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Date : 20131030


Dossier :

T‑1768‑08

 

Référence : 2013 CF 1107

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2013

En présence de madame la juge Tremblay‑Lamer

 

ENTRE :

CORTEFIEL, S.A.

 

demanderesse

et

DORIS INC.

 

défenderesse

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) datée du 10 septembre 2008, par laquelle la registraire a refusé, en vertu du paragraphe 38(8) de la Loi sur les marques de commerce (la Loi), la demande d’enregistrement du dessin de la marque de commerce WOMEN’SECRET (la marque) présentée par la requérante à l’égard de marchandises :

[traduction] « (2) Vêtements pour femmes, à savoir soutiens‑gorge, maillots, combinés, corsets, bustiers (corsages), combinaisons de sous‑vêtements, hauts de sous‑vêtements, tricots, culottes, tangas (g‑string), culottes (gaines), culottes, gaines, pyjamas, chemises de nuit (camisoles), robes de chambre, ballerines, bonnets, bonnets de nuit, bas (culottes), mini‑bas, chaussettes, bikinis, maillots de bain, paréos (sarongs), shorts de bain; chaussures, à savoir articles chaussants en papier, sandales, chaussons de bain, chaussures de plage, bottes de sport, chaussons, chaussures de gymnastique, chaussures de sport, espadrilles; couvre‑chefs, à savoir, bérets, casquettes, chapeaux, bonnets et casques de bain; (3) […] soutiens‑gorge, maillots, combinés, corsets, bustiers (corsages), combinaisons de sous‑vêtements, hauts de sous‑vêtements, tricots, culottes, tangas (g‑string), culottes (gaines), culottes, gaines, pyjamas, chemises de nuit (camisoles), robes de chambre, peignoirs, vestons, blouses, pulls d’entraînement, pantalons, collants sans pieds, shorts, salopettes (robes), jupes, articles chaussants, bonnets, bonnets de nuit, bas (culottes), mini‑bas, chaussettes, bikinis, maillots de bain, paréos (sarongs), shorts de bain. »

 

 

 

LES FAITS

[2]               Le 15 novembre 1999, la société Cortefiel, S.A. (la demanderesse) a présenté une demande d’enregistrement de la marque de commerce WOMEN’SECRET, telle qu’illustrée ci‑après :

 

[3]               La demande portait sur un grand nombre de marchandises, dont [traduction] « (1) les préparations de décoloration; les préparations à récurer; les savons […] (2) les vêtements pour femmes […] (3) les préparations pour traitement facial […] les soutiens‑gorge, les maillots, les combinés, les corsets […] »

 

[4]               La demande reposait sur l’enregistrement et l’usage de WOMEN’SECRET en Espagne pour les marchandises (1) et (2) et l’usage projeté au Canada des marchandises (3).

 

[5]               La demande a été publiée dans le Journal des marques de commerce le 26 mars 2003.

 

[6]               Le 26 mai 2003, Doris Inc (la défenderesse) a déposé une déclaration d’opposition sur les marchandises (2) et (3), appelées collectivement [traduction] « vêtements et sous‑vêtements féminins ».

 

[7]               La demanderesse a déposé une contre‑déclaration le 22 janvier 2004 à titre de réponse.

 

[8]               Les deux parties ont déposé des arguments écrits et étaient représentées à l’audience devant la Commission.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]               La registraire a rejeté la demande portant sur les vêtements et les sous‑vêtements féminins. Elle a évalué six motifs d’opposition :

                    i.                        La registraire a rejeté la demande parce qu’elle n’est pas conforme aux exigences de l’alinéa 30e) de la Loi en ce sens que la requérante n’avait pas l’intention d’employer WOMEN’SECRET au Canada en liaison avec les marchandises. La défenderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de la preuve qui consistait à établir que la requérante n’entendant pas faire usage de la marque au Canada en liaison avec les marchandises spécifiques.

                  ii.                        La registraire a rejeté l’argument de la défenderesse selon lequel la demande n’est pas conforme aux exigences de l’alinéa 30i) de la Loi en ce sens que la requérante ne pouvait être convaincue qu’elle avait le droit d’utiliser WOMEN’SECRET au Canada en liaison avec les marchandises compte tenu de l’usage et de l’enregistrement antérieurs des marques de commerce de la défenderesse. La registraire a déclaré qu’[traduction] « on ne devrait faire droit au motif d’opposition fondé sur cette disposition que dans des cas exceptionnels, par exemple lorsque des éléments de preuve dénotent la mauvaise foi du requérant ». Toutefois, la défenderesse n’a pas allégué que la demanderesse connaissait les marques de commerce de la défenderesse ou a adopté WOMEN’SECRET en sachant qu’il existait une confusion avec les marques de commerce de la défenderesse.

                iii.                        La registraire a convenu que WOMEN’SECRET n’était pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi parce que ce nom portait à confusion avec 53 marques de commerce enregistrées de la défenderesse, notamment en ce qui touche le mot SECRET. La registraire a examiné le critère de la confusion à la lumière du paragraphe 6(2) de la Loi et a relevé les circonstances de l’espèce, dont celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5) : « a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. » Plus particulièrement, la registraire a conclu que la marque de commerce de la défenderesse comportait un caractère distinctif inhérent; les marchandises de la demanderesse étaient étroitement liées, « voire faisaient double emploi » avec les marchandises de la défenderesse (surtout la bonneterie); et la marque de la demanderesse était [traduction] « passablement similaire […] dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’[elle] suggère […] » aux marques de commerce de la défenderesse. La registraire a également statué que la période pendant laquelle les marques de commerce ont été utilisées en vertu de l’alinéa 6(5)b) favorise la défenderesse compte tenu des marchandises enregistrées qui correspondent aux produits de bonneterie et aux gants, mais que la défenderesse n’a présenté aucun élément de preuve d’usage des autres marchandises. La registraire a également pris en compte des circonstances additionnelles dans le contexte de l’alinéa 12(1)d) : elle a conclu que la défenderesse a établi l’existence d’une famille de marques de commerce renfermant le mot SECRET pour les sous‑vêtements féminins et a convenu que leur notoriété était telle que [traduction] « les clients croiraient probablement que les marchandises identiques ou étroitement liées à la marque proviennent de la même source. » En outre, la registraire a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel « secret » est une marque de commerce et un nom commercial tellement répandus au Canada en liaison avec les marchandises que les Canadiens et les Canadiennes ont l’habitude d’établir une distinction entre différentes marques. La registraire a statué que la preuve était insuffisante pour établir que « secret » était adopté couramment par des tiers en liaison avec des sous‑vêtements féminins, et que même si elle était suffisante, la preuve était [traduction] « compensée par l’existence de la famille SECRET des marques de commerce et la notoriété de [la] marque de commerce SECRET en liaison avec les sous‑vêtements féminins. » La registraire a également jugé que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver que WOMEN’SECRET ne portait pas à confusion eu égard aux autres marchandises, comme les vêtements de bain, les chaussures et les couvre‑chefs.

                iv.                        La registraire a convenu avec la défenderesse que la demanderesse n’avait pas le droit d’enregistrer WOMEN’SECRET en vertu des alinéas 16(2)a) et 16(3)a) de la Loi parce qu’à la date du dépôt, la marque portait à confusion avec 41 marques de commerce déjà utilisées au Canada par la défenderesse et (ou) ses licenciés. Toutefois, la registraire a conclu que la probabilité de confusion portait seulement sur certaines marchandises, soit les vêtements et sous‑vêtements féminins, et non sur les chaussures, les couvre‑chefs et les vêtements de bain et de plage.

                  v.                        En ce qui concerne les motifs d’opposition liés aux alinéas 16(2)b) et 16(3)b), la registraire a rejeté les prétentions de la défenderesse parce qu’elles étaient plaidées de façon inappropriée en raison de la mauvaise désignation de la date de dépôt.

                vi.                        Enfin, la registraire a accepté l’argument de la défenderesse selon lequel WOMEN’SECRET ne présentait pas de caractère distinctif seulement à l’égard des vêtements et des sous‑vêtements féminins.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[10]           Les questions en litige sont les suivantes :

1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

2. La décision de la registraire était‑elle raisonnable?

(a) Plus particulièrement, la registraire pouvait‑elle raisonnablement conclure qu’il existait une probabilité de confusion entre WOMEN’SECRET et les marques de commerce SECRET de la défenderesse visées par l’article 6 de la Loi?

(b)  La registraire pouvait‑elle raisonnablement conclure que WOMEN’SECRET ne présentait pas de caractère distinctif?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[11]           La demanderesse prétend que la preuve additionnelle et les contre‑interrogatoires [traduction] « vont très largement au‑delà de la preuve soumise à la registraire. » La demanderesse fait valoir que la Cour devrait par conséquent tenir une nouvelle audience sans tenir compte de la décision de la registraire.

 

[12]           La défenderesse estime que la preuve additionnelle qui a été déposée n’était pas particulièrement nouvelle et n’aurait pas eu d’incidence importante sur les conclusions de la registraire dans quelque cause que ce soit.

 

[13]           De plus, la défenderesse soutient que même si la preuve est considérée substantielle, la Cour doit quand même s’en remettre à la registraire (se reporter à Mattel Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772 aux paragraphes 36‑37, citant Benson & Hedges (Canada) Ltd c St Regis Tobacco Corporation, [1969] RCS 192, page 200).

 

[14]           Le paragraphe 56(5) de la Loi prévoit que, lorsqu’un appel est interjeté en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi, une preuve additionnelle à celle qui a été produite devant la registraire peut être déposée et que la Cour peut exercer le pouvoir discrétionnaire dévolu à la registraire.

 

[15]           Dans Molson Breweries, A Partnership c John Labatt Ltd, [2000] 3 CF 145, 5 CPR (4e) 180, au paragraphe 51, la Cour d’appel fédérale a statué que :

[c]ompte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

 

 

[16]           La Cour fédérale a ajouté que, pour établir l’importance de l’effet d’une nouvelle preuve sur les conclusions de fait de la registraire, la Cour doit se demander « dans quelle mesure cette preuve est plus probante que celle soumise au registraire » (Diamant Elinor Inc c 88766 Canada Inc, 2010 CF 1184, [2010] ACF no 1476 au paragraphe 43; Spirits International BV c BCF s.e.n.c.r.l, 2011 CF 805, [2011] ACF no 1008 au paragraphe 29).

 

[17]           La Cour a souligné que, si la nouvelle preuve « a peu de poids et ne consiste qu’en une simple répétition des éléments déjà mis en preuve sans accroître la force probante de ceux‑ci, la présence de cet élément additionnel ne devrait avoir aucune incidence sur la norme de contrôle appliquée par la Cour en appel » (Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co (1999), 3 C.P.R. (4e) 224, [1999] ACF no 1763, au paragraphe 37; Spirits International, ci‑dessus, au paragraphe 29).

 

[18]           Toutefois, avant que la Cour puisse décider si elle doit reprendre l’examen de l’affaire depuis le début ou se contenter de vérifier si la décision est raisonnable, elle doit d’abord examiner les nouveaux éléments de preuve présentés en appel (Advance Magazine Publishers Inc c Farleyco Marketing Inc, 2009 CF 153, [2009] ACF no 198, au paragraphe 87).

 

[19]           Conformément au paragraphe 56(5) de la Loi, la demanderesse et la défenderesse ont déposé de nouveaux éléments de preuve. La demanderesse a déposé l’affidavit de Michael Stephan, enquêteur principal chez King Reed & Associates Inc, l’affidavit de Hala Tabl, une stagiaire d’été chez l’avocat de la demanderesse, ainsi que l’affidavit d’Anthony Benevides, adjoint judiciaire de l’avocat de la demanderesse, qui renferme une copie de l’historique du dossier de la demande de marque de commerce canadienne no 1 036 028 pour WOMEN’SECRET.

 

[20]           L’affidavit Stephan fournit de nouveaux éléments de preuve de l’usage par un tiers de « secret(s) » de novembre 2008 à janvier 2009 : le magasin de vente au détail de Toronto appelé Secret From Your Sister vendait de la lingerie pour femmes, des soutiens‑gorge, des culottes, des vêtements de nuit, des vêtements de maternité et des bas, et apposerait une étiquette portant le nom du magasin sur les produits; le Walmart de Mississauga vendait des sous‑vêtements féminins portant la marque de commerce HER SECRET apposée sur l’emballage; et Victoria’s Secret vendait sur son site Web des produits dont quatre marques de commerce renferment le mot « secret ».

 

[21]           De plus, l’affidavit Stephan souligne que de nombreux magasins de vente au détail en ligne vendent à une clientèle canadienne de la lingerie dont les produits portent des marques de commerce comprenant le mot « secret(s) », ou le mot « secret(s) » dans le nom des magasins. Par exemple, Fresh Pair vendait de la lingerie dont la marque de commerce est OLGA SECRET HUG; Bare Necessities vendait de la lingerie dont la marque de commerce est PLAYTEX SECRETS; Secret Lingerie vendait de la lingerie sur le site www.secretlingerie.org tandis que les sites www.eBay.ca et www.secretlingerie.ca vendaient des soutiens‑gorge dont la marque de commerce est SECRET TREASURES.

 

[22]           L’affidavit Stephan renferme également des passages des catalogues de Victoria’s Secret (1987; 1992‑2009) et du catalogue de 2008 du détaillant canadien de lingerie féminine La Senza, qui documentent l’utilisation de la marque de commerce FLIRTY LITTLE SECRET.

 

[23]           L’affidavit Tabl fournit également de nouveaux éléments de preuve de l’exploitation par la demanderesse de sites Web accessibles à la clientèle canadienne qui utilisent WOMEN’SECRET pour vendre des vêtements de nuit, des chaussures, des vêtements de bain et des sous‑vêtements féminins; des imprimés du site Web commercial de la demanderesse qui documentent des nouveautés au sujet de ses marques comme WOMEN’SECRET; des imprimés de www.womensecret.com comportant des exemples d’utilisation de la marque en liaison avec des vêtements pour femmes; et des extraits de catalogues d’articles de vêtements pour femmes affichés en liaison avec WOMEN’SECRET.

 

[24]           La défenderesse a également déposé deux affidavits supplémentaires de Michael Poirier, qui a été contre‑interrogé au sujet de ceux‑ci.

 

[25]           Le premier affidavit Poirier documente les licences accordées par Doris à Doris Intimates Inc et à Lingerie Féminine Doris Inc (Doris Intimates) pour l’usage de la famille SECRET de marques de commerce au Canada en liaison avec des sous‑vêtements féminins. Il précise que conformément à l’accord d’octroi de licence, Doris contrôle la nature et la qualité des produits SECRET portant des marques de commerce sous licence au Canada et donne un exemple des modalités et conditions types qui sont contenues dans ces accords d’octroi de licence. Elles renferment l’exigence que les produits doivent satisfaire aux normes de qualité fixées par Doris; que des échantillons de produits, d’emballage et de matériel promotionnel soient soumis; et que chaque produit portant les marques de commerce SECRET comporte un énoncé selon lequel la marque de commerce est utilisée en vertu d’une licence. L’affidavit Poirier fournit également une estimation des ventes au détail des produits SECRET vendus en liaison avec des marques de commerce au Canada (2004‑2009) et un échantillon de factures (2004‑2010).

 

[26]           Le deuxième affidavit Poirier mentionne que Doris a commencé à faire usage de la marque de commerce SECRET en liaison avec des articles de bonneterie pour femmes en 1967; fournit des échantillons supplémentaires d’emballages et des données financières sur les ventes, dont une ventilation selon les types d’articles de bonneterie; et fournit d’autres renseignements sur la publicité et la promotion faites par Doris des produits SECRET au Canada. En outre, il désigne l’opposition et l’action en Cour fédérale de Doris contre l’usage par un tiers des marques de commerce renfermant « secret(s) » et les procédures d’opposition contre des demandes d’enregistrement.

 

[27]           De plus, des documents ont été produits à la suite du contre‑interrogatoire de Poirier. Ces documents renfermaient un accord d’octroi de licence conclu entre Doris et Doris Intimates le 3 mai 2011 relativement à l’usage de la famille de marques de commerce SECRET en liaison avec des sous‑vêtements féminins au Canada et des ententes intervenues entre Doris et des tiers concernant le mot « secret(s) » dans les marques de tierces parties.

 

[28]           Après avoir soigneusement étudié la preuve supplémentaire, je suis d’avis qu’elle n’aurait pas eu d’incidence importante sur l’évaluation de l’alinéa 12(1)d) faite par la registraire.

 

[29]           Premièrement, l’affidavit Tabl indique que la demanderesse exploitait son site Web, www.womensecret.com en faisant usage de WOMEN’SECRET qui était accessible du Canada en liaison avec les marchandises.

 

[30]           Toutefois, je conviens avec la défenderesse qu’aucune preuve n’établit dans quelle mesure les consommateurs canadiens ont eu accès à ce site Web. Le site Web ne semble pas cibler les consommateurs canadiens : les prix sont indiqués en euros et il n’est pas fait mention du Canada, de franchises canadiennes ou d’expédition au Canada. Cette nouvelle preuve n’est donc pas contraignante, et j’estime qu’elle n’aurait pas eu d’incidence importante sur l’évaluation faite par la registraire.

 

[31]           Deuxièmement, d’après l’affidavit Stephan, les nombreux usages par des tiers de « secret(s) » indiquent que la défenderesse a manqué de diligence dans la protection de ses marques de commerce SECRET. Je ne suis pas d’accord.

 

[32]           Au contraire, la nouvelle preuve présentée par la défenderesse vient étayer sa prétention selon laquelle elle a protégé ses marques de commerce : elle relève les actions intentées en Cour fédérale contre Secrets From Your Sister, V Secret Catalogue, Inc, Victoria’s Secret Stores, Inc, et Victoria’s Secret Catalogue, Inc; les procédures d’opposition aux demandes de marque de commerce, dont VICTORIA’S SECRET, VICTORIA’S SECRET & Design, ANGELS’S BY VICTORIA’S SECRET; le retrait d’une demande de marque de commerce par PLAYTEX SECRET; et l’abandon de la demande d’OLGA SECRET HUG pendant la procédure d’opposition. De plus, l’opposition et l’action ont été réglées au moyen d’une entente conclue entre Doris et Victoria’s Secret en date de mars 2000, qui, dit‑on, empêchait Victoria’s Secret de vendre dans des points de vente de tiers.

 

[33]           Je suis d’avis que, dans l’ensemble, la preuve supplémentaire est très répétitive et ne rehausse pas la force de la preuve.

 

[34]           Comme il ne s’agit pas d’une nouvelle audience, la bonne norme de contrôle est celle de la raisonnabilité, d’après l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

 

2. La décision de la registraire était‑elle raisonnable?

[35]           Avant de traiter expressément de la question de savoir s’il était raisonnable pour la registraire de conclure à la probabilité de confusion entre WOMEN’SECRET et les marques de la défenderesse, et de juger que WOMEN’SECRET ne présentait pas de caractère distinctif, j’aborderai certaines « erreurs » censément commises par la registraire lorsqu’elle a rejeté la demande. Au début de l’audience, la demanderesse a soulevé ces erreurs alléguées. Comme je l’explique plus loin, je suis en désaccord avec chacune d’entre elles.

 

[36]           D’abord, la demanderesse soutient que la registraire n’a pas tenu compte de l’approbation initiale de la demande pour publication dans le Journal des marques de commerce pour opposition en tant que circonstance susceptible d’être pertinente. Dans ses observations formulées de vive voix, il cite Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387 pour étayer la proposition que la registraire aurait dû tenir compte de la première impression de l’examinateur de marques de commerce et de l’existence d’autres marques renfermant le mot « secret » qui étaient enregistrées. Dans Masterpiece, qui porte sur une demande de radiation d’un enregistrement, le juge Rothstein, au paragraphe 110, a indiqué qu’« une autre circonstance susceptible d’être pertinente » pour l’analyse de la confusion était le refus du registraire.

 

[37]           Toutefois, selon moi, la registraire n’est pas tenue de prendre expressément en compte l’approbation initiale, ou la désapprobation, de l’examinateur. L’arrêt Masterpiece peut nettement être distingué : les observations du juge Rothstein ont trait à l’obligation du juge de première instance de reconnaître la conclusion de la registraire, et non celle de l’examinateur.

 

[38]           La registraire, dans une procédure d’opposition devant la Commission des oppositions des marques de commerce, n’est pas tenue d’accorder de la considération ou de l’importance à l’examinateur parce que le fardeau de la preuve ainsi que la preuve soumise à un examinateur diffèrent de ceux d’une procédure d’opposition. Tel qu’il est mentionné avec exactitude par la registraire dans Lutron Electronics Co c Litron Distributors Ltd, 2013 COMC 129, au paragraphe 59 :

une décision de la section de l’Examen du Bureau des marques de commerce n’est pas contraignante et n’a pas valeur de précédent pour cette Commission puisque la section de l’Examen ne dispose pas de la preuve déposée par les parties dans une procédure d’opposition. En outre, le fardeau de preuve qui incombe à un requérant diffère selon que la demande est au stade de l’examen ou au stade de l’opposition. 

 

 

[39]           La Commission a constamment refusé d’accorder du poids à la décision de l’examinateur dans de nombreuses autres décisions, dont Effigi Inc c Major League Lacrosse LLC, 2012 COMC 134 et Hot Stuff Foods LLC c Maple Leaf Foods Inc, 2012 COMC 30, 2012 CarswellNat 538.

 

[40]           La Loi reflète cette différence. En effet, elle prévoit par exemple que le registraire doit donner à un requérant une occasion adéquate de répondre aux objections avant le refus et la demande (paragraphe 37(2)); l’opposant et le requérant doivent avoir une occasion de présenter des éléments de preuve et des observations dans une procédure d’opposition (paragraphe 38(7)); et le registraire doit examiner la preuve et les observations de l’opposant et du requérant pour prendre sa décision (paragraphe 38(8)).

 

[41]           Je suis également en désaccord avec l’observation de la demanderesse selon laquelle la registraire a conclu à l’absence de fiabilité des sites Web, dont Canada411.com et les sites officiels de Victoria’s Secret et de Secrets From Your Sister.

 

[42]           En ce qui concerne le répertoire téléphonique en ligne qui se trouve dans Canada411.com, la registraire a examiné la preuve présentée par la demanderesse selon laquelle les 21 tierces parties contenues dans le répertoire utilisent « secret(s) » dans leurs noms, mais l’a jugée non fiable dans le cas qui nous occupe. Elle a établi une distinction d’avec Vision‑Care Ltd c Hoya Corp, 7 CPR (4th) 331, [2000] COMC No 86, une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce, que ni la registraire ni la Cour ne sont tenues de suivre.

 

[43]           De plus, elle a écarté la seule preuve présentée pour établir que les détaillants désignés dans le répertoire utilisaient une marque de commerce comportant le mot « secret(s) » en liaison avec les marchandises parce qu’il s’agit de ouï‑dire. De même, je souscris à la réplique de la défenderesse selon laquelle la liste n’est qu’une série de noms d’entreprises et selon laquelle la catégorie générale « détaillant de lingerie » ne fournit pas de renseignements sur l’utilisation et sur son lien précis avec les marchandises.

 

[44]           En ce qui concerne les autres sites, la demanderesse souligne mes conclusions dans ITV Technologies, Inc c WIC Television Ltd, 2003 CF 1056, [2003] ACF no 1335 comme précédent quant à la fiabilité des sites Web dans certaines circonstances.

 

[45]           Bien que je sois d’accord avec la demanderesse que l’utilisation des marques de commerce renfermant le mot « secret » par Victoria’s Secret dans son site Web puisse être fiable, la preuve en tant que telle ne peut être interprétée comme si elle établissait que le site Web était consulté ou connu par les Canadiens au moment pertinent (ITV Technologies, précité, au paragraphe 22). Telle est la nature de la mise en garde formulée à juste titre par la registraire : sa conclusion selon laquelle [traduction] « le contenu du site Web ne représente pas une preuve fiable de l’utilisation de la marque de commerce VICTORIA SECRET au Canada » constitue une réponse à la prétention de la demanderesse selon laquelle la marque est connue au Canada en liaison avec des sous‑vêtements féminins.

 

[46]           En outre, je constate également que la registraire a déclaré que, même si elle avait jugé à tort que la preuve ne suffit pas pour conclure que SECRET est fréquemment utilisé dans une marque de commerce ou un nom commercial au Canada en liaison avec les marchandises, cette utilisation serait [traduction] « compensée par l’existence de la famille SECRET des marques de commerce et la notoriété de [la] marque de commerce SECRET en liaison avec les sous‑vêtements féminins. » Ainsi, la décision montre le fondement de sa décision et tout le poids accordé à la notoriété de SECRET en rapport avec d’autres facteurs.

 

[47]           La demanderesse soutient en outre que la registraire a commis une erreur en acceptant que la preuve de la défenderesse établit l’existence d’une famille de marques de commerce renfermant le mot « secret » pour des sous‑vêtements féminins constitue des circonstances supplémentaires en vertu de l’article 6. La demanderesse fait valoir que la défenderesse n’a pas présenté de preuve autre que des exemples d’emballage de produits, pour établir que d’autres marques comportant le mot « secret » ont déjà été utilisées. Par exemple, les données financières de la défenderesse ne répartissent pas les ventes selon leur marque.

 

[48]           Toutefois, je suis d’avis que la registraire a agi raisonnablement en soupesant la preuve de la défenderesse et en concluant que [traduction] « la preuve qui m’est soumise laisse croire que les consommateurs connaissent suffisamment la marque de commerce SECRET de la [défenderesse] et que les clients croiraient probablement que les marchandises identiques ou étroitement liées à la marque proviennent de la même source. » La registraire n’a pas commis d’erreur en s’appuyant sur l’affidavit Hansen qui décrivait comment la défenderesse a adopté une série de marques de commerce intégrant le mot « secret » à d’autres mots et en élargissant sa gamme de produits. Elle a également refusé d’examiner les marques de commerce enregistrées après le dépôt de l’affidavit Hansen dans la famille SECRET des marques de commerce.

 

[49]           Enfin, je rejette l’argument de la demanderesse selon lequel la registraire a commis une erreur susceptible de révision en droit en « surexaminant » la marque WOMEN’SECRET. La demanderesse fait valoir que la registraire n’a pas suivi les directives du juge Rothstein dans Masterpiece, arrêt dans lequel il déclarait, au paragraphe 83, qu’une marque devrait être considérée « telle que le consommateur la voit, à savoir comme un tout, et sur la base d’une première impression. » Par ailleurs, il a souligné que « ni l’expert, ni le tribunal ne doit considérer chaque partie de celle‑ci séparément des autres éléments. »

 

[50]           La décision établit clairement que la registraire a analysé la marque globalement pour conclure que les [traduction] « consommateurs ordinaires réagiront à la marque en pensant aux mots ordinaires « women’secret ». Par conséquent, le fait que la demanderesse a regroupé les deux mots a peu de conséquences ». La conclusion de la registraire selon laquelle WOMEN’SECRET et SECRET sont similaires parce que la marque regroupe l’intégralité de la marque de commerce enregistrée et parce que « secret » est la caractéristique la plus distinctive de la marque ne constitue pas une erreur susceptible de révision. Il s’agit plutôt d’une explication supplémentaire de son analyse plus générale de la réaction d’un consommateur ordinaire au vocable WOMEN’SECRET pris globalement.

 

[51]           En outre, son analyse ne diffère pas de l’examen plus détaillé effectué par la Cour suprême du Canada au paragraphe 84 de l’arrêt Masterpiece, dans lequel il a été statué que le mot « Masterpiece » était l’élément distinctif de la marque, par opposition au mot « Living ». Le juge Rothstein a confirmé qu’« examiner la marque de commerce dans son ensemble ne veut pas dire qu’il faut faire abstraction d’une composante dominante de celle‑ci qui aurait une incidence sur l’impression générale du consommateur moyen […] Il en est ainsi parce que même si le consommateur regarde la marque dans son ensemble, il se peut qu’un certain aspect de celle‑ci soit particulièrement frappant […] ».

 

(a)        Était‑il raisonnable de la part de la registraire de conclure à une probabilité raisonnable de confusion entre WOMEN’SECRET et les marques de commerce SECRET de la défenderesse sous le régime de l’article 6 de la Loi?

 

Arguments de la demanderesse

[52]           La demanderesse soutient que WOMEN’SECRET n’est pas susceptible d’être confondu avec les marques de commerce de la défenderesse. Le mot « Secret(s) » est fréquemment adopté au Canada en liaison avec les sous‑vêtements féminins et la lingerie, et l’utilisation de « secret(s) » est « un facteur hautement pertinent en vue de décider de la probabilité de confusion » (citant Boston Pizza c Boston Chicken Inc, 2001 CFPI 1024, [2001] ACF no 1407, au paragraphe 74).

 

[53]           La demanderesse prétend également que le propriétaire d’une marque de commerce doit protéger ses droits sur celle‑ci de manière dynamique sinon il risque de les perdre. Ainsi, d’après la demanderesse, la défenderesse a acquiescé à l’utilisation de SECRET(S) par des tiers en permettant sciemment à des marques tierces de coexister avec les marques Doris qui sont dans le marché. La défenderesse a également acquiescé en ne surveillant pas adéquatement la qualité et la nature des marchandises fabriquées et vendues en liaison avec ses marques de commerce SECRET. Cela [traduction] « a fait en sorte que les consommateurs canadiens étaient conditionnés à chercher d’autres éléments d’une marque comme un dessin et des mots pour distinguer WOMEN’SECRET des autres marques formatives tierces de commerce et noms commerciaux SECRET(S) dont ceux de Doris. »

 

[54]           De plus, la demanderesse soutient qu’il n’y a pas eu de cas de véritable confusion, car la demanderesse a utilisé WOMEN’SECRET dans son site Web en liaison avec des vêtements et des sous‑vêtements féminins accessibles aux consommateurs canadiens depuis au moins 2008 ou mai 2009.

 

Arguments de la défenderesse

[55]           La défenderesse prétend que la demanderesse n’a pas établi l’absence de probabilité raisonnable de confusion en ce qui concerne les marchandises.

 

[56]           En ce qui a trait au premier critère énoncé à l’alinéa 6(5)a) de la Loi, la défenderesse soutient que la marque de commerce SECRET présente un degré élevé de caractère distinctif inhérent. De plus, la marque de la demanderesse ne peut être évaluée sur le plan du caractère distinctif compte tenu de la preuve limitée du domaine dans lequel la marque de commerce serait utilisée au Canada, y compris l’information comme la mesure dans laquelle le site Web de la demanderesse a été consulté par des consommateurs canadiens ou la façon dont il cible les Canadiennes et Canadiens.

 

[57]           En ce qui concerne le deuxième critère, soit la période d’usage, la demanderesse n’a pas prouvé un usage incontestable de WOMEN’SECRET au Canada. À l’opposé, la défenderesse a adopté sa marque de commerce SECRET il y a plus de quatre décennies et a fourni la preuve de frais promotionnels et publicitaires substantiels et des ventes annuelles.

 

[58]           En ce qui concerne le troisième critère, la défenderesse prétend que les marchandises sont, de par leur nature, identiques à de nombreux égards.

 

[59]           En ce qui touche le quatrième critère, aucune preuve n’établit la nature et les voies commerciales ou les consommateurs des parties seraient distinguables. Comme le fait valoir la défenderesse, même si la demanderesse n’a pas déposé de preuve décrivant les voies commerciales qu’elle utilise ou utiliserait, [traduction] « il est assez probable que les marchandises qui pourraient être distribuées par de telles voies commerciales se chevaucheraient, voire seraient identiques à [celles qui] sont déjà utilisées par Doris Hosiery et ses détenteurs de licence. »

 

[60]           Enfin, en ce qui a trait au cinquième critère, la défenderesse prétend qu’il existe un degré de ressemblance élevé entre les marques. WOMEN’SECRET comprend l’intégralité de la marque SECRET de la défenderesse et toutes les marques incluses dans la famille SECRET des marques de commerce de la défenderesse qui utilise le mot « Secret », parfois en liaison avec d’autres mots.

 

Analyse

[61]           Je suis d’avis que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver que la registraire a conclu déraisonnablement que WOMEN’SECRET porte à confusion avec la marque de commerce SECRET et la famille des marques de commerce de la défenderesse.

 

[62]           Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 RCS 824, aux paragraphes 18 à 20,

Le terme confusion revêt […] un sens particulier. Le législateur précise au par. 6(1) qu’il y a confusion

 

si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial [de l’appelante] cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial [des intimées], de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

 

Le paragraphe 6(2) nous apprend qu’une telle confusion survient

 

lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

Le critère applicable est celui de la première impression [laissée] dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé.

 

 

[63]           L’évaluation devrait prendre en compte toutes les circonstances de l’espèce, dont notamment les cinq critères énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi (ibid au paragraphe 21). La Cour suprême a souligné que « [c]ette liste n’est pas exhaustive et un poids différent sera accordé à différents facteurs selon le contexte […] » (ibid)

 

[64]           Comme je le mentionnais dans l’analyse de la norme de contrôle qui précède, je ne crois pas que la preuve additionnelle soumise en appel aurait eu une incidence importante sur la décision de la registraire.

 

[65]           Selon moi, la registraire a évalué toutes les circonstances pertinentes et sa conclusion selon laquelle WOMEN’SECRET porte à confusion était raisonnable.

 

[66]           La jurisprudence établit qu’il faut montrer beaucoup de déférence à l’égard de la registraire du point de vue de l’équilibre des critères qui sont énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi. Tel qu’il a été statué par la Cour fédérale dans Classic Door & Millwork Ltd c Oakwood Lumber & Millwork Co, [traduction] « [c]hacun de ces critères ne doit pas se voir accorder le même poids, car l’importance de ces critères pourrait prévaloir largement sur celle des autres » ((1995), 63 CPR (3d) 337, [1995] ACF no 1099, au paragraphe 13).

 

[67]           Plus particulièrement, compte tenu des similitudes générales des marques, y compris l’élément commun « secret », l’aspect peu nouveau de la marque et de son dessin, dont son premier mot générique « women » et la différence minime causée par le regroupement des mots « women » et « secret », ainsi que la notoriété des marques de la défenderesse, il est assez probable que le consommateur ordinaire, plutôt pressé, croirait que les marchandises offertes par la demanderesse en liaison avec WOMEN’SECRET proviennent de la défenderesse.

 

[68]           Au vu des circonstances supplémentaires prévues à l’article 6 de la Loi, il n’y a pas de preuve que la registraire a jaugé la notoriété des marques de commerce de la défenderesse et l’usage courant de « secret » de façon déraisonnable.

 

[69]           Ainsi, la décision de la registraire satisfaisait aux critères de l’arrêt Dunsmuir de « la justification de la décision, [de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel » (paragraphe 47).

 

(b)   Était‑il raisonnable pour la registraire de juger que WOMEN’SECRET possède un caractère distinctif?

 

Arguments de la demanderesse

[70]           La demanderesse soutient que WOMEN’SECRET présente un caractère distinctif à l’égard des vêtements et des sous‑vêtements féminins. Plus particulièrement, la première partie de la marque est « women’s » et est combinée à « secret » pour former un nouveau mot unique.

 

[71]           De plus, la défenderesse a [traduction] « sciemment miné le caractère distinctif de ses marques de commerce SECRET ». Elle a notamment omis de contrôler ou de régir le marché relativement à l’utilisation par des tiers de ses marques SECRET(S). L’acquiescement et l’usage libre de « secret(s) » par de nombreux tiers signifie que les marques seront distinguables, même si la différence est minime.

 

[72]           La demanderesse prétend également que la défenderesse n’a pas observé l’article 50 de la Loi en ne fournissant pas de preuve de contrôle de qualité, ce qui mine les prétentions de la défenderesse quant au caractère distinctif des marques de commerce et de la famille des marques de commerce SECRET.

 

[73]           La demanderesse fait valoir que la défenderesse a accordé à d’autres entités comme S.O.X Manufacturing et Medifit Marketing Inc et à des sociétés affiliées comme Doris Intimates une licence leur permettant de fabriquer des produits portant sa marque, mais n’a pas exercé de contrôle de qualité sur la nature et la qualité des produits, comme l’exige l’article 50 de la Loi.

 

[74]           La Cour ne devrait pas conclure qu’il y a eu violation de l’article 50 compte tenu de l’absence de preuve du contrôle de qualité par la défenderesse et statue que l’usage des marques par les sociétés affiliées ne devrait pas être attribué à la défenderesse.

 

[75]           La demanderesse souligne le défaut de la défenderesse de fournir des éléments de preuve concernant les normes de qualité et les inspections des produits portant les marques sous licence SECRET, des échantillons de produits et d’emballages de produits, des étiquettes ou du matériel de promotion. L’usage des marques par des entités comme Doris Intimates devrait donc être considéré égal à l’usage par un tiers, ce qui mine par conséquent le caractère distinctif de la défenderesse.

 

Arguments de la défenderesse

[76]           La défenderesse soutient que l’appellation WOMEN’SECRET n’est pas distincte parce qu’elle ne se distingue pas, ni n’est adaptée pour distinguer les marchandises de la demanderesse du produit SECRET de la défenderesse et des produits SECRET sous licence.

 

[77]           La publicité, la promotion et l’usage exhaustifs de la marque de commerce et de la famille de marques de commerce de la défenderesse montrent qu’elles distinguent la défenderesse (citation de Manufacturiers de bas de nylon Doris Ltée c Warnaco Inc, 2004 CF 1781, [2004] ACF no 2174).

 

[78]           En outre, la défenderesse soutient qu’elle n’a pas perdu le caractère distinctif des marques de commerce et de la famille des marques de commerce SECRET du fait de l’usage de « secret » par des tiers. Elle a protégé sa marque de commerce SECRET et sa famille de marques de commerce SECRET de façon très vigilante.

 

[79]           De plus, la défenderesse prétend qu’elle satisfait aux conditions de l’article 50. Par conséquent, l’usage des marques de commerce SECRET sous licence par Doris Intimates devrait profiter à la défenderesse.

 

[80]           La preuve établit notamment l’existence d’un lien étroit entre la défenderesse et Doris Intimates; l’existence d’un accord d’octroi de licence oral, puis écrit; que l’emballage de Doris Intimates mentionne produits SECRET sous licence; et le contrôle direct du marketing des produits.

 

Analyse

[81]           Selon moi, la registraire a jugé de façon raisonnable que WOMEN’SECRET n’est pas distinct et que la défenderesse a protégé suffisamment ses marques contre l’intrusion d’autres marques qui utilisent « secret(s) ».

 

[82]           Pour que le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif soit accueilli, la défenderesse doit établir qu’au moment du dépôt de l’opposition, sa marque de commerce était devenue assez connue pour annuler le caractère distinctif de WOMEN’SECRET.

 

[83]           La registraire a conclu que la défenderesse s’est acquittée de son fardeau initial en prouvant que sa marque de commerce SECRET était connue à la date importante en liaison avec les vêtements et les sous‑vêtements féminins.

 

[84]           La demanderesse n’a pas produit de nouveaux éléments de preuve établissant qu’elle a fait usage de WOMEN’SECRET en liaison avec les marchandises ayant fait l’objet de la demande en date du 26 mai 2003.

 

[85]           En ce qui concerne la protection par la défenderesse de ses marques de commerce, la registraire a également rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel les marques de la défenderesse n’ont plus leur caractère distinctif du fait de l’omission par celle‑ci de protéger ses marques de commerce.

 

[86]           La registraire a accepté l’affidavit Poirier comme preuve que la défenderesse [traduction] « s’est montrée vigilante dans ses efforts pour protéger et faire respecter ses droits. » (La registraire souligne.)

 

[87]           En outre, la registraire a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel une conclusion défavorable au sujet du caractère distinctif des marques de commerce SECRET devrait être tirée du comportement de la défenderesse, dont le refus de M. Poirier de divulguer pourquoi l’opposant a retiré ses oppositions aux demandes de Walmart Stores, Inc’s et de V Secret Catalogue, Inc. Tel qu’il a été mentionné précédemment, la nouvelle preuve vient étayer la prétention de la défenderesse selon laquelle elle a protégé ses marques de commerce. Plus particulièrement, le deuxième affidavit et le troisième affidavit Poirier indiquent que la défenderesse a déposé des actions en Cour fédérale contre des tierces parties, dont Secrets From Your Sister, V Secret Catalogue, Inc, Victoria’s Secret Stores, Inc, et Victoria’s Secret Catalogue, LLC. La défenderesse a également déposé une procédure d’opposition à l’encontre de demandes de marques de commerce.

 

[88]           Je reconnais que la défenderesse n’a pas contesté la position de toutes les tierces parties qui font usage du mot « secret(s) »; cependant, la registraire a conclu raisonnablement que la preuve laissait croire que la défenderesse a fait preuve de diligence raisonnable en protégeant ses marques afin d’éviter de miner leur caractère distinctif. La nouvelle preuve n’altère aucunement cela.

 

[89]           En ce qui concerne l’exercice du contrôle sur les entités possédant une licence en vertu de l’article 50, je crois que la défenderesse a également fourni une preuve de contrôle de la nature et de la qualité des marchandises.

 

[90]           Conformément à l’article 50 de la Loi, une licence de marque de commerce peut être accordée par le propriétaire de la marque. Si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée à une entité par le propriétaire de la marque et si le propriétaire exerce le contrôle direct ou indirect de la nature ou de la qualité des marchandises, l’emploi de la marque de commerce par cette entité possédant une licence est réputé avoir été fait par le propriétaire.

 

[91]           Dans ce contexte, le contrôle revêt de l’importance pour empêcher la perte du caractère distinctif de la marque (Martin P.J. Kratz, Canada’s Intellectual Property Law in a Nutshell, deuxième édition (Carswell: 2010), à la page 143).

 

[92]           Selon moi, la défenderesse a fourni assez d’éléments de preuve établissant qu’elle a dûment muni ses marques d’une licence en surveillant la qualité et la nature des marchandises fabriquées et vendues en liaison avec ses marques de commerce SECRET. Par exemple, le contre‑interrogatoire de M. Poirier, en date des 9 et 12 juillet 2012, précise qu’un service de contrôle de la qualité veille à l’application de normes de qualité.

 

[93]           En outre, la défenderesse affirme que l’emballage des produits SECRET sous licence indique que Doris Intimates faisait usage de la marque de commerce SECRET sous licence de la défenderesse. La Cour fédérale a statué que le texte figurant sur l’emballage qui décrit l’identité du propriétaire de la marque et que le fait que l’étiquette est licenciée vaut avis public au sens du paragraphe 50(2) de la Loi déclenche l’application de la présomption que l’emploi est licencié par le propriétaire de la marque de commerce et que la nature et la qualité des marchandises sont contrôlées par le propriétaire (Saputo Groupe Boulangerie Inc c. National Importers Inc (2005) CF 1460, 2005 CarswellNat 3994, aux paragraphes 45 à 47).

 

[94]           Comme il a été jugé par la Cour suprême du Canada dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), la cour de justice doit faire preuve de respect à l’égard du processus décisionnel de l’organisme juridictionnel lorsqu’elle « se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs » (2011 CSC 62, au paragraphe 15, [2011] 3 RCS 708). Les motifs de l’organisme décisionnel et le résultat découlant de l’analyse du caractère raisonnable demeureront valides même s’ils n’incluent pas tous les éléments qu’il aurait été préférable d’englober. La juge Abella a plutôt souligné, au paragraphe 16 du jugement, que les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. » (Non souligné dans l’original.)

 

[95]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

 

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :

                                                            T‑1768‑08

 

INTITULÉ :

CORTEFIEL, S.A. c DORIS INC.

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 9 OctobRe 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

 

                                                            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 30 OctobrE 2013

COMPARUTIONS :

Kenneth D. McKay

 

Stéphane Richer

Geneviève Bergeron

 

PoUr LA DEManDERESSE

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais, s.r.l.

Avocats/Agents de brevets et de marques de commerce

Montréal (Québec)

 

PoUr LA DEMANDERESSE

 

 

Sim Lowman Ashton & McKay LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

PoUr LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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