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Date : 20150324


Dossier : IMM‑4045‑14

Référence : 2015 CF 371

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2015

En présence de madame la juge Tremblay‑Lamer

ENTRE :

NICOLAS MILLER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision par laquelle une agente principale d’immigration a refusé la demande de résidence permanente du demandeur faite depuis le Canada et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[2]               Le demandeur est un citoyen de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines. Il est au Canada depuis son arrivée en 2003 à titre de visiteur, mais il est sans statut depuis cette date. Il a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 20 septembre 2013.

[3]               Dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires, le demandeur a indiqué qu’il a un fils de quatre ans au Canada dont il a la garde exclusive étant donné que sa mère n’est pas en mesure de s’en occuper. Son fils, un citoyen canadien, a une déficience auditive grave et permanente : il doit donc porter une prothèse auditive et recevoir des soins à Montréal.

[4]               Si son fils devait aller vivre à Saint‑Vincent avec lui, il n’aurait plus les services médicaux, thérapeutiques et scolaires sur lesquels il peut compter en sa qualité de citoyen canadien. Cette situation exacerberait son isolation et les problèmes auxquels il est exposé en tant que personne sourde. Au soutien de son affirmation, le demandeur a fourni des lettres provenant du pédiatre et de l’audiologiste de son fils, lesquels confirment sa déficience auditive. Le pédiatre affirme que l’intérêt supérieur de cet enfant commande qu’il demeure au Québec où il pourra obtenir des soins adéquats, et l’audiologiste dit qu’à sa connaissance et d’après les parents, il n’existe pas de services professionnels adéquats dans les Antilles.

[5]               Le 19 février 2014, l’agente a communiqué avec le demandeur pour lui demander d’obtenir, entre autres choses, des renseignements concernant les soins de santé que son fils pourrait obtenir à Saint‑Vincent.

[6]               Le demandeur a répondu dans une lettre que les soins médicaux que son fils peut obtenir au Canada ne pourraient lui être fournis à Saint‑Vincent. Il a indiqué qu’à Saint‑Vincent, les personnes sourdes sont appareillées d’amplificateurs de technologie peu avancée au lieu de dispositifs Bluetooth qui permettent de combler leurs besoins précis, et l’instruction que reçoivent les personnes sourdes est de qualité inférieure comparativement à l’instruction et aux services spécialisés qu’elles reçoivent au Canada.

[7]               Le demandeur termine sa lettre comme suit :

[traduction]

P.‑S. Je joins une étude que j’ai trouvée sur Internet qui peut également apporter un éclairage sur la situation des enfants sourds à Saint‑Vincent.

[8]               Or, le défendeur indique qu’il n’a jamais reçu ce document.

[9]               Le 28 avril 2014, l’agente a refusé la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur.

[10]           En ce qui concerne le fils du demandeur, l’agente a affirmé qu’elle avait demandé au demandeur qu’il lui fournisse d’autres renseignements sur les soins médicaux dont son fils pourrait bénéficier à Saint‑Vincent. Le demandeur a produit des déclarations écrites supplémentaires, mais il n’a produit aucun élément de preuve pour corroborer son affirmation.

[11]           L’agente a conclu que le fils du demandeur pouvait retourner vivre à Saint‑Vincent avec lui, compte tenu des éléments suivants : aucun élément de preuve ne permettait de croire que l’enfant n’aurait pas accès à des ressources à Saint‑Vincent pour l’aider à combler sa déficience; la famille du demandeur pourrait apporter son soutien durant la période de transition découlant de la réinstallation à Saint‑Vincent; et l’enfant pourrait, en sa qualité de citoyen canadien, revenir au Canada en tout temps.

[12]           La question déterminante qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’agente a contrevenu aux règles d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas donné au demandeur la possibilité de produire le rapport manquant qui, selon les indications du demandeur, était joint à sa lettre.

[13]           Les questions relatives à l’équité procédurale appellent la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Riaji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1240, au paragraphe 24; Galyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 250, au paragraphe 27).

[14]           Selon le demandeur, l’agente a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte du rapport intitulé « Sociolinguistic Profiles of the Deaf Communities in Trinidad, St. Vincent and Grenada » [Les profils sociolinguistiques des personnes sourdes à Trinité, à Saint‑Vincent et à Grenade][le rapport], et n’y a pas donné suite. Il s’agissait manifestement d’un élément de preuve pertinent vu que l’agente était d’avis qu’en l’absence de preuve contraire, rien ne lui permettait de croire que le fils du demandeur n’aurait pas accès à des ressources à Saint‑Vincent pour l’aider à combler sa déficience. L’agente était tenue d’exiger du demandeur qu’il lui fournisse la copie de l’étude manquante vu qu’il s’agissait d’un élément de preuve corroborant le caractère inadéquat des services de santé prodigués aux enfants sourds à Saint‑Vincent et que le demandeur avait clairement indiqué dans sa lettre qu’il y joignait le rapport.

[15]           Le défendeur fait valoir que la Cour ne devrait pas tenir compte du rapport, parce que si celui‑ci l’a produit dans son dossier, il ne l’a pas présenté au soutien de sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur a le fardeau de produire les éléments de preuve au soutien de sa demande (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 8 [Owusu]; Nguyen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 236, aux paragraphes 7, 8 et 13). L’agente a donné au demandeur une occasion de fournir ces documents et elle n’était pas tenue de lui en donner une autre. Quoi qu’il en soit, la preuve du demandeur comportait d’autres lacunes, et la décision de l’agente était raisonnable.

[16]           L’équité procédurale exige que le demandeur ait une réelle possibilité de présenter les divers types de preuve au soutien de ses arguments et que le décideur les examine en détail (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 28; Sinnathamby c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1421, au paragraphe 25; Ghasemzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 716, au paragraphe 27).

[17]           En l’espèce, la preuve concernant le rapport que le demandeur a produit à son dossier de demande est contradictoire. Il affirme que le rapport a été fourni, mais l’agente dit le contraire.

[18]           J’estime que le rapport était pertinent pour l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi que le démontre cette remarque dans la décision de l’agente :

[traduction]

[…] J’ai également demandé à M. Miller qu’il me fournisse des renseignements concernant les soins médicaux auxquels [son fils] pourrait avoir accès à Saint‑Vincent. En guise de réponse, il a produit des déclarations écrites supplémentaires.

[…]

En outre, M. Miller indique ce qui suit :

P.‑S. Je joins à la présente lettre une étude que j’ai trouvée sur Internet qui peut également fournir des précisions sur la situation défavorable des enfants sourds à Saint‑Vincent.

Or, nous n’avons reçu aucun rapport à ce jour. Hormis les déclarations de M. Miller concernant la situation des enfants sourds à Saint‑Vincent et l’absence de ressources, il n’a fourni aucun élément de preuve corroborant ses constatations.

[19]           L’absence de cet élément de preuve a amené l’agente à tirer précisément cette importante conclusion :

[traduction]

Faute de preuve contraire, rien ne me permet de conclure que si [le fils de M. Miller] devait quitter le Canada avec son père, il n’aurait pas accès à des ressources à Saint‑Vincent pour l’aider à combler sa déficience.

[20]           Je conviens avec le défendeur que le demandeur avait certes le fardeau de prouver les faits sur lesquels reposait sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais dans les circonstances de l’espèce, l’agente aurait dû faire preuve de vigilance lorsque le demandeur a spécifiquement indiqué dans sa lettre qu’il y joignait un document précis, et si l’agente ne lui signalait pas que ce document était manquant, il n’avait aucun moyen de le savoir.

[21]           Dans les circonstances, l’agente aurait dû, à tout le moins, prévenir le demandeur que le rapport n’était pas joint à la lettre et exiger une copie. Ce défaut fait en sorte que l’agente a contrevenu à son obligation d’équité procédurale.

[22]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agente datée du 28 avril 2014 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑4045‑14

 

INTITULÉ :

NICOLAS MILLER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruiszczynski

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lisa Maziade

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark J. Gruiszczynski

Gruszczynski Romoff

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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