Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150327


Dossier : IMM-6097-14

Référence : 2015 CF 393

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

NERDA SAMEDY JOSEPH

RICHESSE NEISSA SAMEDY

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27 (LIPR) de la décision rendue le 24 juillet 2014 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), rejetant la demande d’asile de la demanderesse principale, Nerda Samedy Joseph (ci-après la demanderesse), et sa fille, Richesse Neissa Samedy, (conjointement les demanderesses) et concluant que celles-ci n’ont pas la « qualité de réfugiés au sens de la Convention » ou de « personnes à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Contexte

[2]               La demanderesse est citoyenne haïtienne et mère de deux jeunes filles. La plus jeune fille de la demanderesse est née au Canada. La demanderesse est également mariée avec un citoyen haïtien qui occupe un poste de juge dans la ville de Miragoâne. L’exposé ci-dessous constitue le récit des faits, tels qu’allégués par la demanderesse.

[3]               La mère de la demanderesse a perdu la vie à la naissance de la demanderesse. Cette dernière est donc demeurée avec son père durant son enfance.

[4]               À l’âge de 6 ans, la demanderesse a été agressée sexuellement par des bandits qui souhaitaient punir son père pour son appartenance au groupe des « Tontons Macoutes », une milice armée créée sous le régime Duvalier.

[5]               À l’âge de 12 ans, la demanderesse a été violée une seconde fois par un groupe d’hommes venus battre son père. Elle a par la suite été soignée par deux de ses tantes qui lui ont reproché de vivre avec son père. La demanderesse a quitté la résidence de son père pour aller vivre avec ses tantes.

[6]               À l’âge de 17 ans, la demanderesse est retournée vivre avec son père puisqu’elle croyait que les menaces à la vie de son père avaient cessé.

[7]               En 2002, soit un an après que la demanderesse ait choisi de demeurer chez son père, des hommes armés se sont introduits dans la demeure du père de la demanderesse, ont violé la demanderesse dans des circonstants atroces et ont tué son père devant ses yeux. Par la suite, la demanderesse a erré durant deux semaines dans la rue parce que les membres de sa famille refusaient de l’héberger par peur pour leur sécurité. La demanderesse a finalement été hébergée par un ami de son père.

[8]               En 2004, la demanderesse s’est engagée dans une relation avec un policier nommé Pierre Leroy (Leroy) qui s’avérera être jaloux et abusif. La demanderesse soutient que Leroy avait un comportement violent, l’humiliait devant ses amies, l’accusait d’avoir des relations avec d’autres hommes, et l’empêchait parfois de sortir.

[9]               Au mois de septembre 2004, Leroy a battu le camarade de classe de la demanderesse qui lui avait rendu visite. Leroy a également insisté pour que la demanderesse déménage chez lui, ce qu’elle a fait.

[10]           La demanderesse a mis fin à sa relation avec Leroy en octobre 2004. Après avoir été informé par la demanderesse de la fin de cette relation, Leroy est devenu agressif et l’aurait menacée de mort.

[11]            Le 31 décembre 2004, Leroy a croisé la demanderesse sur « la route de l’aéroport » et a alors tenté de la convaincre de poursuivre leur relation. Lorsque la demanderesse a refusé, Leroy l’a informée qu’il chercherait à découvrir ou elle vivait.

[12]           En avril 2005, la demanderesse a rencontré un avocat nommé Jean Maxon, qui est devenu son époux. Ayant pris connaissance de cette relation, Leroy a commencé à menacer la demanderesse, son époux, ses amis, et ses proches.

[13]           En juillet 2007, Leroy est entré de force chez la demanderesse alors que son mari était absent, il l’a frappée, l’a forcée à entrer dans sa voiture et l’a laissée au bord de la route loin de sa résidence. La demanderesse était alors enceinte. La demanderesse a porté plainte à la police et Leroy a été emprisonné au mois de juillet 2007.

[14]           Après sa mise en liberté, Leroy a continué à harceler la demanderesse par téléphone.

[15]           Au mois de février 2012, Leroy s’est introduit de force chez la demanderesse alors que son mari était absent. Il a alors battu la demanderesse et l’a forcée à entrer dans sa voiture avec sa fille en tirant la demanderesse par les cheveux. Après s’être éloigné de la résidence, Leroy a jeté la demanderesse à l’extérieur de la voiture et l’a battue, la laissant seule et blessée au bord de la route. La demanderesse a finalement été conduite à l’hôpital où elle est restée pour trois jours.

[16]            La demanderesse a porté plainte à la police et Leroy a été de nouveau arrêté et emprisonné.

[17]           En avril 2012, la demanderesse a visité le Canada avec sa fille. À son retour en Haïti, la demanderesse a appris que Leroy avait été libéré en versant des pots-de-vin aux autorités.

[18]           En mai 2012, Leroy a croisé la demanderesse dans la rue et a tenté de la convaincre de laisser son mari, ce que la demanderesse a refusé de faire.

[19]           Le soir du 11 mai 2012, alors que la demanderesse était enceinte, Leroy est entré de force chez elle et a pointé une arme sur sa fille. Par la suite, Leroy a enlevé la demanderesse et sa fille pour les conduire dans une maison abandonnée où il a violé et battu la demanderesse devant sa fille. L’enlèvement aurait duré trois jours et durant cette période la police et le mari de la demanderesse ont recherché les kidnappées.

[20]           Suite à cet enlèvement, la demanderesse est restée enfermée chez elle et avait un garde du corps devant sa porte. Leroy a cependant continué de harceler le mari de la demanderesse.

[21]           Constatant que Leroy continuait de faire pression sur ses amis pour obtenir son adresse et que les autorités haïtiennes n’assuraient pas sa protection, la demanderesse a quitté son pays et est arrivée au Canada le 28 juin 2012.

[22]           Le 9 août 2012, la deuxième fille de la demanderesse est née.

[23]           Le 14 août 2012, les demanderesses ont déposé leur demande d’asile.

[24]           Quelques-unes des allégations ci-dessus n’ont pas été incluses dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) initial de la demanderesse. Dans son affidavit du 13 août 2013, la demanderesse a considérablement modifié ses allégations initiales, ajoutant qu’elle a été violée à l’âge de 6 ans, 12 ans et 18 ans. Par cet affidavit, la demanderesse a également allégué avoir été kidnappée et violée par Leroy en mai 2012.

[25]           Le 19 septembre 2013, la demanderesse a déposé une requête devant la SPR afin d’être déclarée « personne vulnérable » et que l’audience se déroule en présence d’un décideur et d’un interprète de sexe féminin en vertu des Directives numéro 8 du président: Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR (Directives numéro 8). La demanderesse s’est fondée sur un rapport de sa conseillère clinique, Renée Lemieux, daté du 19 août 2013, qui indique qu’elle souffre des symptômes de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Le 2 octobre 2013, cette requête a été accordée par le SPR.

[26]           La demanderesse fut entendue les 25 mars, 26 mai et 2 juin 2014 par la commissaire.

III.             Décision

[27]           La SPR a considéré que la demanderesse n’est pas une témoin crédible pour les raisons suivantes :

  1. Le FRP initial de la demanderesse comporte plusieurs omissions majeures. À titre d’exemple, l’incident de juillet 2007 n’était pas mentionné et il en est de même des autres incidents qui ont suivi cet incident, mais qui ont précédé la première visite de la demanderesse au Canada. La demanderesse a également omis de mentionner le viol et la séquestration de mai 2012. La SPR rejette l’explication de la demanderesse selon laquelle elle se sentait inconfortable d’expliquer ces faits à son premier procureur (de sexe masculin) puisque l’une des facettes importantes de sa demande d’asile concerne la séquestration et la violence dont elle a été victime, des évènements qu’elle pouvait expliquer à un homme.
  2. La SPR a conclu que, lorsque la demanderesse a rempli sa demande d’asile, elle était au Canada depuis quelques mois, et donc que, « les premiers stress, bouleversements et inquiétudes passées [sic], il aurait été raisonnable qu’elle divulgue [...] le fait qu’elle craignait d’être séquestrée. »
  3. L’attestation de plainte et le certificat médical confirmant les évènements de février 2012 indiquent que la demanderesse aurait été violée. Or, la demanderesse n’a allégué ni dans son FRP, ni durant l’audience, avoir été violée durant ces évènements. De plus, cette attestation de plainte fait référence au « policier Pierre Leroy », bien que Leroy n’était plus policier lorsque la plainte fut déposée. De plus, alors que la demanderesse a mentionné qu’elle a porté plainte à la police, l’attestation de plainte indique ce c’est son mari qui a porté plainte.
  4. Le mandat d’amener et l’ordre de dépôt émis à l’encontre de Leroy suivant l’incident de février 2012 font référence à une tentative d’assassinat alors que la demanderesse allègue avoir été victime d’enlèvement. La SPR juge insatisfaisante l’explication de la demanderesse selon laquelle les autorités haïtiennes auraient considéré les évènements qu’elle a vécus comme une tentative d’assassinat parce qu’elle avait des bleus sur elle.
  5. En raison du manque de crédibilité de la demanderesse, la SPR a accordé peu de valeur à l’attestation de plainte pour le viol de mai 2012 et aux lettres des proches de la demanderesse.
  6. Certaines allégations de la demanderesse durant l’audience sont contraires à son FRP.
  7. La plainte déposée à la police par le mari de la demanderesse le 12 mai 2012 pour l’enlèvement qui s’est déroulé durant la nuit du 11 au 12 mai 2012 indique que la demanderesse a été séquestrée durant quelques jours.

[28]           Finalement, la SPR souligne le TSPT dont souffre la demanderesse, mais considère que ce trouble ne tire pas ses origines des évènements qu’elle allègue avoir vécus en Haïti, puisque la SPR accorde aucune crédibilité aux allégations de la demanderesse.

IV.             Question en litige

[29]           Une seule question en litige sera traitée dans la présente décision :

  1. La SPR a-t-elle erré en évaluant la crédibilité de la demanderesse?

V.                Analyse

A.                La norme de contrôle

[30]           La question de savoir si la SPR a commis une erreur en évaluant la crédibilité de la demanderesse est une question mixte de fait et de droit sujette à la norme de la décision raisonnable (AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 899 au para 21 (AB); Mico c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 964 au para 20 (Mico); Cato c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1313 au para 13 (Cato)).

B.                 La prise en compte des effets du stress post-traumatique

[31]           À la lumière des faits de la présente affaire, il ne fait aucun doute que la demanderesse a témoigné devant la SPR alors qu’elle était dans un état de vulnérabilité. Le passage suivant de l’affidavit de la demanderesse, par ailleurs non contredit, illustre cette réalité:

Pendant l’audience qui a eu lieu en mai 2014, j’ai eu un mal de tête au milieu de l’audience et demandé à m’excuser pour prendre des médicaments. Vers la fin de la pause, mon avocate est venue me chercher. Elle m’a raconté plus tard qu’elle m’a appelé, mais que je ne l’entendais pas. Elle m’a raconté que je me suis déchaussé dans les couloirs et que la commissaire a dû appeler un agent de sécurité pour me retourner à la salle. J’ai appris que j’avais déconnecté et avait demandé si mon père était dans la salle.

[32]           Or, les motifs de la décision de la SPR révèlent que les inférences négatives clés tirées par la SPR sont principalement liées au manque de cohérence du récit de la demanderesse, à sa dissociation des évènements, et à son incapacité à expliquer les évènements dans leur ordre chronologique.

[33]           Bien qu’il n’est pas du ressort d’un expert de déterminer si les incohérences dans le témoignage d’un demandeur d’asile peuvent être justifiés par un syndrome de stress post-traumatique (Diaz Serrato c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 176, au para 22), il n’en demeure pas moins que la prudence s’impose lorsqu’il y a connexité entre les contradictions ou les omissions relevées par la SPR et les erreurs cognitives auxquels un rapport médical ou psychologique fait référence (Garay Moscol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 657, au para 10).

[34]           Le défendeur argumente que la SPR n’était pas liée par la preuve psychologique puisque les faits allégués par la demanderesse ont été jugés non crédibles par la SPR. Le défendeur argumente également que les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe (Directives numéro 4) ne suffisent pas à pallier au manque de crédibilité de la demanderesse.

[35]           Or, le simple fait que la SPR ait mentionné le fait qu’elle a considéré les Directives numéro 4 et les rapports médicaux et psychologiques de la demanderesse ne suffit pas à pallier le manque d’intelligibilité d’une décision (Cato, aux paras 18, 19 et 31).

[36]           Par ailleurs, en présence d’une personne atteinte de TSPT, la preuve médicale est essentielle à l’analyse de la crédibilité d’un demandeur d’asile puisqu’elle permet d’expliquer les troubles de mémoire dudit demandeur; l’omission de la considérer peut s’avérer fatale quant au caractère raisonnable de la décision. Dans Cato aux paras 30 et 31, le juge Scott mentionne :

Ces éléments de preuve incluaient des articles traitant des problèmes de mémoire éprouvés par les personnes souffrant du TSPT.

Bien que la Cour ait jugé qu’il n’y a aucune obligation de se prononcer sur chaque document présenté comme preuve, il est évident qu’il existe une obligation de se prononcer sur les éléments de preuve documentaires présentés, lorsqu’ils sont directement en lien avec la question, comme dans la présente affaire (Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 656, au paragraphe 16). Le document était destiné à expliquer les problèmes de mémoire éprouvés par la demanderesse principale.

[Soulignements ajoutés]

[37]           Dans Cato le juge Scott a considéré que la SPR a erré en considérant que l’incapacité d’un demandeur d’asile souffrant de TSPT de se rappeler des évènements entourant les évènements traumatisants allégués permettait de tirer des inférences négatives quant à la crédibilité de celui-ci (au para 23). En l’espèce, je suis d’avis que la SPR a commis une erreur semblable en considérant que la demanderesse aurait normalement eu la capacité d’expliquer de façon cohérente à son procureur et à la SPR les évènements qui n’étaient pas liés aux viols qu’elle a subis.

[38]           Plus récemment, le juge Russell a considéré que l’omission de la SPR de considérer la preuve médicale selon laquelle les personnes souffrant de TSPT « étaient souvent dénué[e]s de séquence chronologique » et « souffrent de pertes de mémoire qui prennent une ampleur dépassant largement les perceptions traumatisantes les plus horrifiantes » constituait une erreur susceptible de révision judiciaire (AB, aux paras 72-74, soulignements ajoutés). En l’espèce, l’essence de la décision de la SPR repose justement sur l’incapacité de la demanderesse d’expliquer de façon chronologique et cohérente les évènements traumatisants qu’elle a subis. À mon avis, la SPR a déraisonnablement ignoré les difficultés de la demanderesse de se remémorer l’ordre chronologique des évènements qu’elle a vécus.

[39]           Bien que la SPR peut apprécier le témoignage d’un expert de la santé en tenant compte des conclusions antérieures de non-crédibilité d’un demandeur d’asile, notamment lorsque les faits sur lesquels se fonde le rapport d’expert sont jugés non-crédibles (Napoleon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 822, aux paras 17, 22, 23), un rapport d’expert de la santé se fondant sur un examen actuel des symptômes d’un patient doit se voir attribuer plus de valeur qu’un rapport basé exclusivement sur le compte rendu d’évènements exprimé par un patient (Mico, au para 54). Dans Mico le juge Russell a expliqué que bien que la SPR n’était pas tenue d’accepter la preuve médicale, elle devait expliquer pourquoi cette preuve ne saurait influencer ses conclusions.

[40]           En l’espèce, le rapport de la psychothérapeute indique que celle-ci a constaté que la demanderesse souffrait d’épisodes de dissociation et qu’elle avait de la difficulté à se rappeler de différents évènements de façon chronologique. De plus, le rapport du psychiatre Luc Bourgon de l’hôpital d’Ottawa indique que la demanderesse a été hospitalisée le 28 février 2014 à la suite d’une sévère perte de conscience et qu’une analyse neurologique complète a révélé que la demanderesse souffrait d’un TSPT sévère. De fait, la SPR a nié la valeur de l’opinion de ces intervenants pour deux raisons : 1) le manque de crédibilité de la demanderesse; et 2) le fait que les symptômes ne seraient pas associés aux expériences traumatisantes que la demanderesse allègue avoir vécues en Haïti. D’une part, même en supposant que les symptômes de la demanderesse ne seraient pas liés aux évènements qu’elle a vécus en Haïti, cela ne change rien au fait que ces symptômes affectent la capacité de la demanderesse à témoigner. D’autre part, considérer que l’incohérence des propos de la demanderesse permet d’écarter l’opinion des intervenants qui l’ont examinée, revient à écarter un diagnostic en raison des symptômes. Il s’agit d’un raisonnement circulaire et illogique.

[41]           Ce raisonnement circulaire m’apparaît contraire à la réalité reflétée par l’article 8.1 des Directives numéro 8, qui précise :

8.1 Les rapports médicaux, psychiatriques et psychologiques ou d'autres rapports d'experts portant sur la personne vulnérable constituent des éléments de preuve importants qui doivent être examinés. Les éléments de preuve d'experts peuvent être d'une grande utilité à la CISR pour l'application des présentes directives s'ils portent sur la difficulté particulière qu'éprouve la personne à composer avec le processus d'audience, notamment sa capacité de témoigner avec cohérence.

[Soulignements ajoutés]

8.1 A medical, psychiatric, psychological, or other expert report regarding the vulnerable person is an important piece of evidence that must be considered. Expert evidence can be of great assistance to the IRB in applying this guideline if it addresses the person's particular difficulty in coping with the hearing process, including the person's ability to give coherent testimony.

[Emphasis added]

[42]           À mon avis, la SPR a effectué une analyse superficielle et inadéquate de l’impact des difficultés psychologiques de la demanderesse sur sa capacité de témoigner allant ainsi à l’encontre des Directives numéro 8.

[43]           Le défendeur soutient que les rapports d’experts de la santé ne permettent pas d’établir les faits sous-jacents de la demande d’asile. Or, ces rapports permettent de confirmer l’état de vulnérabilité dans lequel se trouvait la demanderesse durant l’audience.

[44]           En outre, la SPR ne semble pas remettre en question les troubles psychologiques dont souffre la demanderesse (Motifs de la SPR, para 70). Pourtant, la SPR a omis d’analyser la preuve documentaire traitant de l’impact d’un TSPT sur la capacité d’un individu de répondre à des questions faisant appel à sa mémoire. L’auteure Hilary Evans Cameron mentionne dans l’article “Refugee Status Determination and Limits of Memory” (2014) 22 Int’l J Refugee L No 4 469-511 :

In addition, studies of soldiers, peacekeepers, and crime victims show some of the most dramatic examples of memory distortions for even central elements of lived events. One typical study surveyed Desert Storm veterans shortly after their return home and again about two years later. The veterans were asked 19 ‘yes/no’ questions about their experiences in war. ‘Did you see other killed or wounded?’ Did you see ‘bizarre disfigurement of bodies?’ Did you observe death of a close friend?’ Eighty-eight percent changed at least one of their answers; just under one in ten (8 per cent) changed a third of their answers (for the three questions above, the change rate was 27 per cent, 33 per cent and 8.5 percent respectively). The changes ran in both directions, with 70 per cent claiming to have experienced something in the second interview that they had denied at first, and 46 per cent specifically denying at the second interview something that they claimed to have experienced at the first.

[Soulignements ajoutés]

[45]           Les Directives numéro 4 précisent à la note de bas de page numéro 30 que les femmes réfugiées victimes de viol et qui souffrent de TSPT présentent des symptômes de perte de mémoire, de difficulté de concentration et de distorsion des sentiments. Ainsi, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse aurait dû expliquer sa crainte d’être séquestrée de façon cohérente dans sa demande d’asile puisque « les premiers stress, bouleversements et inquiétudes » étaient passés ne prend pas en compte la durée et les effets d’un TSPT qui sont exposés par la preuve soumise.

[46]           Il est vrai que la SPR a souligné certaines contradictions objectivement vérifiables. À titre d’exemple, il est étonnant que la plainte déposée par le mari de la demanderesse le 12 mai 2012 pour l’enlèvement qui s’est déroulé durant la nuit du 11 au 12 mai 2012 indique que la demanderesse a été violée et séquestrée durant quelques jours. Cependant, la décision ne repose pas sur cette inférence négative objectivement vérifiable.

[47]           Puisqu’il ressort des motifs de la décision que c’est principalement sur la base d’incohérences temporelles et de troubles de mémoire que la SPR écarte l’impact du diagnostic de TSPT sur la capacité de la demanderesse à témoigner, je suis d’avis que la SPR a effectué une analyse circulaire et inadéquate par laquelle elle a écarté le diagnostic d’experts sur la base des symptômes associés à ce diagnostic. Ce raisonnement est déraisonnable considérant l’impact que peut avoir le TSPT sévère de la demanderesse sur sa capacité de présenter un témoignage cohérent.

[48]           Pour les raisons qui précèdent, je suis d’avis que l’analyse de la SPR est incomplète et déraisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accordée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accordée.
  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6097-14

 

INTITULÉ :

NERDA SAMEDY JOSEPH, RICHESSE NEISSA SAMEDY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 mars 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 mars 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Négar Achtari

 

Pour les demanderesses

 

Me Christine Bernard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Achtari Law PC

Avocate & Notaire

Ottawa (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.