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Date : 20150320


Dossier : IMM-5332-13

Référence : 2015 CF 356

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

MANUEL GUILLERM MENDEZ VARON

(alias MANUEL GUILLERMO MENDEZ VARON)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi] en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 4 juillet 2013 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR ou la Commission] a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

II.                LE CONTEXTE

[2]               Âgé de 21 ans, le demandeur est un citoyen colombien. Sa demande d’asile est fondée sur sa crainte des Forces armées révolutionnaires de Colombie [les FARC].

[3]               Le demandeur affirme que sa mère et son père sont victimes de harcèlement de la part des FARC depuis 1997. Il soutient que les FARC ont demandé à son père de travailler pour elles, que sa famille a reçu des menaces téléphoniques et que les FARC ont tenté d’extorquer de l’argent à sa famille.

[4]               Le demandeur allègue qu’à la fin de 2011, les FARC ont commencé à mentionner son nom dans leurs appels téléphoniques en prétendant qu’elles savaient où le trouver et en ajoutant qu’elles voulaient le recruter.

[5]               Le demandeur affirme que ses parents le gardaient sous une surveillance constante et ne le laissaient sortir de la maison que pour aller à l’école. Ils ne lui ont pas permis de fréquenter l’université après la fin de ses études secondaires parce qu’ils craignaient que les FARC le retrouvent.

[6]               En décembre 2011, les parents du demandeur ont fait une dénonciation au procureur général de la Colombie. On leur a dit qu’il n’y avait pas grand-chose à faire. Le procureur général a adressé une lettre à la police locale pour lui demander de protéger la famille du demandeur. Le demandeur affirme que la police a surveillé le quartier pendant environ une semaine, pour ensuite retirer sa protection. On a informé le père du demandeur que la plainte avait été transférée à un autre bureau local parce que les faits s’étaient produits dans cette région. On l’a également informé de se présenter à ce bureau local s’il voulait obtenir de l’aide. Le père du demandeur ne s’y est pas rendu parce qu’il estimait que le déplacement de 20 heures nécessaire était trop risqué.

[7]               Quatre jours après avoir déposé la dénonciation, les parents du demandeur lui ont fait quitter la Colombie parce qu’ils estimaient que les risques que le demandeur se fasse kidnapper ou recruter par les FARC étaient trop grands.

[8]               Le demandeur est arrivé au Canada le 18 décembre 2011. Il a présenté une demande d’asile le 20 décembre 2011.

III.             LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[9]               La demande d’asile du demandeur a été entendue le 28 mai 2013 et le 12 juin 2013. La Commission a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger le 4 juillet 2013.

[10]           La Commission s’est penchée sur les questions de la crédibilité, de la crainte subjective et de la protection de l’État.

[11]           D’entrée de jeu, la Commission a déclaré que la crédibilité du demandeur était ébranlée parce qu’il n’avait pas fourni dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP] de détails au sujet du lien entre les menaces que sa mère avait reçues et les tentatives faites par les FARC pour extorquer de l’argent à son père. Le demandeur a expliqué qu’il n’avait pas fourni de détails parce qu’il estimait que ce lien était évident. La Commission a écarté cette explication, estimant que les détails en question étaient trop importants étant donné qu’ils montraient « que les agents de persécution étaient prêts à harceler n’importe quel membre de la famille du demandeur d’asile pour obtenir le montant exigé » (Dossier certifié du tribunal [DCT] à la page 5).

[12]           La Commission a également conclu que le défaut du demandeur de demander l’asile aux États‑Unis démontrait son absence de crainte subjective. À l’audience, le demandeur a expliqué que les FARC avaient commencé en août 2011à mentionner son nom dans leurs appels téléphoniques à son père. La Commission a souligné que le demandeur et sa mère se trouvaient aux États‑Unis entre le 10 août 2011 et le 2 septembre 2011. Le demandeur a expliqué que les appels avaient commencé alors qu’il se trouvait aux États‑Unis, mais qu’il n’avait pas demandé l’asile parce que la procédure d’asile y est différente et que ce pays n’est pas aussi paisible et sûr que le Canada. La Commission a rejeté l’explication du demandeur. La Commission a déclaré qu’un père qui recevrait des appels de recrutement des FARC aurait tout fait en son pouvoir pour s’assurer que son fils demeure en sécurité et ne retourne pas en Colombie.

[13]           La Commission a par ailleurs conclu que la crédibilité du demandeur était également minée par le fait qu’il n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour justifier la contradiction entre la date à laquelle il avait affirmé dans son FPR que les appels de recrutement avaient commencé (novembre 2011) et celle qu’il avait indiquée dans son témoignage (août 2011). À l’audience, le demandeur a déclaré qu’il n’arrivait pas à se rappeler des dates avec exactitude. La Commission a rejeté cette explication en raison de l’importance pour le dossier du demandeur de la date à laquelle son père avait commencé à recevoir les appels de recrutement.

[14]           En raison des conclusions ainsi tirées au sujet de la crédibilité, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le père du demandeur n’avait reçu aucun appel téléphonique dans lequel on menaçait de kidnapper ou de recruter le demandeur.

[15]           La Commission a tiré une autre conclusion au sujet de la crédibilité du demandeur en raison du défaut du demandeur d'expliquer comment son père savait que les appels téléphoniques provenaient des FARC. Le demandeur a offert diverses versions, expliquant d'abord que son père n’avait pas répondu au téléphone, puis qu’il avait répondu aux appels au début, mais qu’il n’y répondait plus et, enfin, que lorsque son père répondait au téléphone, la personne qui appelait disait qu’elle appelait au nom des FARC.

[16]           Enfin, la Commission a tiré une conclusion négative au sujet de la crédibilité en raison du fait que le demandeur n’avait pas indiqué dans ses notes prises au point d’entrée qu’il demandait l’asile en raison des menaces proférées par les FARC. Le demandeur avait affirmé qu’il demandait l’asile au Canada parce que c’était un pays qui n’était en guerre avec personne. La Commission a expliqué que le fondement de la demande d’asile du demandeur était le fait que les FARC avaient menacé de le recruter si son père n’obtempérait pas aux demandes d’extorsion. Comme ces menaces étaient exposées avec force détail dans son FPR et dans son témoignage, la Commission a affirmé qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les menaces soient à tout le moins mentionnées de façon sommaire également dans ses notes prises au point d’entrée. La Commission a estimé qu’il s’agissait d’« omissions en ce qui a trait aux aspects essentiels de la demande d’asile » (DCT, à la page 8, citant le jugement Kroka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 728).

[17]           La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les FARC n’avaient pas tenté d’extorquer de l’argent à la famille du demandeur et que les FARC n’avaient pas menacé de recruter le demandeur.

[18]           La Commission a par ailleurs accordé très peu de poids au témoignage du père du demandeur parce qu’il avait un intérêt direct dans l’issue de l’audience.

[19]           La Commission a ensuite expliqué que la question déterminante était celle de savoir si le demandeur avait réfuté la présomption de la protection de l’État. La Commission a affirmé que le fardeau de preuve qui incombait au demandeur à cet égard était directement proportionnel au degré de démocratie de l’État concerné. La Commission a expliqué que la Colombie était une démocratie fonctionnelle, de sorte que le demandeur ne pouvait se contenter de démontrer qu’il s’était adressé à la police et que ces démarches n’avaient pas porté fruit.

[20]           La Commission a examiné la dénonciation, mais a fait observer qu’on n'y trouvait aucune description des présumées menaces. La Commission a rejeté l’explication du demandeur suivant laquelle la dénonciation visait à obtenir la protection de la police. La Commission a expliqué qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’une dénonciation renferme une description des menaces. La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le document avait été déposé en vue d’étoffer la demande d’asile du demandeur.

[21]           La Commission a également fait observer que le demandeur avait quitté la Colombie quatre jours après avoir déposé la dénonciation. La Commission a déclaré qu’en quittant le pays, le demandeur n’avait pas donné à la police la possibilité d’enquêter sur le crime.

[22]           La Commission a examiné la preuve documentaire indépendante concernant la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État en Colombie et a elle déclaré qu’elle préférait la preuve soumise par la Commission à celle du demandeur, étant donné que « la preuve documentaire rassemble une vaste gamme de documents accessibles au public et provenant de sources gouvernementales et non gouvernementales fiables » (DCT, à la page 11). La Commission a reconnu que la question à laquelle il fallait répondre était celle de savoir si la protection de l’État était présentement offerte et non si des démarches étaient faites pour établir la protection de l’État.

[23]           La Commission a fait observer, par exemple, que le nombre d’exécutions sommaires effectuées par l’armée avait considérablement diminué. De plus, plusieurs officiers et soldats avaient été libérés de l’armée en raison de leur corruption. La Commission a également fait état des violations des droits de l’homme commises par les FARC et d’autres groupes paramilitaires et déclaré que le gouvernement colombien s’était engagé à « renforcer la présence de l’État dans les régions historiquement touchées par les organisations armées illégales » (DCT, à la page 16). Parmi les mesures prises, la Commission a mentionné le fait de poster des militaires le long des routes principales et de renforcer la présence militaire dans les municipalités et elle a signalé que ces mesures avaient été couronnées de succès dans certaines régions, mais pas dans d’autres.

[24]           La Commission a reconnu que la preuve documentaire comportait certaines incohérences, mais a conclu que (DCT, à la page 12) :

[L]a prépondérance de la preuve objective concernant la situation actuelle dans le pays montre que, même si elle n’est pas parfaite, une protection de l’État adéquate est offerte en Colombie aux victimes de crimes, que la Colombie fait de sérieux efforts pour régler le problème de la criminalité et que la police a la volonté et la capacité de protéger les victimes

[25]           La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État et que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

IV.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[26]           Le demandeur soulève les questions suivantes en l’espèce :

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en refusant de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger?

2.      La Commission a‑t‑elle agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer?

3.      La Commission a‑t‑elle omis de respecter un principe de justice naturelle, d’équité procédurale ou une autre procédure qu’elle est obligée de respecter selon la loi?

4.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en rendant une décision entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier?

5.      La Commission a‑t‑elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

6.      La Commission a‑t‑elle agi de toute autre façon contraire à la loi?

[27]           Malgré cette liste, le demandeur n’a abordé que les questions suivantes dans ses observations écrites : 1. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la crédibilité? 2. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la question de la protection de l’État?

V.                LA NORME DE CONTRÔLE

[28]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question en litige est déjà bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que le tribunal procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[29]           Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission est celle de la décision raisonnable (Aguebor c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 NR 315 (CAF); Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 169 NR 107 (CAF); Osawaru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1270, au paragraphe 2). L’application, par la Commission, du critère de la protection de l’État implique des questions mixtes de fait et de droit et elle est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 420, au paragraphe 199, conf. par 2007 CAF 171, au paragraphe 38; Rusznyak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 255, au paragraphe 23; Bari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 862, au paragraphe 19).

[30]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES DISPOSITIONS LÉGALES

[31]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VI.             LES ARGUMENTS

A.                Le demandeur

[32]           Le demandeur qualifie de déraisonnables les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité et de la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État.

(1)               La crédibilité

[33]           Le demandeur soutient que la Commission a commis plusieurs erreurs dans son analyse de la crédibilité. La Commission a commis une erreur en rejetant son explication quant aux raisons pour lesquelles il n’avait pas expressément mentionné le fait que les appels que sa mère recevait provenaient des FARC et visaient à extorquer de l'argent à son père. La Commission ne peut tirer de conclusion défavorable de l’omission du demandeur de mentionner des détails mineurs ou explicatifs dans son FPR (Feradov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 101; Diaz Puentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1335). La Commission n’a également pas le droit de se livrer à une analyse microscopique de la preuve en vue de déceler des erreurs ou des incohérences banales (Gebremichael c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 547).

[34]           La Commission a également commis une erreur en reprochant au demandeur de ne pas avoir demandé l’asile aux États‑Unis. Le demandeur a expliqué qu’il n’était pas au courant des menaces alors qu’il se trouvait aux États‑Unis. De plus, le père du demandeur n’était pas conscient de la gravité du problème alors que le demandeur se trouvait aux États‑Unis. La Commission ne peut tirer de conclusions du défaut du demandeur de demander l’asile aux États‑Unis puisqu’il ne craignait pas d’être persécuté à ce moment‑là.

[35]           La Commission a tiré une conclusion négative au sujet de la crédibilité en se fondant sur les contradictions relevées entre les dates mentionnées dans son FPR et celles qu’il avait indiquées dans son témoignage. Il s’agit de contradictions mineures qui peuvent s’expliquer facilement par le fait que le demandeur n’a pas eu de contact direct avec les FARC. Tous les contacts et tous les détails relèvent du père du demandeur. Le demandeur a également expliqué que sa mère et son père l’avaient aidé à rédiger son exposé circonstancié parce qu’il n’avait aucune connaissance directe des faits. Une décision relative à une demande d’asile ne peut reposer sur un test de mémoire (Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 190 FTR 225).

[36]           La Commission a également commis une erreur en se fondant sur le manque de détails des notes prises au point d’entrée par le demandeur. Les notes prises au point d’entrée ne font pas partie de la demande d’asile et on ne peut s’attendre à ce qu’elles renferment les mêmes détails que la demande d’asile (Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8 [Cetinkaya]; Hamdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 382; Jamil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792). Le demandeur affirme qu’il n’a appris que les menaces étaient dirigées contre lui que lorsque ses parents ont décidé de le faire sortir du pays.

[37]           Enfin, la Commission a commis une erreur en accordant peu de valeur au témoignage du père du demandeur. Le père a témoigné sous serment et la Commission a eu la possibilité de le contre-interroger. La Cour fédérale a jugé que le témoignage des membres de la famille ou des amis du demandeur d’asile doit être évalué et ne peut être écarté simplement parce que le témoin a un intérêt dans l’issue de l’instance (Kaburia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 516 [Kaburia]; Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 226 [Ahmed]; Mata Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 319, au paragraphe 37 [Mata Diaz]; Diaz Pinzon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1138, au paragraphe 5 [Diaz Pinzon]).

(2)               La protection de l’État

[38]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État parce que la dénonciation que son père avait déposée auprès du procureur général ne contenait pas suffisamment de détails au sujet des faits qui s'étaient produits. La Commission s’est concentrée à tort sur les tentatives faites par le demandeur pour faire intervenir l’État plutôt que de se concentrer sur la question de savoir si les personnes ciblées par les FARC en Colombie pouvaient compter sur la protection de l’État. Le demandeur affirme qu’il a tenté à deux reprises d’obtenir la protection de l’État et qu’il n’a pas reçu d’aide. La décision devrait être axée non pas sur l’intention de l’État, mais sur ses actions. Il est déraisonnable d’imposer au demandeur d’asile le fardeau légal de demander la protection de l’État (Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 421) lorsqu’il existe de solides éléments de preuve tendant à démontrer que, même s'il avait déployé des efforts plus soutenus pour obtenir la protection de l’État, il ne l’aurait pas obtenue (Commer Mora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 235, au paragraphe 29).

[39]           La Commission a également commis une erreur en préférant la preuve documentaire de la Commission à celle du demandeur d’asile (Coitinho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1037; Villa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1229; Lopez Villicana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1205). Le demandeur affirme qu’il a soumis des éléments de preuve objectifs provenant de sources fiables et notamment des rapports rédigés par des spécialistes, ainsi que des rapports publiés par des organisations internationales. La Commission avait l’obligation d’expliquer les raisons pour lesquelles elle ne tenait pas compte des éléments de preuve qui corroboraient la demande d’asile du demandeur (Cetinkaya, précité; Vargas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 543 [Vargas]; Nino Yepes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1357 [Nino Yepes]).

[40]           Enfin, la Commission a commis une erreur en insistant sur les efforts déployés par le gouvernement colombien plutôt que sur la réalité de la suffisance de la protection de l’État. La Commission n’a cité aucun élément de preuve indiquant que les personnes directement ciblées par les FARC pouvaient compter sur la protection de l’État (Meza Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1364, aux paragraphes 16 et 17; Ralda Gomez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1041; Jaroslav c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 634, au paragraphe 75). La Cour fédérale a jugé que les efforts de la Colombie pour lutter contre la criminalité ne sont pas suffisants pour contrebalancer la preuve de ses violations des droits de la personne (Avila Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1291, au paragraphe 43).

B.                 Le défendeur

[41]           Le défendeur a soulevé une question préliminaire concernant un affidavit que l’avocat du demandeur a soumis dans le cadre de la présente instance. Le défendeur affirme que cet affidavit viole l’article 82 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. Cet article prévoit qu'un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit.

[42]           Le défendeur signale également que le demandeur n’a pas déposé d’affidavit dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Les Règles n’exigent pas qu’un affidavit soit déposé, mais le défendeur affirme que l’on ne dispose pas d’explications quant à la raison pour laquelle le demandeur n’a pas attesté la véracité des faits portés à la connaissance de la Commission.

[43]           Le défendeur affirme que la décision est raisonnable. La Commission a tiré plusieurs conclusions en se fondant sur les incohérences et les omissions qu’elles avaient relevées dans le témoignage et la preuve du demandeur. Le manque de crédibilité de l’élément subjectif de la demande d’asile suffit pour rejeter celle‑ci. Le temps que le demandeur d’asile a laissé s’écouler au lieu de demander la protection à la première occasion mine également son allégation qu’il avait une crainte subjective (Rivera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1292, aux paragraphes 27, 28, 30 et 31; Mantilla Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 254, au paragraphe 19). Le demandeur n’a pas présenté de demande d’asile pendant le mois où il se trouvait aux États‑Unis, et ce, même s’il a expliqué que son père recevait de la part des FARC des menaces le concernant pendant cette période. Il est raisonnable de conclure que le temps que le demandeur a laissé s’écouler tant avant de quitter la Colombie qu’avant de demander l’asile à la première occasion permet de penser qu’il n’avait pas de crainte subjective (Goltsberg c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 886, au paragraphe 28; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1070, au paragraphe 21).

[44]           On présume généralement que l’État est capable de protéger ses citoyens (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 725). Le demandeur ne peut se contenter d'invoquer une preuve documentaire pour signaler des lacunes du système s’il n'a pris aucune mesure pour se prévaloir de la protection de l’État (De Lourdes Gonzalez Duran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 855, au paragraphe 16). Il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que le fait de déposer une dénonciation pour ensuite quitter le pays ne suffisait pas pour réfuter la présomption de la protection de l’État (Pacasum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 822, au paragraphe 20; Smirnov c Canada (Secrétaire d’État), [1995] 1 CF 780, 89 FTR 269).

[45]           Il ressort de la décision que la Commission a examiné l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions. Le tribunal est présumé avoir soupesé et examiné l’ensemble de la preuve et il n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317, à la page 318 (CAF); Florea c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 598 (QL) (CAF)). Le fait que le demandeur peut signaler des extraits de la preuve documentaire pour appuyer sa thèse ne permet pas de conclure à une erreur (Johal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1760, aux paragraphes 10 et 11 (QL) (C.F. 1re inst.); Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, aux paragraphes 16 et 17).

C.                 La réponse du demandeur

[46]           En réponse, le demandeur affirme que les Règles n’ont pas été violées parce que l’avocat qui a souscrit l’affidavit n’est pas celui qui a soumis le mémoire. De plus, un autre avocat comparaîtra devant la Cour pour plaider au fond à l’audience. Par conséquent, l’affidavit de l’avocat ne fait pas intervenir l’article 82 des Règles. Enfin, l’affidavit est légitime parce qu’il n’est pas controversé et qu’il ne sert qu'à produire des documents (Pluri Vox Media Corp c Canada, 2012 CAF 18).

[47]           Le demandeur affirme que la conclusion de la Commission suivant laquelle la situation s’améliore en Colombie n’aborde pas la situation particulière du demandeur et ne tranche pas la question de savoir si la protection offerte est efficace (Henguva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 912, au paragraphe 10).

[48]           Il ne s’agit pas de savoir si la Commission a préféré sa propre preuve documentaire à celle du demandeur, mais bien celle de savoir si la Commission a complètement omis de tenir compte de la preuve du demandeur. Le demandeur admet que la Commission n’a pas l’obligation de mentionner chaque élément de preuve. Toutefois, l’importance de mentionner chaque élément de preuve s'accroît en fonction de sa valeur probante (Cetinkaya, Vargas, Nino Yepes, précités).

D.                Les observations complémentaires du défendeur

[49]           Dans ses observations complémentaires, le défendeur nie que la Commission ait commis quelque erreur que ce soit dans les conclusions qu’elle a tirées au sujet de la crédibilité, mais elle affirme également que les conclusions tirées par la Commission au sujet de la protection de l’État peuvent être confirmées malgré les conclusions qu'elle a tirées au sujet de la crédibilité (Akhtar Mughal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1557, aux paragraphes 39, 40, 42 et 43; Fontenelle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1432, au paragraphe 15).

VII.          ANALYSE

[50]           Le défendeur affirme que l’affidavit déposé par l’avocat du demandeur fait intervenir l’article 82 des Règles des Cours fédérales. Le demandeur affirme que l’affidavit n’a pas été souscrit par l’avocat qui a rédigé le mémoire du demandeur ou par celui qui a comparu lors de l’examen de la demande de contrôle judiciaire. Le demandeur affirme également que l’affidavit n’est pas controversé et qu’il ne fait que présenter des documents soumis à la Commission. Je suis d’accord pour dire que l’article 82 ne s’applique pas en l’espèce. Aucun avocat ne tente « à la fois [d']être l’auteur d’un affidavit et [de] présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit ». De plus, l’affidavit ne fait que présenter, sous forme d’annexe, des documents qui avaient été soumis à la Commission (Polaris Industries Inc c Victory Cycle Ltd, 2007 CAF 259, au paragraphe 8). Il n’est pas nécessaire que la Cour se fonde sur l’affidavit en question dans le cadre de la présente instance, étant donné que les documents ont depuis tous été versés au DCT.

[51]           Pour ce qui est de la décision, la Commission a tiré plusieurs conclusions négatives au sujet de la crédibilité en se fondant sur le témoignage du demandeur pour ensuite conclure : « selon la prépondérance des probabilités, que la famille du demandeur d’asile n’a jamais fait l’objet d’une tentative d’extorsion d’argent aux mains des FARC et que les FARC n’ont pas menacé de recruter le demandeur d’asile » (DCT, à la page 8).

[52]           Une grande partie des difficultés qu’a rencontrées le demandeur lorsqu’il a témoigné lors de l’examen de sa demande d’asile découle du fait que les menaces ont été proférées par les FARC à des membres de sa famille et non au demandeur personnellement. Le demandeur a été envoyé au Canada pour être hors de la portée des FARC. Inévitablement donc, la menace de persécution et les risques auxquels il pourrait être exposé à l’avenir lui ont été transmis par sa famille. La Commission semble s’attendre à ce que le demandeur soit assez précis au sujet du moment où les menaces en question ont été proférées et au sujet de la réaction de son père, et ce, même si le demandeur n'est pas personnellement au courant de la nature des menaces en question.

[53]           C’est évidemment pour cette raison que l’avocat du demandeur a appelé le père à témoigner personnellement sous serment. C'est le père qui a eu à faire face aux menaces proférées par les FARC contre le demandeur et c’est la personne qui peut donner un témoignage précis et direct sur toutes les circonstances entourant les menaces en question et la raison pour laquelle le demandeur a été envoyé à l’étranger pour se soustraire aux conséquences de ces menaces. Le témoignage du père du demandeur a été donné au téléphone sous serment. Il a aurait pu être contre-interrogé, mais il ne l’a pas été.

[54]           Malgré l’importance cruciale du témoignage du père et de son importance évidente pour résoudre les difficultés que la Commission avait au sujet du témoignage du demandeur, la Commission a simplement refusé d’accorder quelque valeur que ce soit au témoignage du père (DCT, à la page 8) :

Le conseil du demandeur d’asile a convoqué en qualité de témoin le père du demandeur d’asile, qui a donné son témoignage par téléphone. Toutefois, comme il s’agit du père du demandeur d’asile et qu’il a un intérêt direct dans l’issue de cette audience, j’accorde peu de valeur probante à ce témoignage.

[55]           Fait significatif, la Commission n’a cité aucune source juridique à l’appui de sa position et elle n'a mentionné aucune raison acceptable pour expliquer la raison pour laquelle elle estimait que le témoignage du père n’est pas fiable. La Commission a entendu le père témoigner et elle avait tout le loisir de vérifier la valeur de ce témoignage. La transcription montre que la Commission ne s’est pas vraiment prévalue de cette possibilité.

[56]           Ainsi que le défendeur l’admet, la position défendue par la Commission sur cette question est tout simplement erronée en droit. On ne peut écarter un témoignage (l’expression « accorder peu de valeur » est un euphémisme en l’espèce qui veut effectivement dire « sans aucune valeur ») parce que ce témoignage est donné par un proche parent (Kaburia; Ahmed; Mata Diaz; et Diaz Pinzon, précités). S’il fallait accorder « peu de valeur » à un témoignage parce que le témoin a un intérêt direct sur l’issue d’une audience, aucune demande d’asile ne pourrait jamais être accueillie parce que tous les demandeurs d’asile qui témoignent pour leur propre compte ont un intérêt direct en ce qui concerne l’issue de l’audience. Le commissaire a révélé qu’il avait une forte prédisposition à ne pas croire les témoins d’un demandeur, même s'ils témoignaient sous serment. Il s’agit là d’un problème sérieux auquel il convient de s’attaquer.

[57]           En l’espèce, seul le père a eu directement connaissance de ce que les FARC menaçaient de faire au demandeur. Or, il semble que la Commission ait écarté un témoignage direct donné sous serment de sorte qu’elle n’a pas eu à se demander si le père pouvait clarifier les problèmes qu’elle avait décelés dans le témoignage personnel du demandeur. Il s’agit d’une façon de procéder manifestement inéquitable et entièrement déraisonnable.

[58]           Il me semble également que, tant que les menaces proférées contre le demandeur ne sont pas correctement évaluées, la Commission ne peut procéder à une analyse raisonnable de la protection de l’État; le témoignage du père, qui a été écarté, concernait également la protection de l’État.

[59]           L’analyse que la Commission a effectivement faite de la question de la protection de l’État en l’espèce révèle la nature du problème. La Commission a énuméré les nombreuses mesures que le gouvernement de la Colombie avait prises dans sa lutte contre les FARC, mais bon nombre de ces mesures sont très générales (p. ex., la Colombie « déploie des efforts sérieux pour lutter contre la corruption et l’impunité ») et n’ont rien à voir avec la question de savoir si l’État peut offrir une protection suffisante à un jeune homme se trouvant dans la situation du demandeur qui a été identifié par les FARC en vue d’un recrutement. La Commission disposait de solides éléments de preuve tendant à démontrer que l’État ne pouvait protéger quelqu’un se trouvant dans la situation du demandeur, mais la Commission ne s’est jamais penchée sérieusement sur ces éléments de preuve, se contentant plutôt de s’intéresser aux mesures prises par l’État qui avaient pu avoir un certain succès dans la lutte contre les FARC, mais qui ne permettaient pas de conclure à une protection de l’État suffisante dans le cas d’une personne se trouvant dans la situation du demandeur. En clair, le demandeur ne prétendait pas que l’État n’avait pas remporté de succès militaires contre les FARC et il n’affirmait pas que l’État ne pouvait le protéger parce qu’il était corrompu; il soutenait plutôt que l’État était tout simplement dépassé et qu’il ne pouvait protéger quelqu’un dans sa situation qui était ciblé par les FARC. Il existait des éléments de preuve objectifs en ce sens et suivant le témoignage du père (DCT, à la page 824) que la Commission a, de façon déraisonnable, écartés :

[traduction]

Ainsi, en Colombie, la situation est très difficile pour la personne ordinaire, c’est‑à‑dire pour celles qui n’obtiennent pas la protection de l’État. Et de plus, vous savez pour les gens comme nous, il n’y a pas de protection de l’État et vous savez les mesures qu’ils – c’est ce qu’on appelle des enquêtes – sur les dossiers qui font encore l’objet d’une enquête et comme vous pouvez le voir, en Colombie, il y a beaucoup de cas d’enlèvements.

[60]           La Commission n’était pas tenue d’accepter cette évaluation, mais elle ne pouvait tout simplement en faire abstraction et l’ignorer en statuant qu’elle avait peu de valeur en raison de l’intérêt personnel qu’avait le père dans l’issue de l’affaire, et la Commission ne peut se contenter de ne pas tenir compte de l’élément de preuve objectif qui appuyait le demandeur en se repliant sur des mesures étatiques qui ne répondaient pas à la question de base, en l’occurrence, celle de savoir si l’État colombien pouvait offrir une protection adéquate à une personne qui, comme le demandeur, est ciblée par les FARC.

[61]           En tout état de cause, l’analyse de la protection de l’État prête à confusion. Après avoir tiré une conclusion négative au sujet de la crédibilité en estimant que les FARC n’avaient jamais proféré de menaces contre le demandeur, la Commission poursuit en nous disant que « [l]a question déterminante en l’espèce porte sur la présomption selon laquelle les pays sont capables de protéger leurs citoyens. Cette présomption renforce le principe selon lequel la protection internationale entre en jeu uniquement si le demandeur d’asile ne dispose d’aucune solution de rechange » (DCT, à la page 9).

[62]           La Commission ne dit nulle part si ses conclusions sur la protection de l’État reposent sur l’hypothèse que les menaces proférées par les FARC contre le demandeur sont véridiques (par ex., même si l’on devait ajouter foi à la version des faits du demandeur, ce dernier n’a pas réfuté la présomption de la protection suffisante de l’État) ou sur l’hypothèse que les menaces ne sont pas véridiques. Nous ne savons donc pas la mesure dans laquelle les conclusions négatives et déraisonnables tirées par la Commission au sujet de la crédibilité ont eu une incidence sur son analyse de la protection de l’État.

[63]           Pour ces motifs, la décision est déraisonnable et doit être renvoyée à la Commission pour réexamen.

[64]           Les avocats s’entendent pour dire qu’il n’y a pas de questions à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’elle soit réexaminée par un autre commissaire;

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5332-13

 

INTITULÉ :

MANUEL GUILLERM MENDEZ VARON (alias MANUEL GUILLERMO MENDEZ VARON) c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (OntariO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 DÉCEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Alla Kikinova

 

PoUR LE DEMANDEUR

 

Aleksandra Lipska

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alla Kikinova

Avocate

London (Ontario)

 

PoUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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