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Date : 20150309


Dossier : IMM-1253-14

Référence : 2015 CF 296

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2015

En présence de monsieur le juge Barnes

Entre :

AMAL AOUN

demanderesse

et

Le ministre de la citoyenneté
et de l’immigration

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Amal Aoun à l’égard de la décision rendue par un agent des visas, à Varsovie, en Pologne. En 2009, Mme Aoun avait présenté une demande de visa de résidente permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Cette demande a été refusée par lettre datée du 23 février 2014 qui concluait qu’elle avait fait preuve de réticence au sujet de renseignements sur son expérience professionnelle qui auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

[2]               La présente affaire a été entendue à Windsor (Ontario), le 19 février 2015. Mme Aoun ne pouvait pas être présente à l’audience, mais elle a été représentée de façon compétente par son frère, Talal Aoun. 

[3]               Dans sa première demande de visa, signée le 6 juin 2009, Mme Aoun a fait mention de quatre employeurs antérieurs, soit TM Alieh, Amelieh College, Jamal Trust Bank et une entreprise familiale non désignée. En 2011, on a demandé à Mme Aoun de mettre sa demande à jour, ce qu’elle a fait en janvier 2012. Dans les renseignements supplémentaires qu’elle a fournis, Mme Aoun a indiqué Greenfield College à titre d’employeur antérieur pour la période de 1997 à 2012. 

[4]               Le 30 mars 2012, la demande de Mme Aoun a été refusée en raison d’un nombre insuffisant de points. Lorsqu’elle a contesté cette décision, le ministère a reconnu qu’il y avait eu une erreur et a accepté d’examiner sa demande à nouveau. Encore une fois, la demande a été refusée au motif que Mme Aoun n’avait pas établi qu’elle avait suffisamment d’expérience comme enseignante. Cette décision a également été contestée et le défendeur a finalement consenti à une ordonnance de la Cour renvoyant la demande de visa pour nouvelle décision au fond en 2013. 

[5]               À l’occasion du nouvel examen, en 2013, l’agent des visas avait des réserves concernant la question de savoir si Mme Aoun possédait l’expérience nécessaire comment enseignante. Ainsi, une lettre d’équité indiquant les lacunes apparentes dans ses lettres de recommandation et demandant des éclaircissements a été envoyée à Mme Aoun. Mme Aoun a répondu et, pour la première fois, a divulgué qu’elle avait travaillé comme professeur de chimie pour l’Association pour la Charité et la Culture au cours des années scolaires 2009‑2010 et 2010‑2011. Cette divulgation a donné lieu à une deuxième lettre d’équité sollicitant une explication concernant la raison pour laquelle Mme Aoun n’avait pas fourni des détails complets concernant ses emplois antérieurs. Mme Aoun a fourni l’explication suivante dans sa réponse :

[traduction]

La requérante n’a pas fait mention de son emploi auprès de l’Association pour la Charité et la Culture à l’annexe 1 de janvier 2012 parce qu’au moment où elle a présenté une demande d’immigration, elle ne travaillait pas pour cet employeur et son emploi avait pris fin avant la mise à jour.

Elle était persuadée que les renseignements déjà fournis concernant son expérience étaient suffisants pour étayer sa demande d’immigration et qu’elle n’obtiendrait pas de points pour cette période d’emploi puisqu’elle avait eu lieu après la présentation de sa demande d’immigration en mai 2009.

[…]

•           La requérante ne tente aucunement d’induire l’agent des visas en erreur en cachant des renseignements qui, s’ils avaient été fournis, auraient peut-être fait une différence en faveur de la requérante.

                     Tout écart peut provenir d’une omission, d’une interprétation et découler du long processus de demande et d’appel.

[6]               L’agent des visas était insatisfait de l’explication de Mme Aoun et a rejeté sa demande pour les motifs suivants :

[traduction]

Lorsque vous avez présenté votre demande, vous avez fait une présentation erronée sur le fait important suivant ou une réticence sur ce fait :

— Vous n’avez pas présenté des antécédents professionnels complets et exacts.

J’en arrive à cette conclusion parce que l’agent a constaté des divergences dans les antécédents professionnels indiqués sur votre formulaire de demande. Lorsque vous avez eu la possibilité de traiter de cette question, vous avez déclaré que vous aviez bel et bien travaillé pour l’Association pour la Charité et la Culture, mais que vous n’aviez pas senti le besoin d’ajouter ces renseignements dans votre demande puisqu’ils n’étaient pas nécessaires à votre admissibilité. Les requérants doivent fournir des antécédents professionnels complets et exacts et pas seulement les expériences d’emploi qu’ils doivent posséder pour répondre aux exigences en matière d’admissibilité. L’évaluation de l’admissibilité nécessite des antécédents professionnels complets et exacts. Vous avez également déclaré que la période d’emploi au Greenfield College dont vous avez fait mention à l’annexe 3 était exacte. J’ai constaté que cette période d’emploi n’était pas mentionnée à l’annexe 1 que vous avez soumise en 2009. Les employeurs doivent être énumérés à l’annexe 1 avec leur nom exact, encore une fois pour permettre à l’agent de pleinement évaluer l’admissibilité du requérant. La simple mention du poste occupé à l’annexe 3 n’est pas suffisante. Cette présentation erronée ou réticence relative à vos antécédents professionnels aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi car il est important qu’une mention complète et exacte des antécédents professionnels soit faite pour que votre admissibilité puisse être évaluée.

Par conséquent, vous êtes interdite de territoire au Canada pour une période de deux ans à compter de la date de la présente lettre.

[7]               Mme Aoun conteste la décision susmentionnée et sollicite son annulation. Elle soutient qu’elle n’avait pas l’intention de tromper le ministère en ne divulguant pas tous ses emplois antérieurs et qu’elle n’avait aucune raison de le faire. Elle décrit les renseignements comme étant peu importants parce que l’emploi omis n’était qu’un emploi à temps partiel et qu’il n’était pas utile quant au respect du critère relatif à l’expérience en enseignement exigée pour étayer sa demande. Elle qualifie également la décision de l’agent comme une décision technique et incompatible avec la politique ministérielle d’application de la disposition en matière de présentation erronée qui figure à l’article 40 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, [la LIPR]. 

[8]               En ce qui concerne le contrôle judiciaire de ce type de décisions, le pouvoir de la Cour est limité. La question n’est pas de savoir si la Cour aurait rendu la même décision, mais plutôt celle de savoir si la décision de l’agent des visas était raisonnable, compte tenu de la preuve. Autrement dit, la Cour est tenue de faire preuve de déférence envers le décideur dont le travail consiste à évaluer les demandes de visa et à se prononcer sur celles‑ci. Le décideur dispose rarement d’une seule bonne réponse lorsqu’il examine la preuve et qu’il applique les critères d’admissibilité au Canada prévus par la loi. Compte tenu de la preuve offerte, pour que la Cour intervienne, la décision en cause doit être une décision à laquelle on ne pouvait pas raisonnablement parvenir. 

[9]               À mon avis, les arguments de Mme Aoun passent à côté de la question. L’application de l’article 40 de la LIPR ne dépend pas des intentions ou des motifs d’un requérant pour ne pas communiquer des renseignements (voir Bellido c Canada, 2005 CF 452, [2005] ACF no 572). Il ressort très clairement de la Loi que l’omission de divulguer des renseignements qui pourraient être importants concernant l’admissibilité d’un demandeur de visa est suffisante pour étayer une conclusion de présentation erronée. Cette omission peut avoir été faite de bonne foi ou encore, les renseignements manquants auraient pu ne pas mener à une conclusion d’admissibilité. Le critère consiste à savoir si l’omission de divulguer des renseignements a fermé l’accès à des avenues d’enquête sur des sujets qui étaient potentiellement pertinents quant à la décision à prendre. Dans Cao c Canada, 2010 CF 450, [2010] ACF no 537, le juge Robert Mainville décrit comme suit le critère juridique applicable :

[28]      Aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, la demanderesse principale est interdite de territoire au Canada si elle a fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Je conclus que cette disposition, lue de pair avec le paragraphe 16(1) de la Loi, impose à la demanderesse principale l’obligation générale de divulguer tous les faits qui peuvent être importants pour sa demande de résidence permanente. Le système d’immigration canadien est fondé sur la prémisse que tous ceux qui présentent une demande dans le cadre de la Loi fourniront des renseignements véridiques et complets sur la foi desquels une décision sera prise au sujet de leur admission éventuelle au Canada. L’intégrité et la crédibilité de ce système exigent que tous les intéressés prennent cette obligation au sérieux, et cela inclut, dans le cas présent, la demanderesse principale.

[10]           À mon avis, Mme Aoun a été l’artisane de son propre malheur. Les documents de demande qu’elle a signés à deux occasions sont clairs. On lui avait enjoint de fournir au complet ses antécédents professionnels depuis l’âge de 18 ans. En signant la demande, elle a déclaré que les renseignements fournis étaient « véridiques, complets et exacts ». Elle a de plus déclaré qu’elle comprenait les questions qui lui étaient posées et elle s’est engagée à apporter des corrections s’il y avait des changements dans les renseignements fournis. Elle a également reconnu qu’une conclusion de présentation erronée aurait pour conséquence qu’il lui serait interdit d’entrer au Canada pendant deux ans. Nonobstant ces reconnaissances et ces directives, Mme Aoun a délibérément omis certains antécédents professionnels parce qu’elle ne les croyait pas importants. 

[11]           La question en l’espèce n’est pas de savoir si les renseignements professionnels que Mme  Aoun a omis de divulguer auraient influé sur l’évaluation finale de sa demande. La question est de savoir si la nature de ces renseignements est habituellement considérée comme étant importante par le ministère. Les antécédents professionnels ne permettent pas uniquement de se prononcer sur le profil d’une personne quant à son expérience. Ils sont également importants quant à l’évaluation du profil de sécurité d’une personne. Des employeurs peuvent soulever des inquiétudes en matière de sécurité et, dans d’autres cas, les motifs de cessation d’emploi d’une personne pourraient être extrêmement importants. Dans une situation comme celle en l’espèce, le ministère a été au départ privé de la possibilité de faire les enquêtes pertinentes. Cela était suffisant pour appliquer l’article 40 à la demande présentée par Mme Aoun. 

[12]           Je reconnais que cette décision n’était pas inévitable et qu’une approche plus clémente aurait pu être adoptée à la lumière de ces faits. Mais cela ne signifie pas que la décision était lacunaire sur le plan juridique. En effet, il était raisonnablement loisible à l’agent des visas de conclure que les omissions dans la demande de visa de Mme Aoun pouvaient s’avérer importantes et, par conséquent, elles étaient visées par l’article 40. 

[13]           Il n’appartient pas à une demandeure de visa de divulguer de façon sélective les renseignements personnels pertinents exigés au motif qu’elle croit qu’ils ne feraient pas la moindre différence. Les demandeurs de visa ne décident pas ce qui peut être important pas plus qu’ils ne peuvent s’attendre à être excusés si, à l’occasion d’une enquête plus approfondie du décideur, le récit complet est finalement divulgué. La divulgation complète doit avoir lieu au moment où la demande est présentée. M. Aoun a raison de dire que la politique ministérielle enjoint aux agents des visas d’être vigilants en ce qui a trait à la possibilité d’erreurs mineures ou d’erreurs faites de bonne foi et de ne pas appliquer l’article 40 aveuglément à toutes les situations où il pourrait techniquement s’appliquer. Cela ne signifie toutefois pas que l’omission de divulguer des renseignements importants devrait être systématiquement excusée. 

[14]           Notre système d’immigration s’appuie fortement sur l’honnêteté et la bonne foi des demandeurs de visa. Ces normes s’éroderaient rapidement s’il y avait peu ou pas de conséquences à l’égard de la réticence sur des renseignements pouvant s’avérer importants dans une demande de visa. J’ai fait valoir le même point dans Bundhel c MCI, 2014 CF 1147, 247 A.C.W.S. (3d) 923, une affaire qui portait également sur une omission de divulgation de renseignements. Dans cette affaire, un argument très semblable a été invoqué à l’égard de deux accusations criminelles graves qui visaient le demandeur et qui ont été finalement rejetées. Le demandeur soutenait que son acquittement rendait les renseignements demandés peu importants. L’agente des visas était en désaccord et j’ai maintenu la décision pour le motif suivant :

[9]        En fait, notre système de contrôle en matière d’immigration repose en grande partie sur la sincérité des déclarations faites par les personnes qui présentent des demandes pour entrer au pays. Toute personne qui fait une présentation erronée de ses antécédents ou qui fait une réticence sur des renseignements importants afin d’améliorer ses chances d’entrer au pays ne mérite pas qu’on lui accorde une attention particulière. Les conséquences sont graves pour M. Bundhel, mais elles résultent de son omission de communiquer des renseignements importants. L’intégrité du contrôle qu’exerce le Canada sur ses frontières n’exige rien de moins des demandeurs qu’ils fassent preuve d’une honnêteté scrupuleuse, et que cette obligation soit appliquée de façon rigide. La décision de l’agente respecte ce principe et elle est à tous égards raisonnable.

[15]           À mon avis, la conclusion de l’agent des visas selon laquelle Mme Aoun a manqué à l’obligation de divulgation complète prévue par la loi en faisant preuve de réticence sur des renseignements importants dans sa demande de visa était raisonnable et, par conséquent, légale. La présente demande est donc rejetée. 

[16]           Aucune partie n’a proposé de question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT

la cour statue que la présente demande est rejetée. 

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


cour fédérale

avocats inscrits au dossier


Dossier :

IMM-1253-14

 

Intitulé :

AMAL AOUN c le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

Lieu de l’audience :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 février 2015

 

Motifs du jugement
ET JUGEMENT :

Le juge BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 mars 2015

 

Comparutions :

Talal Aoun,

pour le compte de sa sœur

 

Pour la demanderesse

Catherine Vasilaros

Pour le défendeur

 

Avocats inscrits au dossier :

Amal Aoun

a/s de Talal Aoun

Windsor (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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