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Date : 20150323


Dossier : IMM‑190‑14

Référence : 2015 CF 360

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

KELLY HAPPY OZIEGBE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie par Kelly Happy Oziegbe (le demandeur), sous le régime de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue le 19 décembre 2013 par un agent d’immigration (l’agent) du Centre d’Immigration Canada à Etobicoke, en Ontario. Par cette décision, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente formée par le demandeur au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, au motif qu’il ne remplissait pas la condition que fixe l’alinéa 124a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). Cet alinéa exige du demandeur de résidence permanente qu’il établisse être l’époux d’un répondant et vivre avec ce dernier au Canada.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.                Le contexte

[3]               Le demandeur est citoyen nigérian. Il a demandé la résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada le 26 novembre 2012. Son épouse Katherine Patti Scott, qui est citoyenne canadienne, a présenté à son égard une demande de parrainage et un engagement.

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada le 9 janvier 2004. Il a été arrêté par l’Agence des services frontaliers du Canada le 6 novembre 2006, après l’expiration de son visa. Mis en liberté sous caution, il a été arrêté une deuxième fois le 14 août 2008 pour manquement aux conditions de sa mise en liberté. Il a fait l’objet d’une troisième arrestation le 29 avril 2010, encore une fois pour manquement aux conditions de sa mise en liberté. Il a été libéré de nouveau le 11 mars 2011, sous la caution de sa tante Chionyedue Opia Evans. Il déclare avoir fait la connaissance de sa future épouse le 22 avril 2011 dans une bibliothèque où l’accompagnait sa tante. Ils se sont mariés un an plus tard.

[5]               L’une des conditions de la mise en liberté du demandeur était qu’il réside en tout temps au domicile de sa tante à Richmond Hill, en Ontario. Il ne lui était pas permis de quitter la maison de sa tante, sous réserve de certaines exceptions.

[6]               Il est acquis aux débats que le demandeur et son épouse n’ont jamais vécu ensemble.

[7]               Le demandeur fait valoir qu’il s’est trouvé empêché de vivre avec son épouse par les conditions de mise en liberté que le défendeur lui a imposées. Son épouse possède une maison où habitent deux locataires âgés, explique‑t‑il, et les risques afférents à cette situation lui interdisent de s’absenter longtemps. Elle est constamment en déplacement pour son travail et passe presque un week-end sur deux chez la tante du demandeur. Il n’y a pas beaucoup de place dans la maison de cette dernière, étant donné que plusieurs amis et autres membres de la famille y logent de temps à autre. L’épouse du demandeur confirme qu’elle séjourne chez la tante de celui‑ci presque tous les deux week-ends, et aussi en semaine quand elle le peut. Elle laisse quelques affaires au lieu de résidence du demandeur, mais elle emporte la plupart de ses effets personnels quand elle en repart.

[8]               Selon un affidavit signé par le demandeur le 15 février 2014, il a signalé immédiatement après son mariage son changement de situation à l’Agence des services frontaliers du Canada et a demandé à celle‑ci de modifier les conditions de sa liberté sous caution de manière à lui permettre de vivre avec sa femme. Cette modification lui a été refusée.

III.             La décision de l’agent

[9]               L’agent a conclu que le demandeur n’appartenait pas à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, au motif de l’insuffisance des éléments tendant à établir la cohabitation.

[10]           L’agent a admis qu’il pouvait y avoir entre le demandeur et son épouse une relation authentique ne visant pas principalement l’acquisition d’un statut d’immigration. Cependant, il a conclu que le demandeur et son épouse n’avaient vécu ensemble à aucun moment de leur relation. Les motifs invoqués par le demandeur et son épouse pour expliquer qu’ils ne vivent pas ensemble ne l’ont pas convaincu, et il a constaté qu’ils n’avaient pas épuisé les possibilités qui leur eussent permis de vivre en couple tout en permettant au demandeur de se conformer aux conditions de sa mise en liberté. L’agent a fait observer à ce propos qu’aucune restriction ne s’appliquait au lieu de résidence de l’épouse du demandeur.

IV.             La question en litige

[11]           La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur et son épouse ne cohabitaient pas était raisonnable.

V.                Analyse

A.                La norme de contrôle judiciaire

[12]           Une conclusion sur la cohabitation est une conclusion de fait, et son contrôle relève de la norme de la décision raisonnable : Said c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1245, [2011] ACF no 1527 (Said), au paragraphe 18; Ali Gilani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 243, [2013] ACF no 240 (Gilani), au paragraphe 17.

L’article 124 du Règlement est ainsi libellé :

124. Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

 

124. A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they:

 

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

 

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

 

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

 

(b) have temporary resident status in Canada; and

 

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

 

(c) are the subject of a sponsorship application.

 

[13]           Il est de droit constant que le défaut de remplir la condition de cohabitation prévue à l’article 124 du Règlement entraîne nécessairement le rejet d’une demande de parrainage présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada : Mandbodh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 190, [2010] ACF no 216, au paragraphe 11.

[14]           Le juge Zinn a adopté la définition suivante de la cohabitation au paragraphe 12 de la décision Chaudhary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 828, 2012 CarswellNat 2158 :

Même si la cohabitation signifie vivre ensemble de façon continue, de temps à autre, l’un des conjoints peut s’être absenté de la maison en raison du travail, des affaires, des obligations familiales, et ainsi de suite. La séparation doit être temporaire et de courte durée.

[15]           Dans le cas où le répondant et son conjoint ne cohabitent pas, la demande de résidence permanente est irrecevable : Gilani, au paragraphe 21. Le point de savoir si le demandeur et son conjoint ont l’intention de vivre ensemble n’est pas pertinent à l’égard d’une conclusion de non‑cohabitation : Laabou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 126, au paragraphe 31. Le juge Russell a déclaré ce qui suit au paragraphe 34 de la décision Said :

[34]      […] S’il n’y avait pas cohabitation, alors le parrainage n’était pas possible. Elle n’avait aucune raison de se demander si le mariage était ou non authentique et s’il visait ou non principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi, selon ce que prévoit l’article 4 du Règlement. L’agente n’avait pas à se demander pourquoi le mariage avait été contracté, mais plutôt si le demandeur et sa répondante vivaient ensemble à la date de la demande. Je ne vois aucune erreur de l’agente sur cet aspect.

[35]      […] Par ailleurs, le juge Shore écrivait, dans la décision Laabou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 C.F. 1268, au paragraphe 27, que le fait de ne pas remplir l’une des conditions de l’alinéa 124a) du Règlement rend irrecevable la demande de résidence permanente. Que leur mariage soit ou non authentique, il reste que, comme l’a conclu avec raison l’agente, le demandeur et sa répondante ne vivaient pas ensemble. Cela suffit à exclure le demandeur de la catégorie des époux au Canada.

[16]           Dans l’affaire Ally c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 445 (Ally), la mise en liberté du demandeur était subordonnée à la condition qu’il ne s’approche pas de son épouse et qu’il habite avec son oncle. Le juge Russell a décidé (au paragraphe 33) que ce fait ne rendait pas déraisonnable la conclusion de non-cohabitation de l’agent. Il a déclaré que le demandeur avait la charge de se conformer à la Loi. L’impossibilité de la cohabitation était attribuable à la situation dans laquelle les époux s’étaient mis eux-mêmes à un moment décisif de leur vie où le demandeur cherchait à obtenir la résidence permanente au Canada.

[17]           La présente affaire ressemble à certains égards à celle dans Ally. Ce sont les propres actes du demandeur – plus précisément, le fait qu’il a violé les conditions de sa liberté sous caution au moins deux fois – qui ont entraîné l’obligation pour lui de résider avec sa tante, qui lui servait de caution, et l’ont empêché d’habiter chez son épouse.

[18]           En outre, contrairement au cas du demandeur dans l’affaire Ally, les conditions relatives à la mise en liberté du demandeur en l’espèce ne l’obligeaient pas à vivre séparément de sa femme. Je veux bien croire que la cohabitation du couple chez la tante du demandeur n’était pas une solution très commode, mais c’était une possibilité qu’ils auraient pu examiner.

[19]           Le demandeur a déclaré dans un affidavit postérieur à la décision contestée qu’il avait essayé en vain de faire modifier les conditions de sa mise en liberté, mais rien n’indique que ce fait ait été porté à l’attention de l’agent. On ne peut attaquer une décision au motif que le décideur a omis de prendre en considération des éléments de preuve qui n’ont pas été produits devant lui : Kumarasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 184 FTR 105, au paragraphe 3; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 69, au paragraphe 12; Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 4786. Quoi qu’il en soit, bien que le demandeur n’ait pu obtenir la modification des conditions de sa mise en liberté, celles‑ci laissaient sa femme libre d’habiter n’importe où.

[20]           L’agent a pris en considération l’explication donnée par le demandeur au sujet de sa non‑cohabitation avec son épouse et l’a jugée insatisfaisante. Cette conclusion était à mon sens raisonnable.

[21]           L’argument du demandeur selon lequel l’équité procédurale exigeait que l’agent visite la maison de sa tante pour décider le point de savoir si elle convenait à la cohabitation du couple. La charge pesait sur le demandeur de convaincre l’agent qu’il remplissait les conditions fixées par l’article 124 du Règlement, et il n’a pu s’acquitter de cette charge.

[22]           La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur ne remplissait pas la condition de cohabitation énoncée à l’alinéa 124a) du Règlement appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[23]           Les parties n’ont pas proposé de question en vue de la certification, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑190‑14

 

INTITULÉ :

OZIEGBE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFs :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 23 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Adetayo Akinyemi

POUR LE DEMANDEUR

KELLY HAPPY OZIEGBE

 

Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adetayo Akinyemi

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

KELLY HAPPY OZIEGBE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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