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Date : 20150323


Dossiers : T‑1043‑13

T‑1030‑13

Référence : 2015 CF 366

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

Dossier : T‑1043‑13

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

NATION MUNSEE‑DELAWARE

ET CRYSTAL FLEWELLING

défenderesses

Dossier : T‑1030‑13

ET ENTRE :

CRYSTAL FLEWELLING

demanderesse

et

NATION MUNSEE‑DELAWARE

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ONTARIO

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie de deux affaires connexes, instruites ensemble, qui découlent d’un conflit de travail, long et plutôt rude, opposant la défenderesse, la Nation Munsee‑Delaware (la Nation), et la demanderesse, Crystal Flewelling. Madame Flewelling affirme avoir été congédiée injustement par la Nation. Elle a déposé une plainte de congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 (le Code). Un arbitre a ensuite été nommé en vertu de l’article 242 du Code (l’arbitre).

[2]               Le 10 mai 2013, alors qu’approchait de son terme la procédure qui se déroulait déjà depuis six ans devant l’arbitre, celui‑ci, à la suite d’un arrêt de la Cour suprême du Canada, NIL/TU,O Child and Family Services Society c B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 RCS 696 (NIL/TU,O), a conclu qu’il n’avait pas compétence pour examiner la plainte de Mme Flewelling au motif que son emploi était régi par les lois provinciales.

[3]               La question soumise qu’ont posée à la Cour Mme Flewelling et le procureur général du Canada est celle de savoir si l’arbitre a eu tort de conclure comme il l’a fait. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le Code s’applique à la plainte de Mme Flewelling et qu’en conséquence, les demandes de contrôle judiciaire du procureur général et de Mme Flewelling doivent toutes deux être accueillies.

II.                Les faits

A.                La plainte de Mme Flewelling

[4]               Madame Flewelling est membre de la Nation. Celle‑ci l’a embauchée en septembre 2001 pour travailler dans ses locaux administratifs. C’était l’époque où la cogestion avait été imposée par le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien en raison du défaut de la Nation de s’acquitter de ses obligations dans la gestion de ses affaires financières. Au fil du temps, les tâches de Mme Flewelling, qui d’abord étaient celles d’une préposée aux écritures et au classement, sont devenues celles d’une préposée au logement et aux finances. Il a été mis fin à son emploi au printemps de 2006.

[5]               La Nation est une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5. Les terres de la réserve, situées au sud de l’Ontario, ont été mises de côté par la Couronne à l’usage et au profit de la Nation. La population de la Nation est d’environ 600 personnes dont un peu moins de 200 vivent dans la réserve. La Nation est gouvernée par un chef et un conseil élus conformément au Code électoral coutumier de la Nation.

[6]               En mai 2006, Mme Flewelling a déposé une plainte de congédiement injuste aux termes du Code. Dès le départ, la Nation a fait valoir qu’elle était une bande indienne reconnue en vertu de la Loi sur les Indiens et que ses relations de travail avec ses employés relevaient du Code. L’inspecteur nommé en vertu du paragraphe 241(2) du Code n’ayant pu concilier les parties à la plainte, le dossier fut renvoyé à l’arbitre.

[7]               Le 28 janvier 2008, l’arbitre a rendu une décision rejetant deux exceptions préliminaires d’incompétence, de nature non constitutionnelle, opposées par la Nation. La procédure engagée devant l’arbitre est alors restée au point mort durant trois ans, les parties attendant l’issue d’accusations criminelles connexes déposées à l’encontre de Mme Flewelling. La procédure d’arbitrage a repris à l’automne de 2011, et c’est alors que la Nation a fait savoir qu’elle n’invoquait plus de cause à l’origine du congédiement de Mme Flewelling. Il ne restait donc plus qu’à fixer les dommages‑intérêts devant être versés à Mme Flewelling.

[8]               À l’automne 2012, alors que l’audience sur cette question était déjà bien avancée, la Nation a fait savoir que l’emploi de Mme Flewelling était régi par les lois du travail de l’Ontario et non par le Code et qu’en conséquence l’arbitre n’avait pas compétence pour instruire sa plainte de congédiement injuste.

B.                 La décision de l’arbitre

[9]               Le 10 mai 2013, l’arbitre s’est prononcé en faveur de la Nation. Il a d’abord fait remarquer que, bien qu’il soit acquis, au Canada, que les relations de travail relèvent des provinces, il avait été généralement admis, ainsi qu’en témoignait la position adoptée par la Nation au début de la procédure en vue d’instruire la plainte, que les relations de travail au sein des Premières Nations étaient régies par le gouvernement fédéral, en raison du pouvoir législatif du Parlement sur « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens », conformément au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[10]           Cependant, il a convenu avec la Nation que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt NIL/TU,O, avait modifié l’état du droit sur ce point en jugeant que la présomption selon laquelle les relations de travail relèvent des provinces s’appliquait même lorsque l’employeur était une Première Nation. Selon l’arbitre, cela signifiait que pour savoir si c’est la législation provinciale ou la législation fédérale en matière de travail qui s’applique à telle ou telle relation de travail, la nature de l’analyse était foncièrement la même pour les employeurs des Premières Nations que pour les autres chefs de compétence fédérale.

[11]           L’arbitre s’est ensuite livré à la première étape de cette analyse, à savoir l’examen du « critère fonctionnel », et a examiné la nature, le mode de fonctionnement et les activités habituelles de la Nation pour savoir si la Nation pouvait être considérée comme une « entreprise fédérale » aux termes du Code. Il a estimé sur ce point que les activités de la Nation concernaient pour l’essentiel le maintien de l’ordre, l’aide sociale, la santé, l’éducation et le bingo et que ces activités étaient toutes régies par les lois provinciales. S’agissant du travail accompli par Mme Flewelling, il a constaté qu’elle s’occupait de comptabilité interne et tenait les registres financiers de la Nation pour l’ensemble de ses opérations, notamment pour les fonctions liées au maintien de l’ordre, à l’aide sociale, à la santé, à l’éducation et à la salle de bingo. Il a conclu qu’aucune des tâches qu’accomplissait Mme Flewelling ne relevait des lois fédérales.

[12]           Après avoir jugé que la nature du travail accompli par les employés de la Nation en général, et par Mme Flewelling en particulier, était généralement considérée comme relevant des lois provinciales, l’arbitre a conclu qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte de Mme Flewelling. En conséquence, il a jugé qu’il ne lui était pas nécessaire de passer à la seconde étape de l’analyse et de se demander si la réglementation provinciale des relations de travail de la Nation porterait atteinte au contenu essentiel du chef de compétence fédérale sur « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ».

C.                Le cadre légal de la plainte

[13]           La plainte de Mme Flewelling a été déposée en vertu de la partie III du Code, laquelle s’applique, selon l’article 167 du Code, « à l’emploi dans le cadre d’une entreprise fédérale ». Selon l’article 2 du Code, l’expression « entreprises fédérales » s’entend des « installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement ».

[14]           Comme je l’ai indiqué plus haut, le pouvoir de légiférer sur « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » est dévolu au Parlement.

III.             Question en litige et norme de contrôle

[15]           La question à trancher est celle de savoir si l’arbitre a conclu à tort que la relation de travail entre Mme Flewelling et la Nation est régie par le droit provincial plutôt que par le Code.

[16]           La norme de contrôle qui s’applique aux questions constitutionnelles concernant, comme c’est le cas en l’espèce, au partage des pouvoirs est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 58). Les parties ne contestent pas cette norme de contrôle, mais la Nation affirme, à juste titre à mon avis, que les conclusions de l’arbitre sur les faits à l’origine de la question à trancher, telle la conclusion portant sur la manière de qualifier l’emploi, appellent la retenue judiciaire et doivent donc être revues selon la norme de la décision raisonnable (Commissionnaires (Grands Lacs) c Dawson, 2011 CF 717, 391 FTR 216; Nation crie de Fox Lake c Anderson, 2013 CF 1276, au paragraphe 23).

IV.             Analyse

A.                Compétence constitutionnelle sur les relations de travail

[17]           La Loi constitutionnelle de 1867 est muette sur la question de savoir qui, des législatures provinciales ou du Parlement, a compétence sur les relations de travail. Cependant, les tribunaux canadiens ont toujours considéré que les relations de travail sont en principe de compétence provinciale – puisqu’il s’agit d’un sujet relevant du chef de compétence concernant la propriété et les droits civils dans la province ‑ et que le gouvernement fédéral n’a compétence en la matière qu’à titre exceptionnel. Plus exactement, lorsque l’entité où des relations de travail sont en cause est une « entreprise fédérale » (Toronto Electric Commissioners v Snider, [1925] AC 396, [1925] JCJ no 1 (QL); Northern Telecom Ltd. c Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 RCS 115; Four B Manufacturing Limited c Travailleurs unis du vêtement d’Amérique, [1980] 1 RCS 1031 (Four B); Consolidated Fastfrate Inc. c Western Canada Council of Teamsters, [2009] 3 RCS 407, 2009 CSC 53; NIL/TU,O, précité).

[18]           Pour savoir si les relations de travail d’une entreprise sont régies par les lois fédérales ou par les lois provinciales, il faut procéder à l’examen en deux étapes suivant :

a.             la première étape – également appelée le « critère fonctionnel » ‑ oblige la Cour à s’enquérir de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité en cause afin de savoir si elle constitue une entreprise fédérale;

b.            si le critère fonctionnel n’est pas concluant, la Cour doit alors se demander si la réglementation provinciale des relations de travail de cette entité porterait atteinte au contenu essentiel du chef de compétence fédérale (Four B, précité, à la page 1045; NIL/TU,O, au paragraphe 6).

[19]           Cette démarche, qui se distingue de celle employée pour savoir si une loi en particulier relève du pouvoir législatif du Parlement ou des provinces (NIL/TU,O, au paragraphe 12), a été, au cours des 85 dernières années, « constamment retenu[e] et appliqué[e] » par la Cour suprême du Canada (NIL/TU,O, au paragraphe 3).

B.                 Les thèses des parties

[20]           Le procureur général soutient qu’un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Francis c Conseil canadien des relations du travail, [1981] 1 CF 225 (CAF), infirmé par Alliance de la fonction publique du Canada c Francis et autres, [1982] 2 RCS 72 (Francis), scelle le sort de la présente affaire et lie l’arbitre. Selon lui, l’arrêt Francis atteste que les bandes indiennes et les conseils de bandes, qui tiennent leur pouvoir de gouvernance de la Loi sur les Indiens et d’autres lois fédérales, par exemple la Loi sur la gestion financière des premières nations (LC 2005, c 9), sont des entreprises fédérales pour ce qui concerne les relations de travail lorsqu’elles exercent leurs fonctions de gouvernance et leurs activités d’administration générale des affaires de la bande et des réserves, notamment leurs affaires financières.

[21]           Le procureur général affirme aussi qu’une distinction doit être établie entre l’arrêt Francis et certains arrêts ‑ l’arrêt NIL/TU,O, par exemple – dans lesquels l’employeur ou l’entité en cause n’est pas une bande indienne, mais plutôt une entité juridique distincte, ou des affaires dans lesquelles l’entité ‑ bien qu’il ne s’agisse pas, sur le plan juridique, d’un organe distinct constitué en personne morale ‑ est exploitée séparément de la bande indienne ou du conseil de bande.

[22]           Madame Flewelling est du même avis et souligne que, contrairement à l’arrêt NIL/TU,O, la Nation n’est pas (i) un organe constitué en personne morale sous le régime des lois provinciales; (ii) une personne morale provinciale dont l’unique objet est de fournir des services d’aide à l’enfance; (iii) une personne morale soumise aux lois provinciales; (iv) une personne morale dont les activités sont régies exclusivement par la province; ni (v) une entité sur laquelle la province exerce un contrôle ultime pour les décisions se rapportant à ses activités.

[23]           Madame Flewelling affirme que la fonction essentielle du conseil de bande de la Nation n’est pas d’appuyer le travail de la police, les services de soins de santé, l’éducation et l’emploi dans la salle de bingo, ni d’administrer le programme de bien‑être social. Elle consiste plutôt à protéger le statut, les droits et les privilèges des membres de la Première Nation, et fait ainsi partie intégrante de la compétence fédérale sur les Indiens et sur les terres réservées pour les Indiens. Elle dit que son travail au sein de la Nation ne se rapportait pas explicitement à un programme donné, mais plutôt aux affaires financières de la Nation et à la gestion du logement sur le territoire de la Nation. Tout son travail, d’après elle, relevait en fin de compte du contrôle du chef et du conseil de la Nation et permettait à la Nation d’accomplir son mandat de gouvernance et de se conformer aux obligations que lui impose la Loi sur les Indiens et d’autres lois fédérales connexes.

[24]           La Nation n’est pas de cet avis. Elle soutient que l’arrêt NIL/TU,O ne fait aucune distinction entre un employeur qui est une Première Nation et un autre qui est une personne morale formée d’une ou de plusieurs Premières Nations, et qu’il ne dit pas non plus que les activités d’une Première Nation ne peuvent être que des activités de nature fédérale. La Nation affirme plutôt que l’arrêt NIL/TU,O confirme que le critère fonctionnel, et non un autre critère, devrait permettre de qualifier les relations de travail des Premières Nations – tout comme celles de tout autre employeur. Selon la Nation, le critère fonctionnel porte sur l’activité qui est exercée, non sur la personne qui l’exerce, ni sur celle pour qui elle est exercée. La Nation soutient que, dans la mesure où l’arrêt Francis a appliqué un autre critère, cet arrêt a été renversé par l’arrêt NIL/TU,O.

[25]           La Nation affirme aussi qu’en sa qualité de Première Nation, elle détient un pouvoir inhérent de se gouverner, reconnu dans la Constitution canadienne. Elle dit, à ce propos, qu’elle est gouvernée par un chef et un conseil élus conformément au Code coutumier de la Nation, lesquels ne sont pas assujettis à la Loi sur les Indiens ou à ses textes réglementaires et dont l’organisation ne relève pas non plus de ces textes législatifs. Selon la Nation, il n’est plus exact de dire qu’une Première Nation est créée par le législateur, et que les conseils des Premières Nations sont créés par la Loi sur les Indiens. La Nation fait valoir que, même si l’organisation des Premières Nations relevait de la Loi sur les Indiens, cette organisation serait assujettie à l’article 88 de cette Loi, lequel rend les lois provinciales d’application générale, telles les lois provinciales sur les relations de travail, applicables aux peuples autochtones et à leurs territoires.

[26]           En l’espèce, la Nation affirme que les activités habituelles de Mme Flewelling ‑ comptabilité et tenue de livres ‑ sont régies par les lois provinciales et ne comportent, en tout état de cause, qu’une portion infime de contenu fédéral. D’après la Nation, le fait que telles activités étaient exercées au nom d’une Première Nation ou au profit d’un peuple autochtone est dénué de pertinence. Elle dit que l’arbitre a donc conclu à raison que les relations de travail liées à ces activités étaient régies par les lois provinciales et qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte que Mme Flewelling a déposée en vertu du Code.

C.                L’arrêt Francis fait toujours autorité et liait l’arbitre

[27]           La question soulevée dans la présente affaire est celle de savoir si l’arrêt Francis fait toujours autorité compte tenu de l’arrêt NIL/TU,O. Dans l’affirmative, il lie l’arbitre et la Cour, et la décision de l’arbitre selon laquelle il n’a pas compétence pour statuer sur la plainte déposée par Mme Flewelling en vertu du Code doit par conséquent être annulée. Si l’arrêt Francis ne fait plus autorité, la décision de l’arbitre doit être confirmée.

[28]           L’arrêt Francis traitait de l’accréditation, conformément au Code, de l’Alliance de la fonction publique du Canada comme agent de négociation d’un groupe d’employés de la bande indienne de Saint‑Régis (les employés), qui pour la plupart s’occupaient « d’administration en matière d’éducation, de l’administration de terres et de patrimoines d’Indiens, de l’administration du bien‑être, de l’administration en matière d’habitation, d’administration scolaire, de travaux publics, de l’administration d’un foyer pour personnes âgées, de l’entretien des routes, de l’entretien d’écoles, de l’entretien du système d’approvisionnement en eau et du système sanitaire, et de l’enlèvement des ordures ménagères » (Francis, au paragraphe 17).

[29]           Appliquant les enseignements de l’arrêt Four B, le juge Heald (aux motifs duquel a souscrit sur ce point le juge Le Dain) avait défini les fonctions des employés, en termes généraux, « comme se rapportant presque exclusivement à l’administration de la bande d’Indiens de Saint‑Régis », et, selon lui, « ces fonctions [étaient] de nature gouvernementale et relev[aient] de la Loi sur les Indiens » (Francis, au paragraphe 17).

[30]           Puis le juge Heald avait entrepris une analyse détaillée des dispositions de la Loi sur les Indiens relatives au rôle exercé par une bande indienne et par son conseil, auxquels cette loi s’applique pour l’administration des affaires de la bande. Il est utile ici de répéter cette analyse :

[…] Il est également instructif de parcourir les diverses dispositions de la Loi sur les Indiens pour déterminer dans quelle mesure une bande d’Indiens et son conseil participent à l’administration des affaires d’une bande d’Indiens à laquelle, comme en l’espèce, s’applique la Loi sur les Indiens. L’article 20 prévoit qu’un Indien n’est légalement en possession d’une terre dans une réserve que si la possession lui en a été accordée par le conseil de la bande avec l’approbation subséquente du Ministre. L’article 24 prévoit qu’un Indien qui est légalement en possession d’une terre dans une réserve peut, avec l’approbation du Ministre, transférer ce droit à la bande ou à un autre membre de celle‑ci. L’article 25 prévoit que, dans certaines circonstances, le droit d’un Indien à la possession d’une terre retourne à la bande. L’article 34 impose à la bande l’obligation d’assurer l’entretien des routes, ponts, fossés et clôtures dans la réserve qu’elle occupe. L’article 37 prévoit que les terres dans une réserve ne doivent être vendues, aliénées ni louées, ou qu’il ne doit en être autrement disposé, que si elles ont été cédées à Sa Majesté par la bande. L’article 39 prévoit les modalités auxquelles doit se conformer la bande pour faire une telle cession. L’article 58 autorise le Ministre, avec le consentement du conseil de la bande, à améliorer, cultiver ou louer un terrain, inculte ou inutilisé. En vertu de ce même article, le Ministre peut, avec le consentement du conseil de la bande, disposer du sable, du gravier, de la glaise et des autres substances non métalliques qui se trouvent sur des terres ou dans le sous‑sol d’une réserve. L’article 59 autorise le Ministre, avec le consentement du conseil de la bande, à réduire ou ajuster le montant payable à Sa Majesté relativement à la vente, location ou autre aliénation de terres situées dans une réserve qui sont cédées et en outre, à réduire ou ajuster le montant qu’un Indien doit payer à la bande pour un prêt consenti à cet Indien sur les fonds de la bande. L’article 60 autorise le gouverneur en conseil à accorder à la bande qui en fait la demande le droit d’exercer, sur des terres situées dans une réserve qu’elle occupe, tels contrôle et administration qu’il estime désirables. L’avocat nous a signalé qu’il ne subsiste aucun décret en conseil semblable pour ce qui concerne la bande d’Indiens de Saint‑Régis. Les articles 61 à 69 inclusivement concernent l’administration des deniers des Indiens. En vertu de l’article 64, le Ministre peut, avec le consentement du conseil d’une bande, effectuer des dépenses de deniers au compte de capital de la bande à diverses fins : pour distribuer per capita aux membres de la bande une partie du produit de la vente de terres cédées; pour établir et entretenir des routes, ponts, fossés, cours d’eau et clôtures de délimitation extérieure dans les réserves; pour acheter des terrains que la bande emploiera comme réserve ou comme addition à une réserve; pour acheter pour la bande les droits d’un membre de la bande sur des terrains dans une réserve; pour acheter des animaux ou des machines agricoles pour la bande; pour établir et entretenir des améliorations ou ouvrages permanents dans la réserve; pour consentir des prêts aux membres de la bande; pour subvenir aux frais nécessairement accessoires à la gestion des terres situées sur la réserve et des biens appartenant à la bande; pour construire des maisons destinées aux membres de la bande et pour consentir des prêts aux membres de la bande aux fins de construction; et, généralement, pour toute autre fin qui d’après le Ministre est à l’avantage de la bande. L’article 66 autorise le Ministre, avec le consentement du conseil d’une bande, à effectuer la dépense de deniers de revenu de la bande à diverses fins. En vertu de l’article 69, le gouverneur en conseil peut permettre à une bande de contrôler, administrer et dépenser la totalité ou une partie de ses deniers de revenu. Le gouverneur en conseil a adopté, en vertu de l’article 69, des Règlements qui s’appliquent à la bande indienne de Saint‑Régis. Ces Règlements autorisent cette bande, de même qu’un grand nombre d’autres bandes au Canada, à contrôler, administrer et dépenser la totalité ou une partie de leurs deniers de revenu sous réserve des modalités prévues aux Règlements relativement aux comptes en banque, aux signataires autorisés, à la nomination de vérificateurs, etc. Aux articles 74 à 80 inclusivement, il est question de l’élection des chefs et des conseils de bande.

Les articles 81 à 86 inclusivement prévoient les pouvoirs du conseil de bande. L’article 81 autorise le conseil de bande à établir des statuts administratifs dans un grand nombre de domaines : la santé des habitants de la réserve; la réglementation de la circulation; l’observation de la loi et le maintien de l’ordre; l’établissement de fourrières; l’établissement et l’entretien de cours d’eau, routes, ponts, fossés, clôtures et autres ouvrages locaux; la réglementation des catégories d’entreprises permises; la réglementation de la construction; la répartition des terres de la réserve entre les membres de la bande; l’enrayement des herbes nuisibles; l’établissement et la réglementation de services d’eau; la réglementation et le contrôle de sports, courses, concours athlétiques et autres amusements; la réglementation des marchands ambulants et colporteurs, etc.

(Francis, aux paragraphes 17 et 18.)

[31]           Se fondant sur les pouvoirs conférés à la bande et à son conseil par la Loi sur les Indiens, ainsi que sur la preuve de l’exercice de tels pouvoirs par la bande et par son conseil, le juge Heald s’est dit convaincu que, contrairement à l’arrêt Four B, qui s’intéressait aux relations de travail de quatre particuliers autochtones exploitant un commerce dans une réserve indienne, les employés « particip[aient] directement à des activités […] reliées au statut d’Indien » et que « [d]ans son ensemble, l’administration de la bande se rapport[ait] continuellement au statut et aux droits et privilèges des Indiens de la bande » (Francis, au paragraphe 20). Reprenant les motifs exposés par les juges majoritaires dans l’arrêt Four B, il concluait que les relations de travail en l’espèce faisaient « partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens ou les terres réservées aux Indiens » et que, en conséquence, elles relevaient de la compétence législative fédérale en application du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 (Francis, au paragraphe 20).

[32]           Comme les activités auxquelles se livraient les employés et la bande étaient exercées en application de la Loi sur les Indiens, le juge Heald était dès lors persuadé que l’administration de la bande de Saint‑Régis était un « ouvrage, entreprise ou affaire » de compétence fédérale au sens du paragraphe 108(1) du Code, que le Parlement avait donc occupé le champ se rapportant aux relations de travail de la bande et que l’Alliance de la fonction publique du Canada était par conséquent fondée, sur le plan constitutionnel, à obtenir une accréditation comme agent de négociation du groupe d’employés aux termes du Code (Francis, au paragraphe 22).

[33]           Toutefois, le juge Heald a estimé que la bande de Saint‑Régis n’était pas un « employeur » au sens du Code – c’est‑à‑dire une « personne qui emploie un ou plusieurs employés » ‑ puisqu’elle n’était pas une « personne » au sens du Code ou de la Loi sur les Indiens. Il est donc arrivé à la conclusion que la Commission des relations du travail du Canada avait outrepassé sa compétence en accréditant l’Alliance. Le juge en chef Thurlow, qui n’est pas arrivé à une conclusion définitive sur la question de l’applicabilité constitutionnelle du Code aux employés et à la bande de Saint‑Régis, a souscrit aux motifs du juge Heald sur ce point. Le juge Le Dain a émis une opinion dissidente.

[34]           Deux ans plus tard, la Cour suprême du Canada infirmait les conclusions des juges Heald et Thurlow et jugeait que le conseil de la bande de Saint‑Régis pouvait validement être considéré comme un employeur au sens du Code, au motif que les conseils de bande étaient créés par la Loi sur les Indiens, qu’ils étaient investis du pouvoir d’établir des statuts pour de nombreuses fins précises qui sont semblables à celles que visent les règlements d’une municipalité, et que, de fait, ils embauchaient des employés qui travaillaient pour eux et qu’ils payaient (Alliance de la fonction publique du Canada c Francis et autres, [1982] 2 RCS 72).

[35]           L’arrêt Francis de la Cour d’appel fédérale avait été rendu peu de temps après l’arrêt Four B – et dans le respect du cadre analytique prescrit par cet arrêt – lequel rejetait clairement l’idée selon laquelle le critère fonctionnel est « inapproprié et devrait être écarté lorsque la compétence législative est attribuée non pas en des termes se rapportant à des objets matériels, à des choses ou à des systèmes, mais à des personnes ou groupes de personnes comme les Indiens ou les aubains » (Four B, aux pages 1046 et 1047). La Cour d’appel fédérale avait alors entrepris son analyse de l’applicabilité constitutionnelle sur le fondement du critère fonctionnel et, comme le prescrivait ce critère, elle s’était intéressée à la nature du travail accompli par l’unité d’employés en question et à la nature des « affaires » ou de l’exploitation d’un conseil de bande auquel s’applique la Loi sur les Indiens (Francis, au paragraphe 17).

[36]           L’arrêt Four B est le prédécesseur de l’arrêt NIL/TU,O pour la question de savoir si les relations de travail au sein d’une Première Nation seront régies par les lois provinciales ou par les lois fédérales. Sur ce point, l’arrêt NIL/TU,O ne dit nulle part que les principes énoncés dans l’arrêt Four B doivent être écartés, abandonnés ou discrédités. Au contraire, les juges majoritaires, dans l’arrêt NIL/TU,O, parlent souvent du critère de l’arrêt Four B comme du critère qui devrait être suivi et appliqué (NIL/TU,O, aux paragraphes 3, 15, 18, 23 et 40). Ils évoquent souvent aussi l’arrêt Four B comme étant le précédent, outre l’arrêt Northern Telecom, précité, qui expose « de la manière la plus complète » le critère juridique servant à déterminer si les relations de travail relèvent de la compétence fédérale (NIL/TU,O, au paragraphe 3).

[37]           Dans l’arrêt NIL/TU,O, la Cour suprême a rappelé que ce critère juridique devait être employé quel que soit le chef de compétence fédérale concerné dans une affaire donnée, y compris, comme indiqué dans l’arrêt Four B, le chef de compétence fédérale sur « les Indiens et les terres réservées aux Indiens » (NIL/TU,O, au paragraphe 3). Après avoir appliqué le critère de l’arrêt Four B aux circonstances de l’espèce (NIL/TU,O, au paragraphe 23) – une affaire d’accréditation comme dans l’arrêt Francis – la Cour suprême a jugé que les relations de travail du groupe d’employés en cause relevaient de la compétence provinciale.

[38]           Toutefois, l’affaire NIL/TU,O était quelque peu différente de l’affaire Francis. D’entrée de jeu, madame la juge Abella, rédigeant les motifs des juges majoritaires, soulignait de la « structure […] unique » de l’employeur (NIL/TU,O, au paragraphe 1). Cet employeur était une société – la NIL/TU,O Child and Family Services Society (la NIL/TU,O) – constituée en vertu de la Society Act de la Colombie‑Britannique par plusieurs Premières Nations situées dans cette province, pour l’établissement d’un service d’aide à l’enfance qui fournirait des services « adaptés à la réalité culturelle » des enfants et des familles de ces communautés. La NIL/TU,O était régie exclusivement par la province, et ses employés exerçaient des pouvoirs délégués de compétence exclusivement provinciale prévus par la Child, Family and Community Service Act de la Colombie‑Britannique (NIL/TU,O, au paragraphe 36). La NIL/TU,O était financée par la province et par le gouvernement fédéral. Ce financement était la seule participation du gouvernement fédéral dans les activités de l’organisme (NIL/TU,O, aux paragraphes 34 et 40).

[39]           Madame la juge Abella a estimé que le caractère distinctif de la NIL/TU,O en tant que service d’aide à l’enfance pour les collectivités autochtones ne pouvait lui faire perdre « sa nature essentielle d’agence d’aide à l’enfance qui est réglementée à tous égards par la province », et elle a conclu que sa fonction était « incontestablement provinciale » (NIL/TU,O, au paragraphe 39).

[40]           Empruntant les mots employés par madame la juge Abella dans l’arrêt NIL/TU,O, je ne crois pas que l’on puisse dire, dans la présente affaire, que l’employeur est une agence « qui est réglementée à tous égards par la province », que sa fonction est « incontestablement provinciale » et que Mme Flewelling exerçait « des pouvoirs délégués de compétence exclusivement provinciale » conférés par une loi provinciale. En l’espèce, l’employeur est un conseil de bande auquel s’applique la Loi sur les Indiens, et Mme Flewelling s’occupait de l’administration générale des affaires de la bande, notamment du logement dans la réserve, ainsi que des affaires concernant les terres de la réserve indienne. Ses activités ont été décrites ainsi par l’arbitre :

[traduction]

La plaignante travaillait au service des finances de l’employeur, dans les bureaux de la Nation. Étant la seule employée de ce service, elle accomplissait toutes les tâches habituelles liées à la comptabilité. Elle tenait les registres financiers de l’employeur, notamment les comptes fournisseurs, les comptes clients, le livre de paie, les dépôts bancaires et les états de rapprochement bancaire.

(Non souligné dans l’original.)

[41]           Selon la preuve produite à la Cour, le salaire de Mme Flewelling était payé à même les deniers fédéraux reçus par la Nation; des deniers qui représentaient la majeure partie du financement de la Nation.

[42]           Selon l’arrêt Francis, les affaires ou activités d’un conseil de bande sont celles d’un gouvernement local qui tient son pouvoir de la Loi sur les Indiens et des règlements applicables. Les fonctions ainsi exercées sont considérées comme une « responsabilité globale de la nature d’un gouvernement local » (Francis, le juge Le Dain, au paragraphe 27). Il exerce ses fonctions de gouvernance en recrutant des employés des services administratifs. Madame Flewelling comptait parmi ces employés.

[43]           Je suis d’accord avec le procureur général pour dire que l’arbitre, dans son analyse, s’abstient de tout examen des fonctions essentielles des bandes indiennes et des conseils de bande, un examen qui faisait partie de l’analyse dans l’arrêt Francis. Il s’est fondé uniquement sur l’arrêt NIL/TU,O, lequel concernait les relations de travail d’un service d’aide à l’enfance, constitué séparément et régi par les lois provinciales, et qui n’avait rien à voir avec les fonctions administratives quotidiennes inhérentes à la gestion des affaires d’une bande indienne. L’arbitre a de ce fait commis une erreur susceptible de contrôle.

[44]           Comme c’est le cas en l’espèce, la bande de Saint‑Régis s’occupait d’administration scolaire, d’administration de programmes d’aide sociale et de distribution de services de soins de santé, plus précisément de l’administration d’un foyer pour personnes âgées. L’arbitre a estimé que ces activités étaient régies par les lois provinciales et que le travail accompli par Mme Flewelling ne renfermait donc aucun élément susceptible de relever en principe des lois fédérales. La nature fondamentale des « affaires » ou de l’exploitation d’une bande indienne et d’un conseil de bande, auxquelles s’applique la Loi sur les Indiens, comme les dépeignait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Francis, est complètement occultée dans cette analyse.

[45]           Je ne suis pas disposé à dire que l’arrêt Francis a été renversé par l’arrêt NIL/TU,O. L’absence de tout examen de ce facteur capital justifie à mon avis l’annulation de la décision de l’arbitre. Autrement dit, compte tenu de l’arrêt Francis, le critère fonctionnel permet d’affirmer que l’administration de la bande de la Nation est une entreprise fédérale au sens du Code.

[46]           La Nation soutient que l’arrêt NIL/TU,O rend implicitement caduque l’arrêt Francis :

En dépit de la démarche appliquée depuis longtemps par notre Cour, il s’est développé un courant jurisprudentiel différent et ce, uniquement dans le cadre de litiges portant sur le par. 91(24) (voir Conseil de la bande de Tobique c. Sappier [1988] A.C.F. no 435 (QL) (C.A.); Qu’Appelle Indian Residential School Council c. Canada (Tribunal canadien des droits de la personne), [1988] 2 C.F. 226 (1re inst.), p. 239; Sagkeeng Alcohol Rehab Center Inc. c. Abraham, [1994] 3 C.F. 449 (1re inst.), p. 459‑460). Suivant cette différente analyse, et contrairement à Four B, le tribunal passe directement à la question de savoir s’il y atteinte au « contenu essentiel » d’un chef de compétence fédéral, sans appliquer d’abord le critère fonctionnel.

[Madame la juge Abella, au paragraphe 19]

[47]           À mon avis, si l’arrêt Francis ne figure pas dans ce « courant jurisprudentiel différent », c’est pour une raison, et cette raison est que le critère fonctionnel, énoncé dans l’arrêt Four B, jouait un rôle central dans la manière dont la Cour d’appel fédérale avait considéré et analysé la question de l’applicabilité constitutionnelle du Code à la question qu’elle devait trancher en matière de relations de travail.

[48]           L’arrêt Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c Native Child and Family Services of Toronto, 2010 CSC 46, [2010] 2 RCS 737, rendu par la Cour suprême du Canada le même jour que l’arrêt NIL/TU,O n’appuie aucunement la thèse de la Nation. Cette affaire présentait des faits très semblables à celui de l’affaire NIL/TU,O, puisque l’employeur y était une société d’aide aux enfants autochtones qui fournissait des services principalement aux familles indiennes et métisses, conformément à la Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario et en vertu d’un accord conclu avec le gouvernement de l’Ontario. La Cour suprême y entérinait essentiellement son arrêt NIL/TU,O et y confirmait l’arrêt de la Cour d’appel fédérale pour qui les liens avec la compétence fédérale sur les Indiens étaient, dans cette affaire, encore plus ténus que ceux constatés dans l’arrêt NIL/TU,O (Native Child and Family Services of Toronto c Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, 2008 CAF 338, au paragraphe 40). La Cour suprême ne laisse aucunement entendre dans ces deux arrêts que l’arrêt Francis ne fait plus autorité.

[49]           Le jugement Nation crie de Fox Lake c Anderson, 2013 CF 1276, rendu par mon collègue le juge Russell Zinn, ‑ une affaire de congédiement injuste comme celle dont il s’agit en l’espèce – ne donne pas non plus à penser que l’arrêt Francis a perdu sa valeur de précédent comme le soutient la Nation. Premièrement, en vertu du principe du stare decisis, seules la Cour suprême du Canada ou la Cour d’appel fédérale elle‑même peuvent écarter ce précédent (R. c Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 RCS 609; Canada c Craig, 2012 CSC 43, [2012] 2 RCS 489; Martin c Canada (Procureur général), 2013 CAF 15, [2014] 3 RCF 117, au paragraphe 104). Cela n’est pas arrivé. Deuxièmement, dans le jugement Nation crie de Fox Lake, la Première Nation, elle aussi une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, avait mis sur pied un bureau de négociation dont l’« objet essentiel » était « de négocier des ententes commerciales complexes avec d’autres parties » (Nation crie de Fox Lake, au paragraphe 31). La Première Nation contestait l’applicabilité constitutionnelle du Code à la plainte de congédiement injuste déposée par un employé du Bureau de négociation. Selon la Première Nation, l’exploitation du Bureau de négociation était séparée et distincte de l’administration générale de la bande, et l’employé en cause n’était pas un employé de la Première Nation en général, mais plutôt un employé du Bureau de négociation en tant qu’unité séparée. La Première Nation a eu gain de cause. Faisant droit à la demande de contrôle judiciaire déposée par la Première Nation, le juge Zinn a estimé que le Bureau de négociation n’était pas une partie essentielle ou intégrante des activités de la Première Nation à titre de bande indienne (Nation crie de Fox Lake, aux paragraphes 36 à 38). Par conséquent, contrairement à l’arrêt Francis et à la présente affaire, la Cour devait, dans le jugement Nation crie de Fox Lake, examiner une unité particulière qui était séparée et distincte de l’administration générale de la bande et de sa fonction de gouvernance centrale. Il y a donc lieu d’établir une distinction entre ce jugement et l’espèce.

[50]           Enfin, la Nation affirme qu’elle est investie d’un pouvoir inhérent de se gouverner qui lui est reconnu par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et, par conséquent, qu’elle n’est pas assujettie aux lois fédérales telles que la Loi sur les Indiens, mais je ne crois pas que cet argument puisse modifier de quelque manière l’issue de la présente affaire. Comme le font observer à juste titre le procureur général et Mme Flewelling, ce droit à l’autonomie gouvernementale, pour être juridiquement exécutoire, doit émaner soit d’un accord d’autonomie gouvernementale négociée avec le gouvernement du Canada, soit d’un jugement déclaratoire. Quand ce droit est revendiqué dans un litige, il doit, comme tout autre genre de droit ancestral, être placé dans son contexte et présenter une spécificité suffisante pour permettre à un tribunal de constater l’existence d’une pratique, d’une coutume ou d’une tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive de la Première Nation qui revendique ce droit (R c Van der Peet, [1996] 2 RCS 507, au paragraphe 46; R c Pamajewon, [1996] 2 RCS 821, au paragraphe 24).

[51]           En l’espèce, la Nation n’a présenté aucun élément de preuve qui puisse permettre de conclure à l’existence d’un tel droit inhérent de se gouverner, et certainement rien qui puisse établir que le droit qu’elle revendique satisfait au critère établi dans l’arrêt Van der Peet, précité. S’il est vrai que les Premières Nations ne doivent pas leur existence à la Loi sur les Indiens ni à quelque autre loi et qu’une bande indienne est davantage qu’une création de la loi, elles constituent néanmoins des entités qui, comme les bandes et les conseils, sont régies par la Loi sur les Indiens et exercent leurs pouvoirs conformément à cette Loi (Perron c Canada (Procureur général), [2003] 3 CNLR 198, au paragraphe 22; Jack Woodward, c.r., Native Law, volume 1, éditions à feuilles mobiles, Toronto, Carswell, 2007, à la page 1‑420).

[52]           Il de droit constant que la Loi sur les Indiens impose aux bandes des obligations par lesquelles elles doivent rendre compte, sur les plans politique et financier, tant à leurs membres qu’au gouvernement fédéral (Ardoch Algonquin First Nation & Allies v Ontario, [1997] OJ no 2313 (QL), au paragraphe 7; Cynthia Knebush c Première nation Pheasant Rump Nakota et autres, 2014 CF 1247, au paragraphe 44). Il est clair également que la Loi sur les Indiens s’applique, que le conseil de bande soit élu au moyen du processus établi par lui conformément à l’article 74, ou par l’entremise d’élections coutumières, qui sont reconnues par ladite Loi (voir la définition de « conseil de la bande », au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens; Francis c Mohawk of Kanesatake (Council), [2003] 4 CF 1133, 227 FTR 161, au paragraphe 13). La situation n’est pas différente si le conseil de bande utilise rarement son pouvoir de prendre des règlements. Il demeure une entité qui tient son pouvoir de la Loi sur les Indiens.

[53]           Il ne fait aucun doute que le droit ancestral à l’autonomie gouvernementale, reconnu par la Constitution, peut être revendiqué – mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Il n’a pas été établi ni revendiqué devant l’arbitre. Par conséquent, l’argument de la Nation selon lequel son pouvoir de gouvernance ne lui vient pas du Parlement, mais découle plutôt de son droit à l’autonomie gouvernementale, un droit protégé par la Constitution, ne saurait être retenu.

[54]           En bref, l’arrêt Francis fait toujours autorité. Il liait l’arbitre, tout comme il lie la Cour. Puisque ce précédent scelle le sort de la présente affaire, les demandes de contrôle judiciaire du procureur général et de Mme Flewelling sont accueillies, et la Nation est condamnée aux dépens dans les deux dossiers. Le présent jugement motivé sera versé dans les deux dossiers, T‑1030‑13 et T‑1043‑13.


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire.

2.                  ANNULE la décision de l’arbitre datée du 10 mai 2013.

3.                  RENVOIE l’affaire à l’arbitre pour qu’il statue à nouveau sur la plainte de congédiement injuste déposée par la demanderesse dans le dossier T‑1030‑13.

4.                  CONDAMNE la Nation défenderesse aux dépens.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1043‑13

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c NATION MUNSEE‑DELAWARE, CRYSTAL FLEWELLING

ET DOSSIER :

T‑1030‑13

INTITULÉ :

CRYSTAL FLEWELLING c NATION MUNSEE‑DELAWARE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ONTARIO

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 SeptembRe 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 23 MARS 2015

COMPARUTIONS :

Roy Lee

POUR LE demandeur (t‑1043‑13)

POUR LE défendeur (T‑1030‑13)

Procureur général du Canada

Cynthia Mackenzie

pour la défenderesse (t‑1043‑13)

pour la demanderesse (T‑1030‑13)

Crystal Flewelling

Brian Daly

pour la défenderesse

La Nation Munsee‑Delaware

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le demandeur (t‑1043‑13)

pour le défendeur (T‑1030‑13)

procureur général du Canada

Cynthia Mackenzie

Mackenzie et Mackenzie

London (Ontario)

pour la défenderesse (t‑1043‑13)

pour la demanderesse (T‑1030‑13)

Crystal Flewelling

Brian Daly

McKenzie Lake Avocats LLP

London (Ontario)

pour la défenderesse

La Nation Munsee‑Delaware

 

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