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Date : 20150327


Dossier : IMM-8088-13

Référence : 2015 CF 387

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2015

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

HONGXIN SUN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), le 13 novembre 2013, par laquelle la Commission a rejeté la demande d’asile présentée par M. Hongxin Sun (le demandeur) en raison du manque de crédibilité. Le demandeur soutient qu’il craint la persécution de la part des autorités chinoises parce qu’il est chrétien et qu’il est membre d’une église protestante clandestine.

[2]               Pour les motifs énoncés ci‑dessous, la Cour conclut que la présente demande doit être accueillie.

I.                   Les faits

[3]               Le demandeur, un citoyen de la République populaire de Chine, vivait avec son épouse et son fils dans la ville de Yanji, dans la province de Jilin.

[4]               Le demandeur soutient qu’il a souffert de problèmes gastriques qui se sont aggravés en mars 2010 malgré un traitement médical. Les dossiers médicaux du demandeur révèlent que celui‑ci a consulté un gastroentérologue de façon régulière de juillet 2009 à mars 2010, date à laquelle il a commencé à consulter un spécialiste de la médecine traditionnelle chinoise, et ce, jusqu’au 17 avril 2010.

[5]               Le demandeur affirme qu’à la mi‑avril 2010, son ami Liang Wang l’a initié à Jésus‑Christ. Liang Wang lui a dit que Jésus-Christ avait guéri son asthme allergique, lui a donné une Bible et lui a appris à prier. Il soutient qu’au cours du mois suivant, Liang Wang a prié pour lui et que son état s’est amélioré jusqu’à la mi-mai 2010, quand ses douleurs à l’estomac ont disparu. Le demandeur fait valoir qu’il s’est ensuite joint à la même église clandestine que Liang Wang; il a assisté à un office religieux pour la première fois le 23 mai 2010. Il affirme qu’il a été baptisé le 25 décembre 2010, qu’il a reçu la communion sainte pour la première fois le même jour et qu’il a assisté à l’office religieux chaque semaine.

[6]               Le demandeur soutient également qu’il a commencé à faire le guet pour le compte de l’église clandestine et a initié de proches parents et amis à la foi. Il affirme qu’il a initié son ami De Cai Liu à la foi, et celui-ci s’est joint à l’église en janvier 2011.

[7]               Le demandeur soutient que le 26 juin 2011, le Bureau de la sécurité publique (BSP) a fait une descente dans l’église clandestine, mais que les membres avaient été avertis par un surveillant, qu’il avait donc réussi à s’échapper et à se cacher chez un ami. Le lendemain, les agents du BSP se seraient rendus chez lui pour l’arrêter et auraient interrogé sa famille afin de savoir où il était. Selon le demandeur, les agents du BSP sont revenus chez lui pour l’arrêter sept autres fois et ont montré un mandat d’arrestation à son épouse le 11 octobre 2011. Son épouse lui a dit que trois membres de l’église, notamment Liang Wang, avaient été arrêtés et étaient détenus. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) modifié, le demandeur a ajouté que son épouse s’était rendue au BSP en novembre 2011 afin de demander une copie du mandat d’arrestation, mais qu’elle a essuyé un refus.

[8]               Dans son FRP, le demandeur a souligné qu’il a embauché un passeur responsable de l’aider à obtenir un visa des États-Unis et à quitter le pays. Il a affirmé qu’il est d’abord allé à Seattle, le 17 septembre 2011, et qu’ensuite il a traversé la frontière à pied, et est arrivé à Vancouver le 20 septembre 2011. Il a déposé sa demande d’asile le 22 septembre 2011. À l’audience, le demandeur a expliqué que le passeur a utilisé son véritable passeport pour faire les démarches relatives à l’obtention d’un visa des États-Unis et qu’il a passé une entrevue à l’ambassade des États-Unis à Beijing à cette fin. À la question de savoir comment il avait réussi à quitter le pays alors qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrestation, le demandeur a répondu que le passeur avait versé un pot-de-vin aux douaniers. Interrogé afin de savoir pourquoi il n’avait pas demandé l’asile aux États-Unis, le demandeur a répondu que le passeur lui avait dit que sa demande avait plus de chances de succès au Canada, et que les réfugiés étaient traités comme des détenus aux États-Unis.

II.                La décision contestée

[9]               La Commission a reconnu que le demandeur avait souffert de problèmes gastriques, mais a affirmé qu’elle « ne croit à peu près rien, voire absolument rien, des allégations que le demandeur d’asile a formulées au sujet de la persécution dont il était victime en Chine ».

[10]           Premièrement, la Commission a conclu que le demandeur a inventé toute l’histoire de sa guérison miraculeuse, de son appartenance à une église clandestine, de la descente de la police et de l’arrestation subséquente, et qu’il n’était pas chrétien. La Commission a relevé les incohérences et les invraisemblances suivantes dans le témoignage du demandeur :

  • À la question de savoir pourquoi Liang Wang l’a initié à Jésus-Christ seulement en avril 2010, alors qu’il connaissait les problèmes de santé du demandeur depuis près d’un an, le demandeur a donné une réponse évasive et insatisfaisante.
  • À la question de savoir comment il savait que Dieu l’avait guéri, et non pas les médicaments, le demandeur a répondu qu’il avait cessé de prendre ses médicaments et qu’il a été guéri grâce aux prières de son ami. La Commission, qui a estimé que sa réponse était déraisonnablement vague et évasive, et a conclu que « la guérison de son ulcère de l’estomac ne relève pas d’un miracle ».
  • Bien que le demandeur ait déclaré qu’il a été initié à Jésus-Christ à la mi‑mai 2010 et a été guéri environ au même moment (guérison instantanée), il a aussi affirmé qu’il a été guéri lorsque ces amis et lui ont prié à cette fin chaque jour (guérison graduelle).
  • Lorsque le demandeur a été questionné sur la réaction de son épouse aux événements, le demandeur a répondu que son épouse a été témoin de sa guérison miraculeuse et qu’elle croyait que Dieu l’avait guéri, mais qu’elle ne s’était pas convertie à la religion et qu’elle était athée.
  • Lorsque le demandeur a été interrogé au sujet de son ami De Cai Liu, il a répondu que Dieu avait guéri son ami d’une dépression, mais cet élément important n’a pas été mentionné dans le FRP du demandeur.
  • Interrogé afin de savoir pourquoi il pensait que De Cai Liu était convaincu du miracle de Dieu, contrairement à son épouse, il a répondu qu’il croyait à la liberté de religion et qu’il n’imposerait pas sa foi à son épouse. La Commission a conclu que cette explication ne répondait pas à la question et qu’elle était évasive.
  • Bien que la Commission ait reconnu que le demandeur avait certaines connaissances de Dieu et de la Bible, cette reconnaissance était peu concluante eu égard à la pratique de sa foi en Chine, car il fréquentait une église au Canada depuis son arrivée. La Commission a conclu que rien ne prouvait de façon convaincante que le demandeur était en mesure de parler des préceptes du christianisme.

[11]           La Commission a ensuite souligné que le demandeur n’avait produit aucun élément de preuve indépendant corroborant son témoignage. En ce qui concerne la copie du mandat d’arrestation, la Commission a conclu qu’il était possible, mais peu probable, au vu des documents sur la situation dans le pays, que le BSP refuserait d’en donner une copie à son épouse. La Commission a aussi relevé que le demandeur avait d’abord déclaré qu’il ne faisait l’objet d’aucun mandat d’arrestation. Bien que le demandeur ait expliqué qu’il a mal compris la question et qu’il croyait que la Commission lui demandait si les policiers avaient un mandat d’arrestation la première fois qu’ils sont allés chez lui, la Commission a conclu que la question était claire et que l’explication donnée était insuffisante.

[12]           En ce qui concerne sa fréquentation d’une église chrétienne au Canada et son baptême à cet endroit, la Commission a souligné que le demandeur a présenté des éléments de preuve de sa fréquentation, mais que cette fréquentation n’établissait pas que le demandeur était réellement de confession chrétienne. La Commission en est aussi venue à la conclusion qu’elle avait le droit d’importer une conclusion défavorable quant à la crédibilité d’une demande d’asile sur place et que le fait que le demandeur fréquente une église au Canada avait vraisemblablement pour but d’appuyer sa demande d’asile.

[13]           En ce qui a trait au récit du passage de clandestins, la Commission a conclu qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur soit en mesure de se déplacer en Chine et de quitter le pays muni de son véritable passeport, sans obstacle, alors qu’il faisait l’objet d’un prétendu mandat d’arrestation. La Commission a relevé que les documents sur la situation dans le pays démontrent l’existence d’une base de données nationale de la police. Bien qu’elle reconnaisse que la corruption est fréquente en Chine, la Commission a rejeté l’explication selon laquelle le passeur aurait versé un pot-de-vin à un douanier et elle a précisé que si le BSP avait été tant résolu à arrêter le demandeur, celui‑ci aurait été arrêté malgré le versement d’un seul pot-de-vin.

[14]           En outre, la Commission a conclu que l’explication donnée par le demandeur pour justifier les raisons pour lesquelles il n’a pas présenté de demande d’asile aux États-Unis était insatisfaisante. La Commission a relevé que le demandeur connaissait le processus de demande d’asile des États-Unis et qu’il n’aurait pas raté l’occasion d’y demander l’asile s’il éprouvait réellement une crainte subjective de persécution.

[15]           La Commission a aussi tenu compte des documents sur la situation dans le pays concernant la persécution des chrétiens en Chine. Elle a conclu que les incidents étaient rares et exceptionnels dans la province de Jilin, et qu’il n’y avait pas de preuve de poursuite pour prosélytisme dans la province de Jilin. La Commission a donc conclu qu’il était possible, quoique peu probable, qu’une descente ait eu lieu dans une église dans la province de Jilin.

III.             La question en litige

[16]           la présente affaire ne soulève qu’une seule question en litige : la conclusion de la Commission quant à la crédibilité est‑elle raisonnable?

IV.             Analyse

[17]           La norme de contrôle concernant les conclusions relatives à la crédibilité tirée par la Commission est indubitablement celle de la décision raisonnable : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), 160 NR 31, au paragraphe 4 (CAF); Tomic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 126, au paragraphe 21.

[18]           La Cour souscrit à l’avis de l’avocate du demandeur, qui soutient que les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité sont ténues et qu’elles manquent de transparence et d’intelligibilité. En fait, la Commission avait de sérieux doutes quant à la question de savoir si le demandeur avait guéri miraculeusement en raison de sa croyance en Jésus-Christ. Ce scepticisme teinte toute la décision. À des fins de clarté, la Commission a relevé, au paragraphe 16 de ses motifs qu’« il n’est peut‑être pas important de savoir si ce sont les médicaments ou les prières qui sont à l’origine de la prétendue guérison du demandeur d’asile; ce qui importe, c’est que ce dernier [traduction] « croie » [c’est le tribunal qui met entre guillemets] que les prières l’ont guéri ». Le problème réside dans le fait que l’essentiel des motifs de la Commission ne concorde pas avec cette mise en garde.

[19]           Tout d’abord, la Commission semble croire que le demandeur a donné à penser qu’il avait guéri instantanément en mai 2010. Toutefois, une lecture attentive du dossier révèle que le demandeur n’a jamais dit qu’il a été initié au Christ en mai 2010. Il a invariablement déclaré qu’il avait été initié au Christ en avril 2010, que son ami et lui avaient prié régulièrement par la suite, et qu’il avait accueilli le Christ lorsqu’il a guéri de sa maladie à la mi‑mai 2010. Comme il a toujours décrit un processus graduel, la Cour estime que la conclusion de la Commission à cet égard n’est pas fondée sur les éléments de preuve.

[20]           Le scepticisme de la Commission au sujet de la foi du demandeur ressort du paragraphe suivant :

[15] Le demandeur d’asile a déclaré qu’il avait été initié au christianisme à la mi‑mai 2010 et il a affirmé : [traduction] « à la mi‑mai 2010, je ne souffrais plus d’aucune douleur à l’estomac ». Cela ressemble à une guérison instantanée. Selon la preuve dont le tribunal dispose, il ne s’agit toutefois pas d’une guérison instantanée, car le demandeur d’asile a déclaré ceci : [traduction] « Je ne prenais plus aucun médicament. Je prie tous les jours, et mes amis ont prié eux aussi. C’est ainsi que mes douleurs à l’estomac ont disparu. » Sa guérison a donc été graduelle, et non instantanée, car elle est le résultat d’une série de prières quotidiennes. Parmi les éléments de preuve présentés au tribunal, aucun ne permet de savoir combien de prières ont été faites ni pendant combien de temps ces gens ont prié. Rien ne montre non plus que le demandeur d’asile a cessé de prendre ses médicaments avant la mi‑mai 2010. En fait, le demandeur d’asile a affirmé ce qui suit dans son témoignage : [traduction] « Lorsque mon ami m’a parlé de Dieu, j’ai arrêté de prendre mes médicaments […] » Bref, il a cessé de prendre ses médicaments à la mi‑mai et il a été guéri à la mi‑mai également. Si le demandeur d’asile a bel et bien été guéri de ses problèmes de santé, il n’avait aucun moyen de savoir que c’était grâce aux prières, et non aux médicaments qu’il avait pris, selon la preuve, jusqu’à la mi‑mai, moment où il a été guéri selon ses dires. Il est raisonnable de croire que certains médicaments prennent plus de temps que d’autres à faire effet et que certains peuvent n’avoir aucun effet. Ainsi, il est possible que les médicaments n’aient commencé à agir pour lui qu’environ au même moment où il a cessé de les prendre et où il a commencé à prier.

[21]           Je souscris à l’argument de l’avocate du demandeur, qui soutient que la question de savoir si le « miracle » de la guérison du demandeur s’est réellement produit n’est pas pertinente. La Commission peut ne pas être du même avis que le demandeur quant à savoir que Dieu est à l’origine de sa guérison sur le plan médical, mais cela ne signifie pas que le demandeur n’y croit pas sincèrement et qu’il n’est pas un chrétien pratiquant pouvant être exposé à la persécution. Le demandeur a expliqué qu’il a cessé de prendre ses médicaments en avril 2010 et qu’il s’était mis à prier et que c’est pour cela qu’il croit que Dieu l’a guéri en mai 2010. Humblement, la Cour ne comprend pas comment cette explication est vague ou évasive. L’explication répond clairement à la question de la Commission et elle n’est pas incohérente. L’explication peut ne pas être suffisante pour convaincre le commissaire de se convertir lui‑même au christianisme, mais tel n’était pas l’objectif. Évidemment, un demandeur d’asile n’est pas tenu de prouver qu’une intervention divine a eu lieu pour établir sa crainte d’être persécuté pour des raisons religieuses. Le rôle de la Commission ne consiste pas à tirer des conclusions de fait sur des miracles.

[22]           Les croyances religieuses de l’épouse du demandeur sont tout aussi peu importantes. La Cour reconnaît que les réponses du demandeur au sujet des croyances de son épouse portaient à confusion. D’une part, il soutenait que son épouse croyait que Dieu l’avait guéri, mais d’autre part, il disait qu’elle n’était pas intéressée à la religion et qu’elle était athée. Lorsque la Commission lui a demandé comment elle pourrait croire que Dieu l’a guéri et aussi être athée, il a répondu qu’elle avait été témoin de son rétablissement et de ses prières et a précisé ceci : [traduction] « Elle devait présumer que c’était Dieu qui m’avait guéri. » Il était certainement loisible à la Commission de conclure que les explications du demandeur concernant les croyances de son épouse portaient à confusion et étaient difficiles à suivre, voire contradictoires. Toutefois, les croyances de l’épouse du demandeur ne sont pas pertinentes dans la demande d’asile et elles n’ont aucune incidence sur les croyances personnelles du demandeur ou la véracité de ses allégations concernant la descente dans l’église. Les incohérences dans les éléments de preuve doivent être suffisamment graves et reliées à des matières suffisamment pertinentes pour justifier la conclusion d’absence de crédibilité : Djama c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] AFC no 531; Menjivar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 11, au paragraphe 26.

[23]           Il en va de même en ce qui concerne la façon dont la Commission a analysé le témoignage du demandeur sur la conversion de son ami De Cai Liu. La Commission a reproché au demandeur d’avoir mentionné, uniquement dans son témoignage de vive voix ‑ en réponse à une question de la Commission ‑ que De Cai Liu souffrait de dépression. La Cour ne comprend pas pourquoi la Commission a jugé problématique le fait que le demandeur n’avait pas mentionné ce détail dans l’exposé circonstancié de son FRP. Il ne s’agissait pas d’un fait essentiel lié aux croyances du demandeur et à la descente de la police. En outre, cette omission n’a jamais été portée à l’attention du demandeur à l’audience. De plus, il était tout à fait inapproprié de chercher à savoir pourquoi le demandeur avait réuss cinq i à convaincre De Cai Liu ‑ et non son épouse ‑ d’accueillir Jésus, car il s’agit de questions personnelles, qui sont hors du contrôle du demandeur et qui n’ont aucune incidence sur ses propres croyances. Enfin, la Cour est d’avis que les commentaires suivants sont tout à fait inappropriés et déplacés :

Le demandeur d’asile a expliqué que De Cai Liu souffrait de dépression et avait consulté des médecins, mais que ceux‑ci n’avaient pas réussi à le soigner lui non plus (les médecins n’ont apparemment rien pu faire contre l’asthme de Liang Wang, la dépression de De Cai Liu et l’ulcère du demandeur d’asile). Il semblerait que ces personnes ont été aux prises avec des souches très récalcitrantes de différentes maladies en l’espace de quelques mois. Ces maladies exigent une intervention divine, car les médecins semblent impuissants à leur égard.

[24]           Dans l’ensemble, les motifs de la Commission, en ce qui a trait au témoignage du demandeur, sont remplis de sarcasmes et indûment centrés sur des incohérences négligeables et sans importance. La Commission est même allée jusqu’à tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité du fait que le demandeur a commencé ses réponses, à deux reprises, par le terme « premièrement ». Bien que la Cour soit prête à accepter que les réponses du demandeur aux questions de la Commission étaient parfois confuses, la Cour est préoccupée, car l’analyse de la Commission est teintée par son scepticisme relativement à l’allégation du demandeur concernant sa guérison miraculeuse. Au lieu d’évaluer la sincérité des croyances du demandeur et la véracité de son récit concernant la descente dans l’église, la Commission a accordé un poids non mérité à des détails mineurs, a relevé des incohérences dans des apparences de divergences pour lesquelles le demandeur a fourni des explications raisonnables, et a douté de sa foi en raison du comportement d’autres personnes dont le demandeur ne peut être tenu responsable. Pour ces motifs, la Cour est disposée à conclure que l’évaluation de la Commission quant à la crédibilité du demandeur était viciée et manquait de transparence et d’intelligibilité.

[25]           La Commission a aussi conclu, à partir des documents sur la situation dans le pays, qu’il était plus probable que le contraire que les autorités chinoises auraient fourni, à la demande, une copie d’une sommation ou d’un mandat d’arrestation. D’après la Commission, l’omission de produire une copie du mandat d’arrestation donnait à penser que ce document n’existait tout simplement pas. Il est vrai que la Réponse à la demande d’information, citée par la Commission et traitant des mandats d’arrestation et des sommations, révèle que le BSP remet généralement une sommation à la personne, que le Bureau du procureur lancera un mandat d’arrestation après que le BSP eut terminé son enquête sur le dossier et dispose d’éléments établissant que le suspect a commis l’infraction criminelle, et qu’il est possible d’obtenir une copie de ces documents si la demande est faite au BSP. Toutefois, la même Réponse à la demande d’information précise aussi que la loi n’est pas appliquée de façon uniforme partout au pays. La Commission était certainement en droit de ne pas croire l’allégation du demandeur selon laquelle son épouse a demandé une copie du mandat d’arrestation, mais qu’elle a essuyé un refus. Cependant, la Commission ne pouvait pas se servir de la Réponse à la demande d’information comme fondement d’une telle conclusion sans examiner l’avertissement concernant les différences relatives à l’application de la loi dans le pays. En ce qui a trait à la contradiction que la Commission a relevée entre la déclaration du demandeur dans son FRP (à savoir que son épouse a vu un mandat, mais n’a pu en obtenir copie) et son témoignage (où il aurait apparemment affirmé qu’aucun mandat n’avait été délivré), une lecture attentive de la transcription révèle que la question était loin d’être claire et que le demandeur avait véritablement mal compris la question.

[26]           La Commission a tiré une autre conclusion tout aussi contestable, à savoir qu’il était peu probable que le demandeur, qui faisait l’objet d’un mandat d’arrestation, arrive à utiliser son véritable passeport pour quitter la Chine sans être remarqué, en particulier après que le BSP se fut rendu chez lui huit fois à sa recherche comme il le prétend. La Commission fonde principalement sa conclusion sur une Réponse à la demande d’information mentionnant l’existence et le développement d’une base de données d’envergure nationale des forces de police chinoises et utilisée par le BSP et aussi aux ports d’entrée et de sortie du pays. Ce document précise également qu’il reste du travail à faire en ce qui concerne l’échange de renseignements entre les services policiers régionaux. La Commission a elle-même reconnu qu’il existe une grande liberté de décision en matière administrative partout en Chine et que la corruption est fréquente en Chine. Il est bien établi qu’il n’est possible de conclure à l’invraisemblance que dans les « cas les plus évidents » (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7) lorsque [traduction] « les faits tels qu’ils ont été présentés sortent tellement de l’ordinaire que le juge des faits peut avec raison conclure qu’il est impossible que l’événement en question se soit produit » (Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, Markham (Ont.), Butterworths, 1992, article 8.22, cité au paragraphe 24 de la décision Divsalar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653). Comme la Commission a elle‑même reconnu que la corruption est fréquente et qu’il est possible que les renseignements ne soient pas communiqués efficacement, la Commission ne pouvait pas conclure que le récit du demandeur était invraisemblable. La conclusion selon laquelle le demandeur ne pouvait, selon toute vraisemblance, s’être déplacé en Chine pour présenter une demande de visa des États‑Unis sans être remarqué s’appuie elle aussi entièrement sur des conjectures; cette conclusion n’est fondée sur aucun élément de preuve.

[27]           La Cour a les mêmes réserves quant à la façon dont la Commission a évalué les éléments de preuve concernant la fréquence des actes de persécution à l’égard des chrétiens dans la province de Jilin. La Commission pouvait raisonnablement conclure que les incidents de cette nature étaient rares dans la province du Jilin et parmi les moins graves en Chine, et qu’il existe moins qu’une simple possibilité qu’il y a eu une descente dans une église dans cette province. Néanmoins, la Commission a reconnu que le rapport de l’Association d’aide à la Chine, sur lequel elle s’est fondée, mentionne qu’il ne faut pas confondre les incidents déclarés et les incidents réels, car les incidents déclarés ne représentent que la pointe de l’iceberg. Par conséquent, cet élément de preuve documentaire n’ajoute peut-être pas de poids au témoignage du demandeur ou ne prouve pas que la descente à l’église a bien eu lieu, mais il ne peut pas non plus servir à douter de la véracité objective de la crainte de persécution du demandeur.

[28]           En ce qui concerne l’inférence défavorable tirée quant à la crainte subjective du demandeur du fait qu’il n’a pas demandé l’asile aux États-Unis, la Commission n’a pas commis d’erreur. Bien que les demandeurs d’asile ne soient pas tenus de présenter une demande d’asile dans le premier pays où ils arrivent après s’être enfuis, le défaut de demander l’asile est considéré comme un facteur pertinent dans l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur, à condition que la décision relative à la crédibilité ne s’appuie pas uniquement sur ce critère (Gavryushenko c Canada (MCI), [2000] ACF no 1209, au paragraphe 11). Il convient également de souligner que les États-Unis sont un pays désigné pour l’application de l’alinéa 101(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (voir l’article 159.3 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227). Par conséquent, les demandes présentées par des demandeurs en provenance des États-Unis ne peuvent généralement pas être déférées à la Commission. Dans les circonstances, la Commission a effectivement tenu compte de l’explication du demandeur, selon laquelle il pensait que les réfugiés étaient mal traités aux États-Unis, mais ne l’a pas acceptée. La Commission a estimé qu’il s’agissait d’un élément parmi beaucoup d’autres qui ont miné la crédibilité du demandeur. Sur ce seul aspect, la Cour n’est pas d’avis que le raisonnement de la Commission était déraisonnable.

[29]           En ce qui a trait à l’évaluation faite par la Commission de la demande sur place du demandeur, la Commission était certainement en droit d’importer ses conclusions relatives à la crédibilité pour évaluer le bien-fondé de cette demande. Autrement dit, si le demandeur a réellement inventé son récit pour demander l’asile, il serait raisonnable de tirer l’inférence que ses connaissances actuelles sur le christianisme et sa pratique du christianisme au Canada ont été acquises après son arrivée ici afin d’appuyer sa demande frauduleuse. En l’espèce, le problème réside dans le fait que les conclusions de la Commission relatives au caractère authentique du récit du demandeur peuvent elles‑mêmes être mises en doute et comportent un certain nombre de lacunes. Dans cette situation, l’inférence tirée par la Commission n’est pas justifiée et il serait déraisonnable de supposer que les éléments de preuve concernant les connaissances du demandeur au sujet du christianisme et sa fréquentation d’une église au Canada ont été inventés pour appuyer sa demande d’asile.

V.                Conclusion

Pour tous les motifs susmentionnés, la Cour conclut que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. L’avocat du défendeur soutient que le manque d’éléments de preuve documentaire suffit à maintenir la décision de la Commission, malgré les graves lacunes de l’analyse quant à la crédibilité. Il est indubitable qu’une demande d’asile doit être fondée sur une crainte de persécution à la fois subjective et objective. Toutefois, en l’espèce, les éléments de preuve sur la situation dans le pays sont loin d’être convaincants, dans un sens comme dans l’autre, et l’appréciation de la situation sur place ne peut être entièrement dissociée de l’évaluation du récit du demandeur. Par conséquent, le présent dossier mérite d’être examiné à nouveau par un autre commissaire, qui tiendra dûment compte des présents motifs.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’est certifiée.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8088-13

 

INTITULÉ :

HONGXIN SUN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 17 mars 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE juge DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

le 27 mars 2015

 

COMPARUTIONS :

Ann Crawford

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ildiko Erdei

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ann Crawford

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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