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Date : 20150331


Dossier : IMM‑3078‑13

Référence : 2015 CF 407

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

LJUBISA GALOGAZA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               M. Ljubisa Galogaza, un citoyen de la Croatie, a présenté au Canada une demande d’asile. Cette demande est fondée sur sa crainte d’être persécuté en raison de son origine ethnique serbe et de son orientation sexuelle. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande, au motif que l’État assurait une protection adéquate en Croatie.

[2]               M. Galogaza soutient que la décision de la Commission était déraisonnable, principalement parce que cette dernière s’est fondée sur les efforts déployés par la Croatie pour protéger ses citoyens, et non sur sa capacité réelle à cet égard. M. Galogaza me demande d’infirmer la décision de la Commission et d’ordonner que sa demande soit réexaminée par un tribunal différemment constitué.

[3]               Je conviens avec M. Galogaza que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État et que, par conséquent, elle a tiré une conclusion déraisonnable. Je dois donc accueillir la demande de contrôle judiciaire et accorder à M. Galogaza la mesure de réparation demandée.

[4]               La seule question à trancher est celle de savoir si la Commission a fait une analyse déraisonnable de la protection offerte par l’État.

II.                Décision de la Commission

[5]               La Commission a souligné qu’il incombait à M. Galogaza de présenter une preuve claire et convaincante de la protection insuffisante offerte par l’État en Croatie. Elle a également affirmé que l’omission de demander une protection portait généralement un coup fatal aux demandes d’asile émanant d’un citoyen d’un État démocratique.

[6]               La Commission a passé en revue la preuve documentaire et a conclu ce qui suit :

                     les Serbes et les homosexuels sont victimes de discrimination et de violence généralisées en Croatie;

                     le gouvernement de la Croatie s’emploie à poursuivre les individus qui portent atteinte aux droits de la personne, mais les sanctions ne sont pas systématiques;

                     de violentes manifestations ont assombri la première marche de la fierté gaie, à Split, et la police n’a pas déployé beaucoup d’efforts pour les empêcher;

                     une autre marche de la fierté gaie ayant eu lieu ultérieurement à Zagreb a fait l’objet d’une protection policière accrue;

                     il a été reproché à la police de ne pas protéger les minorités sexuelles;

                     parmi les personnes appartenant aux minorités sexuelles, seules 6 % des victimes d’actes violents en font rapport à la police;

                     en dehors de Zagreb, les minorités sexuelles inspirent généralement de l’hostilité – les crimes haineux y sont monnaie courante;

                     les crimes motivés par une animosité envers les minorités sexuelles sont davantage pris au sérieux que d’autres crimes;

                     la loi interdit la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, et des dirigeants ont condamné les actes discriminatoires;

                     cela dit, les lois écrites ne sont pas appliquées et elles ont été peu efficaces pour réduire la discrimination dont sont victimes les minorités sexuelles.

[7]               Se fondant sur les éléments de preuve étayant le sérieux des efforts déployés par la Croatie pour protéger les minorités, la Commission a conclu que la protection de l’État s’offrant à M. Galogaza, à défaut d’être parfaite, était adéquate, et elle a rejeté sa demande.

III.             L’analyse de la Commission concernant la protection offerte par l’État était‑elle déraisonnable?

[8]               Le ministre soutient que l’analyse de la Commission était raisonnable, à la lumière de la preuve dont elle disposait. En outre, le ministre fait valoir que M. Galogaza avait le devoir de solliciter une protection auprès des représentants de l’État, et qu’en raison de son omission de le faire, sa demande ne pouvait être accueillie.

[9]               Je ne suis pas d’accord.

[10]           Selon moi, la Commission a accordé trop d’importance aux efforts déployés par la Croatie pour améliorer le sort des minorités, et pas assez aux maigres résultats concrets qu’ont donné ces efforts. Qui plus est, la Commission a imposé à M. Galogaza l’obligation de solliciter la protection de l’État, alors que la loi ne l’obligeait pas à le faire dans les circonstances.

[11]           Les mesures déployées par un État pour s’attaquer à la discrimination et à la persécution sont de toute évidence pertinentes dans le contexte des demandes d’asile, étant donné que, par définition, un réfugié est une personne qui ne peut se réclamer de la protection de son pays d’origine (voir l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR); voir l’Annexe).

[12]           Toutefois, les efforts déployés par un État ne permettent pas, en soi, de conclure que le demandeur pouvait bel et bien se prévaloir d’une protection :

[L]a preuve au sujet des efforts de l’État n’aide pas à répondre à la question principale soulevée dans les cas de protection de l’État — c’est‑à‑dire, si l’on examine la preuve dans son ensemble, y compris la preuve au sujet de la capacité de l’État de protéger ses citoyens, le demandeur a‑t‑il montré qu’il existe un risque raisonnable qu’il soit exposé à de la persécution dans son pays d’origine? Pour répondre à cette question, la Commission doit déterminer si la preuve portant sur les ressources de l’État dont les demandeurs peuvent se prévaloir montre qu’il n’existe probablement pas de risque raisonnable de persécution s’ils retournaient [dans leur pays d’origine] (Moczo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 734, au paragraphe 10; Beri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 854, au paragraphe 46).

[13]           En l’espèce, la Commission n’a jamais répondu à cette question centrale. En outre, la preuve dont elle disposait établissait en fait que M. Galogaza serait exposé à un risque raisonnable de persécution malgré les efforts déployés par l’État pour contrer la discrimination visant les minorités ethniques et sexuelles.

[14]           De plus, il n’est pas absolument nécessaire de s’adresser aux autorités de l’État pour obtenir une protection. Par définition, un réfugié est notamment une personne qui, du fait d’une crainte de persécution, ne veut se réclamer de la protection de l’État (article 96 de la LIPR). M. Galogaza craignait de parler ouvertement de son orientation sexuelle, parce qu’il risquait d’être persécuté plutôt que protégé. La preuve révèle qu’en Croatie, la plupart des homosexuels choisissent, en raison de craintes, de ne pas parler de leur orientation sexuelle ou de ne pas faire rapport des actes violents dont ils sont victimes. Par conséquent, au vu de la preuve, la crainte de M. Galogaza n’était pas déraisonnable.

[15]           En outre, l’obligation de solliciter la protection des autorités de l’État pourrait être invoquée uniquement dans les cas où une protection serait vraisemblablement accordée. Encore une fois, la preuve documentaire dont disposait la Commission ne permet pas de conclure à l’existence d’une protection pour les personnes se trouvant dans la même situation que M. Galogaza. Par conséquent, l’omission de solliciter la protection de l’État n’a pas porté de coup fatal à la demande.

IV.             Conclusion et décision

[16]           La conclusion de la Commission eu égard à la protection de l’État ne constituait pas une issue acceptable au vu du droit et des éléments de preuve lui ayant été soumis. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un tribunal différemment constitué procède à un nouvel examen de la demande d’asile de M. Galogaza. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3078‑13

 

INTITULÉ :

LJUBISA GALOGAZA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 OctobrE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Anthony Navaneelan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Susan Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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