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Date : 20150316


Dossier : T-2143-12

Référence : 2015 CF 323

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 16 mars 2015

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

MARK RICHARD BLUM

demandeur

et

MORTGAGE ARCHITECTS INC. ET

JAMES NEUMANN

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le présent recours est déposé en vertu de l’article 16 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5 (la LPRPDE). Le demandeur sollicite des dommages-intérêts de près de 2,6 millions de dollars, ainsi que d’autres dommages-intérêts, les dépens et autres réparations à l’encontre des deux défendeurs.

[2]               Le demandeur, Mark Richard Blum (M. Blum), a pour activités l’achat, la location, l’amélioration et la revente de biens immobiliers en Ontario. À cette fin, il a obtenu des hypothèques sur certains de ces biens. La défenderesse, Mortgage Architects Inc. (Mortgage Architects), est une société qui exerce des activités de courtage hypothécaire au Canada.

[3]               Le défendeur, James Neumann (M. Neumann), était un agent indépendant travaillant pour la défenderesse Mortgage Architects.

[4]               M. Blum a été partie à une série d’opérations conclues avec les défendeurs, Mortgage Architects et Neumann, et avec un avocat, Douglas Sutherland. À la suite de ces opérations, deux procédures ont été introduites par M. Blum devant la Cour des petites créances de l’Ontario. Aucune défense n’a été présentée au procès dans l’une des procédures, introduite contre M. Sutherland, et M. Blum a obtenu des dommages-intérêts d’un peu moins de 20 000 $. L’autre procédure, introduite contre Mortgage Architects et M. Neumann, a été rejetée par la Cour des petites créances pour cause de prescription. M. Blum a également introduit une instance en vertu de la LPRPDE auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, qui a conclu, dans un rapport daté du 14 novembre 2012, que l’affaire était fondée et résolue.

[5]               L’instance en l’espèce a été introduite en tant qu’action, mais, par ordonnance de la protonotaire Tabib datée du 3 avril 2014, l’action a été convertie en une demande. M. Blum a produit, comme preuve, son propre affidavit souscrit le 12 mai 2104. La défenderesse Mortgage Architects a produit l’affidavit de Dong Lee, son vice-président aux opérations, souscrit le 20 juin 2014. Le défendeur Neumann a produit son propre affidavit souscrit le 23 juin 2014. Il n’y a pas eu de contre-interrogatoires sur l’un quelconque des affidavits.

[6]               Chacune des parties a déposé un exposé des arguments. Le demandeur Blum se représentait seul et a comparu en personne devant moi durant l’audience. Chacun des défendeurs était représenté par le même avocat, qui a comparu devant moi à l’audience.

[7]               La question essentielle que je dois trancher est de savoir si le demandeur Blum a droit à réparation aux termes de l’article 16 de la LPRPDE et, dans l’affirmative, ce que sont la nature et le quantum de cette réparation.

[8]               L’article 3 de la LPRPDE énonce l’objet principal de cette loi :

3. La présente partie a pour objet de fixer, dans une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l’échange de renseignements, des règles régissant la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels d’une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l’égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d’utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

3. The purpose of this Part is to establish, in an era in which technology increasingly facilitates the circulation and exchange of information, rules to govern the collection, use and disclosure of personal information in a manner that recognizes the right of privacy of individuals with respect to their personal information and the need of organizations to collect, use or disclose personal information for purposes that a reasonable person would consider appropriate in the circumstances.

[9]               Je reproduis également ci-après les articles 14 et 16 de la LPRPDE. L’article 14 énonce les modalités de la procédure devant être engagée devant la Cour, et l’article 16 prévoit les réparations qui peuvent être accordées par la Cour (selon l’article 2, la « Cour » s’entend de la Cour fédérale) :

14. (1) Après avoir reçu le rapport du commissaire ou l’avis l’informant de la fin de l’examen de la plainte au titre du paragraphe 12.2(3), le plaignant peut demander que la Cour entende toute question qui a fait l’objet de la plainte — ou qui est mentionnée dans le rapport — et qui est visée aux articles 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 ou 4.8 de l’annexe 1, aux articles 4.3, 4.5 ou 4.9 de cette annexe tels qu’ils sont modifiés ou clarifiés par la section 1, aux paragraphes 5(3) ou 8(6) ou (7) ou à l’article 10.

(2) La demande est faite dans les quarante-cinq jours suivant la transmission du rapport ou de l’avis ou dans le délai supérieur que la Cour autorise avant ou après l’expiration des quarante-cinq jours.

(3) Il est entendu que les paragraphes (1) et (2) s’appliquent de la même façon aux plaintes visées au paragraphe 11(2) qu’à celles visées au paragraphe 11(1).

[…]

16. La Cour peut, en sus de toute autre réparation qu’elle accorde :

a) ordonner à l’organisation de revoir ses pratiques de façon à se conformer aux articles 5 à 10;

b) lui ordonner de publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques, que ces dernières aient ou non fait l’objet d’une ordonnance visée à l’alinéa a);

c) accorder au plaignant des dommages-intérêts, notamment en réparation de l’humiliation subie.

14. (1) A complainant may, after receiving the Commissioner’s report or being notified under subsection 12.2(3) that the investigation of the complaint has been discontinued, apply to the Court for a hearing in respect of any matter in respect of which the complaint was made, or that is referred to in the Commissioner’s report, and that is referred to in clause 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 or 4.8 of Schedule 1, in clause 4.3, 4.5 or 4.9 of that Schedule as modified or clarified by Division 1, in subsection 5(3) or 8(6) or (7) or in section 10.

(2) A complainant must make an application within 45 days after the report or notification is sent or within any further time that the Court may, either before or after the expiry of those 45 days, allow.

(3) For greater certainty, subsections (1) and (2) apply in the same manner to complaints referred to in subsection 11(2) as to complaints referred to in subsection 11(1).

[…]

16. The Court may, in addition to any other remedies it may give,

(a) order an organization to correct its practices in order to comply with sections 5 to 10;

(b) order an organization to publish a notice of any action taken or proposed to be taken to correct its practices, whether or not ordered to correct them under paragraph (a); and

(c) award damages to the complainant, including damages for any humiliation that the complainant has suffered.

 

[10]           L’article 17 de la LPRPDE dispose que le recours doit être instruit sans délai et selon une procédure sommaire :

17. (1) Le recours prévu aux articles 14 ou 15 est entendu et jugé sans délai et selon une procédure sommaire, à moins que la Cour ne l’estime contre-indiqué.

(2) À l’occasion des procédures relatives au recours prévu aux articles 14 ou 15, la Cour prend toutes les précautions possibles, notamment, si c’est indiqué, par la tenue d’audiences à huis clos et l’audition d’arguments en l’absence d’une partie, pour éviter que ne soient divulgués, de par son propre fait ou celui de quiconque, des renseignements qui justifient un refus de communication de renseignements personnels demandés en vertu de l’article 4.9 de l’annexe 1.

17. (1) An application made under section 14 or 15 shall be heard and determined without delay and in a summary way unless the Court considers it inappropriate to do so.

(2) In any proceedings arising from an application made under section 14 or 15, the Court shall take every reasonable precaution, including, when appropriate, receiving representations ex parte and conducting hearings in camera, to avoid the disclosure by the Court or any person of any information or other material that the organization would be authorized to refuse to disclose if it were requested under clause 4.9 of Schedule 1.

[11]           La LPRPDE prévoit donc que, après que le commissaire a rendu un rapport, le plaignant peut déposer un recours devant la Cour fédérale pour qu’elle entende toute question qui a fait l’objet de la plainte. Le recours doit être jugé sans délai et selon une procédure sommaire. La Cour peut, en sus de toute autre réparation, accorder au plaignant des dommages-intérêts, notamment en réparation de l’humiliation subie.

[12]           La nature du recours déposé en vertu de la LPRPDE a été examinée dans plusieurs décisions de la Cour fédérale et de la Cour d'appel fédérale. Comme l’explique le juge Décary dans l’arrêt Englander c TELUS Communications Inc., 2004 CAF 387, aux paragraphes 47 et 48, ce qui est en question, ce n’est pas le rapport du commissaire, mais la conduite de la partie contre laquelle la plainte est déposée; le pouvoir de réparation de la Cour est remarquablement large. La procédure est analogue à une action de novo; et le rapport du commissaire, s’il est produit en preuve, peut être contesté ou contredit comme n’importe quel autre élément de la preuve documentaire.

[13]           Comme le fait remarquer le juge Noël, de la Cour fédérale, dans la décision Kniss c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2013 CF 31, aux paragraphes 25 à 28, le commissaire n’a pas le pouvoir d’accorder des mesures de réparation contraignantes; c’est la Cour fédérale qui a compétence pour accorder divers redressements, notamment des dommages‑intérêts, ou pour rendre des ordonnances enjoignant à l’organisation en cause d’agir d’une certaine manière. Le recours déposé devant la Cour est une affaire nouvelle, qui doit être instruite de novo; c’est au demandeur qu’il appartient d’apporter la preuve qu’il y a eu manquement à la Loi. À cela, j’ajouterais qu’il est bien établi en droit qu’un demandeur en quête d’une réparation doit prouver son droit à réparation et le montant de cette réparation.

[14]           S’agissant de la réparation, le juge Phelan, de la Cour fédérale, écrivait, dans la décision Stevens c SNF Maritime Metal Inc., 2010 CF 1137, aux paragraphes 27 à 29, que le droit d’action découlant de la LPRPDE ne met pas un terme aux droits existants à des dommages‑intérêts. Il s’agit d’un droit de réclamer un type différent de dommages-intérêts, pour cause d’atteinte au droit à la vie privée.

[15]           Dans la décision Girao c Zarek Taylor Grossman, Hanrahan LLP, 2011 CF 1070, le juge Mosley, de la Cour fédérale, faisait, aux paragraphes 42 à 48, une recension de la jurisprudence relative aux dommages-intérêts. Des dommages-intérêts ne devraient être accordés que dans les cas les plus flagrants. La gravité de la violation doit être évaluée au regard de son incidence sur le plaignant et au regard de la gravité de la faute. Il faut aussi se demander si l’octroi de dommages-intérêts favoriserait les objets généraux de la LPRPDE.

[16]           S’agissant du calcul des dommages-intérêts, le juge Mosley écrivait, dans la décision Randall c Nubodys Fitness Centres, 2010 CF 681, aux paragraphes 34 à 58, que la Cour doit s’appliquer à établir les faits. Il doit exister un lien entre la violation de la LPRPDE et le préjudice subi. Des dommages-intérêts ne seront accordés que s’il y a eu violation grave et pas simplement malentendu regrettable.

[17]           Dans la décision Nammo c TransUnion of Canada Inc., 2010 CF 1284, le juge Zinn, de la Cour fédérale, faisait observer que, bien que la Cour dispose d’un large pouvoir d’accorder des dommages-intérêts, ceux-ci doivent être accordés sur une base rationnelle, et ils peuvent l’être même lorsqu’aucun préjudice financier réel n’a été prouvé. Aux paragraphes 64 et 65, le juge Zinn notait qu’il fallait s’enquérir si le demandeur avait tenté de contenir les pertes.

[18]           Dans la décision Stevens, précitée, aux paragraphes 30 à 32, le juge Phelan écrivait que des dommages-intérêts non attribuables à une violation de la LPRPDE ne pouvaient pas être accordés. Le demandeur doit apporter la preuve de l’effet de la violation sur son prestige ou sur la façon dont la communauté le considère, ou apporter d’autres éléments semblables justifiant un recours pour atteinte à la vie privée.

[19]           Compte tenu de cette jurisprudence, j’arrive à la conclusion que, lorsqu’elle examine une réclamation déposée en vertu de la LPRPDE, la Cour doit observer les principes suivants :

a)         elle ne peut considérer une telle réclamation tant que le commissaire n’a pas remis un rapport;

b)        le recours n’est pas une demande de contrôle judiciaire à l’encontre du rapport;

c)         le demandeur doit prouver de novo toute violation constatée par le rapport;

d)        la demande de réparation doit être fondée sur une violation de la LPRPDE et ne peut servir de substitut à une autre demande de réparation non attribuable à la prétendue violation de la LPRPDE;

e)         le demandeur a la charge de prouver le lien entre la réparation demandée et la violation de la LPRPDE;

f)         une réparation ne sera accordée que s’il y a eu violation grave ou outrageante de la LPRPDE;

g)        lorsqu’il est indiqué d’accorder une réparation, la réparation peut être accordée même lorsque le demandeur n’a pas prouvé un dommage spécifique; et

h)        il y a obligation de contenir les dommages.

[20]           Dans la décision Townsend c Financière Sun Life, 2012 CF 550, le juge de Montigny a fait un résumé utile des facteurs non limitatifs dont doit tenir compte la Cour avant d’accorder une réparation en vertu de la LPRPDE. Il s’exprimait ainsi, aux paragraphes 31 et 32 :

[31]     La jurisprudence est très mince concernant l’octroi de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée, en particulier dans le contexte de la LPRPDE. L’une des analyses les plus complètes de cette question se trouve dans Nammo c TransUnion of Canada Inc, 2010 CF 1284 (CanLII), 379 FTR 130 [Nammo], où mon collègue le juge Zinn a proposé d’utiles lignes directrices. S’inspirant de l’arrêt de la Cour suprême Vancouver (Ville) c Ward, 2010 CSC 27 (CanLII), [2010] 2 RCS 28, le juge Zinn a d’abord distingué trois fonctions des dommages-intérêts, soit l’indemnisation, la dissuasion et la défense du droit en cause, pour ensuite proposer une liste non exhaustive des facteurs à prendre en considération afin de décider si des dommages-intérêts s’imposent et d’en fixer le montant, soit les points de savoir :

(i)         si l’octroi de dommages-intérêts sert les fins générales de la LPRPDE et favorise le respect des valeurs qu’elle exprime;

(ii)        s’il convient d’en accorder dans le but de décourager de nouvelles violations;

(iii)       si la violation est grave ou particulièrement odieuse.

(Nammo, précitée, paragraphe 76.)

[32]     Pour établir si la violation doit être considérée comme grave ou particulièrement odieuse, on peut appliquer les critères suivants :

(i)         son effet sur la santé, le bien-être, ou la situation sociale, professionnelle ou pécuniaire du demandeur;

(ii)        la conduite du défendeur avant et après cette violation;

(iii)       le point de savoir si le défendeur a tiré profit de ladite violation.

(Randall, précité, au paragraphe 47).

[21]           En l’espèce, le demandeur réclame environ 2,6 millions de dollars en dommages-intérêts. Une annexe A, qui donne le détail des dommages-intérêts réclamés, est jointe aux présents motifs.

I.                   LES FAITS

[22]           Je commencerai avec l’année 2009. À cette époque, le demandeur était propriétaire d’au moins trois biens immobiliers à Arnprior (Ontario). Il y avait deux biens adjacents, au 50 et au 52, rue Victoria, et un bien à proximité, au 16, rue Daniel. Chacun des trois biens était hypothéqué. Le bien du 50, rue Victoria était hypothéqué en faveur de la Banque Bridgewater, le bien sis au 52, rue Victoria était hypothéqué en faveur de Magenta, et le bien sis au 16, rue Daniel était hypothéqué en faveur de My Next. Il se trouve qu’il existe une relation « familiale » entre My Next et Mortgage Architects. Il semble qu’il y avait des logements dans au moins certains de ces biens, logements que le demandeur donnait à bail et dont il occupait lui‑même une unité. Le demandeur était client de la Banque CIBC; il y déposait les chèques reçus des personnes qui louaient des unités et avait ordonné que ces sommes, outre ce que pouvaient contenir le compte bancaire et la ligne de crédit, soient appliquées à ses mensualités hypothécaires, qui étaient payées par chèques postdatés.

[23]           Vers décembre 2009, le demandeur a eu besoin de fonds additionnels pour terminer des rénovations qu’il avait entreprises sur ses biens. Il a communiqué avec le défendeur Neumann pour voir s’il pouvait lui trouver un prêteur hypothécaire. M. Neumann et son épouse étaient tous deux à l’époque des représentants de Mortgage Architects. Le père de l’épouse de M. Neumann, M. Dunphy, s’est offert comme prêteur hypothécaire. On ne sait pas très bien si c’est M. Neumann qui a servi d’intermédiaire dans cette opération; il le nie. Ce qu’il semble être arrivé, c’est que le demandeur et M. Dunphy ont tous deux été dirigés par M. Neumann vers un avocat de la région, M. Sutherland, qui, agissant pour les deux parties, apparemment avec leur consentement, a rédigé les documents et s’est occupé du financement en vue d’une hypothèque de second rang, en faveur de Dunphy, sur vraisemblablement les deux biens de la rue Victoria.

[24]           Un différend a surgi entre le demandeur et M. Sutherland à propos de cette opération et d’autres. Le demandeur a poursuivi M. Sutherland et, bien qu’une défense ait été produite dans l’action, M. Sutherland ne s’est jamais présenté devant le tribunal. Le demandeur a obtenu un peu moins de 20 000 $. M. Sutherland fut plus tard radié du barreau en raison de plusieurs opérations irrégulières, dont aucune ne concernait le demandeur.

[25]           À la fin de 2009, le demandeur s’est marié et a décidé de passer une lune de miel de plusieurs mois aux Philippines. Avant son départ, il a donné des directives à un certain Al Shepheard (Big Al), un homme de la région qui travaillait dans le secteur de l’immobilier, pour qu’il s’occupe de ses affaires immobilières, ainsi qu’à son avocat personnel de longue date, M. Douglas Gadient, pour qu’il s’occupe de ses affaires d’ordre juridique. Il n’est pas établi que le demandeur a informé qui que ce soit d’autre à propos des dispositions prises.

[26]           Le demandeur a quitté le Canada le 25 décembre 2009 pour les Philippines et il n’envisageait pas de revenir avant le 15 avril 2010. Il a apporté son ordinateur avec lui et il correspondait par courriel en se servant de l’adresse Preview Inspections.

[27]           À la fin de janvier ou au début de février 2010, la CIBC a décidé de retenir durant une semaine les chèques de loyer qui étaient déposés dans le compte bancaire du demandeur. Par conséquent, certains des chèques postdatés qui devaient être appliqués aux mensualités hypothécaires du demandeur n’ont pu être honorés.

[28]           Le demandeur se trouvait alors aux Philippines. Son ordinateur avait semble-t-il rendu l’âme. Il l’a fait réparer, mais il a perdu une partie des données qu’il contenait et avait oublié la manière d’accéder à sa boîte de courriel à l’adresse Preview Inspections. Il avait cependant une autre adresse dont il connaissait le mode d’accès, son adresse de « célibataire », mais certains de ses collègues ne connaissaient pas cette adresse; et surtout, M. Neumann ne la connaissait pas.

[29]           En février 2010, le chèque de mensualité hypothécaire du demandeur était refusé.

[30]           Le 10 mars 2010, Elizabeth Neumann, fille de M. Dunphy et épouse de M. Neumann, a envoyé à l’adresse Preview Inspections du demandeur un courriel renfermant ce qui suit :

[traduction]

J’ai tenté de vous joindre par téléphone, en vain. Je vous informe que votre chèque de mensualité hypothécaire de février, au montant de 278,91 $, a été refusé par votre banque pour provision insuffisante et, au 10 mars 2010, aucune démarche n’a été faite en votre nom pour y remédier.

J’espère que, dès réception de cette lettre, vous agirez en conséquence pour y remédier.

Prière de communiquer avec moi immédiatement pour prendre des dispositions.

[31]           Le 16 mars 2010, M. Neumann a envoyé un courriel au demandeur, à l’adresse Preview Inspections, en mettant en copie son épouse, Elizabeth Neumann. Ce courriel était le suivant :

[traduction]

Bonjour Mark, j’espère que tout va bien là-bas sous le soleil. Cela dit, Elizabeth vous a envoyé un courriel pour vous signaler que votre chèque représentant la mensualité de février 2010 pour votre hypothèque de second rang a été retourné pour provision insuffisante, et le chèque de mars a été retourné lui aussi. J’ai parlé à Magenta, et leur chèque a lui aussi été retourné. Magenta va vous accorder jusqu’au 19 mars 2010 pour rectifier la situation et acquitter vos mensualités hypothécaires, sans quoi ils entreprendront des formalités de SAISIE IMMOBILIÈRE. M. DUNPHY NOUS A DEMANDÉ DE FAIRE EN SORTE QUE DOUG SUTHERLAND ENTREPRENNE DÈS QUE POSSIBLE DE TELLES FORMALITÉS SAUF MISE À JOUR IMMÉDIATE DE VOS MENSUALITÉS HYPOTHÉCAIRES. LA SOMME TOTALE À PAYER AUJOURD’HUI POUR ÉVITER UNE SAISIE IMMOBILIÈRE EST DE 1 447,82 $.

Envoyé sous réserve de tout droit.

[32]           Il semble que M. Neumann s’était entretenu, un jour ou deux auparavant, avec Al Shepheard à propos des difficultés entraînées par le non-remboursement des prêts hypothécaires de M. Dunphy. M. Shepheard a communiqué avec le demandeur à son adresse courrielle « de célibataire » à propos des difficultés en question. Le demandeur lui a répondu qu’il devait les régler en personne, mais que, en raison de problèmes d’émission de billets chez Air Canada, il ne pouvait revenir avant la mi-avril. M. Shepheard a envoyé le 17 mars 2010 à M. Blum, le demandeur, un courriel pour l’informer que l’un des prêteurs hypothécaires, Magenta, voulait son argent d’ici à vendredi, sans quoi il commencerait des procédures de saisie immobilière.

[33]           Le 6 avril 2010, M. Neumann a envoyé un courriel au demandeur, à l’adresse Preview Inspections, où il écrivait simplement : [traduction] « ÊTES-VOUS REVENU? »

[34]           Le demandeur est revenu au Canada à la mi-avril et s’est entretenu par téléphone avec M. Neumann, lui proposant de régler les sommes dues au titre de l’hypothèque de M. Dunphy. M. Neumann lui a répondu par courriel le 21 avril 2010, en mettant en copie son épouse, M. Dunphy, M. Sutherland et M. Gadient, lui proposant le paiement rapide d’une certaine somme avant une certaine date, ou avant une autre date en cas de réception d’une offre ferme de vente. Le demandeur n’a pas réagi.

[35]           Le 27 avril 2010, M. Neumann a envoyé à M. Sutherland, mettant en copie M. Dunphy et son épouse Elizabeth Neumann, un courriel renfermant ce qui suit :

[traduction]

Bonjour Doug, je vous informe que M. Dunphy vous enverra la somme de 10 000 $ {?} pour l’introduction de procédures de saisie immobilière sur les deux biens.

[36]           Il s’agit ici du second courriel de la plainte.

[37]           Le 29 avril 2010, M. Neumann a envoyé un courriel à M. Sutherland, mettant en copie « Preview Inspections » (le demandeur était alors en mesure d’accéder à ses courriels à cette adresse), Elizabeth, épouse de M. Neumann, M. Dunphy, la Banque Bridgewater et les avocats de Bridgewater. Le courriel renfermait ce qui suit :

[traduction]

Bonjour Doug, Suite à notre conversation de ce matin, j’ai parlé longuement avec la Banque Bridgewater. Ils ont entrepris des procédures de saisie immobilière le 19 mars 2010 pour non‑paiement des mensualités hypothécaires. À ce jour, ils n’ont aucune nouvelle de Mark Blum, ce qui ne devrait surprendre personne. Non seulement n’a-t-il pas communiqué avec quiconque chez Bridgewater directement, mais il n’a pas non plus payé. La dernière fois que Bridgewater a été payé remonte à décembre 2009.

Il n’y avait aucun plan chez Bridgewater quant à savoir si M. Dunphy avait pris des dispositions ou non. PRENEZ NOTE DES OBSERVATIONS DE MARK CI-DESSOUS. Puisque Bridgewater a déjà entrepris des procédures de saisie immobilière, consacrons nos énergies à l’autre bien, celui du 50, rue Victoria, pour non-paiement des mensualités hypothécaires à M. Dunphy.

J’ose espérer que cela pourra réduire le coût total entraîné par la prise de possession de son bien.

J’ai aussi transmis le courriel de Mark à Helene aujourd’hui, avec ses observations, et aucun accord n’a encore été conclu, de sorte que manifestement il y a eu nouveau retard du paiement qui devait être fait le 26 avril 2010 SELON LE COURRIEL DE MARK, Elizabeth a communiqué avec Doug, l’avocat de Mark, hier, et Doug lui a dit qu’il ne s’occupait de rien au nom de Mark sur cette hypothèque de second rang, après quoi il a raccroché. Prenez note que le courriel de Mark indique clairement que les fonds seront envoyés par l’entremise du cabinet d’avocats le 26 avril 2010.

Ce matin également, je me suis entretenu avec Lucia, du cabinet d’avocats de Bridgewater, et Lucia confirme que Mark a obtenu un délai pour mettre sa situation hypothécaire à jour, mais aucune date n’a été donnée.

Durant ma conversation de la semaine dernière avec Mark, celui-ci a indiqué que M. Dunphy ferait mieux de ne pas consacrer de temps ou d’argent à des procédures de saisie immobilière puisque le bien serait tout probablement vendu avant qu’il n’en obtienne la possession. Puisque nous ne pouvons être payés, M. Dunphy croit qu’il est dans son intérêt de prendre possession du bien pour être sûr de recouvrer ce qui lui est dû, étant donné qu’il vit sur sa pension de retraite et que ses fonds sont limités.

Merci.

[38]           Il s’agit ici du troisième courriel de la plainte.

[39]           Finalement, des procédures de saisie immobilière ont été entreprises à l’encontre des deux biens de la rue Victoria et du bien de la rue Daniel. Le demandeur avait reçu des estimations concernant ces biens, et il réclame un manque à gagner pour perte de valeur réelle se chiffrant à 67 905,19 $.

II.                LA PLAINTE DÉPOSÉE EN VERTU DE LA LPRPDE

[40]           Le demandeur a déposé, aux termes de la LPRPDE, une plainte auprès du commissaire à la protection de la vie privée à l’encontre de Mortgage Architects. Elle a été acceptée le 26 septembre 2011. La plainte n’incluait pas M. Neumann. D’ailleurs aucune plainte n’aurait pu être déposée contre M. Neumann personnellement puisqu’il n’est pas une « organisation », au sens de l’article 3 de la Loi.

[41]           Le fond de la plainte était résumé aux paragraphes 2 à 7 du rapport du commissaire rendu le 14 novembre 2012. Je reproduis les paragraphes 4 à 7 :

[traduction]

4.   Le plaignant a alors quitté le pays durant plusieurs mois. Durant son absence, des opérations ont eu lieu sur ses comptes bancaires, opérations qui ont entraîné une insuffisance de fonds. En conséquence de cette situation, qui semble avoir eu pour effet de différer les mensualités hypothécaires du plaignant, l’agent en hypothèques, qui avait facilité le financement indépendant en faveur du « prêteur hypothécaire B », a envoyé à diverses parties trois courriels distincts en mars-avril 2010 depuis son compte courriel professionnel. Les courriels affichaient la signature de l’agent ainsi que les coordonnées de Mortgage Architects. Ils désignaient le plaignant et informaient les parties du non-paiement de ses mensualités hypothécaires. Ils mentionnaient aussi les procédures judiciaires envisagées par les prêteurs détenant les deux hypothèques sur le bien.

5.   Les courriels, que notre bureau a passés en revue, comprenaient les renseignements suivants :

і.            17 mars 2010 : Un courriel adressé au gestionnaire immobilier du plaignant, qui l’informait que le prêteur hypothécaire B « … veut obtenir son argent ce vendredi, à défaut de quoi il entreprendra des procédures de saisie immobilière ».

іі.            27 avril 2010 : Un courriel adressé à l’épouse de l’agent hypothécaire, à son avocat et au prêteur hypothécaire B, informant l’avocat de l’agent que le prêteur hypothécaire B lui envoyait 10 000 $ pour qu’il entreprenne des procédures judiciaires contre le plaignant.

ііі.           29 avril 2010 : Un courriel adressé à l’épouse de l’agent hypothécaire, à son avocat, au prêteur hypothécaire B, au prêteur hypothécaire A et à son représentant légal. Le courriel contenait des renseignements sur : (i) les procédures de saisie immobilière envisagées par le prêteur hypothécaire A pour non-paiement des mensualités hypothécaires du plaignant, et (ii) les procédures de saisie immobilière susceptibles d’être engagées par le prêteur hypothécaire B pour non-paiement.

6.   Pour la communication prétendue de renseignements personnels entraînée par ces courriels, le plaignant a déposé une plainte, que notre bureau a acceptée le 26 septembre 2011.

7.   Dans sa plainte, le plaignant écrivait que l’agent hypothécaire ne disposait d’aucun consentement ni d’aucun pouvoir l’autorisant à intervenir dans ses affaires personnelles ou ses activités commerciales. Le plaignant affirmait que l’agent hypothécaire se servait de connaissances confidentielles acquises grâce aux relations d’affaires du plaignant avec Mortgage Architects pour lancer une attaque contre le plaignant et contre ses relations d’affaires.

[42]           Les trois courriels susdits, ainsi que les renseignements personnels mentionnés, constituent la « question qui a fait l’objet de la plainte », et cette question, comme le prévoit l’article 14 de la LPRPDE, constitue le champ de ce que la Cour peut examiner dans la présente instance.

[43]           Dans la portion Conclusions du rapport du commissaire, il est écrit qu’aucune infraction au Principe 4.3 de l’annexe 1 de la LPRPDE n’a eu lieu, mais qu’il y a eu infraction au Principe 4.5. Sur ce dernier point, on peut lire, dans le rapport, ce qui suit, aux paragraphes 21 à 26 :

[traduction]

21.       Également en cause est la question de savoir si les renseignements personnels du plaignant ont été utilisés ou communiqués à des fins compatibles avec celles auxquelles ils ont été recueillis. Le Principe 4.5 stipule que les renseignements personnels ne doivent pas être utilisés ou communiqués à des fins autres que celles auxquelles ils ont été recueillis à moins que la personne concernée n’y consente ou que la loi ne l’exige.

22.       À notre avis, le Principe 4.5 n’a pas été respecté. L’agent hypothécaire a utilisé les renseignements personnels du plaignant, recueillis grâce à ses précédentes relations d’affaires avec le plaignant, pour intervenir dans une affaire privée distincte. Ces renseignements ont été par la suite communiqués à des tiers sans le consentement du plaignant.

23.       Au cours de notre enquête cependant, Mortgage Architects a prouvé à notre bureau que la société dispose de politiques ou de pratiques appropriées en matière de protection de la vie privée, qu’elle porte à la connaissance de ses agents et courtiers. Elle procède à des mises à jour et à des séances de formation régulières pour son personnel sur les questions générales relatives aux orientations et à la responsabilité, et elle fait périodiquement des visites dans ses bureaux pour s’assurer que les courtiers observent les consignes.

24.       Suite à notre enquête, Mortgage Architects a alerté tous ses courtiers, dans toute l’organisation, sur cet incident particulier et leur a expliqué pourquoi il y avait eu violation de la LPRPDE. La société a pris des mesures pour rationaliser ses formulaires destinés aux courtiers afin que le formulaire de consentement dont parle la LPRPDE soit plus facile à trouver. En outre, pour éviter une répétition des incidents à l’origine de cette plainte, Mortgage Architects s’est assurée que ses agents et courtiers se familiarisent à nouveau avec leurs obligations aux termes de la Loi, ainsi qu’avec les propres lignes directrices de l’organisation sur les consignes à respecter. Cette mesure s’accorde avec les pratiques suggérées par notre bureau en matière de protection de la vie privée, lesquelles figurent dans notre document intitulé Un programme de gestion de la protection de la vie privée : la clé de la responsabilité, document consultable sur notre site Web.

25.       Notre bureau a conclu que l’incident était isolé et qu’il découlait de la relation personnelle que le courtier en hypothèques avait développée avec le prêteur privé. Le  courtier en hypothèques ne travaille plus pour Mortgage Architects et, en outre, nous sommes persuadés que les mesures prises par la mise en cause réduiront les probabilités d’une répétition de l’incident.

Conclusion

26.       J’arrive donc à la conclusion que l’affaire est fondée et résolue.

[44]           Comme discuté plus haut, ce ne sont pas les conclusions du commissaire qui sont l’objet de la présente instance. Il appartient au demandeur de prouver, au vu du dossier de la présente instance, et par application des principes juridiques pertinents, qu’il y a eu violation de la LPRPDE à l’intérieur du cadre des questions soumises au commissaire.

III.             LA POSITION DU DEMANDEUR

[45]           Le demandeur affirme que, à toutes les dates pertinentes, M. Neumann était l’agent de Mortgage Architects, qu’il a, directement, en cette qualité d’agent, agi comme intermédiaire dans la négociation d’une hypothèque avec My Next et que, à tout le moins implicitement, il a agi comme intermédiaire dans les négociations menées avec M. Dunphy.

[46]           Selon lui, M. Neumann, agissant en sa qualité d’agent représentant Mortgage Architects, a utilisé ses renseignements personnels concernant le retard qu’il accusait dans ses mensualités hypothécaires pour inciter M. Dunphy, Bridgewater et Magenta à envisager une forclusion et à entreprendre des procédures de saisie immobilière sur les biens du demandeur. Il affirme que non seulement il a perdu la valeur nette qu’il espérait réaliser sur ces biens, mais encore que son crédit et son négoce ont été réduits à néant.

[47]           Le demandeur a passé en revue sa réclamation, détaillée à l’annexe A des présents motifs. J’ai la certitude qu’il a prouvé, s’agissant de l’évaluation des manques à gagner, la perte de valeur nette indiquée aux points 1, 2, 3 et 4. Je ne suis pas ainsi persuadé pour ce qui concerne la perte de revenu, au point 5. Le demandeur n’a pas indiqué ses autres sources de revenu effectif durant les années visées. Le chiffre de 41 997 $ n’est pas prouvé; un chiffre de 14 000 $ apparaît ailleurs. Rien ne montre que le demandeur a tenté de quelque façon de contenir le préjudice.

[48]           Je ne tiens pas compte de la perte de l’indemnité de séjour; le demandeur s’est simplement autorisé à vivre gratuitement dans l’un des biens locatifs; le coût d’un hébergement ailleurs n’est pas établi.

[49]           Les pertes restantes, à savoir dommages-intérêts majorés, stress et contrainte, dommages‑intérêts punitifs, préjudice socialement démontrable et rétablissement dans position antérieure, ne sont pas prouvées et reposent sur des conjectures.

[50]           Les frais de justice et d’expertise, dans la mesure où ils sont prouvés, concernent des réclamations qui ressortissent aux tribunaux de l’Ontario, non à la Cour fédérale.

IV.             LA POSITION DES DÉFENDEURS

[51]           Les défendeurs soutiennent d’abord qu’aucune réclamation ne peut être faite personnellement contre M. Neumann puisqu’il n’est pas une « organisation » au sens de l’article 3 de la LPRPDE. Je partage cet avis : nulle réclamation personnelle ne peut être formulée contre M. Neumann aux termes de la LPRPDE. La réclamation formulée contre Mortgage Architects se rapporte à des déclarations faites par M. Neumann et à des courriels envoyés par lui-même alors qu’il travaillait comme agent représentant Mortgage Architects.

[52]           Mortgage Architects est une « organisation », au sens de l’article 3 de la LPRPDE. S’agissant des déclarations faites par M. Neumann et des courriels envoyés par lui en sa qualité d’agent représentant Mortgage Architects, la preuve est moins évidente. Le premier courriel, celui du 17 mars 2010, est adressé par « Big Al » Shepheard (le représentant du demandeur) au demandeur, informant celui-ci que M. Neumann lui a dit que Magenta veut son argent d’ici à vendredi. On ne sait trop en quelle qualité M. Neumann agissait alors.

[53]           Le second courriel, celui du 27 avril 2010, est adressé par M. Neumann à M. Sutherland, un avocat qui avait représenté à la fois le demandeur et M. Dunphy. Le courriel informait M. Sutherland que des fonds étaient disponibles pour le lancement de la procédure de saisie immobilière. Le courriel est signé « James Neumann, Mortgage Architects ». Bien que ce ne soit pas tout à fait clair, j’admets que M. Neumann doit être considéré comme agent représentant Mortgage Architects.

[54]           Le troisième courriel, celui du 29 avril 2010, est lui aussi signé « James Neumann, Mortgage Architects » et, là encore, je suis d’avis que M. Neumann doit être considéré comme agent représentant Mortgage Architects.

[55]           Ainsi, bien que le statut de M. Neumann, qu’il agisse pour son propre compte ou pour celui de son beau-père, M. Dunphy, ou qu’il agisse comme agent représentant Mortgage Architects, soit loin d’être clair, je crois qu’il est raisonnable de penser que, par les déclarations figurant dans les courriels, et par l’envoi des courriels, en particulier le troisième, celui du 29 avril 2010, il agissait en sa qualité d’agent représentant Mortgage Architects.

[56]           Les défendeurs soutiennent aussi que, quels qu’aient pu être les propos de M. Neumann ou quel qu’ait pu être le contenu des courriels, le demandeur n’a subi aucun préjudice direct ou indirect. Selon eux, il y aurait eu de toute façon forclusion des hypothèques et introduction de procédures de saisie immobilière. Je partage leur avis. Les sociétés Magenta, Bridgewater et My Next sont des prêteurs expérimentés qui devaient certainement savoir que les chèques de mensualités hypothécaires du demandeur n’avaient pas été honorés. Chacune d’elles était en droit de forclore l’hypothèque consentie en sa faveur. M. Dunphy, créancier hypothécaire de second rang, devait de toute façon donner avis de son intention de forclore aux créanciers hypothécaires de premier rang.

[57]           Le demandeur fait valoir que M. Neumann, de même que M. Sutherland, se sont concertés pour fomenter le désordre et encourager M. Dunphy et les autres à forclore les hypothèques. J’ai été invité à faire des conjectures et à [traduction] « examiner plus avant » le dossier, pour déceler ce qui avait dû être un complot visant à contrarier les projets du demandeur, lequel, à son retour à la mi-avril, aurait pu apaiser ce climat et persuader tous les créanciers hypothécaires de s’abstenir de toute procédure. Je ne puis accepter la thèse du complot. Je reconnais que M. Neumann avait probablement à cœur de s’assurer que les intérêts de son beau‑père étaient protégés, mais les sociétés Magenta, Bridgewater et My Next sont des prêteurs expérimentés; ce n’est pas quelqu’un occupant le poste de M. Neumann qui les a persuadées de faire ce qu’elles auraient probablement fait de toute façon.

[58]           Je suis d’avis que ce ne sont pas les faits et gestes de M. Newmann qui ont poussé Magenta, Bridgewater et My Next à décider les forclusions hypothécaires.

V.                QUELS DOMMAGES-INTÉRÊTS, S’IL DOIT Y EN AVOIR?

[59]           Je suis arrivé à la conclusion que les défendeurs ne sont pas à l’origine des préjudices dont le détail apparaît aux numéros 1 à 4 de l’annexe A. Je suis d’avis que les autres préjudices allégués dans l’annexe A ne présentent pas de lien entre la cause et l’effet et ne sont pas étayés par la preuve. Que reste-t-il?

[60]           Selon la jurisprudence, des dommages-intérêts ne devraient être accordés que dans les cas où ils sont suffisamment justifiés et où ils favoriseraient les objets de la LPRPDE, c’est-à-dire faire en sorte que les organisations veillent à préserver la confidentialité des renseignements personnels.

[61]           En l’espèce, le commissaire a conclu qu’il y avait eu violation, mais que Mortgage Architects appliquait des mesures adéquates pour empêcher de telles violations et pour faire en sorte que ses agents sachent qu’elles ne devraient pas se produire.

[62]           Les faits sont inusités; M. Neumann était en conflit avec lui-même, en ce sens que, probablement sans l’avoir cherché, il avait agi de telle sorte qu’une hypothèque puisse être enregistrée en faveur de son beau-père sur les biens du demandeur. Il ne s’agit pas d’une pratique courante ou récurrente.

[63]           Le demandeur croit que les défendeurs se sont concertés pour faire obstacle à son négoce, mais, au vu du dossier qui m’a été soumis, il m’est impossible de conclure que tel était le cas.

[64]           Je suis donc d’avis qu’aucun véritable préjudice n’a été subi par le demandeur suite à la violation de la LPRPDE. Les dommages-intérêts auxquels pourrait être condamnée la société Mortgage Architects seraient minimes. Je les fixe à 1 000 $. M. Neumann, en sa qualité personnelle, ne peut être condamné à des dommages-intérêts aux termes de la LPRPDE.

[65]           La présente affaire ne se prête pas à une adjudication de dépens en faveur de l’une ou l’autre des parties.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS :

LA COUR STATUE que :

1.      Le recours formé contre le défendeur Neumann en sa qualité personnelle est rejeté;

2.      Le recours formé contre la défenderesse Mortgage Architects est accueilli dans la mesure où sont accordés des dommages-intérêts se chiffrant à 1 000 $;

3.      Chacune des parties assumera ses propres dépens.

« Roger T. Hughes »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


Annexe A

 

Annexe A

Cour fédérale, numéro du dossier : T-2143-12

Réclamation du demandeur : Mark Blum

COMPENSATION FINANCIÈRE DEMANDÉE

MONTANT

DOMMAGES-INTÉRÊTS SPÉCIAUX ET GÉNÉRAUX

[VIDE]

1. Jugement d’exécution du paiement différentiel réclamé par le Centre national de recouvrement de la SCHL, pour le bien sis au 52 rue Victoria, Arnprior (Ontario), principal se chiffrant à 53 123,47 $, plus les intérêts indiqués dans sa lettre du 9 août 2011

53 123,47 $

2. Jugement d’exécution du paiement différentiel réclamé par le Centre national de recouvrement de la SCHL, pour le bien sis au 16 rue Daniel, Arnprior (Ontario), principal se chiffrant à 169 501,89 $, plus les intérêts indiqués dans sa lettre du 7 juin 2012

169 501,89 $

3. Réclamations pour les paiements différentiels découlant de la perte du bien sis au 50 rue Victoria, Arnprior (Ontario)

135 419,02 $

4. Perte de valeur nette dans les biens susmentionnés, selon les montants indiqués par les expertises antérieures, déduction faite des hypothèques préexistantes :

16 rue Daniel   18 872,19 $

52 rue Victoria            8 823,19 $

50 rue Victoria            40 209,81 $

TOTAL :         67 905,19 $

67 905,19 $

Perte de revenu (41 977 $, base année 2009)

(41 977 $ x 15 années, jusqu’à l’âge de 65 ans) et

hébergement

629 655,00 $

Perte d’indemnité de séjour (1 200 $ x 12 x 15)

216 000,00 $

Dommages-intérêts majorés

100 000,00 $

Stress et contrainte causés par les circonstances et par le ternissement du dossier de crédit

500 000,00 $

Dommages punitifs

100 000,00 $

Préjudice socialement démontrable

605 000,00 $

Rétablissement dans position antérieure

16 000,00 $

Frais de justice et d’expertise

5 058,90 $

TOTAL

2 597 663,47 $

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2143-12

 

INTITULÉ :

MARK RICHARD BLUM c MORTGAGE ARCHITECTS INC. ET JAMES NEUMANN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 11 mars 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Mark Richard Blum

POUR SON PROPRE COMPTE

POUR LE demandeur

 

Jennifer Varcoe

POUR LES défendeurs

Mortgage Architects Inc. et James Neumann

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LE DEMANDEUR, POUR SON PROPRE COMPTE

Kelowna (Colombie-Britannique)

 

POUR LE demandeur

FORBES CHOCHLA s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES défendeurs

Mortgage Architects Inc. et James Neumann

 

 

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