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Date : 20150320


Dossier : IMM-6041-13

Référence : 2015 CF 359

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

WILLIAM O'NEIL DONOVAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Cette demande vise la décision en date du 5 septembre 2013 (la décision) par laquelle un agent des visas (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada que le demandeur avait présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

II.                LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est citoyen de la Jamaïque. Le 28 février 2011, la conjointe de fait canadienne du demandeur a demandé à le parrainer.

[3]               Le 16 mai 2012, le demandeur a été avisé qu’il était admissible à présenter une demande de résidence permanente au titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Le demandeur a été avisé qu’une décision définitive serait prise après qu’il se fut soumis à une visite médicale, un contrôle de sécurité et une vérification de ses antécédents et de ceux de chacun des membres de la famille (dossier certifié du tribunal (DCT), à la page 183).

[4]               Le demandeur a un fils de treize ans qui vit avec son ex-épouse en Jamaïque. Il déclare que son ex-épouse refuse d’autoriser que son fils se soumette à la visite médicale exigée.

[5]               Le 17 décembre 2012, le demandeur a produit une déclaration solennelle selon laquelle il voulait faire retirer son fils de sa demande de résidence permanente. Il a également produit une copie d’un affidavit, daté du 31 janvier 2008, qui avait été présenté à l’appui de sa requête en divorce en Jamaïque.

[6]               Le 16 janvier 2013, un agent a informé le demandeur que son fils devait se soumettre à un contrôle. L’agent a reconnu qu’il y avait une exception à cette exigence, mais a ajouté que le demandeur n’était pas admissible à cette exception, parce que la preuve documentaire qu’il a produite révélait qu’il avait la garde conjointe de son fils. Le demandeur a été convié à fournir des preuves des efforts qu’il avait déployés pour soumettre son fils au contrôle (DCT, à la page 164).

[7]               En avril 2013, le demandeur dit qu’il s’est rendu en Jamaïque pour que son fils fasse l’objet du contrôle, mais que son ex-épouse a caché le passeport de ce dernier et que le médecin désigné a refusé de soumettre l’enfant au contrôle sans un passeport confirmant son identité.

[8]               Le 14 mai 2013, le consultant en immigration du demandeur a présenté des observations concernant les efforts déployés par le demandeur pour soumettre son fils au contrôle. Le demandeur a aussi produit des copies de lettres adressées à son ex-épouse, notamment : un courriel du demandeur, une lettre du consultant en immigration du demandeur envoyée par courrier recommandé, une lettre du fils du demandeur, une lettre de la mère du demandeur et une lettre d’un ami du demandeur.

[9]               Dans une lettre datée du 24 mai 2013, un agent a informé le demandeur que, [traduction] « après avoir attentivement examiné la situation », sa requête visant à retirer son fils de la demande était refusée (DCT, à la page 147).

III.             La décision FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]           La demande de résidence permanente du demandeur a été refusée par une lettre, datée du 5 septembre 2013. Il ressort de la lettre que (DCT, à la page 145) :

[traduction]

Le sous-alinéa 72(1)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) exige que tous les membres de la famille du demandeur – qu’ils l’accompagnent ou non – ne soient pas interdits de territoire. Dans votre cas, vous n’avez pas démontré que vous satisfaites à une telle exigence, parce que votre fils n’a pas été soumis au contrôle par l’agent d’immigration.

Par conséquent, il ne peut pas être établi que vous satisfaites aux exigences en matière de résidence permanente, telles qu’elles sont énoncées au paragraphe 72(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Votre demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada est donc refusée.

IV.             Les questions EN LITIGE

[11]           Le demandeur soulève deux questions dans la présente demande :

1.      L’agent a-t-il donné une interprétation erronée de la Loi et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement)?

2.      Le refus de l’agent de dispenser le fils du demandeur de la visite médicale était-il déraisonnable?

V.                La norme DE CONTRÔLE

[12]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a décidé qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette première démarche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour chargée du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[13]           Le défendeur soutient que la Cour a contrôlé la décision d’un agent refusant une demande de résidence permanente pour non‑conformité selon la norme de la décision raisonnable : Ahumada Rojas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1303, au paragraphe 8 (Ahumada Rojas). Lorsque des problèmes d’équité procédurale sont soulevés, la décision est contrôlée selon la norme de la décision correcte.

[14]           Jusqu’à récemment, il ressortait clairement de la jurisprudence que l’interprétation de la Loi et du Règlement par l’agent des visas est soumise au contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Patel, 2011 CAF 187, au paragraphe 27; Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 339, au paragraphe 26. Toutefois, dans les arrêts Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113 (Kanthasamy) et Lemus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114 (Lemus), la Cour d’appel fédérale a réexaminé cette jurisprudence à la lumière de l’arrêt Agraira, dans lequel la Cour suprême du Canada a effectué le pourvoi de l’interprétation du Règlement faite par le ministre selon la norme de la décision raisonnable. Bien que les arrêts Kanthasamy et Lemus concernaient tous deux l’interprétation de la Loi et du Règlement par un agent des visas dans le contexte d’une décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la Cour ne voit aucune raison qui donne à entendre que cette analyse ne s’applique pas tout autant à l’interprétation faite par un agent dans le contexte d’une décision relative à la résidence permanente. L’application de la loi par un agent aux faits de l’espèce demeure soumise au contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Agraira, précité, aux paragraphes 49 et 50; Kanthasamy, précité, au paragraphe 37; Lemus, précité, au paragraphe 18. Les deux questions en litige seront soumises au contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[15]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             LES DISPOSITIONS LÉGALES

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Motifs sanitaires

Health grounds

38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

(a) is likely to be a danger to public health;

(b) is likely to be a danger to public safety; or

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.

Exception

Exception

(2) L’état de santé qui risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé n’emporte toutefois pas interdiction de territoire pour l’étranger :

(2) Paragraph (1)(c) does not apply in the case of a foreign national who

a) dont il a été statué qu’il fait partie de la catégorie « regroupement familial » en tant qu’époux, conjoint de fait ou enfant d’un répondant dont il a été statué qu’il a la qualité réglementaire;

(a) has been determined to be a member of the family class and to be the spouse, common-law partner or child of a sponsor within the meaning of the Regulations;

b) qui a demandé un visa de résident permanent comme réfugié ou personne en situation semblable;

(b) has applied for a permanent resident visa as a Convention refugee or a person in similar circumstances;

c) qui est une personne protégée;

(c) is a protected person; or

d) qui est l’époux, le conjoint de fait, l’enfant ou un autre membre de la famille — visé par règlement — de l’étranger visé aux alinéas a) à c).

(d) is, where prescribed by the Regulations, the spouse, common-law partner, child or other family member of a foreign national referred to in any of paragraphs (a) to (c).

Inadmissibilité familiale

Inadmissible family member

42. (1) Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

42. (1) A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

[…]

[…]

[17]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent à la présente instance :

Cas réglementaires : membres de la famille

Prescribed circumstances — family members

23. Pour l’application de l’alinéa 42(1)a) de la Loi, l’interdiction de territoire frappant le membre de la famille de l’étranger qui ne l’accompagne pas emporte interdiction de territoire de l’étranger pour inadmissibilité familiale si :

23. For the purposes of paragraph 42(1)(a) of the Act, the prescribed circumstances in which the foreign national is inadmissible on grounds of an inadmissible non-accompanying family member are that

a) l’étranger est un résident temporaire ou a fait une demande de statut de résident temporaire, de visa de résident permanent ou de séjour au Canada à titre de résident temporaire ou de résident permanent;

(a) the foreign national is a temporary resident or has made an application for temporary resident status, an application for a permanent resident visa or an application to remain in Canada as a temporary or permanent resident; and

b) le membre de la famille en cause est, selon le cas :

(b) the non-accompanying family member is

[…]

[…]

(iii) l’enfant à charge de l’étranger, pourvu que celui-ci ou un membre de la famille qui accompagne celui-ci en ait la garde ou soit habilité à agir en son nom en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit ou par l’effet de la loi,

(iii) a dependent child of the foreign national and either the foreign national or an accompanying family member of the foreign national has custody of that child or is empowered to act on behalf of that child by virtue of a court order or written agreement or by operation of law, or

[…]

[…]

Obtention du statut

Obtaining status

72. (1) L’étranger au Canada devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

72. (1) A foreign national in Canada becomes a permanent resident if, following an examination, it is established that

a) il en a fait la demande au titre d’une des catégories prévues, au paragraphe (2);

(a) they have applied to remain in Canada as a permanent resident as a member of a class referred to in subsection (2);

b) il est au Canada pour s’y établir en permanence;

(b) they are in Canada to establish permanent residence;

c) il fait partie de la catégorie au titre de laquelle il a fait la demande;

(c) they are a member of that class;

d) il satisfait aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie;

(d) they meet the selection criteria and other requirements applicable to that class;

e) sauf dans le cas de l’étranger ayant fourni un document qui a été accepté aux termes du paragraphe 178(2) ou de l’étranger qui fait partie de la catégorie des résidents temporaires protégés :

(e) except in the case of a foreign national who has submitted a document accepted under subsection 178(2) or of a member of the protected temporary residents class,

(i) ni lui ni les membres de sa famille — qu’ils l’accompagnent ou non — ne sont interdits de territoire,

(i) they and their family members, whether accompanying or not, are not inadmissible,

(ii) il est titulaire de l’un des documents visés aux alinéas 50(1)a) à h),

(ii) they hold a document described in any of paragraphs 50(1)(a) to (h), and

(iii) il est titulaire d’un certificat médical attestant, sur le fondement de la visite médicale la plus récente à laquelle il a dû se soumettre en application du paragraphe 16(2) de la Loi et qui a eu lieu au cours des douze mois qui précèdent, que fils état de santé ne constitue vraisemblablement pas un danger pour la santé ou la sécurité publiques et, sauf si le paragraphe 38(2) de la Loi s’applique, ne risque pas d’entraîner un fardeau excessif;

(iii) they hold a medical certificate — based on the most recent medical examination to which they were required to submit under paragraph 16(2)(b) of the Act and which took place within the previous 12 months — that indicates that their health condition is not likely to be a danger to public health or public safety and, unless subsection 38(2) of the Act applies, is not reasonably expected to cause excessive demand; and

f) dans le cas de l’étranger qui fait partie de la catégorie des résidents temporaires protégés, il n’est pas interdit de territoire.

(f) in the case of a member of the protected temporary residents class, they are not inadmissible.

Catégories

Classes

(2) Les catégories sont les suivantes :

(2) The classes are

[…]

[…]

b) la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada;

(b) the spouse or common-law partner in Canada class; and

[…]

[…]

VII.          Les arguments

A.                Le demandeur

[18]           Le demandeur fait valoir que l’agent a commis une erreur, lorsqu’il a mal interprété la Loi et le Règlement, quand il a décidé qu’une visite médicale pourrait entraîner l’interdiction de territoire d’un enfant à charge qui n’accompagnait pas le demandeur. Le demandeur déclare que l’article 24 du Règlement dispose qu’un enfant à charge ne peut être interdit de territoire au motif qu’il entraîne « un fardeau excessif pour les services […] de santé ». Il ajoute qu’une personne à charge qui n’accompagne pas le demandeur ne saurait constituer un danger pour la santé ou la sécurité publiques. Cela mène à la conclusion qu’une visite médicale est exigée uniquement pour empêcher qu’une personne à charge soit exclue d’une demande future, et non pour statuer sur l’interdiction de territoire.

[19]           Le demandeur prétend aussi que le refus de l’agent de dispenser son fils de la visite médicale était déraisonnable. Le demandeur déclare qu’il a déployé tous les efforts raisonnables pour soumettre son fils à une visite médicale, mais que son ex-épouse l’en avait empêché. Le Guide IP 8 de Citoyenneté et Immigration Canada – Catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada (le Guide) prévoit que l’exigence de faire l’objet d’un contrôle peut être levée si l’ex‑conjoint refuse que la personne à charge se soumette à la visite médicale. Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur lorsqu’il n’a pas donné les motifs de son défaut de se conformer au Guide.

B.                 Le défendeur

[20]           Le défendeur affirme que la décision est raisonnable. L’article 23 du Règlement prévoit une exception aux conditions d’inadmissibilité pour les enfants à charge qui n’accompagnent pas le demandeur ou qui sont sous la garde exclusive d’un autre parent. Le demandeur est tenu de fournir une preuve des modalités de la garde. Le demandeur n’a pas produit de preuve documentaire des modalités de la garde de son fils.

[21]           Le défendeur affirme aussi que l’agent savait en fait qu’il devait être convaincu que la personne à charge qui n’accompagnait pas le demandeur n’était pas interdite de territoire. Le défendeur convient que le fils du demandeur pourrait être soustrait à l’application de la disposition relative au « fardeau excessif » de l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires. Toutefois, l’agent devait néanmoins être convaincu que le fils du demandeur n’était pas interdit de territoire parce qu’il constituait « un danger pour la santé ou la sécurité publiques », selon les termes des dispositions relatives à l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires, ou pour d’autres motifs d’interdiction de territoire (y compris la criminalité).

[22]           Enfin, le défendeur déclare que l’agent n’a pas commis d’erreur dans son interprétation du Guide. Le Guide prévoit qu’un agent, et non pas un demandeur, peut choisir d’accepter une déclaration solennelle visant à exclure un membre de la famille de la demande. Cette exception doit être utilisée « en dernier recours » pour les membres de la famille qui ne sont véritablement pas disponibles (au point 5.26). Selon les éléments de preuve, il était raisonnable que l’agent conclue que le demandeur n’avait pas essayé d’exercer ses pouvoirs juridiques de garde et n’avait pas épuisé toutes les voies de recours.

C.                 La réponse du demandeur

[23]           En réponse, le demandeur affirme que plusieurs circonstances permettent de distinguer la présente instance de l’affaire Ahumada Rojas citée par le défendeur. Dans l’affaire Ahumada Rojas, le demandeur a simplement demandé que ses enfants soient exclus de l’exigence de contrôle. Au contraire, le demandeur déclare que le refus de son ex-épouse est la raison du défaut de contrôle de son fils. Le demandeur affirme qu’il est déraisonnable de conclure qu’il n’a pas épuisé toutes les voies de recours en vue de soumettre son fils au contrôle.

[24]           Le demandeur déclare aussi qu’il n’a pas la garde conjointe réelle de son fils. Il reconnaît qu’il a peut-être la garde de droit, mais il ajoute que la garde de fait lui fait défaut : Schlotfeldt c Schlotfeldt, 2008 CSCB 678, aux paragraphes 29 à 31.

VIII.       ANALYSE

[25]           Comme cela ressort explicitement des motifs, la décision reposait uniquement sur le fait que le sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement exige que tous les membres de la famille, qu’ils accompagnent un demandeur ou non, ne soient pas interdits de territoire et le demandeur n’a pas satisfait à cette exigence, parce que son fils n’a pas été soumis à la visite médicale.

[26]           Dans ses observations écrites, le demandeur fait valoir tout d’abord que l’agent a mal interprété le droit et n’a pas tenu compte des articles 24 et 38 du Règlement, quand il a appliqué l’article 72. Le demandeur déclare que les résultats d’une visite médicale ne peuvent pas entraîner l’interdiction de territoire d’un enfant à charge et qu’une visite médicale est seulement exigée comme condition liée à la justice naturelle afin d’éviter que la personne à charge soit exclue dans une demande à l’avenir. À l’audience, le demandeur a retiré – judicieusement, à mon avis – ce motif de contrôle.

[27]           Comme le fait remarquer le défendeur, l’exigence de soumettre au contrôle une personne à charge qui n’accompagne pas le demandeur est créée par le Règlement et a un caractère obligatoire. La seule exception, découlant de l’article 23, concerne un enfant qui est sous la garde exclusive d’un ex‑conjoint ou ex‑conjoint de fait ou d’un conjoint dont le demandeur est séparé. Pour bénéficier de cette exception, le demandeur aurait dû produire des éléments de preuve documentaire selon lesquels son ex-épouse (la mère de son fils) avait la garde exclusive de l’enfant qui n’accompagnait pas le demandeur.

[28]           Le demandeur n’a pas produit de documents visant à établir qu’il n’avait pas la garde ou qu’il n’était pas « habilité à agir en son nom [celui de l’enfant] en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit ou par l’effet de la loi », au sens du sous-alinéa 23b)(iii) du Règlement. Par conséquent, l’agent a correctement et raisonnablement conclu qu’un contrôle du fils était nécessaire, au titre du sous-alinéa 72(1)e)(i) du Règlement.

[29]           Dans ses observations en réponse, le demandeur soutient maintenant que [traduction] « il n’est pas clair que le demandeur avait en fait la garde réelle » de son fils et que le [traduction] « demandeur n’avait pas la garde de fait, même s’il pouvait exercer la garde de droit ». Cet argument repose sur le fait que l’ex-épouse du demandeur avait fait échec au processus en cachant le passeport du fils afin que celui-ci ne puisse pas faire l’objet d’une visite médicale. Le fait que l’un des parents qui a la garde conjointe puisse contrecarrer ou gêner l’autre (et cela se produit souvent) ne signifie pas que le demandeur perd la garde, ou a démontré qu’il n’est pas habilité à agir au nom de l’enfant, selon le sous-alinéa 23b)(iii) du Règlement; il n’était donc pas déraisonnable que l’agent exige un contrôle de l’enfant, au titre du sous-alinéa 72(1)e)(i). La possibilité qu’à un parent de contrecarrer l’autre est envisagée au point 5.26 du Guide, qui devrait être examiné comme étant un élément du motif de contrôle restant du demandeur – par exemple, son argument que la décision est déraisonnable parce que le demandeur a déployé tous les efforts raisonnables pour que son fils se soumette à la visite médicale, de sorte que l’agent aurait dû lui accorder le bénéfice qui ressort du point 5.26 du Guide.

[30]           Le Guide prescrit ce qui suit, dans ses parties pertinentes :

L’agent doit envisager la possibilité qu’un client ne soit pas en mesure de faire en sorte qu’un membre de sa famille fasse l’objet d’un contrôle. Si le demandeur a fait tout en son pouvoir pour que le membre de sa famille fasse l’objet d’un contrôle, mais qu’il n’y est pas parvenu, et si l’agent est convaincu que le demandeur connaît les conséquences de cette situation (c.-à-d. aucun parrainage ultérieur possible), il n’est alors pas justifié de refuser sa demande pour non-conformité.

L’agent doit prendre sa décision au cas par cas, et faire preuve de bon sens et de jugement quand vient le temps de déterminer s’il ira de l’avant avec une demande, même si tous les membres de la famille du demandeur n’ont pas fait l’objet d’un contrôle. Cette situation est susceptible de se produire dans le cas où un ex-conjoint refuse qu’un enfant fasse l’objet d’un contrôle ou dans le cas où une personne à charge âgée de 18 ans ou plus refuse de se soumettre à un contrôle. L’agent ne devrait cependant procéder de la sorte qu’en dernier recours et uniquement s’il est convaincu que le demandeur n’est pas en mesure de faire en sorte que le membre de sa famille se soumette à un contrôle. Le demandeur ne peut pas choisir de ne pas soumettre un membre de sa famille à un contrôle.

[31]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont soulevé la question de la légalité du point 5.26 du Guide au regard de la Loi ou du Règlement. Pourtant, la Cour n’a pas à apprécier et à trancher, dans le cadre de la présente demande, la validité de ce qui constitue apparemment un pouvoir discrétionnaire de ne pas refuser une demande pour non-conformité. Si un tel pouvoir discrétionnaire n’est pas fondé en droit et n’est pas cohérent avec la Loi et le Règlement, cela n’aidera pas le demandeur et ne changera pas ma décision en l’espèce. Il se pourrait bien toutefois que la légalité de ce pouvoir discrétionnaire, que le Guide semble tenir pour acquis, soit contestée en présence de faits distincts.

[32]           La situation du demandeur s’inscrit parmi les scénarios envisagés dans le Guide et est en fait précisément évoquée : « dans le cas où un ex-conjoint refuse qu’un enfant fasse l’objet d’un contrôle ». Le demandeur déclare que l’agent n’a pas expliqué pourquoi le Guide ne devrait pas être pris en compte.

[33]           Le défendeur répond à cet argument ainsi :

[traduction]

14. La Cour a jugé dans des circonstances très semblables qu’à défaut de preuve que le demandeur n’avait pas la garde des enfants en question, il n’est pas déraisonnable de conclure que le demandeur n’est pas arrivé au point du « dernier recours ». En l’espèce, l’agent pouvait raisonnablement conclure, au vu de la preuve dont il disposait, que le demandeur n’avait pas essayé d’exercer ses pouvoirs juridiques de garde, et donc n’avait pas épuisé toutes les voies de recours, et de refuser de poursuivre, comme le prévoit le Guide IP 8.

[34]           Le défendeur s’appuie sur la décision Ahumada Rojas précitée, mais comme il ressort clairement du Guide, l’agent doit prendre sa décision « au cas par cas, et faire preuve de bon sens et de jugement », et les faits dans l’affaire Ahumada Rojas étaient très différents de ceux dont est saisi l’agent en l’espèce. Comme le fait observer le demandeur, dans l’affaire Ahumada Rojas (réponse du demandeur, aux pages 2 et 3) :

[traduction]

•          Le demandeur dans cette affaire n’avait pas de contacts avec ses enfants, tandis que le demandeur en l’espèce a pu communiquer avec son [ex-]épouse qui refusait que le fils fasse l’objet d’un contrôle.

•          Le demandeur en l’espèce a fait en sorte que des membres de sa famille téléphonent et écrivent des lettres à son ex‑épouse, ses efforts n’ont pas été pris en compte.

•          Le demandeur en l’espèce s’est rendu en Jamaïque pour exercer ses droits de garde, mais n’a pu soumettre l’enfant au contrôle, car son ex-épouse avait caché le passeport de l’enfant afin de contrecarrer ces efforts.

•          Le médecin désigné a dit au demandeur qu’il était impossible de procéder à une visite si l’enfant ne pouvait produire un passeport.

•          Le demandeur n’a pas été en mesure d’obtenir un nouveau passeport pour son fils, car le passeport n’était ni perdu, ni volé.

[35]           Il ressort clairement du Guide que faire droit à une demande lorsqu’un membre de la famille du demandeur n’a pas fait l’objet d’un contrôle ne devrait se produire qu’en « dernier recours et uniquement s’il [l’agent] est convaincu que le demandeur n’est pas en mesure de faire en sorte que le membre de sa famille se soumette à un contrôle. Le demandeur ne peut pas choisir de ne pas soumettre un membre de sa famille à un contrôle ». Il ressort aussi clairement du Guide que l’agent doit être convaincu que « le demandeur a fait tout en son pouvoir pour que le membre de sa famille fasse l’objet d’un contrôle, mais qu’il n’y est pas parvenu ».

[36]           Le demandeur ne prétend pas que ces aspects du Guide sont déraisonnables ou erronés en droit. Il déclare simplement que :

[traduction]

a)      Lorsqu’un ex-conjoint refuse de soumettre une personne à charge au contrôle, « il est normalement justifié de dispenser le demandeur de l’exigence de visite médicale »;

b)      L’agent n’a pas donné de motifs quant à savoir pourquoi il ne devrait pas être tenu compte du Guide;

c)      L’agent s’est abstenu d’exercer le pouvoir discrétionnaire dont il jouissait.

[37]           Le demandeur ne fournit aucune doctrine ou jurisprudence à l’appui de son assertion qu’un exercice favorable du pouvoir discrétionnaire [traduction] « est normalement justifié » dans le cas où un ex-conjoint refuse qu’une personne à charge fasse l’objet d’un contrôle, et le Guide en soi donne à entendre que telle ne peut pas être l’intention. Chaque cas doit être examiné en fonction des faits qui lui sont propres, même si le refus de l’ex‑conjoint est une situation « susceptible de se produire ». Cependant, le Guide donne aussi à entendre que le demandeur doit démontrer qu’il « a fait tout en son pouvoir pour que le membre de sa famille fasse l’objet d’un contrôle » et l’agent doit être convaincu qu’il ne devrait cependant procéder de la sorte qu’« en dernier recours ».

[38]           La lecture que j’ai faite de la décision et des lettres échangées relatives à cette question m’amènent à penser que les parties ont débattu de cette question et l’ont traitée. Une entrée faite dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) en date du 16 janvier 2013, soit vers le début du processus, démontre clairement que l’agent a parlé au représentant du demandeur et [traduction] « L’A INFORMÉ QUE LA PREUVE AU DOSSIER NE SUFFIT PAS POUR ENVISAGER DE DISPENSER LA PERSONNE À CHARGE À L’ÉTRANGER DE L’EXIGENCE DE SE SOUMETTRE AU CONTRÔLE EN PARTICULIER PARCE QU’IL S’AGIT D’UNE GARDE CONJOINTE » (DCT, à la page 16, souligné dans l’original). L’agent note aussi que « LE REPRÉSENTANT COMPREND LA SITUATION ».

[39]           L’entrée faite le 5 septembre 2013 et un suivi relativement à cette question. La partie pertinente se lit comme suit (DCT, aux pages 23 et 24, souligné dans l’original) :

[traduction]

il ressort de LA LETTRE DU REPRÉSENTANT QUE DES ÉLÉMENTS DE PREUVE DES TENTATIVES ENTREPRISES POUR SOUMETTRE LE FILS À L’ÉTRANGER au contrôle ont été produits et LE REPRÉSENTANT NE COMPREND PAS POURQUOI LE TRAITEMENT NE PEUT SE POURSUIVRE SANS QUE LE CONTRÔLE À L’ÉTRANGER NE soit fait. Les renseignements ont été examinés ET NON ACCEPTÉs.

[40]           Ainsi, la question a été débattue et examinée, et le problème a été clairement exposé au représentant du demandeur. Il est évident que l’agent n’a pas accepté les éléments de preuve et les observations du demandeur comme étant un fondement suffisant pour exercer le pouvoir discrétionnaire prévu par le Guide [traduction] « en particulier parce qu’il s’agit D’UNE GARDE CONJOINTE ». Il ressort en outre de l’ensemble du dossier que, vu l’importance de la décision pour le demandeur, et vu le fait qu’il avait des droits de garde sur l’enfant en Jamaïque, il semblait que le demandeur n’en avait pas fait assez pour justifier un exercice favorable du pouvoir discrétionnaire prévu dans la politique. À titre d’exemple, il n’avait pas demandé au tribunal de la famille en Jamaïque d’ordonner à son ex‑épouse de fournir le passeport de l’enfant et de permettre un contrôle. Les motifs donnés sont succincts, mais le dossier dans son ensemble rend la décision transparente et intelligible.

[41]           Il est bien entendu possible de ne pas être d’accord avec les conclusions de l’agent portant sur cette question, et il me semble qu’une décision en faveur du demandeur aurait été parfaitement raisonnable. Cependant, cela ne revient pas à dire que la décision défavorable de l’agent était déraisonnable. Voir l’arrêt Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au paragraphe 41.

[42]           Dans la demande dont je suis saisi, on ne saurait dire que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve et des arguments du demandeur sur ce point. Il est également clair que l’agent a estimé que les faits ne justifiaient pas un exercice favorable du pouvoir discrétionnaire, en particulier étant donné les modalités de la garde. Il est donc évident que l’agent a estimé que le demandeur n’en avait pas fait assez pour justifier une décision en dernier recours en sa faveur. Essentiellement, le demandeur sollicite que la Cour, sur ce point, apprécie à nouveau ces éléments de preuve et en arrive à une conclusion différente, qui soit en sa faveur. Il est impossible à la Cour de procéder ainsi. Voir les arrêts : Kanthasamy, précité, au paragraphe 99 et Exeter c Canada (Procureur général), 2011 CAF 253, au paragraphe 15.

[43]           La décision est regrettable pour le demandeur, et la Cour a une grande compassion pour la situation difficile dans laquelle il se trouve. Cependant, il m’est impossible de décider que la décision est erronée en droit, ou qu’elle manque de justification, de transparence et d’intelligibilité, ou encore qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je ne peux donc pas intervenir.

[44]           Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est rejetée.

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6041-13

 

INTITULÉ :

WILLIAM O'NEIL DONOVAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 Janvier 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 20 Mars 2015

COMPARUTIONS :

Max Chaudhary

 

POUR Le demandeur

 

Manuel Mendelzon

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Chaudhary

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR Le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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