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Date : 20150401


Dossier : IMM-5543-10

Référence : 2015 CF 414

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2015

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

MIROSLAV SARKOZI, ANDREJ BALOG, ZANETA BALOGOVA, GALINA BALOGOVA, VIKTOR SARKOZI, ANDREJ BALOG, ANDREJ BALOG, MARIE BALOGOVA, ET LUKAS BALOG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le présent contrôle judiciaire concerne des membres d’une famille tchèque d’origine rome qui se sont vus refuser l’asile parce que des conclusions défavorables furent tirées en matière de crédibilité, de persécution et de protection de l’État. Le présent dossier a été plaidé conjointement avec le dossier IMM-6448-10 et les commentaires de la Cour dans la présente procédure figurent dans la décision Lasab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 413.

II.                Historique

[2]               La présente affaire a commencé avec neuf ressortissants tchèques d’origine rome. Cinq d’entre eux ont retiré leur demande. M. Andrej Balog est retourné en République tchèque.

[3]               Les demandeurs invoquent une série d’incidents qui, selon eux, constituent de la persécution. Ces incidents sont notamment les suivants : nombreuses agressions commises par des skinheads, insultes racistes proférées dans les transports en commun, éviction de transports en commun et renvoi d’une équipe de soccer (football) en raison de leur origine rome. Ils allèguent également que des Roms ont été victimes de stérilisation forcée et que des résidents skinheads ont fait signer des pétitions visant à faire expulser des Roms de leurs immeubles locatifs.

[4]               M. Victor Sarkozi souffre d’une maladie mentale et était inscrit dans une école spécialisée, sans le consentement de ses parents. Il était constamment harcelé, il ne recevait aucune protection ni aucune aide de la part des enseignants et il a fini par être agressé et blessé. Il a finalement été retiré de l’école.

[5]               L’agression commise à l’école et une agression commise contre deux autres demandeurs par des skinheads ont été signalées à la police, mais aucune arrestation n’a eu lieu.

[6]               Dans la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], le commissaire a soulevé un certain nombre de doutes quant à la crédibilité. Plus précisément, il n’était pas clair si des excuses avaient été faites concernant les stérilisations forcées. En ce qui concerne M. Miroslav Sarkozi, il y avait des divergences importantes entre les déclarations figurant dans son FRP et son témoignage concernant les attaques perpétrées sur sa maison. Il a déclaré que ses enfants étaient présents alors que, en fait, ils n’étaient pas nés. Dans le même ordre d’idées, il a fait des déclarations contradictoires en ce qui concerne une agression qui aurait eu lieu dans un train.

[7]               La SPR a souligné que, en République tchèque, de nombreux enfants roms sont envoyés dans des écoles spécialisées qui s’adressent aux étudiants âgés de 3 à 19 ans souffrant de déficiences intellectuelles. La SPR, tout en soulignant que certaines améliorations ont été apportées dans ce domaine, a reconnu que, malgré ces améliorations, il existait toujours des préjugés. La SPR a conclu que de sérieux efforts étaient déployés afin d’enrayer ce type de discrimination. Elle a conclu que ces incidents, considérés séparément ou cumulativement, n’équivalaient pas à de la persécution.

[8]               La SPR a confirmé le témoignage selon lequel des stérilisations forcées avaient eu lieu, que celles‑ci faisaient l’objet d’une enquête et que des indemnisations pourraient être accordées, mais elle a néanmoins conclu que les deux actes de stérilisation forcée qui ont été allégués n’étaient pas suffisamment documentés.

[9]               En ce qui concerne la protection de l’État, la SPR a souligné ce qui suit : la République tchèque est un pays fondamentalement démocratique; il y existe des lois visant à protéger les Roms; il y existe des lois contre la discrimination et les crimes haineux. La SPR a également fait remarquer que le gouvernement tchèque faisait des efforts visant à accroître la confiance entre les Roms et la police, à former des Roms pour le travail de policier et à sensibiliser la police à la question des Roms. Il a finalement été conclu que le gouvernement tchèque faisait des efforts sérieux afin d’enrayer la discrimination, que la police répondait aux plaintes et que, par conséquent, les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants.

III.             Analyse

[10]           La norme de contrôle applicable à la décision de la SPR, en ce qui concerne la crédibilité, la persécution et la protection de l’État, est celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Tetik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1240, 86 Imm LR (3d) 154 (CF)). La décision concernant le critère juridique qu’il convient d’appliquer pour établir l’existence de la protection de l’État est contrôlable selon la norme de la décision correcte (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, 440 FTR 106).

[11]           La décision de la SPR comporte trois problèmes distincts, mais importants, à savoir la crédibilité, la persécution et la protection de l’État.

[12]           En ce qui concerne la crédibilité, ou l’absence de crédibilité, c’est concernant M. Miroslav Sarkozi et M. Andrej Balog (qui n’est plus demandeur) qu’il existait des doutes. Les doutes concernant la crédibilité de M. Sarkozi semblaient raisonnables, mais il était à la fois déraisonnable et inéquitable de mettre les autres demandeurs dans le même panier que M. Sarkozi. Non seulement la SPR n’a pas conclu que M. Sarkozi n’était par ailleurs pas crédible, sauf en ce qui concerne deux incidents, mais elle n’a également exprimé aucun doute important quant aux autres demandeurs, qui, chacun, avait ses propres éléments de preuve et ses propres allégations.

[13]           Pour ce motif, la décision de la SPR quant à la crédibilité ne devrait pas être maintenue.

[14]           En ce qui concerne la discrimination et la persécution, la SPR a conclu que les actes de discrimination n’équivalaient pas à de la persécution, et ce, sans soumettre aucune analyse sur leurs effets cumulatifs ou sans expliquer pourquoi ces actes de discrimination reconnus n’équivalaient pas à de la persécution.

[15]           La Cour a déclaré qu’il ne suffit pas que la SPR déclare simplement qu'elle a examiné la nature cumulative des actes de discrimination (Mete c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 840, 46 Imm LR (3d) 232). Les demandeurs avaient le droit de savoir pourquoi ces actes (comme la stérilisation forcée, les agressions à l’école, etc.) n’équivalaient pas à de la persécution.

[16]           Enfin, contrairement à la situation dans Lasab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 413, la question de la protection de l’État était une question en litige. La SPR a omis d’évaluer, comme elle est tenue de le faire, le caractère adéquat de cette protection. Elle a énuméré les efforts qui sont déployés sans vérifier s’ils sont vraiment adéquats. Il n’est pas suffisant que l’État fasse des « efforts sérieux » pour assurer une protection, il faut que celle-ci soit adéquate (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 103 DLR (4th) 1).

[17]           L’analyse relative à la protection de l’État était incomplète et ne peut pas être acceptée.

IV.             Conclusion

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. L’affaire sera renvoyée à la SPR pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué.

[19]           Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5543-10

 

INTITULÉ :

MIROSLAV SARKOZI, ANDREJ BALOG, ZANETA BALOGOVA, GALINA BALOGOVA, VIKTOR SARKOZI, ANDREJ BALOG, ANDREJ BALOG, MARIE BALOGOVA ET LUKAS BALOG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 1ER AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Zahir Mashadi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm

Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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