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Date : 20150313

Dossier : IMM‑6941‑13

Référence : 2015 CF 310

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ZELJKO TRAVANCIC

GORDANA TRAVANCIC

TONI TRAVANCIC

DARKO TRAVANCIC

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente demande de contrôle et d’annulation de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] par laquelle les demandes de protection des demandeurs ont été refusées, doit être rejetée. Ces derniers ont soulevé plusieurs préoccupations concernant la décision faisant l’objet du contrôle, dont certaines peuvent être fondées; cependant, je suis d’avis que la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État est raisonnable, et la décision finale repose sur cette seule conclusion.

Contexte

[2]               Les demandeurs sont des citoyens de la Croatie. Zjelko Travancic est Croatien et son épouse, Gordana Travancic, Serbe. Ils sont tous deux nés à Zenica (Bosnie‑Herzégovine). En 1994, ils ont quitté cette ville en raison des troubles civils : ils se sont installés d’abord dans d’autres régions de la Bosnie puis en Serbie, où est né leur premier fils, Darko. En Serbie, M. Travancic a subi des menaces physiques et verbales en raison de sa nationalité. La situation s’est à ce point détériorée qu’il a dû quitter sa famille et vivre seul à Omis (Croatie) (petite localité en périphérie de Split (Croatie)) d’août 1996 à décembre 1999.

[3]               Les demandeurs ont décidé de retourner à Zenica où est né leur deuxième fils, Toni, et ils ont connu des difficultés en raison de leur métissage ethnique et religieux. M. Travancic s’est adressé à la police, mais sans résultats. Les demandeurs ont de nouveau été forcés de quitter la Bosnie en raison de menaces et d’agressions et, en janvier 2001, ils se sont installés à Omis (Croatie).

[4]               Les demandeurs ont commencé à rencontrer des difficultés en septembre 2002, lorsque Darko a été inscrit à l’école élémentaire. Il a été harcelé parce qu’il était né en Serbie et qu’il n’était pas un [traduction« pur Croate »; il a été brutalement agressé, et le domicile des demandeurs a été recouvert de graffitis disant : [traduction« Retournez en Serbie, bâtards serbes ». Les demandeurs allèguent que des incidents analogues se sont produits lorsque Toni a commencé l’école.

[5]               M. Travancic a signalé ces incidents à la police, mais aucune mesure n’a été prise. Il a essayé de parler aux parents des enfants responsables, mais ceux‑ci l’ont injurié et harcelé. Il a été traité de traître au peuple croate parce qu’il avait épousé une Serbe.

[6]               Mme Travancic n’a pas réussi à obtenir un poste d’enseignante, ce qu’elle met sur le compte de son origine serbe. Cela dit, elle a pu trouver d’autres emplois quand ils vivaient en Croatie. En 2010, un autre incident est survenu : quelqu’un lui a arraché son bracelet orné de motifs orthodoxes dans la rue.

[7]               Au début de 2011, Toni a été accusé à tort d’avoir commis des [traduction] « mauvaises actions », et il a été agressé par l’un de leurs voisins. Il a aussi été insulté et intimidé par des nationalistes dans l’ascenseur de l’immeuble des demandeurs. M. Travancic a signalé ces incidents, mais aucune mesure n’a été prise.

[8]               En essayant de protéger ses enfants, M. Travancic est devenu la cible d’anciens membres de l’armée durant la guerre. Il a été agressé, battu et menacé par des personnes armées. Il pense avoir été pris pour cible en raison de ses origines croates et bosniaques, et de son passage dans l’armée serbe. Il a reçu des menaces le sommant de ne pas aller voir la police. Il savait que de nombreuses personnes avaient disparu à la suite de telles menaces, et pour cette raison il ne s’est pas adressé aux autorités.

[9]               À la mi‑avril 2011, Darko a été agressé et volé par cinq jeunes nationalistes croates sur le chemin de l’école secondaire à Split. Il n’a pas été en mesure d’identifier ses agresseurs. L’incident a été signalé à la police de Split, mais les demandeurs se sont fait dire qu’ [traduction« il y avait trop d’incidents de ce genre » et que Darko ne pouvait pas bénéficier d’une escorte policière. La police a suggéré à M. Travancic de l’accompagner à l’école, ce qu’il a pu faire pendant dix jours en prenant des congés du travail. Les demandeurs ont commencé à recevoir des appels anonymes les menaçant directement de meurtre s’ils ne quittaient pas Omis. Ils affirment qu’ils étaient insatisfaits de la réponse de la police, mais ils n’ont pris aucune autre mesure.

[10]           Lorsqu’ils vivaient en Croatie, les demandeurs rendaient régulièrement visite à leurs familles en Bosnie et en Serbie. Leur séjour le plus récent a eu lieu un mois avant leur arrivée au Canada.

[11]           Les demandeurs craignaient pour leurs vies et leur sécurité, et prétendent qu’ils ne pouvaient vivre en sécurité nulle part dans la région. Ils sont arrivés au Canada le 23 juin 2011 et ont présenté une demande d’asile quelques jours plus tard, au motif qu’ils seraient persécutés en raison de leurs origines mixtes s’ils retournaient en Croatie.

[12]           La SPR a estimé que les demandeurs n’avaient pas établi que la discrimination et le harcèlement qu’ils avaient subi en Croatie équivalaient à de la persécution ou qu’ils seraient victimes de persécution en cas de retour. Elle a également conclu que les demandeurs n’avaient pas une crainte subjective de persécution puisqu’ils n’ont pas d’abord essayé de quitter la petite ville d’Omis pour une plus grande ville de Croatie, qu’un long délai s’était écoulé entre les premiers incidents et leur départ, qu’ils rendaient fréquemment visite à leurs familles en Bosnie et en Serbie, et qu’ils retournaient en Croatie. Les demandeurs contestent toutes ces conclusions.

[13]           L’élément crucial aux fins de la présente demande est que la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

Questions à trancher

[14]           Comme je l’ai déjà mentionné, si la conclusion concernant la protection de l’État est raisonnable, la décision ne peut pas être infirmée, quand bien même les autres prétendues erreurs seraient confirmées, car, le cas échéant, les demandeurs n’ont pas besoin de protection.

Analyse

[15]           M. Travancic a signalé au seul commissariat d’Omis l’intimidation dont ses fils ont été victimes à partir de 2005. Après l’agression d’avril 2011, il s’est rendu au poste de police avec Darko. Cependant, la Commission a noté qu’aucun rapport de police n’avait été présenté en preuve pour corroborer ces événements, et qu’aucun des parents ne s’était adressé à d’autres instances pour signaler le moindre problème, ni effectué de suivi auprès de la police malgré leur insatisfaction.

[16]           La SPR a ensuite examiné la preuve documentaire objective et conclu que la Croatie est une démocratie fonctionnelle, que le respect des droits des minorités avait progressé, et que les autorités avaient pris des mesures pour protéger les minorités ethniques et religieuses et pour en accroître la représentation. La SPR a reconnu que les membres de minorités sont encore victimes de harcèlement et de discrimination, et qu’il était possible que les autorités réagissent à ces problèmes avec lenteur ou inefficacité.

[17]           Les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur en concluant qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État, puisque les demandeurs d’asile ne sont pas censés continuer à réclamer la protection de l’État lorsqu’il est évident qu’elle ne leur sera pas offerte. Ils affirment qu’ils ont signalé de nombreux incidents à la police, sans suite, et soutiennent que la conclusion de la SPR est déraisonnable parce que la preuve documentaire objective démontre que la protection de l’État en Croatie est inadéquate pour les minorités ethniques.

[18]           Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas pris toutes les mesures raisonnables pour démontrer que la protection était insuffisante. Ils ont peut‑être prouvé que le commissariat d’Omis n’a pas réagi efficacement, mais lorsqu’ils se sont adressés à un autre commissariat à Split, la police a tenté d’identifier les agresseurs, ce qui confirme que l’État offre une protection adéquate. Les demandeurs prétendent qu’ils étaient insatisfaits de la réaction de la police, mais ils n’ont pris aucune autre mesure. Il fait aussi remarquer que M. Travancic n’est pas allé voir la police lorsqu’il a été agressé et qu’il savait qui était l’un des agresseurs.

[19]           Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu que la preuve documentaire n’était pas uniforme, et qu’elle ne pouvait donc établir à elle seule de manière claire et convaincante l’incapacité de l’État à offrir une protection. La SPR a reconnu que la discrimination à l’endroit des minorités demeure un problème en Croatie et que l’efficacité de la réponse des autorités à certaines allégations de discrimination est critiquée. Compte tenu de ces résultats mitigés, la SPR a conclu que les efforts de l’État ont concrètement amélioré la situation des minorités et la réponse offerte à la suite d’incidents commis pour des motifs ethniques.

[20]           Après avoir examiné la preuve concernant les tentatives faites par les demandeurs en vue d’obtenir la protection de l’État et la preuve documentaire, je ne puis conclure que la présomption de protection de l’État a été réfutée. M. Travancic a déclaré qu’il est allé voir la police à Omis [traduction« deux ou trois fois » entre 2005 et 2010, puis une fois en 2011, mais en vain. Il s’est également adressé à la police de Split une fois en avril 2011 avec son fils, mais la police, qui était disposée à l’aider, n’a rien pu faire, car le coupable n’a pas été identifié. Je conviens avec le défendeur que l’inaction locale de la petite force policière de la petite ville d’Omis ne prouve pas de manière convaincante l’absence de protection de l’État, d’autant qu’il est établi que la police de Split, une plus grande ville, était en mesure d’offrir une protection.

[21]           Je conviens également avec le défendeur qu’il n’était pas déraisonnable de la part de la SPR de conclure que la preuve documentaire objective qui n’était pas uniforme ne réfutait pas de manière claire et convaincante la présomption de protection de l’État, comme cela est exigé.

[22]           Pour ces motifs, la décision de la SPR concernant la protection de l’État ne peut être infirmée et, par conséquent, la demande doit être rejetée.

[23]           Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM‑6941‑13

 

INTITULÉ :

ZELHKO TRAVANCIC c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 janvier 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge zinn

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 mars 2015

 

COMPARUTIONS :

Paul Vandervennen

POUR LES demandeurS

Daniel Engel

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

VanderVennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demandeurS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

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