sont séchées jusqu’à ce que leur teneur en humidité ne soit pas supérieure à 1,5 % en poids;

e)         les pastilles d’oméprazole d’Apotex renferment une couche d’enrobage gastrorésistant qui contient du copolymère d’acide méthacrylique (« CAM ») et du citrate tri‑éthylique;

f)         les pastilles d’oméprazole d’Apotex sont des préparations pharmaceutiques orales;

g)         les pastilles d’oméprazole d’Apotex contiennent une quantité thérapeutiquement efficace d’oméprazole;

h)         les pastilles d’oméprazole d’Apotex contiennent un noyau dont le pH microenvironnemental varie entre 7 et 12;

i)          les pastilles d’oméprazole d’Apotex ont un noyau contenant de l’oméprazole, une sous‑couche entourant le noyau, ainsi qu’un enrobage gastrorésistant;

j)          dans les pastilles d’oméprazole d’Apotex, la sous‑couche est d’une épaisseur de 2 à 6 microns;

k)         les pastilles d’oméprazole d’Apotex ont une sous‑couche inerte et continue qui épouse la surface du noyau et sépare ce dernier de l’enrobage gastrorésistant;

l)          les pastilles d’oméprazole d’Apotex contiennent une sous‑couche formée in situ qui est inerte, continue et se désintègre rapidement dans l’eau.

[379]       L’application du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, du moins à des conclusions de fait tirées par un tribunal étranger, a un certain attrait d’un point de vue théorique. Permettre aux mêmes parties de remettre en cause des questions de preuve identiques et de faire abstraction des conclusions qu’a tirées un tribunal étranger compétent peut être considéré comme un exercice inutile, surtout à une époque où les ressources judiciaires sont de plus en plus sollicitées et où les coûts des litiges ne cessent d’augmenter. Néanmoins, on ne peut pas faire abstraction des problèmes pratiques que suscite l’application de ce principe d’une manière qui protégera effectivement les ressources judiciaires. En l’espèce, ces problèmes étaient assez évidents.

[380]       Compte tenu du caractère discrétionnaire de l’application du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée à l’étranger, AstraZeneca ne pouvait pas présumer de manière prudente que le principe s’appliquerait. Elle a donc produit séparément des preuves sur toutes les questions de preuve susmentionnées qui étaient nécessaires pour présenter ses arguments. L’effet pratique de cette mesure est qu’il n’y a eu aucune économie de temps. En réalité, le fait de plaider le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a considérablement allongé le procès. En réponse au plaidoyer relatif au principe de la préclusion d’AstraZeneca, Apotex a produit les témoignages de fait de deux avocats qui avaient pris part au procès relatif à l’oméprazole aux États‑Unis, Martin Endres et Robert Silver. Elle a aussi fourni une preuve d’opinion de deux experts en droit, le juge Benson Legg (à la retraite) et M. John Whealan. Ces preuves ont décrit la démarche que la Cour de district des États‑Unis avait suivie à l’égard de la gestion de ses actions en contrefaçon mettant en cause de multiples parties, y compris la séparation de l’instance en deux volets. L’objet de ces preuves était d’essayer d’expliquer les différences entre les procédures et les éléments de fond du droit des brevets aux États‑Unis et au Canada et de montrer que les deux systèmes sont suffisamment distincts pour que l’application du principe de la préclusion cause une injustice à Apotex.

[381]       Compte tenu du processus quelque peu inusité qui a été suivi dans le second volet mettant en cause Apotex aux États‑Unis, des désavantages pratiques qu’il y a à n’appliquer le principe de la préclusion qu’à une poignée de conclusions qui ont été tirées dans le cadre de cette instance et du fait qu’il n’est pas nécessaire de se fonder sur la doctrine pour combler une lacune dans le dossier de preuve, je refuse d’appliquer le principe en l’espèce.

IX.             Les réparations

A.                 La tromperie

[382]       AstraZeneca soutient qu’Apotex a agi de manière trompeuse dans le contexte du règlement obtenu dans le cadre d’une instance antérieure relative à un AC et mettant en cause le brevet 693 [T‑1446‑93] et elle réclame, de ce fait, des dommages‑intérêts punitifs, les dépens avocat‑client, ou les deux. Cette affirmation repose sur une déclaration erronée qu’Appotex a faite dans l’instance relative à un AC, au sujet de sa formulation d’oméprazole qui était proposée à l’époque. Dans cette affaire, Apotex s’était fondée sur un affidavit signé par M. Paul Niebergall et indiquant que la formulation d’oméprazole d’Apotex contiendrait à titre de CRA du phosphate de sodium dibasique. Il s’agit là d’un composé présenté à titre d’exemple par le brevet 693. Cependant, à l’insu d’AstraZeneca, quand Apotex a présenté sa demande de présentation de drogue nouvelle au ministre, elle a changé le CRA proposé pour de l’hydroxyde de magnésium, motivée, semble-t-il, par le besoin d’éviter un autre brevet d’AstraZeneca [le brevet 377] qui revendiquait le phosphate de sodium dibasique. Quand M. Sherman a été interrogé sous serment dans le cadre de l’instance relative à un AC antérieure, des questions lui ont été posées sur la formulation d’Apotex et la justesse de l’affidavit de M. Niebergall. Voici ce qu’il a déclaré :

[traduction]

Q.        Maintenant, Apotex a à ce moment une présentation de drogue nouvelle qui mentionne précisément cette composition particulière, celle qui est indiquée dans l’affidavit de Niebergall; est-ce exact?

R.        Oui.

Q.        Dans cette présentation, est-ce la seule composition qui est précisée?

R.        C’est exact. En fait, elle est supérieure au produit de votre client, ce qui est peut‑être peu pertinent, mais elle est nettement supérieure.

[…]

Q.        Donc, vous avez seulement et vous n’avez toujours eu seulement qu’une seule présentation de drogue nouvelle à l’égard de l’oméprazole; est-ce exact?

R.        Oui.

Q.        Et les renseignements qui figurent dans la pièce 2 jointe à l’affidavit de Niebergall, ces renseignements révèlent ou ces pages, plutôt, révèlent les détails de cette composition.

R.        Oui.

Q.        Je pense que vous dites que même si, en théorie, Apotex pourrait faire des changements à cette composition dans le cadre du processus d’approbation il n’y a aucune intention de sa part de le faire dans la présente affaire.

R.        C’est exact. Elle a été optimisée. Il s’agit d’une excellente formulation. Elle répond à toutes les exigences réglementaires et elle est supérieure au produit de votre client, en ce sens qu’elle est plus stable.

Q.        En fait, êtes-vous disposé à vous engager dans le dossier et à dire qu’Apotex n’apportera aucun changement à cette formulation dans le cadre de sa demande d’obtention d’un AC pour l’oméprazole?

R.        Non. Le mieux que je puisse faire c’est vous dire qu’il n’y a aucune intention de le faire, pas plus que je ne puis imaginer une raison quelconque pour laquelle je voudrais le faire, mais je ne vois pas pourquoi il serait nécessaire que je m’engage ainsi s’il ne devient jamais nécessaire d’effectuer un changement. Si la Direction générale de la protection de la santé revient et dit nous voulons un léger changement pour une raison quelconque, il faudrait que nous ayons le droit de le faire, mais je peux vous dire ceci catégoriquement, nous n’allons pas la changer d’une manière qui la fera tomber sous le coup du brevet de votre client. Le brevet de votre client – est-ce un dossier confidentiel? [Non souligné dans l’original.] [Voir la pièce 133, onglet 8, aux pages 12 à 14]

[383]       M. Sherman a reconnu en l’espèce que l’affidavit de M. Niebergall était erroné dans le cas de la mention du phosphate de sodium dibasique et que son propre témoignage sur ce point, dans le cadre de l’instance relative à l’AC, n’était pas exact non plus. Ces erreurs, dit-il maintenant, avaient été commises de bonne foi et étaient de peu d’importance. Selon M. Sherman, le produit d’Apotex nécessitait un CRA et, dans le but d’éviter le brevet 693, la question de savoir qu’elle était cette substance importait peu. Le règlement relatif à l’AC a plutôt été fondé sur l’affirmation d’Apotex selon laquelle son produit n’incorporerait pas une sous‑couche d’enrobage.

[384]       AstraZeneca soutient qu’il importe peu que la fausse déclaration d’Apotex dans l’instance relative à l’AC ait été faite de bonne foi ou de manière délibérée. Elle invoque la jurisprudence, qui indique que le défaut d’une seconde personne de représenter fidèlement les détails du produit qu’elle propose dans le cadre d’une instance relative à un AC peut avoir de « graves conséquences » : voir la décision Hoffman-LaRoche Ltd c Nu-Pharm Inc. (1996) 70 CPR (3d) 206 à 213, [1996] ACF no 1333.

[385]       Dans la décision AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc., 2004 CF 1278, aux paragraphes 27 à 33, conf. par 2005 CAF 58, le juge Michael Kelen a examiné l’importance de la déclaration inexacte d’Apotex dans le contexte d’une demande d’AstraZeneca visant à faire infirmer l’AC délivré à Apotex. Le juge Kelen a refusé d’infirmer l’AC du ministre, mais pas avant d’avoir reconnu que la question de la déclaration inexacte pouvait être pertinente dans toute instance ultérieure en matière de contrefaçon :

[27]      Devant le ministre, Apotex a affirmé que sa nouvelle formulation ne comportait pas des différences marquées avec la formulation faisant l'objet d'une ordonnance rendue par la Cour dans le cadre d'une instance relative à une demande d'interdiction fondée sur le Règlement, instance qui avait opposé les mêmes parties en ce qui concerne les mêmes brevets et le même médicament.

[28]      Dans Syntex (U.S.A.) L.L.C. et al. c. Le ministre de la santé et al. (2001), 15 C.P.R. (4th) 312, j'ai statué que lorsqu'un fabricant de médicaments génériques fait des déclarations inexactes, trompeuses ou fausses au ministre dans le cadre de l'application du Règlement, le recours qui s'offre au breveté est l'action en contrefaçon de brevet fondée sur la common law et non la demande de contrôle judiciaire fondée sur la Loi sur les Cours fédérales. Voici ce que j'énonçais au paragraphe 18 :

[Dans les cas où] la présentation de drogue nouvelle du fabricant des médicaments génériques renferme des renseignements inexacts ou trompeurs, la Cour d'appel fédérale a statué à maintes reprises qu'un breveté est en mesure de vérifier l'exactitude des énoncés d'un fabricant de médicaments génériques à l'égard de la drogue une fois que le produit a atteint le marché et que, si ces énoncés s'avèrent inexacts, les conséquences pour le fabricant de produits génériques « pourraient effectivement être très graves » . Le breveté peut intenter une action en contrefaçon de brevet fondée sur la common law et solliciter une injonction et des dommages-intérêts punitifs [...].

[386]       Si la preuve qui m’a été soumise avait établi que la substitution non divulguée par Apotex d’un CRA pour un autre était un facteur important dans le règlement de l’instance relative à un AC antérieur, un bon argument en faveur de dommages‑intérêts punitifs aurait été établi. Cette preuve est toutefois absente en l’espèce. Je ne suis pas non plus convaincu qu’Apotex a fait délibérément une fausse déclaration au sujet de sa formulation d’oméprazole dans le but de tromper AstraZeneca. Il semble qu’Apotex n’ait pas retiré d’avantages particuliers du fait d’avoir déclaré faussement à AstraZeneca le CRA qu’elle entendait utiliser. Cependant, lorsque l’erreur a été relevée, Apotex a manqué à son obligation d’en informer AstraZeneca. Tant M. Niebergall que M. Sherman ont fait preuve d’insouciance au sujet de l’exactitude de témoignage sous serment, ainsi que de négligence en ne rectifiant pas le dossier dès qu’il avait été possible de le faire. Il est évident qu’il est nécessaire de faire preuve d’une exactitude scrupuleuse ainsi que d’un traitement équitable dans le cadre du système des AC. Les parties doivent comprendre qu’on ne peut pas fermer les yeux sur l’insouciance et le manque de franchise absolue. Il s’agit là d’aspects qui peuvent avoir une incidence sur la question des dépens. Les parties demandent que ces derniers soient mis en délibéré. Je les entendrai donc ultérieurement au sujet de l’importance de cette preuve, le cas échéant, pour l’adjudication des dépens.

B.                 Les conclusions concernant la contrefaçon

[387]       À part mettre en doute les témoignages de M. Davies et de M. Bodmeier au sujet de l’exactitude et de la représentativité des données d’essai, Apotex n’a pas fait valoir que son Apo‑oméprazole manque d’uniformité. Compte tenu des exigences réglementaires, cela n’est pas surprenant. Il ressort également de la preuve que les lots d’Apotex ont tous été fabriqués d’une manière conforme au même mémoire descriptif, en utilisant des paramètres de procédé uniformes et les mêmes concentrations. Les essais de contrôle de la qualité qu’Apotex a effectués sur des échantillons de lots représentatifs et qui ont été l’objet d’un rapport à Santé Canada ont donné des résultats uniformes et acceptables. Les essais représentatifs que M. Davies a effectués sur les échantillons d’Apotex qu’on lui a fournis ont systématiquement établi la contrefaçon. M. Bodmeier a déclaré que les essais de M. Davies étaient suffisants pour permettre de conclure que l’on s’attendrait à ce que chaque lot d’Apo‑oméprazole présente les mêmes caractéristiques que celles que M. Davies avait déclarées. Cette preuve est suffisante pour établir que l’Apo‑oméprazole correspond constamment aux caractéristiques que l’on retrouve dans la revendication 1 du brevet 693.

[388]       Des preuves de fait ont été fournies pour le compte d’Appotex par son vice‑président des opérations commerciales, Gordon Fahner. M. Fahner est au service d’Apotex, où il a occupé divers postes de direction depuis 1989, et il connaît donc bien ses pratiques en matière de fabrication et de distribution.

[389]       M. Fahner a déclaré qu’Apotex a fabriqué la totalité de son Apo‑oméprazole en Ontario. Entre 2004 et 2008, la liste de ses clients comprenait des grossistes en produits pharmaceutiques, de grandes chaînes de magasins au détail, des magasins de diverses bannières, des chaînes de magasins de vente au détail régionales, des pharmacies indépendantes, ainsi que des hôpitaux situés d’un bout à l’autre du Canada. La plupart des commandes ont été traitées au bureau des commandes d’Apotex à Toronto et distribuées à partir de n’importe lequel de ses centres de distribution de Toronto, de Calgary ou de Montréal. Calgary approvisionnait habituellement la Saskatchewan et l’Ouest et, jusqu’au milieu de l’année 2005, quand il a fermé, le centre de Montréal approvisionnait le Québec et le Nouveau‑Brunswick. Toronto desservait le reste du pays, ce qui, d’après M. Fahner, représentait environ 90 % des commandes expédiées. De 55 à 60 % des ventes d’oméprazole étaient expédiées à des clients de l’Ontario, dans certains cas en vue d’une distribution subséquente[5].

[390]       En contre‑interrogatoire, M. Fahner a convenu qu’Apotex a vendu de l’Apo‑oméprazole à des clients situés dans le Canada tout entier. Le produit était ensuite revendu à des patients dans tout le Canada. Apotex avait des représentants des ventes qui contactaient des clients dans tout le pays et elle faisait la promotion de son Apo‑oméprazole sur son site Web accessible à l’échelle du pays ainsi que par d’autres moyens publicitaires. Apotex exportait également ses capsules d’Apo‑oméprazole à ses sociétés affiliées aux États‑Unis, de même qu’en République tchèque et dans plusieurs autres pays.

[391]       Je suis convaincu au vu de la preuve qui m’a été soumise (ce qui inclut la preuve de M. Sherman et des extraits d’AstraZeneca), que, depuis 2004, Apotex contrefait directement et systématiquement les revendications 1, 5, 6 et 19 du brevet 693 en faisant la promotion et la vente de ces capsules d’Apooméprazole dans tout le Canada, ainsi qu’à l’étranger. Je suis également persuadé au vu de la preuve qui m’est soumise que, sauf quelques exceptions, les capsules d’Apo‑oméprazole ont contrefait la revendication 13. Apotex a aussi incité à la contrefaçon ses clients et des utilisateurs ultimes situés dans tout le Canada. Je conviens avec AstraZeneca qu’Apotex a fait la promotion active de l’Apo‑oméprazole auprès de clients et a directement comparé ce produit au LOSEC pour les mêmes indications médicales. Cette activité incitatrice a été décrite par le juge Hughes, dans la décision Abbvie Corporation c Janssen Inc., précitée, au paragraphe 106 :

[106]       Au Canada, la loi est claire. Une personne, comme Janssen, qui vend à une autre un produit en vue d’une utilisation qui constitue une contrefaçon, lorsque celui-ci n’a aucun autre usage commercial notoire, a incité à la contrefaçon et est elle-même une contrefactrice (voir, par exemple, Dableh c Ontario Hydro (1996), 68 CPR (3d) 129, aux pages 148 et 149 (CAF)).

C.                 Les prescriptions

[392]       Apotex a plaidé un moyen de défense partiel contre la présente instance en se fondant sur ce que, dit-elle, est un délai de prescription de deux ans.

[393]       Apotex soutient qu’en ce qui concerne ses ventes d’apoméprazole en Ontario, Astrazeneca ne peut pas demander des dommages‑intérêts pour une période de plus de deux ans après le début de la présente instance. Cela ne semble pas présenter un obstacle à l’instance initiale [T‑1409‑04] qui a été engagée en 2004. Dans le cas du dossier T‑1890‑11, Apotex dit que, si la période de prescription en Ontario s’applique, la demande est frappée de prescription après le 22 novembre 2009. Si la période de prescription est de six ans, la demande de dommages‑intérêts serait frappée de prescription pour toute activité emportant contrefaçon qui a eu lieu avant le 22 novembre 2005.

[394]       La détermination du délai de prescription applicable repose sur l’interprétation de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F-7 :

39. (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

 

39. (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province.

 

(2) A proceeding in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

 

[395]       Apotex fait valoir que ses ventes sur le marché ontarien constituent une cause d’action « dans cette province », de sorte que c’est un délai de prescription de deux ans qui s’applique. La logique voudrait, bien sûr, que les ventes réalisées dans chaque marché provincial soient ainsi soumises au délai de prescription provincial qui s’applique dans chaque cas.

[396]       AstraZeneca soutient que sa cause d’action devant la Cour ne peut pas être fragmentée. L’activité commerciale d’Apotex était d’envergure nationale et internationale. Même si cette activité aurait pu faire l’objet d’un litige distinct dans chaque province ou, vraisemblablement, dans chaque lieu d’exportation, AstraZeneca a structuré sa cause d’action en tenant compte du caractère national et international des activités d’Apotex. AstraZeneca dit qu’elle a donc droit au bénéfice d’un délai de prescription de six ans.

[397]       Il me semble que l’un des objets distincts de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales est de faciliter l’existence d’un forum judiciaire permettant de régler le règlement unique de litiges qui portent sur des activités recoupant des frontières provinciales et internationales. S’il en était autrement, le fardeau associé à la séparation et à la caractérisation des preuves pertinentes pourrait être d’un poids énorme. Le fait d’établir quand et où le titre afférent à des produits était transmis ou l’endroit où la livraison effective avait lieu poserait inévitablement des problèmes, car la partie responsable tenterait de tomber sous le coup du délai de prescription provincial le plus favorable. Dans le cas d’une instance en contrefaçon de brevet, le problème serait exacerbé, car une vente emportant contrefaçon dans une province pourrait aussi constituer une contrefaçon dans une autre si le même produit était revendu ou réexpédié ou s’il y avait des incitations en aval dans d’autres ressorts.

[398]       Le paragraphe 39(2) de la Loi sur les Cours fédérales a manifestement pour objet d’éviter ces genres de problèmes de preuve et de prévoir un délai de prescription unique dans des affaires telles que la présente. Ce point de vue est étayé par l’arrêt Hislop c Canada, 2008 Carswel Ont 1117, 165 ACWS (3d) 163 (CSJ Ont.), qui portait sur le même libellé qui figure dans la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, RSC, 1985, c C-50, à l’article 32.

[399]       Il s’ensuit que le délai de prescription qui s’applique en l’espèce est de six ans, peu importe le lieu où l’activité emportant contrefaçon a été commise.

D.                AstraZeneca a-t-elle le droit de choisir la restitution des bénéfices?

[400]       Le fait de savoir si un demandeur qui obtient gain de cause dans une action en contrefaçon peut opter pour une restitution des bénéfices est une question qui relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du tribunal de première instance, et elle repose sur des considérations d’équité. Il n’existe aucune présomption en faveur du demandeur dans l’octroi de cette réparation : voir Merck & Co c Apotex Inc., 2006 CAF 323, au paragraphe 127, [2006] ACF n1490.

[401]       La liste des considérations qui peuvent s’appliquer n’est pas exhaustive, mais, dans l’arrêt Merck, précité, le retard de la brevetée et le fait d’avoir abandonné le marché ont été le motif invoqué pour refuser ce choix.

[402]       Apotex n’a fait état d’aucun facteur particulier dans ses observations postérieures au procès et fait simplement valoir qu’il incombe à AstraZeneca de prouver qu’elle a droit à cette forme de réparation.

[403]       On ne m’a pas soumis beaucoup de preuves pour expliquer le temps qui s’est écoulé avant que la présente affaire fasse l’objet d’un procès, mais les causes d’un retard après l’expiration du brevet en 2008 ne sont d’aucune importance manifeste. L’action initiale a été engagée peu après la délivrance d’un AC à Apotex et, bien sûr, les parties ont été activement engagées dans un litige semblable aux États‑Unis. AstraZeneca souligne aussi la poursuite de la contrefaçon d’Apotex après que la Cour d’appel fédérale avait rejeté ses arguments en matière d’interprétation en 2003 et après que l’on avait conclu qu’elle avait contrefait le brevet équivalent aux États‑Unis en 2007. AstraZeneca soutient également qu’elle n’a pas abandonné le marché et a fait des efforts pour atténuer les conséquences en concluant un contrat de licence avec un fabricant de médicaments génériques autorisé.

[404]       Je ne suis pas convaincu que la présente situation permet à AstraZeneca d’opter pour une restitution des profits. Aucune preuve ne donne à penser que l’une quelconque des demanderesses s’est livrée à une conduite inéquitable ou a indûment retardé l’évolution du présent litige. Apotex, en revanche, n’a pas changé de cap après le rejet de sa position dans une instance judiciaire antérieure. Il s’agit là d’un facteur qui est pertinent pour l’évaluation de sa bonne foi : voir l’arrêt Beloit Canada Ltd c Valmet-Dominion Inc., [1997] 3 CF 497 (CAF), au paragraphe 119, 71 ACWS (3d) 138.

X.                La conclusion au sujet des réparations

[405]       Pour les motifs qui précèdent, j’ai conclu que les revendications 1, 5, 6, 13 et 19 du brevet 693 sont valides. Un jugement déclaratoire à cet effet est donc accordé.

[406]       Je conclus également qu’Apotex, de par ses activités de fabrication, de promotion et de vente de l’Apo‑oméprazole au Canada et ailleurs, a violé les droits qu’accordaient les revendications invoquées aux demanderesses.

[407]       J’entendrai les parties au sujet des dépens à une date qu’il reste à fixer.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

[1]               Il est déclaré que les revendications 1, 5, 6, 13 et 19 du brevet canadien no 1,292,693 sont valides et qu’Apotex Inc., de par ses activités de fabrication, de promotion et de vente au Canada et ailleurs de l’Apo‑oméprazole, les a contrefaites.

[2]               La question des dépens est remise à plus tard, en attendant qu’une autre audience soit fixée.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

T-1409-04

 

INTITULÉ :

ASTRAZENECA CANADA INC. ET AKTIEBOLAGET HÄSSLE

c

APOTEX INC.

 

ET DOSSIER :

T-1890-11

 

INTITULÉ :

ASTRAZENECA AB ET AKTIBOLAGET HÄSSLE

c

APOTEX INC.

 

LIEU DES AUDIENCES :

Toronto (Ontario)

 

DATES DES AUDIENCES :

7 AU 11 AVRIL 2014

14 AU 17 AVRIL 2014

22 AU 25 AVRIL 2014

28 AVRIL AU 1er MAI 2014

5 AU 8 MAI 2014

12 AU 15 MAI 2014

20 AU 23 MAI 2014

26 AU 28 MAI 2014

2 AU 5 JUIN 2014

23 AU 26 JUIN 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

M. GUNARS GAIKIS

Mme NANCY PEI

M. MARK BIERNACKI

M. URSZULA WOJTYRA

 

POUR LES DEMAnDEESSES

 

M. HARRY RADOMSKI

M. BEN HACKETT

M. SANDON SHOGILEV

M. DANIEL CAPPE

 

POUR LES DÉfendERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉfendERESSES

 

 



[1]       M. Bodmeier était également de cet avis. Il a considéré que ce mot faisait référence à un emplacement et non au mode d’application [pages 1672 et 1673].

[2] M. Bodmeier n’a pas exclu l’utilisation possible d’un sous‑enrobage et a déclaré sans détour : [traduction] « je n’exclus pas les sous‑enrobages en tant qu’option ». En revanche, M. Kibbe a déclaré qu’un sous‑enrobage était la seule option viable.

[3] M. Amos a admis l’existence du phénomène de l’affaiblissement des signaux [page 3212].

[4] Il est vrai que dans son premier rapport M. Davies a fait état d’un angle d’incidence classique de 45º, mais, dans ce document, l’argument qu’il invoquait ne suscitait pas de controverse. Ce n’est que plus tard, quand M. Davies a été contesté sur la question de la profondeur de pénétration, que l’angle d’incidence réel est devenu pertinent. J’accepte l’explication que M. Davies a donnée au sujet de cette preuve. Je ne tire aucune inférence négative soit du fait qu’il a d’abord utilisé une valeur classique, soit de ses éclaircissements ultérieurs, et je rejette l’idée selon laquelle il ne disait pas la vérité.

[5] À un certain moment au cours de l’interrogatoire principal de M. Fahner, AstraZeneca s’est opposée aux éléments de preuve qui précèdent au motif qu’ils n’avaient jamais été révélés dans le cadre des documents qu’Apotex avait produits. Il a été admis qu’étant donné qu’il était impossible de corroborer ces preuves ou de les vérifier de près, elles ne serviraient pas, à ce stade du litige, de fondement à des conclusions précises.

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