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Date : 20150331


Dossier : IMM-3136-14

Référence : 2015 CF 406

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

MOHAMMAD FAHIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Mohammad Fahim (le demandeur) présente une demande de contrôle judiciaire conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) à l’égard de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), a jugé qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen de l’Afghanistan qui résidait dans la province de Ghazni. Il a déclaré devant la Commission qu’il travaillait avec son père et son frère dans l’entreprise familiale, laquelle fournissait des voitures et des pièces de rechange à l’armée américaine. À ses dires, il est devenu une cible des talibans parce qu’il faisait affaire avec les militaires américains.

[4]               Le demandeur a quitté l’Afghanistan après avoir obtenu un visa pour étudier aux États Unis, où il a habité du 21 décembre 2013 au 17 janvier 2014. C’est à cette dernière date qu’il est arrivé au Canada et a immédiatement demandé l’asile.

[5]               Dans une décision datée du 3 avril 2014, la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié ni une personne à protéger. La question déterminante dans cette affaire était la crédibilité du demandeur. Or, selon la Commission, il y avait une importante contradiction entre la déclaration faite par le demandeur au point d’entrée (PDE) et la teneur de son récit et de son témoignage à l’audience.

[6]               Au PDE, on a posé la question suivante au demandeur : [traduction« Est ce que quelque chose est arrivé récemment en Afghanistan pour motiver votre désir de venir au Canada? » Voici ce qu’il a répondu :

[traduction] J’ai été menacé personnellement pendant que j’étais à Kaboul, mais je suis originaire de Ghazni et je savais que les menaces venaient de là bas. Notre entreprise familiale fait des affaires avec des étrangers des États Unis. Et nos concurrents afghans étaient en colère parce qu’ils ne pouvaient pas travailler avec les Américains.

[7]               Lorsqu’on lui a donné la possibilité à l’audience de clarifier la déclaration qu’il avait faite au PDE, le demandeur a témoigné qu’il pensait que la question visait uniquement ses expériences récentes à Kaboul, où la menace provenait principalement d’entreprises concurrentes et de la mafia. Dans la mesure où la déclaration [traduction« les menaces venaient de là bas » renvoyait aux talibans actifs au Helmand, cette déclaration n’a jamais été expliquée (transcription, dossier certifié du tribunal, aux pages 238 239).

[8]               La Commission a rejeté l’explication du demandeur concernant la raison pour laquelle il devait lui même faire les voyages de Kaboul au Helmand, au lieu d’envoyer un autre employé de l’entreprise. Un tel comportement ne démontrait pas, selon elle, l’existence d’une crainte pour sa sécurité personnelle. Elle a conclu que les fréquents voyages du demandeur à l’extérieur de Kaboul étaient entrepris pour des raisons purement économiques.

[9]               La Commission n’a pas tiré de conclusion explicite au sujet d’une possibilité de refuge intérieur (PRI), mais elle a fait remarquer que le demandeur avait témoigné que son frère et son père ne couraient pas le même risque que lui parce qu’ils restaient à Kaboul, où les talibans ne menaient pas d’activités, ce qui est étayé par la preuve documentaire. La Commission a conclu que cette information « renfor[çait] les inférences défavorables quant au récit offert par le demandeur d’asile ». De plus, elle a fait remarquer que la lettre de menaces présentée en preuve par le demandeur n’était pas adressée à une personne en particulier. La Commission a conclu que même si elle était authentique, la lettre ne démontrait pas que le demandeur continuerait d’être en danger à Kaboul s’il arrêtait de faire ses voyages au Helmand.

[10]           La Commission a aussi indiqué que la lettre signée par le frère du demandeur ne mentionnait aucun problème avec les talibans ou les entreprises concurrentes. Or, c’est ce que le demandeur avait invoqué à l’appui de sa demande d’asile, et la lettre en question avait été rédigée moins d’un mois avant l’audience. Le document semblait être une simple lettre de recommandation.

[11]           La Commission a par conséquent conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il risquait d’être ciblé par les talibans ou des entreprises concurrentes à Kaboul.

II.                Question en litige

[12]           La présente demande ne soulève qu’une seule question : l’appréciation par la Commission de la crédibilité du demandeur et de la preuve était elle raisonnable?

III.             Analyse

[13]           Les conclusions de la Commission en matière de crédibilité et son appréciation de la preuve sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9). La Cour doit faire preuve de déférence envers la Commission pour les questions de crédibilité et d’appréciation de la preuve, y compris en ce qui concerne les PRI (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 aux paragraphes 35 38; Trevino Zavala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 370 au paragraphe 5; Hernandez Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 583 au paragraphe 28; Kurkhulishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 7, au paragraphe 4).

[14]           Le demandeur fait valoir que la Commission a mal interprété la déclaration du demandeur faite au PDE et a indûment mis l’accent sur son omission de mentionner expressément les talibans (Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1102 au paragraphe 16). Selon de demandeur, la Commission a omis de tenir compte du fait qu’il souffrait d’anxiété au PDE et que la personne qui a traduit ses déclarations parlait un dialecte connexe, mais différent. Il ajoute que la Commission n’a pas fourni de motifs suffisants à l’appui de son rejet de ses explications concernant la raison pour laquelle il devait voyager au Helmand en tant que représentant de l’entreprise familiale.

[15]           Le défendeur fait quant à lui valoir que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient raisonnables. Il était loisible à la Commission de comparer les déclarations faites par le demandeur au PDE et celles de son récit et de son témoignage devant la Commission, et de faire ressortir les incohérences. Comme la menace posée par les talibans constituait un aspect fondamental de la demande d’asile du demandeur, la Commission était en droit de tirer une inférence négative de son omission de la mentionner au PDE (Abid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 483 au paragraphe 15). Les notes de l’entrevue menée au PDE confirment par ailleurs que le demandeur n’avait aucune difficulté à répondre aux questions ou à comprendre l’interprète. Enfin, la Commission était en droit de rejeter l’explication du demandeur au sujet de ses voyages au Helmand. La conclusion de la Commission selon laquelle le récit du demandeur était incompatible avec une crainte à l’égard de sa sécurité personnelle était bien fondée et suffisamment expliquée.

[16]           Je suis d’accord avec le défendeur. S’il est vrai que des divergences mineures entre des déclarations faites au PDE et des déclarations lors du témoignage de vive voix ne sont pas suffisantes pour conclure qu’un demandeur manque de crédibilité, la Commission peut toutefois tirer des inférences négatives d’une omission concernant un élément clé de la demande d’asile (Jamil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792 au paragraphe 25; Alekozai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 158 au paragraphe 8). En l’espèce, la Commission a motivé de façon convaincante son rejet des explications du demandeur concernant ses voyages au Helmand, et il lui était loisible de conclure que le fait de voyager pour des raisons économiques n’était pas compatible avec une crainte véritable pour sa sécurité personnelle.

[17]           Le demandeur a aussi fait valoir que la Commission s’était montrée sélective dans son choix des renvois aux rapports du cartable national de documentation relatif à l’Afghanistan. En effet, certains rapports pourraient appuyer l’affirmation du demandeur selon laquelle il courrait un risque même s’il restait à Kaboul. Le défendeur répond toutefois que la preuve démontre que les talibans se manifestent rarement à Kaboul, et le demandeur a lui même témoigné que son père et son frère n’étaient pas en danger.

[18]           Encore une fois, je partage l’avis du défendeur. Le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, mais de s’assurer que la décision de la Commission appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). À la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris de la preuve documentaire et du témoignage du demandeur, la Commission pouvait raisonnablement conclure que le demandeur ne serait pas en danger s’il restait à Kaboul.

[19]           La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3136-14

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD FAHIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Zahra Khedri

POUR LE DEMANDEUR

 

Meva Motwani

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zahra Khedri

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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