Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150326


Dossier : IMM-8039-13

Référence : 2015 CF 382

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2015

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

ANGELA MARIA MEJIA GONZALEZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Mme Gonzalez conteste la décision par laquelle une agente d’immigration principale a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[2]               Pour les motifs que j’exposerai ci‑dessous, la présente demande est accueillie.

I.                   Contexte

[3]               Mme Gonzalez est citoyenne de la Colombie. Son époux, M. Fidel Perez Modesto, est pour sa part citoyen du Mexique. Tous deux se sont rencontrés et se sont épousés aux États-Unis. Le 31 décembre 2009, ils ont tenté d’entrer au Canada. Mme Gonzalez y est entrée et elle a présenté une demande d’asile le jour même. M. Modesto a été détenu par les autorités de l’immigration, qui l’ont renvoyé; il est finalement entré au Canada le 13 janvier 2011. Sa demande d’asile a été jointe à celle de Mme Gonzalez.

[4]               Le 6 janvier 2012, la demanderesse a donné naissance à une fille, nommée Mariangel, à Toronto. L’enfant est citoyenne canadienne de naissance.

[5]                Le 10 avril 2012, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejeté les demandes d’asile de Mme Gonzalez et de M. Modesto. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée auprès de la Cour, mais n’a jamais été mise en état.

[6]               Mme Gonzalez et M. Modesto ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire le 24 juin 2012, et une version actualisée de la demande le 12 juillet 2012. On leur a retourné la demande, jugée incomplète. Le 5 octobre 2012, Mme Gonzalez et M. Modesto ont transmis des observations actualisées.

[7]               Le 26 février 2013, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a enjoint à Mme Gonzalez et à M. Modesto de se présenter pour la procédure de renvoi. La date prévue du renvoi de Mme Gonzalez vers la Colombie était le 12 mars 2013. M. Modesto devait pour sa part être renvoyé vers le Mexique le lendemain; il a quitté le Canada pour se rendre au Mexique de manière volontaire. Refusant pour sa part d’obtempérer, Mme Gonzalez est demeurée au Canada avec Mariangel.

[8]               Par décision datée du 17 septembre 2013, l’agente a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. On a communiqué la décision et les motifs à Mme Gonzalez le 3 décembre 2013, après que son avocat en eut fait la demande par écrit.

[9]               L’agente commence par passer en revue les diverses allégations de Mme Gonzalez et de son époux. Mme Gonzalez a soutenu qu’elle serait exposée à un risque en Colombie en raison d’une série d’incidents survenus dans le passé avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Elle ne sait pas non plus si son époux sera autorisé à vivre avec elle en Colombie et, selon elle, il lui sera difficile d’élever sa fille dans un pays [traduction] « qui est en état de guerre depuis plus de quarante ans ».

[10]           M. Modesto a soutenu qu’il serait exposé à un risque au Mexique en raison d’une série d’incidents subis aux mains de gangs de criminels qui, en 2001, l’ont agressé et presque tué. Selon lui, le Mexique est toujours en proie à de graves violences, ce qui fait qu’il est difficile d’y élever un enfant.

[11]           L’agente fait ensuite observer que le paragraphe 25(1.3) de la LIPR l’empêche de tenir compte des facteurs servant aux fins des articles 96 et 97 de cette loi. Ainsi, tout risque posé par les FARC en Colombie, ou les éléments criminels au Mexique, ne peut être évalué pour l’examen de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[12]           L’agente évaluera les difficultés. Elle souligne à cet égard qu’il [traduction] « incombe aux demandeurs de démontrer qu’ils seraient touchés directement et personnellement par les conditions prévalant dans le pays ». Or, elle conclut que les demandeurs n’ont pas établi [traduction] « qu’ils seraient exposés à des conditions auxquelles le peuple ne fait pas face de manière générale ». Mis à part les déclarations faites par la demanderesse, aucun élément de preuve ne montre que celle‑ci ait jamais été ciblée par les FARC en Colombie, ou son époux par des criminels au Mexique. Bien qu’en Colombie et au Mexique la situation soit [traduction] « loin d’être favorable », les demandeurs n’ont pas établi qu’ils subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[13]           La preuve documentaire révèle en outre que le gouvernement colombien continue de combattre les FARC pour faire cesser leurs activités criminelles. Le gouvernement mexicain continue lui aussi de s’attaquer à la criminalité et à la corruption. Selon l’agente, les demandeurs disposeraient de recours tant en Colombie qu’au Mexique s’ils devaient y rencontrer des difficultés.

[14]           L’agente ne prend pas en compte les préoccupations exprimées par la demanderesse quant au fait qu’on pourrait refuser à son époux de vivre en Colombie, et qu’il sera très difficile de trouver un emploi, que ce soit en Colombie ou au Mexique.

[15]           L’agente se penche sur la question de l’établissement des demandeurs au Canada. Elle convient que les demandeurs parlent l’anglais comme langue seconde, et qu’ils ont pris part à de nombreuses activités au sein de leur église et d’une chorale. Elle relève également que Mme Gonzalez a fait beaucoup de bénévolat et que M. Modesto a occupé un emploi rémunéré. L’agente reconnait que [traduction] « les demandeurs ont cherché activement à s’intégrer à la société canadienne ».

[16]           L’agente conclut malgré tout que le degré d’établissement des demandeurs est [traduction] « d’un niveau auquel il est naturel de s’attendre de leur part ». Les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que couper leurs liens d’emploi et avec la communauté au Canada leur occasionnerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[17]           L’agente porte ensuite son attention sur l’intérêt supérieur de l’enfant. L’enfant des demandeurs a vécu au Canada depuis qu’elle y est née, une année et demie plus tôt. Compte tenu de son jeune âge, selon l’agente, [traduction] « il est raisonnable de croire qu’elle n’est pas en mesure de savoir ni de comprendre où elle se trouve, qu’il s’agisse du Canada, de la Colombie ou du Mexique ». L’agente ajoute qu’à un si jeune âge, les enfants [traduction] « sont résilients et s’adaptent bien aux nouvelles situations ». L’enfant n’a pas encore intégré le système scolaire ni n’a tissé au Canada des liens d’amitié que viendrait couper son renvoi hors du pays. Ailleurs qu’au Canada, l’enfant bénéficiera toujours du soutien de ses parents. De plus, un grand‑père et deux oncles de l’enfant résident en Colombie. Si l’enfant devait aller vivre en Colombie avec sa mère, il est raisonnable de s’attendre à ce que ces membres de sa famille lui viennent aussi en aide. L’agente a dit estimer qu’on [traduction] « répondrait au mieux à l’intérêt supérieur de l’enfant si celle‑ci continuait de disposer des soins personnels et du soutien de sa famille ».

[18]           L’agente souligne que la preuve objective présentée ne suffit pas à démontrer que la famille ne pourra pas être réunie en Colombie ou au Mexique. L’enfant est en outre citoyenne du Canada. Peu importe le lieu où elle réside, elle conservera sa citoyenneté et les avantages qui s’y rattachent.

[19]           L’agente aborde l’argument de Mme Gonzalez selon lequel il sera difficile d’élever sa fille en Colombie ou au Mexique en raison des conditions sociales qui y prévalent. La preuve objective présentée était insuffisante pour étayer cette prétention. En outre, les problèmes soulevés par Mme Gonzalez sont généralisés et [traduction] « se posent pour l’ensemble de la population dans l’un et l’autre pays ». Mme Gonzalez n’a pas démontré que sa fille serait [traduction] « touchée personnellement et directement par les conditions sociales défavorables ».

[20]           Après avoir pris en compte l’ensemble des renseignements et des éléments de preuve, l’agente en vient à la conclusion que l’octroi d’une dispense ne saurait être justifié pour des considérations d’ordre humanitaire.

[21]           Après qu’on lui a communiqué la décision, Mme Gonzalez a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

II.                Question en litige

[22]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : l’agente a-t-elle analysé erronément la question des difficultés générales?

III.             Norme de contrôle

[23]           Les parties ont eu un débat animé au sujet de la norme de contrôle applicable. Bien qu’à mon avis la question ne soit pas déterminante, je me prononcerai néanmoins à ce sujet étant donné la qualité des arguments présentés.

[24]            L’avocat de la demanderesse a soutenu que l’agente avait appliqué le mauvais critère juridique pour l’évaluation des difficultés aux fins de l’application du paragraphe 25(1) de la LIPR. Il s’agit d’après lui d’une pure erreur de droit, ce que la Cour fédérale examine de longue date selon la norme de la décision correcte. Il renvoie en particulier à une décision antérieure que j’ai rendue, soit BL c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 538, au paragraphe 11.

[25]           L’avocat du ministre fait valoir en revanche que la Cour d’appel fédérale a récemment statué en faveur de l’application, dans un tel cas, de la norme de la raisonnabilité (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, aux paragraphes 30 à 36 (Kanthasamy CAF). Cette position s’harmonise, selon ses dires, à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 50. La Cour suprême a statué que la norme de la raisonnabilité s’appliquait dans cette affaire à une décision rendue au titre du paragraphe 34(2) de la LIPR, une disposition depuis abrogée et qui conférait également un pouvoir discrétionnaire au ministre.

[26]           Le droit est plutôt mouvant sur ce point, mais, comme je l’ai déjà dit, je ne crois pas que cela fasse une grande différence dans la présente affaire. Avant l’arrêt Kanthasamy CAF, la position dominante dans la jurisprudence était que le choix d’un critère juridique par un agent chargé de la demande fondée sur les considérations d’ordre humanitaire appelait la norme de la décision correcte (BL, précitée, au paragraphe 11; Rodriguez Zambrano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 481, au paragraphe 30). Malgré tout, certains juges de la Cour ont appliqué dans un tel cas la norme de la décision raisonnable (Ramsawak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 636, aux paragraphes 12 et 13; Saporsantos Leobrera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 587, aux paragraphes 28 et 29).

[27]           La Cour d’appel fédérale s’est prononcée en faveur du recours à la norme de la décision correcte dans le contexte d’une demande pour considérations d’ordre humanitaire (Toussaint c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 146, au paragraphe 29).

[28]           Dans la décision Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129, aux paragraphes 10 à 17, la juge Gleason s’est dite d’avis que la norme de la décision correcte cadrait mal avec la jurisprudence de la Cour suprême laissant entendre que la retenue judiciaire était de mise lorsque les décideurs interprétaient leur propre loi constitutive. La juge Gleason ne s’est toutefois pas prononcée sur la bonne norme de contrôle comme elle avait conclu que, dans cette affaire, la décision était à la fois incorrecte et déraisonnable.

[29]           Dans la décision Vuktilaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 188, le juge O’Keefe a dit partager les préoccupations exprimées dans la décision Diabate. Il a aussi souligné que, dans Agraira, on avait appliqué la norme de la raisonnabilité au contrôle d’une décision ministérielle discrétionnaire, quoiqu’il ne s’agît pas alors d’une décision concernant une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le juge O’Keefe a malgré tout conclu qu’il était tenu, en raison de l’arrêt Toussaint, d’appliquer dans sa décision la norme de la décision correcte. Il a particulièrement déclaré ce qui suit, au paragraphe 30 :

[…] bien qu’il permette aux tribunaux de revoir la norme de contrôle lorsque l’analyse antérieure s’est avérée insatisfaisante, l’arrêt Dunsmuir ne permet pas de déroger à la hiérarchie judiciaire. L’arrêt Toussaint demeure une décision de la Cour d’appel qui fait autorité et qui porte directement sur la question qui nous occupe. L’arrêt Toussaint a été rendu après l’arrêt Dunsmuir et on peut présumer que la Cour d’appel a examiné la présomption applicable. Je ne suis pas convaincu que l’arrêt Toussaint a été supplanté par la jurisprudence ultérieure. L’arrêt Agraira ne faisait qu’appliquer les règles de droit énoncées dans l’arrêt Dunsmuir; il ne les modifiait pas. […] Je suis donc lié par l’arrêt Toussaint et je vais donc appliquer la norme de la décision correcte.

[30]           J’estime que la décision rendue dans l’affaire Vuktilaj est correcte. La question est de savoir si la Cour d’appel fédéral a écarté l’arrêt Toussaint dans l’arrêt Kanthasamy CAF et dans l’arrêt complémentaire Lemus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114. L’idée a assurément trouvé un écho favorable dans la jurisprudence de la Cour (voir, p. ex., Charles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 772).

[31]           Malgré tout, il ne m’apparaît pas clairement que l’arrêt Kanthasamy CAF a écarté l’arrêt Toussaint. Tout en appliquant la norme de la raisonnabilité au stade des demandes (2013 CF 802 (Kanthasamy CF)), la juge Kane a néanmoins écrit ce qui suit (au paragraphe 39) : « [d]ans le cas qui nous occupe, l’agente a appliqué le bon critère et ses conclusions de fait sont raisonnables » (non souligné dans l’original). On pourrait considérer, à ce titre, qu’elle a procédé au contrôle du choix du critère selon la norme de la décision correcte, et au contrôle des conclusions de fait selon celle de la décision raisonnable, d’une manière conforme à la jurisprudence dominante. Le fait que la Cour d’appel ait confirmé la décision de la juge Kane, sans plus, ne veut pas dire qu’elle a approuvé le recours à la norme de la raisonnabilité quant à tous les aspects d’une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[32]           Qu’a véritablement dit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kanthasamy CAF? La Cour d’appel n’a jamais clairement affirmé que l’ensemble de la décision, plutôt que ses seuls éléments factuels, appelait le contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Le juge Stratas a d’ailleurs déclaré (au paragraphe 86) : « [l]’agente a correctement exposé les règles de droit applicables » (non souligné dans l’original). Cela donne à penser que le choix d’un critère par l’agente demeure assujetti à la norme de la décision correcte, tandis que ses conclusions de fait commandent la retenue.

[33]           L’arrêt Lemus ne va pas dans un sens différent. Au stade des demandes (2012 CF 1274), au paragraphe 14, le juge Near (alors membre de la Cour) a expliqué que « la norme de contrôle qui s’applique aux questions mixtes de fait et de droit se rapportant aux décisions CH est la décision raisonnable ». Il n’a pas fait d’observations concernant la norme de contrôle appelée par le choix du critère juridique. La Cour d’appel a confirmé la décision du juge Near. Pour ce motif, avec égards, je ne suis pas d’accord avec mon collègue le juge Russell lorsqu’il laisse entendre dans la décision Charles, précitée, au paragraphe 22, qu’il s’ensuit que la norme de la raisonnabilité s’applique aux « critères ou principes juridiques à appliquer dans les décisions relatives aux demandes CH ». Dans l’affaire Lemus, seules des questions mixtes de fait et de droit étaient en cause. Ni le juge saisi des demandes ni la Cour d’appel n’ont fait d'observations incidentes sur la norme de contrôle appelée par les principes juridiques.

[34]           Pour ces motifs, je suivrai l’arrêt Toussaint et conclurai que le choix par l’agente du critère juridique commande la norme de la décision correcte. J’estime toutefois en même temps, comme le juge Russell, que la norme de contrôle applicable change peu de choses à l’issue (Charles, précitée, au paragraphe 23).

[35]           Enfin, les parties ne contestent pas que l’application de tout critère juridique par l’agente aux faits dont elle est saisie est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

IV.             Observations des parties

[36]           Les parties ont présenté des observations réfléchies que je résumerai.

A.                Observations de la demanderesse

[37]           Il n’y a pas que les difficultés propres au demandeur qu’on puisse invoquer aux fins d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Les difficultés aussi rencontrées par d’autres citoyens du pays de renvoi peuvent être invoquées, et sont souvent très pertinentes, aux fins de l’analyse visée à l’article 25. D’ailleurs, le fait qu’une personne puisse être renvoyée vers un pays où sévit la guerre ou une catastrophe naturelle devrait inciter à exercer le pouvoir discrétionnaire en matière de considérations d’ordre humanitaire (Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1269, aux paragraphes 71 à 73; Diabate, précitée, au paragraphe 36).

[38]           Comme la juge Gleason l’a expliqué dans la décision Diabate, empêcher la prise en considération des difficultés générales lors de l’examen pour considérations d’ordre humanitaire a pour effet d’y importer l’exigence découlant du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, qui a trait à la qualité de personne à protéger. On fait de la sorte abstraction de l’intention du législateur, qui a expressément recouru à un libellé limitatif à l’article 97, et a omis de le faire à l’article 25. En fait, les récentes modifications apportées à l’article 25 n’ont pas imposé l’obligation de ne tenir aucun compte des difficultés générales dans l’examen des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire. Le législateur n’a pas imposé une telle interdiction.

[39]           L’agente a commis une erreur susceptible de contrôle en refusant de prendre en compte la preuve relative aux difficultés générales. Lorsqu’elle a rejeté la demande d’asile, la Commission a reconnu que la demanderesse avait travaillé comme agente de bord dans des avions de transport militaire en Colombie et que les FARC l’avaient tenue en otage en 1994. Elle a aussi reconnu que, quelques années plus tard, la sœur de la demanderesse avait été agressée sexuellement. La demanderesse a de nouveau fait état de ces événements dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Elle a aussi expliqué les difficultés auxquelles son époux avait personnellement été confronté au Mexique avant de venir au Canada. Elle se disait également inquiète des difficultés auxquelles sa fille serait exposée si elle devait aller vivre en Colombie ou au Mexique.

[40]           La preuve documentaire présentée à l’agente étayait largement les allégations de la demanderesse concernant les conditions défavorables existant dans ces deux pays. La jurisprudence impose un critère peu exigeant pour la preuve d’un lien personnel avec des difficultés générales. Tout ce qui est requis c’est un lien crédible entre les conditions générales dans le pays et la situation personnelle du demandeur. Or, en l’espèce, la demanderesse a offert une explication crédible dont l’agente a fait abstraction de manière déraisonnable.

[41]           L’agente a rejeté l’idée que, personnellement, la demanderesse ait été enlevée, et son époux agressé, en tenant pour acquis qu’une preuve objective insuffisante avait été présentée à ce sujet. Il ressort pourtant clairement de la jurisprudence qu’il faut présumer véridique le témoignage fait sous serment de l’auteur d’une demande fondée sur des considérations humanitaire (Westmore c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1023, aux paragraphes 44 et 45; Chekroun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 737, aux paragraphes 64 et 65). Rejeter un témoignage sous serment simplement en raison de l’absence d’une preuve corroborante, sans expliquer pourquoi ce témoignage n’est pas crédible, constitue une erreur susceptible de contrôle.

[42]           L’agente a en outre écarté erronément les difficultés découlant de la situation dans les pays visés simplement parce qu’il s’agissait aussi de difficultés auxquelles [traduction] « le peuple […] fait […] face de manière générale ». La guerre, l’instabilité politique et les activités criminelles avec violence ne sont pas moins source de difficultés pour un demandeur individuel du simple fait qu’elles en occasionnent aussi à l’ensemble de la population.

[43]           Faire abstraction des difficultés générales est encore plus troublant dans le cas d’un enfant. Le libellé même de l’article 25 commande un traitement particulier pour les enfants dans le cadre des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, et la jurisprudence le confirme. Si les agents chargés d’examiner les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire sont tenus de prendre en compte la preuve de difficultés générales dans le cas des demandeurs adultes, il en est assurément de même dans le cas des enfants.

[44]           Exclure une preuve essentielle à l’appréciation de l’intérêt supérieur d’un enfant, ou en faire abstraction, constitue une erreur susceptible de contrôle (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75).

[45]           Vu les erreurs ainsi commises, la décision doit être annulée. On ne peut prédire quelle aurait été l’issue si l’agente avait appliqué le bon critère juridique, puisque la « décision qui sera prise relativement aux difficultés doit découler de l’examen global des circonstances d’ordre humanitaire » (Chekroun, précitée, au paragraphe 98). La Cour ne doit pas tirer d’hypothèses quant à ce qu’aurait pu être l’issue si les difficultés générales avaient été prises en compte (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 54; Pathmanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 353, au paragraphe 28).

B.                 Observations du défendeur

[46]           L’agente n’a pas commis d’erreur en requérant que la demanderesse démontre que le renvoi causerait des difficultés particulières à elle‑même ou à sa famille. Selon la jurisprudence, l’intéressé doit démontrer qu’il sera touché par les conditions générales dans le pays de renvoi pour qu’il soit justifié de lui accorder une dispense pour considérations d’ordre humanitaire (voir, p. ex., Lalane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 6, aux paragraphes 1 et 38; Piard c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 170, au paragraphe 19; Kanthasamy CF; Berthoumieux c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1200, au paragraphe 14).

[47]           Les observations formulées dans la décision Shah, et suivies dans la décision Diabate, étaient des observations incidentes. La Cour y a jugé la décision sous-jacente déraisonnable pour d’autres motifs (Shah, précitée, aux paragraphes 51 à 66). On n’a pas souscrit à ces observations incidentes dans les décisions citant par la suite les décisions Shah et Diabate.

[48]           La structure adoptée pour le processus d’examen des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire laisse croire que l’octroi d’une dispense doit être fonction d’une situation personnelle, et non des conditions générales dans le pays en cause. La dispense pour considérations d’ordre humanitaire est de nature exceptionnelle et discrétionnaire. Il serait contraire à sa nature même de l’accorder en raison de conditions générales susceptibles de s’appliquer à des millions de personnes dans un pays donné.

[49]           La demanderesse ne peut reprocher à l’agente de ne pas avoir effectué une analyse plus détaillée des difficultés générales alors qu’elle‑même a présenté très peu d’éléments de preuve sur ce point. La preuve de la demanderesse s’est limitée à son témoignage sous serment, que l’agente a qualifié d’ [traduction] « élémentaire ». La demanderesse n’a pas même présenté d’éléments de preuve documentaire sur les pays de renvoi. C’est de son propre chef que l’agente a pris en compte divers éléments de preuve documentaire.

[50]           Il incombe à ceux qui présentent des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire de produire une preuve étayant les facteurs qu’ils invoquent (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 348, au paragraphe 5). Les conditions générales dans le pays ne peuvent être prises en compte que si un demandeur explique en quoi elles vont le toucher de manière particulière (Kanthasamy CF, précitée, au paragraphe 37). La demanderesse n’a pas fourni une telle explication en l’espèce.

[51]           La Cour d’appel fédérale a expliqué dans l’arrêt Kanthasamy CAF l’interprétation qu’il convenait de donner à l’article 25, et elle a tiré les conclusions suivantes qui sont dignes de mention :

  1. Pour obtenir une dispense pour considérations d’ordre humanitaire, le demandeur doit démontrer que les difficultés subies seraient plus lourdes que les conséquences inhérentes au fait de quitter le Canada et de devoir présenter sa demande par les voies normales. Il faut démontrer l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.
  2. Le demandeur doit subir personnellement et directement les difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.
  3. Le processus de dispense pour considérations d’ordre humanitaire ne doit pas faire double emploi avec l’évaluation du risque effectuée aux fins des articles 96 et 97 de la LIPR. Il faut examiner les faits sous‑tendant le risque sous le prisme des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[52]           La demanderesse ne peut pas se fonder sur les décisions Shah ou Diabate. La principale erreur susceptible de contrôle relevée dans ces affaires a consisté pour l’agent chargé d’examiner la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire à appliquer au risque le critère de l’article 97, plutôt qu’à évaluer les facteurs de risque sous le prisme des difficultés (voir Shah, précitée, au paragraphe 73). Dans la mesure où on aurait pu laisser entendre dans ces affaires que l’auteur d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire peut invoquer des facteurs qui ne le touchent pas directement, cette position a été supplantée par l’arrêt en sens contraire rendu dans l’affaire Kanthasamy CAF.

[53]           Avant de pouvoir être appréciés, les facteurs liés à l’intérêt supérieur d’un enfant doivent être exposés adéquatement dans les observations présentées et étayés par la preuve (Owusu, précité, au paragraphe 5). La demanderesse n’a pas produit d’éléments de preuve montrant que sa fille subirait des difficultés au Mexique ou en Colombie. La présentation de facteurs liés à l’intérêt supérieur n’est pas non plus gage de succès. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475 (Hawthorne), au paragraphe 6, la Cour d’appel a statué qu’en examinant une demande pour considérations d’ordre humanitaire, il fallait pondérer avec les autres facteurs ceux liés à l’intérêt supérieur de l’enfant.

[54]           En outre, les arguments avancés par la demanderesse au sujet de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant ne sauraient être admis. À titre d’exemple, la demanderesse présume qu’il faut évaluer les difficultés générales différemment dans le cas des enfants; or on ne fait aucune distinction dans l’arrêt Kanthasamy CAF entre la situation des mineurs et celle des adultes. La demanderesse présume en outre que les facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant pencheront en faveur de l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire lorsque la situation prévalant dans le pays est particulièrement difficile. Cela va toutefois à l’encontre de la directive donnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker, selon laquelle les facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant ne doivent pas l’emporter sur les autres facteurs aux fins de l’examen d’une demande pour considérations d’ordre humanitaire. Finalement, l’évaluation faite par l’agente des facteurs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant était proportionnelle aux observations lacunaires que la demanderesse lui avait présentées.

V.                Analyse

A.                Droit applicable

[55]           À mon avis, les deux parties ont correctement exposé le critère convenant à l’évaluation des difficultés générales aux fins d’une demande pour considérations d’ordre humanitaire – quoique chacune d’elles ait mis l’accent, de manière bien compréhensible, sur la facette du critère la plus favorable à sa thèse. En bref, l’auteur d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire peut faire valoir des difficultés auxquelles sont aussi confrontés d’autres citoyens du pays de renvoi. La demanderesse n’a pas à prouver qu’elle sera exposée à des difficultés différentes de celles subies par toute autre personne. Elle doit cependant prouver l’existence d’un lien entre sa situation personnelle et les difficultés qu’elle invoque.

[56]           Il s’agit d’une position sensée puisqu’elle concilie le caractère individuel d’une évaluation pour considérations d’ordre humanitaire avec l’intention claire du législateur : faire en sorte que l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent ne soit entravé par aucune autre disposition de la LIPR, y compris par le sous-alinéa 97(1)b)(ii) et l’interdiction qui y est faite de prendre en compte le risque général.

[57]           Bien que Kanthasamy CAF soit l’arrêt le plus récent de la Cour d’appel sur la question, je commencerai par me pencher sur la jurisprudence antérieure, que les parties ont exposée de manière si étoffée.

[58]           Dans la décision Shah, le juge Mandamin a annulé une décision défavorable en matière de considérations d’ordre humanitaire pour de nombreuses raisons. L’agente avait fait abstraction d’un risque de suicide (paragraphe 58) et d’une invalidité (paragraphe 62) propres à la demanderesse, ainsi que d’éléments de preuve personnels concernant son isolement social dans le pays de renvoi (paragraphe 65). Pour ce qui est de l’analyse du risque général, je conviens avec l’avocat du ministre que, depuis l’arrêt Kanthasamy CAF, il n’est plus possible d’avancer qu’un risque non individuel puisse être pris en considération.

[59]           Dans la décision Diabate, précitée, la juge Gleason a expliqué (au paragraphe 33) qu’exclure les risques auxquels un demandeur pourrait être confronté, simplement parce que la majorité de la population y est aussi exposée, revenait « à dépouiller de sa fonction l’article 25 », en y important une exigence prévue à l’article 97. La juge en est venue à la conclusion suivante, au paragraphe 36 :

Il est à la fois fautif et déraisonnable, dans le cadre d’une telle analyse [pour CH], d’exiger d’un demandeur qu’il prouve que les circonstances qu’il devra affronter ne sont généralement pas celles que doit affronter la population dans son pays d’origine.

Fait important, la juge Gleason n’a jamais laissé à entendre que l’auteur d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire était dispensé d’établir l’existence d’un lien quelconque entre les risques généraux et sa situation particulière.

[60]           Examinons maintenant certaines décisions citées par le ministre. Dans la décision Lalane, précitée, le juge Shore a donné l’explication suivante (au paragraphe 1) :

L’allégation des risques au sein d’une demande de résidence permanente en vertu de considérations humanitaires (CH) doit être un risque particulier et personnel au demandeur. Le demandeur a le fardeau de démontrer un lien entre cette preuve et sa situation personnelle. Autrement, chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH, peu importe sa situation personnelle en cause, ce qui n’est pas le but et l’objectif d’une demande CH.

[61]           Le juge Boivin a réitéré le principe ainsi, dans la décision Piard, précitée (au paragraphe 19) :

[…] un individu qui demande d’être dispensé d’une exigence de la Loi ne peut se contenter de présenter des circonstances générales de son pays d’origine, mais doit démontrer en quoi cela lui occasionnerait, personnellement, des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

[62]           Finalement, dans la décision Berthoumieux, précitée, le juge Roy a déclaré (au paragraphe 16) :

[…] j’aurais certes accepté d’examiner l’argument voulant que l’existence de conditions extrêmement pénibles touchant l’ensemble de la population ne fait pas obstacle à une demande CH pour le seul motif que la demanderesse serait replacée dans ce qui correspond à la situation générale du pays. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. La demanderesse doit montrer qu’elle sera exposée à des difficultés excessives, et non pas simplement que la situation dans le pays est difficile. Elle doit combler l’écart qui sépare la preuve de la situation générale du pays de celle de l’existence de difficultés excessives en présentant des éléments qui témoignent de sa situation particulière.

[Non souligné dans l’original.]

[63]           En gardant ce contexte présent à l’esprit, j’examinerai maintenant de récentes déclarations faites par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kanthasamy CAF. La Cour d’appel n’a laissé planer aucun doute : il ne suffit pas de simplement faire valoir l’existence de conditions générales défavorables dans le pays de renvoi. Le juge Stratas a ainsi déclaré (au paragraphe 41) :

La Cour fédérale a à maintes reprises interprété le paragraphe 25(1) comme obligeant le demandeur à prouver que l’application de ce que j’appellerais la règle normale lui ferait subir personnellement des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives […]

[Non souligné dans l’original.]

[64]           Le juge Stratas a ensuite ajouté ce qui suit, au paragraphe 48 :

La jurisprudence de la Cour fédérale relève que le demandeur doit faire face personnellement et directement à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Les demandeurs qui invoquent le paragraphe 25(1) doivent établir un lien entre la preuve des difficultés qu’ils font valoir et leur situation particulière. Il ne suffit pas de faire état de difficultés sans établir un tel lien […]

[Non souligné dans l’original.]

[65]           Le juge Stratas a ensuite traité du rôle joué par le paragraphe 25(1.3), qui prévoit l’exclusion des facteurs pris en compte pour l’application des articles 96 et 97. Il a fourni les explications suivantes (aux paragraphes 69 à 71) :

Le paragraphe 25(1.3) prévoit en fait que le processus de demande de dispense pour considérations humanitaires ne doit pas faire double emploi avec les processus fondés sur les articles 96 et 97 de la Loi, qui concernent l’évaluation des facteurs de risque aux fins de ces articles.

Il ne s’ensuit toutefois pas que les faits exposés dans une procédure relevant des articles 96 et 97 de la Loi sont sans intérêt dans le cadre d’une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Loin de là d’ailleurs.

Quoique les faits aient pu ne pas donner ouverture, pour le demandeur, à la protection offerte par les articles 96 et 97, ils peuvent néanmoins faire partie d’un éventail de faits équivalant à des considérations d’ordre humanitaire qui justifient la dispense aux termes du paragraphe 25(1).

[66]           Au paragraphe 74, le juge Stratas a décrit l’examen des faits se rapportant au risque allégué comme devant être effectué « sous le prisme des difficultés en cause ».

B.                 Application aux faits

[67]           J’en suis venu à la conclusion que l’agente a évalué les difficultés erronément, et que sa décision doit être annulée.

[68]           À strictement parler, le problème n’est pas que l’agente a mal compris le critère relatif aux difficultés générales. L’agente a plutôt mal compris le mode d’application du paragraphe 25(1.3) de la LIPR. En raison de cette erreur, elle n’a pas sérieusement pris en compte les éléments de preuve qui auraient pu établir l’existence d’un lien entre la demanderesse et les risques qu’elle a allégués.

[69]           Dès le début de sa décision, l’agente a fait mention du paragraphe 25(1.3) et déclaré ce qui suit :

[traduction]

Comme les facteurs de risque invoqués par les demandeurs dans le cadre de la présente demande ont trait […] à leur crainte des FARC en Colombie et d’organisations criminelles au Mexique, je conclus que l’évaluation de ces facteurs échappe à la portée, prévue par la LIPR, d’une demande pour considérations d’ordre humanitaire.

[70]           Cette interprétation du paragraphe 25(1.3) ne peut être admise compte tenu de ce que la Cour d’appel fédérale a déclaré dans l’arrêt Kanthasamy CAF, précité, aux paragraphes 69 à 74. L’agente devait prendre en considération les facteurs de risque se rapportant aux FARC et aux gangs du Mexique, en les évaluant sous le prisme des difficultés en cause.

[71]           Bien que ses motifs ne soient pas parfaitement cohérents, l’agente semble avoir compris comment il convenait d’évaluer les difficultés générales; elle a en effet déclaré : [traduction] « il incombe toujours aux demandeurs de démontrer qu’ils seraient touchés directement et personnellement par les conditions prévalant dans ces pays ».

[72]           Malgré tout, en faisant abstraction des problèmes antérieurs de la demanderesse avec les FARC, et de ceux causés à son époux par les gangs de criminels (qui sont pertinents pour la demanderesse, comme sa fille et elle‑même pourraient devoir aller vivre au Mexique avec l’époux), l’agente ne pouvait pas évaluer de manière raisonnable si la demanderesse et sa fille allaient être touchées directement et personnellement par les conditions défavorables prévalant en Colombie et au Mexique.

[73]           En raison de cette erreur, l’agente a considéré les FARC et les gangs de criminels comme représentant une menace, en toile de fond, pour chacun des citoyens de la Colombie et du Mexique. L’agente a alors formulé comme hypothèse que, si la demanderesse ou les membres de sa famille devaient rencontrer des problèmes avec les FARC ou les gangs, ils pourraient demander au gouvernement de leur venir en aide. C’est peut-être vrai, mais l’agente ne s’est pas demandé si la demanderesse allait subir des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle devait retourner avec sa jeune enfant dans un pays où les FARC l’avaient déjà prise pour cible, ou aller vivre dans un pays où son époux avait déjà été harcelé et agressé par des criminels.

[74]           Étant donné l’erreur de droit déterminante commise par l’agente, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’exprimer d’avis sur son évaluation de la preuve dont elle disposait. Je ferai seulement observer que la décision de la Commission – qui n’a jugé crédible qu’une partie du récit de la demanderesse, sans traiter des allégations concernant le Mexique faites par son époux – n’avait pas d’effet contraignant pour l’agente, à qui cette décision n’avait d’ailleurs pas été communiquée par suite d’un oubli de la demanderesse. Cela dit, l’agente n’a clairement fait état d’aucun motif qui lui aurait fait, soit mettre en doute la crédibilité du témoignage de la demanderesse, soit en minimiser la valeur probante.

[75]           Pour conclure, je relève que les parties s’entendent pour dire que l’intérêt supérieur de l’enfant est un facteur important, mais non déterminant, à prendre en compte dans l’examen d’une demande pour considérations d’ordre humanitaire. Cet intérêt doit être soupesé au regard des autres facteurs en jeu (Baker, précité, au paragraphe 75; Hawthorne, précité, au paragraphe 6; Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, aux paragraphes 24 et 38).

[76]           En l’espèce, l’interprétation erronée de dispositions législatives par l’agente l’a empêché d’évaluer de manière raisonnable l’intérêt supérieur de l’enfant. Il en est ainsi parce que l’agente ne s’est pas penchée sur les éléments de preuve montrant que les parents avaient pu être menacés et agressés dans les pays où l’enfant irait vivre si elle devait rendre une décision concernant une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire défavorable. Nul ne peut contester que l’intérêt supérieur de l’enfant est touché si sa mère ou son père est susceptible d’être blessé ou tué. L’agente aurait dû tenir compte de cet élément lorsqu’elle a évalué en quoi consistait l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elle a soupesé cet intérêt au regard des autres facteurs en jeu.

[77]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie sans frais. Les parties ont convenu que, si la Cour en venait à cette décision, elle ne devait certifier aucune question.

[78]           La Cour tient à préciser que la présente demande de contrôle judiciaire contestait uniquement le rejet par l’agente de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de Mme Gonzalez. Le rejet de la demande de l’époux de Mme Gonzalez constitue une décision distincte qui échappe à la portée du présent contrôle judiciaire, même si l’agente a fait un seul exposé des motifs pour les deux décisions. Le présent jugement enjoint uniquement au défendeur d’examiner de nouveau la demande de Mme Gonzalez. Si M. Modesto souhaite faire réexaminer sa demande, il lui sera loisible d’en faire part au défendeur.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie sans frais. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8039-13

INTITULÉ :

ANGELA MARIA MEJIA GONZALEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MARS 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 26 MARS 2015

COMPARUTIONS :

Anthony Navaneelan

POUR LA DEMANDERESSE

Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk and

Kingwell LLP

Migration Law Chambers

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.